Homme - anno I - n.42 - 13 settembre 1854

du palais, accompagné du comte Arnim, qu'il vient de nommer son premier ministre. L'ancien chef du cabinet, M. de Bodelschwingh, donne lecture d'une proclamaLion, dans laquelle la royauté s'incline, quoiqu'à regret, devant la souveraineté populaire. La foule accueille cette déclaration avec des élans de joie et des acclamations enthousiastes. Le bruit couvre la voix sonore du souverain qui veut essayer sa puissance une dernière fois. Dans cette rumeur confuse, on ne peut distinguer que les cris toujours répétés contre l'armée. L'instinct du peuple demanqait un gage symbolique de confiance, et mettait le gouvernement en demeure de prouver, s'il comptait rompre•sérieusement avec l'ancienne tradition militaire. Il lui fallait une satisfaction pour les attentats commis, la veille, contre les citoyens. Le parti réactionnaire saisit avec avidité cette occasion 1 pour influencer le faible monarque. Les troupes ne peuvent se déshonorer, disait-on, en effectuant une retraite scandaleuse réclamée par la populace. Le prince de Prusse rappelle à son frère que, naguère, il a promis "de transmettre à son successeur une couronne intacte et non affaiblie, mais telle qu'il l'a reçue." Et le roi, entraîné par la voix perfide de ces conseillers qu'il.n'écoutait. qu'avec trop de complaisance, courroucé de cc que la foule ne l'avait pas laissé prononcer une de s~·sharangues favorites, le roi se retire dans ses appartements, en disant q1,'il a besoin d'mie heure de repos. Ce repos, ceux qui l'entouraient résolurent de le lui procurer à tout prix. L'ordre est donné de faire évacuer la place; les dragons de la garde se mettent en devoir de l'éxécuter. Le peuple les reçoit en criant : " Vive le roi! mais à bas les militaires ! " Les cavaliers chargent à fond de train, tt les fantassins appuie~1t•; les soldats sortent du palais, en croisant les baïonnettes, et tirent sur les citoyens qui s'enfuient. Au bout de quelques minutes, il ne reste devant le château que des morts ~t des blessés ...... mais le calme succède au brnit ...... et le roi peut jouir d'une heure de t·epos. les rues de Berlin reteHtissent alors de ce cri de vengeance et de trahison, devant lequel sont tombées, en France, deux dynasties en moins de vingt ans. La voix lugubre du tocsin sonne le glas de la royauté, et la fidélité monarchique vient s'évanouir derrière les barricades. Combien da fois les généraux n'avaient-ils pas proclamé complaisamment, en regardant les maisons alignées comme des rangs de soldats : " à Berlin, tout est possible excepté les combats de rue." Et cependant, le peuple allait livrer ces combats; il les livrait, sans armes, sans organisation, sans chefs ; il les livrait, contre une armée bien disciplinée et bien commandée; il les livrait avec nrdcur, avec rage. Les pavés sont arrachés. Tout sert à la construction des retranchemens populaires, le~ carrosses, les ~hariots, les fontaines, les escaliers, les portes, les ustensiles de ménage. Une heure rnffit pour en couvrir tous les passages, car tout le monde y travaille, les hommes et les ft!mmes, les vieillards et les enfants. Les boutiques' des armuriers et des marchands rle fer sont envahies et pillées. Les jeunes garçons fondent des balles; les jeunes filles portent des pierres et de l'eau bouillante sur les toits. Les insurgés pénètrent dans les maisons et se postent aux fenêtres. Le moindre levier devient une arme, dans la •main des combattants. La bannière tricolore allemande est arborée partout. Les étudians répètent avec véhémence les paroles chaleureuses du poète Schiller : "quand l'opprimé ne peut trouver justice nulle part, quand le fardeau devient insupportable, - il tend, avec courage et confiance, la main vers le ciel, et y reprenil ses droits éternels ; comme moyen suprême, le glaive lui est donné." La bataille est imminente. Effrayés, des bourgeois, un évêque, essaient de pénétrer jusqu'au roi. Ils n'arrivent qu'au prince de Prusse, qui répond avec arrogance à leurs sollicitations : " les troupes ne reculeront pas d'un pouce." la veille, l'énergumène royal avait vivement apostrophé le général Pfùel, qui recommandait aux soldats de ne pas tirer ; il s'était écrié : " Général, (!Uefaites-vous ? Vous me gâtez mes hommes, et leurs bonnes dispositious, que j'ai en tant de peine à faire naitre. C'est indigne !"..:_L'héritier de la couronne voulait un conflit. .. il réussit au-delà de ses souhaits. Le combat dnra dix-huit heures. Les militaires répondiren.t dignement à l'attente de leur t1oblcmaître ; ils déployèrent la cruauté la plus inouïe, et ne respectèrent pas même les prisonniers désarmés. Le peuple fut, comme partout et toujours, humain et généreux. Il se défendit contre une armée de vingt-cinq mille hommes, avec tant de courageuse persévérance, qu'il resta maître de la plus grande partie de la ville, malgré la mitraille et le feu des pièces de campagne. Au milieu de la mêlée, M. de Bodelschevidgh fit affieher une nouvelle proclamation, annonçant une seconde fois que les troupes se retireraient, si les barricades étaient préalablement démolies. Toujours la grâce!!! ... mais la nation avait enfin perdu confiance. La. cour continuait à Iésister, une prière ardente cle M. <leViocke, ( don Quichotte de la monarchie prussienne) fut reçue, par la camarilla, avec de hautains éclats de rire. Pendant que les boulets de canon labouraient les édifices, L•JlOM31 r:. pendant qne les lamentations <les blessés et les imprécations <les mourants appelaient lll.Ycngeauce divine et humaine, -le roi soupa. Le génit de la guerre civile étendait ses ailes noires sur la patrie, et faisait une terrible moisson, - il y eut fête au château. Mais, comme dit Mirabeau, ne dort-on pas au pied du Vésuve? En sortant cle souper, le roi, qui, depuis cette époque, a souvent éprouvé le besoin de faire savoir officiellement à l'Europe qu'il ne boit que de l'eau, était disposé, plus que jamais . .i persévérer dans la lutte. Les courtisans • l'exaltaient encore, en lui parlant de l'honneur que trouverait dans le triomphe la maison de Hohenzollern, lorsque la maison de Hapsbourg avait succombé. Le général Pfuel, ( la demi-mesure, comme on l'appelait au palais) ,fut destitué, et son successeur Pittwitz reçut des ordres plus formels et plus sanguinaires. Mais le peuple ne céda point, et la bataille ne fnt pas interrompue par la nuit. Enfin, l'épouvante s'empara de l'âme du monarque. Il cessa de rire et de plaisanter. Son ivresse physique et morale était dissipée ; son courage et sa foi l'avaient abanrlonné. Il eut peur. . C'est aux heures décisives que se montren~ la grandeur ou la petitesse des caractères. Jusqu'alors, on avait cru Frédéric Guillaume grand et fort; l'adversité le montra petit et faible. Il n'eut plus de présence d'esprit, du moment où, suivant ses propres ex.pre~sions, "sa vie et sa couronne se trouvaient sur le tranchant d'un rasoir." La pensée lui vint de fuir de son palais et de sa capitale. Son ancien conseiller, le fidèle Bodelschwingh, lui soufflait cette détermination. Il en est toujours ainsi; les ministres, dont l'opiniâtreté produit la catastrophe, se hâtent ile se soustraire aux conséquences de leur œuvre. Ce honteux projet échoua devant la volonté de fe;,-du comte Arnim, qui démontra que la fuite était la perte du trône. Le roi resta. Dominé par un abattement absolu, il écrivit, de sa main, une proclamation A SES CHERS BERLIN01s. Dans ce manifeste, le traître couronné d<!plore amèrement qu'une bande de scélérats et d'étrangers soit parvenue à faire servir à des desseins ténébreux deux coups de fusil, tirés par rrié,r;arde. C'était le mensonge le plus absurde et le plus incompréhensible; néanmoins, soit astuce, soit folie, il eut constamment recours à cette version. Le monarque vaincu terminait ainsi : " C'est à vous, habitants de ma chère ville na.tale, " c'est à vous qu'il appartient d'éviter de plus grands " malheurs. Votre roi, votre ami le plus fidèle, vous con- " jure, par tout ce que vous avez de sacré, de reconnaître " votre désastreuse erreur. Revenez à la paix ; démolissez " les barricades qui sont encore debout, et envoyez-moi " des hommes pénétrés de l'ancien et véritable esprit " berlinois; qu'ils me disent des paroles qui conviennent " en face de votre roi, et je vous donne ma parole royale " qc1cles troupes évacueront immédiatement les rues et " les places, et que l'occupation militaire sera réduite, " et même pour un court espace de temps seulement, au " château et à l'arsenal. " Ecoutez la voix paternelle de votre roi, habitants de " mon fidèle et beau Berlin, et oubliez ce qui est arrivé " comme je l'oublierai clans mon cœur, et au nom du " grand avenir qui se lèvera qour la Prusse, et par la " Prusse pour l' Allemàgne, sous la bénédictiou pacifique " cle Dieu. '· Votre grâcieuse reine et très-fidèle mère et amie, qui " est alitée et bien souffrante, réunit ses prières cordiales " et pleines de larmes aux miennes." Ce document restera dans l'histoire comme un modèle d'hypocrisie et de lâcheté. Le peuple ne tint aucun compte de ces protestatior1s tardives. Il ne ressentit qu'une vive indignation à la lecture de cette proclamation qui traitait toute une population de scélérats, qui parlait d'une poignée d'étrangers en face d'une Révolution, qui murmurait des mots de pardon et d'oubli au moment où . la mitraille décimait les rangs populaires. Les combattants affichèrent dédaigneusement la requête royale à côté d'un obus qui s'était arrêté dans un pan de mur. La bataille se prolongeait et la victoire restait indécise. Un événement inattendu, la prise du général Mollendorf, précipita le dénouement. Craignant pour sa vie, cet officier supé,rieur signa l'ordre de ct:sser le feu. Ce fut le présage de la défaite de la cour. Cachant la nécessité sous un prétexte généreux, le roi conclut la paix avec l'insurrection, le 19 mars, à onze heures du matin. Les conditions dtl trf}ité furent les suivantes : 1 ° Départ des troupes ; 2° Liberté de la presse ; 3° Promesse d'une Constitution, su.r la base démocratique la plus large possible. Devant la Révolution, la monarchie de Frédéric-leGrand avait rompu, d'une manière éclatante, avec son passé et son esprit absolutistes. Aucune humiliation ne fit défaut à ce trône qù.i croulait, et que la longanimité du peuple vain'lueur maintint seule debout. Le souverain, qui se croyait tout puissant, avait cédé devant les vivants : il dut encore s'incliner devant les morts. Quand les régiments se furent retirés, laissant derriè•re eux une large traînée de sang, un cortége lugubre s'avança vers le château. C'étaient les hommt:s du peuple, les insurgés du matin, pâles, défigurés, - héros en guenilles, so1dats aux pieds 1rns. lls n'avaient pa:s déposé les armes et marchaient en colonnes serrées. 1 li, étaient mornes, les braves guerriers des barricades, car ils portaient, sur leurs épaules meurtries, les cadavre1o dt! leurs frères tombés dans la lutte, C'était un affreux spectacle, tei' qu'ose à peine le rên•r l'imagination la plus fantastique. Les corps, à moitié dépouillés, montraient des blessures béantes. Les poitrines étaient couvertes de flenrs, les têtes ceintes de lauricri; et d'immortelles. Dans la cour du palais royal, les cercueils sont déposés par terre et rangés symétriquement. - La ligue était longue ! - Les parents des victimes sont là, pour pleurer et pour accuser. Et de sa voix la plus solennelle, le peuple appelle la royauté à venir passer la. revue de ses morts. ( La suite au prochain numéro.) Théodore KARCHER. VARIÉTÉS. SCIENCE POPULAIRE. CHRONOLOGIE. Les livres historiques que l'Université française met entre les tnains du peuple ne reconnaisseut et ne donnent comme vraie que la chronologie bâsée sur les livres sacrés de Moïse. Ceux des Chaldéens, des Indiens, de, Chinois, les traditions égyptiennes, les travaux des philosophes du 18e siècle et ceux des savants du 19e, ne comptent absolument pour rien a.ux yeux de cette marâtre qui ne distribue qu'à regret le pain de la science et .de la vérité. Et cependant, en llrésence des conquêtes modernes de la géologie, de l'astronomie, de l'archéologie, les théories historiques de Bossuet ne sont plus que des coutes ridicules. l\f. Cousin et les prétendus voltairiens du régime universitaire savent cela; mais, hélas! les consciences s'abaissent devant la feuille d'émargement du Fortoul et les petits livres <le l'abbé Fleury, de l'abbé Gautier, de l'abbé l)luche et de l'abbé Loriquet circulent effrontément sous l'estampille ministérielJe, et propagent officiellement, parmi les jeunes générations, de criminelles erreurs que la Révolution politique a uégligé de: flétrir et d'écraser à son passage. Puisqu 'op nous ramène impitoyablement aux carrières de l'obscurantisme, recommençons donc à prouver pour la millième fois que les livres sacrés de l'Orient, hébraïques, bouddhistes, indiens, chinois, n'ont une valeur historique quelconque que lorsque, appuyés rar le témoignage des écrivains µrofaues, ils concordent ctvec les observations astronomiques, les monuments contemporains, et qu'ils ue sont infirmés ni par les phénomènes géologiques ni par leurs propres contradictions. F,n tout cas uous ne devons jâmais perdre de me que les traditions écrites <lel'antiquité 11esont parvenues j u:-- qu'à. nous qu'au moyen de traductions plus ou moins imparfaites, et d'originaux défigurés de génération en génération par <les copistes plus ou· moins intelligents. C'est donc aux phénomènes astronomiques, aux formations géologiq11es, anx monuments, bien plus qn'aux traditions e:t aux annales, qu'il faut demander les éléme11ts de la science des temps historiques. Quelquefois cepen- •lant de précieux renseignements chronologiques échappés auv attaques du fanatisme religieux, sont descendus j,ullqn'à nous, transmis par ceux-là même qui avaient intérêt à déguiser la vérité. Ainsi, le jésuite Mailla s'est donné la peine de vérifier, par une série de calculs dont l'autorité ne peut être mise en doute un remarquable phénomène astronomique antérieur au déluge mosaïque, c'est à dire la conjonction de 5 planètes qui eut lieu le 9 février 2461, avant l'ère vulgaire, sous le règne de Schuen-Hio et se trouve consign~ clans les annales de la Chine. Ce n'est pas tout : ces annales parlent d'un déluge partiel arrivé dans la vallée du fleuve Jaune, 3,000 ans avant l'ère vulgaire, sous le règne de Nu-Oua, dont le nom compromet quelque peu celui du patriarche Noé. Un autre écrivain chrétien du 3e siècle, Jules l' Africain, cité par Ensèbe, nous a transmis les listes des dynasties égyptiennes, rédigées en grec par Manethon, prêtre égyptien, qui vivait sous Ptolémée Philadelphe; et ces listes font remonter le commencement de la première dynastie à 7,660 ans avant notre ère républicaine, et par conséquent, à 3,625 avant le déluge mosaïque. Or, quand il est constaté que cette dynastie succédait, suivant le témoignagt de Champollion, à un régime démocratique qui avait appris à compter le temps par périodes de 1,461 ans, on n'est plus surpris cles calculs d'Hérolote qui dit que de son temps tous les prêtres égyptiens, gardiens des archives, s'accordaient à compter 341 générations jusqu'à Sethos, c'est-à-dire pendant une période historique de 10,000 ans. On peut admettre également l'affirmation de Diogène Laerce qui nous Qpprencl que <leson temps les Egyptiens avaient déjà observé 832 éclipses totales de lune, ce qui faisait remonter leur première observation à 15,013 ans, puisqu'une éclipse totale de lune ne revient que tous les 18 ans 1.5jours et 8 heures. Platon n'est plus dès Ion

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