Homme - anno I - n.42 - 13 settembre 1854

, CORRESPONDANCE D'ESPAGNE. 3 Septembre Mon cher ami, J'ai pour conviction absolue que la République est le ::,eul régime qui convienne à l'Espagne, et ce n'est pas d'hier que date pour moi cette conviction. Quand vous aurez vu ce pays, vous ne conserverez pas là-dessus le moindre doute. Vous chercheriez en vain, de Cadix à Irun, un seul obstacle dont. il se faille préoccuper, une Mule classe, un seul intérêt, qui puisse opposer une sérieuse r6sistance. Le clergé régulier est pour jamais détruit; le clergé séculier se compte lui-même ponr si peu de chose que l'idée ne lui vient pas d'intervenir .dans les querelles politiques; on rit ici des efforts que fait un journal ultramontain, qu'on appelle la Esperanza, pour se donner les vertes allures d'un petit Univers. La noblesse, la haute noblesse, celle qui possène encore quelque chose,- depuis longtemps réduite à l'impuissance comme corps dalll!!l'Etat,-·n'existe plus que pour fournir, par son ignorance et son crétinisme, un texte incessant de plaisanteries et de pro\·crbes désobligeants. De plus, - ô bonheur! - l'Espagne n'a point ces abominables classes moyennes où se sont réfugiés, retranchés, dans notre pays, la corruption, l'avidité, l'esprit d'orgueil et ,le convoitise des anciens privilégiés. Reste le peuple, - un excellent ~euple, croyez-le bien, - loyal, généreux, plein de courage, pratiquant le sufrimiento avec héroïsme, et n'ayant devant lui, au-dessus de lui, pour l'empêcher de prendre en main le soin de son avenir, qu'une poignée d'intrigants et d'exploiteurs, modérés ou progressis~ tes, formés à la vielle école française des vices constitutionnels, des singes de M. Thiers, des caricatures de M. Molé 011de l\I. Odilon Barrot. Mais, depuis cinquante ans, on l'a vu il. l'œuvre, ce pauvre peuple, réalisant sa .République à lui, la République fédérative, la -seule qui se puisse adapter à ses habitudes, à son territoire! En 1808, - après l'abdication de Charles IV, quand l'ignoble Ferdinand VII était le prisonnier de Napoléon, - qni donc organisa la lutte et et accomplit la magnifique épopée de la guerre de l'indépendance ? Les Cortès de Léon et de Cadix, les juntes des provinces, les ayuntamientos des cit6s et des villages, le peuple seul, toujours, partout. Et il en est de même à chaque secousse qui remue plus ou moins la nation : à la moindre alarme, au premier symptôme de péril, il n'est pas de reino qui ne fasse lui-même ses affaires, nommant ses juntes et ses administrations locales, -.eillant sur ses frontières pour en écarter les causes de trouble et de désordre. Plus tard, il est vrai, on proclame des sauveurs à Madrid, et les provinces ont la faibiesse de joindre leurs acclamations aux cris de détresse des vautours officiels, qui s'efforcent de ressaisir leur proie. Hélas ! il a été aussi importé de France, ce préjugé des Muve14rs ; l'Espagne a eu le tort de s'y laisser prendre, mais soyez sûr que cela ne durera pas ! Cc qu'il y a d'incontestable, c'est que l'anarchie ne commence en Espagne que lorsqu'un gouvernement central, grotesquement costumé à la constitutionnelle, a la prétention de retirer à lui tout pouvoir, toute action, toute initiative. Tant que les peuples sont en état de République fédérative, ils veillent à leurs intérêts et les règlent avec un bon sens imperturbable .. J'ai sous les yeux la Ga~eta ministérielle, où vous ne voyez que gaspillage et cur6e, et les proGès-verbaux des dernières juntes, où !!ont admirablemeut formulés les g1iefs nationaux. Quel c,ontraste, mon cher Victor! cela suffirait pour ,·ous démontrer la véritable vocation de ce peuple, sa vocation républicaine, .dont la pensée, d'ailleurs, subsiste également,-j'ai eu souvent occasion de vous le dire,-dans Ms instincts, ses mœurs, ses traditions. Certes, je n'opposerais pas un démenti formel à qui parlerait encore de ::,onignorance. Oui, le peuple est ignorant... comme la plupart des autres peuples. Mais, plus que tout autre peut-être, il est doué d'un bon sens qui, dans les crises les plus terribles, sait tout aborder et suffire à tout. Cette ignoranc-e, il faut qu'elle disparaisse; mais le moyen d'en venir à bout, ce n'est pas, évidemment, de prêter les mains, - comme l'ont fait la plupart des démocrates esgnols, - au mainti1m de ce régime bâtard, qui se gardera bien de la dissiper, car il ne peut vivoter encore que par elle ! Au demeurant, toute spéculation sur l'avenir de quelque monarchie que ce soit, en Espagne, est aujourd'hui parfaitement vaine ; il n'est pas, en fait de monarchie, une seule combinaison qui ait ici la moindre chance de triomphe ou de durée. Isabelle II n'est plus reine que de nom, et quel nom, juste ciel! que celui de la reine Isabelle II! Si l'on vous parle des .Montemolin et des Carlistes, comme d'un parti puissant et redoutable, hausitez les épaules et répondez hardiment à votre interlocuteur qu'il ne connaît pas l'Espagne. Quant à l'union ibérique, elle n'aura jamais lieu sous forme de monarchie; le Portugal, qui ne veut pas se laisser absorber, la repousserait aussi 'énergiquement que l'Espagne, qui, dans un Bragance-Cobourg, verrait avec dégoüt et colère une sorte <le Lord-Lieutenant, préposé par l'Angleterre au gouvernement ou plutôt à l'exploitation de son irlande péninsulaire; l'union ibérique aura lieu, mais MUS forme républicaine, car, dès-lors, la souveraineté sera partout, la liberté partout, partout le vrai gou,ernement du pays p:lr le pays. n a été at~slli ,·aguemcnt question d·une L'HOM)1 E. espèce d'intrigue Montijo-Bonapartiste, qm aspirait, dit-on, par esprit d'imitation impériale, à pousser 1c1, comme à Naples, un Murat quelconque; certains intrigants déçus se sont également ralliés autour d'un pri11c1picule, nommé Don Enrique, duc de Séville, qui est à M. de.Joinville ce que celui-ci est à Jules César. Enfin on a prononcé le nom de Montpensier, mais bien bas, si bas que M. de Montpensier n'en sait probablement rien lui-même ; il n'y a pas de champ .ouvert, en Espagne, à la trop célèbre idonéité des d'Orléans. Voilà, mon cher Victor, supputés jusqu'au dernier scrupule, tous las élémens moriarchi<1ues, dont ce pays est plus ou moins obsédé, je dis seulement obsédé, car il n'y a point l~ de péril Mais à ce compte, direz-vous, où donc est-il, le péril ? - Mon ami, on n'en est pas à le craindre, car, de toutes parts, déjà, il nous environne ; le péril ou plutôt le malheur de l'Espagne, c'est l'interrègne actuel ; c'est ce régime sans nom, entre la royauté qui s'en va, et le penple qni n'a point su arriver; c'est la clictature militaire, aujourd'hui encore assez impuissante, maladroite et même ridicule, mais qui, demain, représentée par un soldat plus brutal, jouera certainement sa dernière partie, dans le feu et le sang. Il la perdra, je vous l'affirme ! mais je frémis en songeant à quel prix le peuple achètera sa victoire. Il était si facile de lui enlever jusqu'au moindre esprit de retour? Les démocrates espagnols comprennent tout-à-fait, en ce moment, la portée de la faute qu'ils ont commise. Je vois beaucoup ceux dont la sincérité ne peut être révoquée en doute : au plus fort de la lutte, j'ai eu occasion de leur donner des conseils, qu'ils n'écoutaient pas, mais dont ils reconnaissent aujourd'hui la parfaite opportunité. ]\fais, au}ourd'hui, c'est déjà la réaction ressai~ssant tom: ses avantage&. Dispensez-moi de retracer un tableau, dont les journaux suffisent pour vous en donner une idée. Tous les lieux de réunion sont fermés ; les bisets n'railriglènes s'emparent, - en attendant 'lu'ils les brisent, -de toutes les imprimeries de journaux po.pulaires·; . çà et là, on commence à s'apitoyer sur cette ,<;rande .infortune, qui s'appelle Marie-Christine, et ·Narvaez .demande ses passeports pour aller ...... à Biaritz. Bonaparte, un moment. alarmé, je le veux bien, mais -pleinement rassuré, à l'heure qu'il est, et peut-être satisfait, joint quelques-m1es de se:s croix aux .décorations qui vont pleuvoir sur les héros plus ou moins authentiques d'un mouvement avorté. Les Cortès ... mais non, non, je m'arrête ; j'ai dans le cœur une insurmontable tristesse; qui me ferait tomber la plume des doigts, ,si ,j'insistais sur un si triste sujet. Lisez les journaux, vous en saurez autant que moi. Lisez-les tous, excepté la Presse, dont la correspondance espagnole n'est qu'un tissu de contes ridicules et de cancans à faire crier les pierres. .X... L'INSURRECTIONDE BERLIN. ( Extrait d'une Mstoire inédit6 de la Révolution allemande, pm· Thiodo,-c K.1RCHl!.'R.J Situation de la Prusse. - Frédéric Guillaume IV et sa cour. - Les Et:its de 1847 et le discours de la couronne. - Agitation des 14, 15, 16 et 17 mars. - Excès commis par les troupes. - La journée du 18 mars. - La bataille. - Les barricades et le souper royal. - Projet de fuite du roi ; sa proclamation aux Berlinois. - La paix avec le peuple. - La revue des morts.- Humiliation du monarque. - .M:anœuvres réactionnaires.-La cavalcade germanique. - L'empereur allemand. La Prusse s'agitait depuis de longues années. Les idées libérales avaient, d,ms ce royaume militaire, deux puissants foyers : les provinces rhénanes, et la ville de Konigsbcrg. Malheureusement, sur les bords du Rhin, le clergé catholique exerçait sa funeste influence, et dans le chef-lieu de l'Est, le mouvement s'arrêtait aux corps savants. La Révolution était donc renfermée dans un cercle très restreint. Néanmojns, l'opinion publique eut assez de force pour contraindre le roi, Frédéric Guillaume IV, de tenir enfin ses promesses <le joyenx avénement, et d'octroyer à son pays un simulacre de Constitution. Quoiquti cette concession fût faite de mauvaise grâce, la faiblesse du monarque indisposa les hobereaux de province et l'aristocratie de l'épée. Les pré,licateurs mystiques se liguèrent avec les seigneurs de village et les porteurs d'épaulettes, contre les tendances nouvelles. A la tête du parti de la réaction se trouvait le frère du roi, l'héritier de la couronne. Les militaires redoublèrent d'insolence, et les piétistes, de haine dévote. Les philosophes partagèrent avec les constitutionnels les honneurs de la persécution. Au nom du droit historique, des chaines également lourdes vinrent peser sur l'esprit et sur le corps. L'évangile servit de texte pour prêcher à la fois l'inviolabilité des prérogatives féodales, et la sainteté de l'ortho- • doxie religieuse. Qu'il soient juifs ou mahométans, protestants ou catholiques, les prêtres ont, de tout temps, donné la main au despotisme. Les tyrans sont logiques et conséquents ; ils savent que l'émancipation ne s'arrête pas dans la voie de liberté : après la foi vient la volonté, après la volonté l'action. - La négation chrétienne mène à la négation gouvernementale. Frédéric Guillaume était imbu de l'esprit de sa race; il restait militaire, aristocrate et protestant, par instinct autant que par habitude. Il balançait continuellement entre sou amour de la popularité et lïnflucncc des gentilshommes el du clergé de lc1cour. 11 voulait bien céder à la pression des libéraux, ni'ais à la condition de s'arrNer selon son bon plaisir, et avec la re~triction i_njurie_useùe faire u~e grâce à son peuple au heu de lm restituer un droit. Car pour lui, pour L'OINT nu SEIGNEUR, il n'était pas de droit en dehora du sien ; tous ceu~ 9ui ne rcconaaissaient pas le privilége royal, sans hm1tes et sans entraves, étaient, à sca yeux, des rebelles et des factieux. Bientôt, les sentiments diYers qui se disputaient son âme firent éruption. En 1847, il rassembla les différents Etats provinciaux en une seule diète, mais il l'ouvrit par un discours tout confit de rodomontades absolutistes. Il parla fort dédaigneu. sement des phrases ... (C'est ainsi qu'il appelait les articles d'une Charte), et déclara qu'il n'y en aurait jamais entre son peuple et lui, le représentant sur terre de l'autorité divine. . Ce gant de comb~t, jeté si impudemment à l'esprit du siècle, fut ramassé, a défaut des chevaliers et des hommes de science, par la main nerveuse des prolétaires. Les travailleurs se mirent bravement en face de cc roi chrétien et ~eut~nique, qu~ tr~nsgressait ainsi sa parole, et ne cra1gna1t pas de dire au moment où la famine décimait Ill Silésie, que son cœur paternel était une meilleure garantie qu'une Constitution po1u le bien-être de ses sujets. La cour de Berlin 3'était éprise d'une vive admiration pour Louis-Philippe, et suivait aveuglément les ·erreurs politiques du prince qu'elle 9.llPelait le Napoléon de la Paix. Peu de jo~rs avant_ la Révolution, lorsque lei rouages du mécamsme social,...commençaient à se distendre, l'autocrate prussien se plut à dire " qu'il aurait donné des séances périodiques pour étrennes aux Etats provinciaux, si cela n'avait paru, de sa part, une concession arrachée par les difficulté du moment." ' ,En face de l'Allemagne et de la civilisation, de telles ,parole~! Et dire qu'un monarqu~, dont la vie n'est qu'un Jong t1ss~ de menson~es, de parJures et d'hypocrisie, fut sur le pomt de devemr empereur constitutionnel allemand, a~ec ~out 1~ pouv~ir exécutif et la moitié du pouvoir lég1s_lat1f! ,J?1r~,qu 1_1a_pu tromper deux fois cette population be:lmo1se, s1 vame de son esprit et si arrogante de son savoir, cette population qui daigne se reO'arder comme la nation intelligente par excellence. 0 Quoiqu'il en soit, vers le milieu du mois de mars, on s'aperçut enfin des dispositions hostiles du prolétariat. Il fut question de réunions ouvrières auxquelles on n'eut à la vérité, aucune violence à reprocher, mais où vint s'a~iter le grand problème du :.alariat.. • 0 Comme tous les gouvernements rétrogrades, l'autorité voulut opposer la force aux idées. Sous le prétexte ùe prendre des garanties contre la possibilité d'une invasion f~ançaise, _leminis_tèr_efit rassembler des troupes sur plusieurs pomts, prmc1palement dans les environs de la capitale. Dans la soirée du 14, quelques bataillons entourèrent la fou!e sur la place appelée sous les tentes. Lorsque toute issue fut fermée, Ja police ordonna brusquement aux hommes attroupés de se disperser. Comme ils ne purent obéir à cet ordre, une charge fut effe.ctuée, mais, heureus~ment, sans ~mener une forte effusion de sang. La meme scène hideuse ~e renouvela dans la rue des Frères et sur le pont des Demoiselles. Le peuple conçut ainsi cette haine violente contre l'armée, haine qui fut le principal mobile de l'insurrection. Au moment même où il se disposait à la résistance il apprit la victoire des habitants de Vienne. Cette n~uvelle excita jusqu'aux bourgeois, qui furent animés cl'une étincelle d_ec_ourage,,_pour~e pas être distancés par ceS, bons .A.utnchiens qu ils étaient habitués à traiter d'ignorants et de retardataires. Jusqu'alors, ils n'avaient paS, même ouvert les portes de leurs maisons aux jeunes gens massacrés par les soldats. . L~s républicains, qui n'étaient qu'en petit nombre, se hguerent avec le peuple et le poussèrent en avant. Un des leurs paya le premier de son sang. Les ouvrierS, marchaient volontiers derrière ces hommes éprouvés qui poursuivaient à la fois la liberté politique et l'amélioration sociale. Le 16 et le 17, l'agitation continua. Les étudiants arrivaient ~mfo~le de :1'Ialle, de Breslau et de Leipzig, et • demandaient a mounr, comme leurs camarad.es de Vienne en c-ombattant la tyrannie. ' Le peuple était toujours moins irrité contre le roi que contre la camarilla qui l'entourait et empêchait la vérité d'arriver jusqu'à lui. Dans tous les pays il en est ainsi, et les monarques se retranchent partout derr.ière les courtisans, pour ne pas s'exposer à porter la peine de leurs péchés. A Berlin aussi, on croyait le roi innocent. Les m ,!heureux, foulés aux pieds des chevaux, assommés par les gardes d~ police,. soupi_raient e~ disaient comme jadis en France : ' Ah ! si le roi le savait ! " - Il allait tout savoir. C'était le 18 mars, vers le milieu d'une belle et chaude journée de printemps. Dans la matinée, les députés de Cologne s'étaient rendus au château pour déclarer que, sans la démission des ministres et des conces~ions radicales, la Prusse perdrait les provinces du, Rlun, le plus beau fleuron de sa couronne. Devant cette menace franchement articulée, les conseillers baissèrent la tête. La population avait accompagné les délégués : elle était là, nombreuse et bruyante, mais inoffensive, attendant la réponse royale. Tout-à-coup, le :5ilence se fait. Le roi p11.ra1tau balcê1t

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