♦v---•--------- ·LAQUESTlONSOCIAL1~. Vivre en travaillant étant, au point de ,·ue économique, la formule ùu droit et clu devoir, ce droit doit être le même pour tout être humain, homme ou femme. Aussi, tout ce que j'ai dit sur la nécessité de constituer un nouveau mode de propriété ayant pour hase et pour titre la fonction, et sur l'impossibilité de faire la révolution autrement que par la prise de possession de l'instrument de travail par le travailleur, s'applique-t-il, dans ma pensée, aussi bien 4 la femme qu'à l'homme. Mais les sophistes de tous les temps out fait une telle nuit sur tout ce qui touche aux droits de la femme qu'il est nécessaire de répéter sans cesse des choses que, toutes simples qu'elles soient, nous entendons contester chariue jour aveè la plus aveugle opiniàtreté. Si encore 1e droit des femmes n'était nié que par les conservateurs honnêtes et modérés de l'ordre ::ictucl ! mais voint. Des hommes se disant révolutionnaires, socialistes même, refusent à la portion féminine de l'humanité le droit qu'ils réclament pour eux-mêmes, et le prophète de l'anarchie, l'homme de la liberté individuelle absolue, Proudhon, pose à la femme ce dilemme féroce : ménagère eu courtisane, et conclut à la privation de la liberté pour la moitié dn genre humain. E.t ce grand écrivain passe pour un homme ùe logique ? Est-ce que la logique aussi, comme les grandes pensér,s, viendrait du cœur? • Quoiqu'il en soit de ~on origine, cc manque de raison ou de sentiment chez tous les cousen·ateurs et chez beaucoup de ceux qui se disent révolutionnaires doit enseigner bien clairement aux femmes qu'elles n'ont pour alliés que les socialistes (Proudhon est une exception, unique, je crois); qu'elles ne doivent rien attendre des hommes politiques et des castes propriétaires; et enfin, qu'elles n'auront jamais, comme les prolétaires, que les droits qu'elles prendront. Nos adversaires cherchent tonjo11rs à amener la question sur le terrain purement poli! igue, à leur su ou à leur rnsu, il y a à cela deux motifs que je vais dévoiler. Le premier, c'est que l'exercice des droits politiques 'Paraissant, par l'action extérieure et publique ciu'il exige, contraire à la nature môme de la frmme qui, selon eux, est toute de faiblesse, de modestie, d'aptitude aux soin:. <lnménage, etc., etc., (au nom de la physiologii1, ces messieurs refuseraient le droit politic1ue à Jeanne d'Arc), ils croient, sur ce terrain, avoir nn avantage décisif. Le second, c'est que cet acharnement sur la seule question politique peut laisser croire qu'on accorde aux femmes tous les autres droits; que, excepté dans la cité, elles sont parfaitement les égales de l'homme et que même, si on ne leur at:corde pas les droits politiques, c'est uniq11ement pour ne p ,s les arracher aux affections tendres et aux joies pures de la famille. (Ah ! si le peuple se connaissait romme nous vo11s connaissons, messieurs !) Ces deux biais, pris pour nous faire perdre la voie, 'IOnt des faussetés misérablts. D'abord il n'y n pas plusieurs droits. Le droit est un an fonn et indivisible, et la séparation des droits civils et politiques est tout simplement une mutilation de la nature humaine inventée par la tyrannie. La société est un état nécessaire où, par cela seul qu'on est un être humain, il faut vivre dans les conditions ile la sociabilité. Dans ce grand milieu· qui a nom société, l'homme se manifeste à trois points de vue divers. Au point de vue de l'activité physique, il agit sur la matière ; il crée, et possède de par le droit puisé dans ses facultés créah·ices, Au point de -vue du se~timent, de~ passions individuelles et de la nécessité de ·perpétuer l'espèce, il aime, s'u·1it à l'objet de son amour et forme ainsi une famille, milieu nécessaire aux jeunes générations. Au point de vue de l'intellige11ce, de la' solidarité humaine et des passions collectives. il se gouverne et modifie par sa volonté les lois de la société, et, par suite, sa propre existence. Or le droit n'est complet, entier, que s'il existe pour chacun à tous ces points de vue. On peut même dire que s'il n'est pas complet, il n'est pas; car, je le répète, il est, cle sa nature, un et indivisible. S'appuyer donc sur l'étude physiologique de l'homme et de la-femme pour déterminer leurs modes différents d'activité dans l'exercice du droit, le même pour tous, cela se conçoit, et c'est bien. l\lais refuser un droit quelconque, celui de cité. o'u tout autre, au nom d'une prétendue physiologie et d'une séparation possible entre les droits civils (1) et politiques, c'est une chose odieuse et infâme. Il n'est pas moins odieux et iufàme, non plus, de s'acharner sur la question politique et de laisser croire ainsi que l'on accorde à la femme la liberté et l'égalité dans les droits civils, lorsque, au point de vue de. la famille et <le la prop1 iété, comme au point de vne de la cité, on continue parfaitement à traiter la femme e1t majeure pour 3c., f a~tes, en mineure pour ses droits. La vérité est que nulle part la femme n'est l'égale de (1) Il faudrait r6former le langage au~.!li.Droit eil'il est une très mauvaise expression; m11Î!I droit social di,·ait trop ici. parce .gnele droit social ,ontient le droit politique. L'HO!l ME. l'homnH', et que dans la famille où son drllit devrait être le moins contesté, elle n'est que la servante. 8crvantemaitresse souvent : cela se conçoit. La nature du maître 1 et celle de l'esclave sont la mt'.lme au fond. Dans le plus lâche des opprimé~ il y a toute l'(;toffe du plus im-. pitoyable ùes oppresseurs. Celui-là seul est libre qui ne veut pas plus commander qu'obéir. • Or, pour ne commauder ni obl:ir, pour être son propre maitre et ne subir la loi de personne, il faut gagner sa vie par son travail. Le pire de tous les esclavages est de vivre du travail d'autrui; autrui fût-il le plus tendre de., maris et le meilleur des pères. Aussi l'hérédité n'est-elle pas seulement une criante injustice envers ceux qu'elle dépouille; elle est encore une immense immoralité pour celui même qu'elle comble ùe faveurs. N'est-ce pas une monstruosité que des jeunes gens puissent se dire : " - Bah! qu'avons-nous besoin de travai1ler ! Qu'avons-nous besoin d'être des citoyens utiles ! n'avons-nous pas, comme on dit vulgairement, du pain cuit et un héritage au soleil!" C'est un grand malheur aussi que de voir les femmes gagner si peu leur vie par lenr travail. Non pas que la plupart ne travaillent beaucoup; mais parce qu'elles travaillent dans les plus affreuses conditions, obligées qu'elles sont, outre le malheur de subir la loi du salaire plus dure encore pour elles que pour l'homme, de supporter ou la chaîne du mariage, ou les tristesses d'une position·équivoque, ou la privation des joies de l'amour et de la famille. s\h ! c'est bien de cela que la grisette a raison de dire que ça fait frémir la nature. Si les femmes veulent conquérir la liberté et l'égalité des droits, il faut qu'elles conquièrent d'abord le travail : un travail suffisant par son produit à les affranchir du dilemme qu'on leur a si in.,olemment posé : ménagère ou courtisane. Tout ce que nous pouYons faire, nous qui les aimons autrement qu'on aime la vianùe ou le vin, et qui <lans nos mères, dans nos sœurs, dans nos amantes, voulons des égales, libres comme nous-mêmes 1 c'est de mettre leur droit en lumière, et de leur dire : - poussez avec nous à la Révolution sociale, et le jour où elle triomphera, sachez en profiter. Soyez prêtes, et rappelez-vous bien qu'on n'a que les droits qu'on prend. L'égalité est le fruit d'une conquête. Nous pouvons vous aider et faire le gros de la besogne, mais nous ne pouvons pas faire la conquête pour vous sans vous. Ce que nous pouvons faire encore, c'est de les mettre en garde, les femmes, contre cette prétendue physiologie à l'aide de laquelle on entretient chez elles une fausse connaissance cl'elles-mêmes, physiologie que je déclare, à priori, contradictoire aux lois générales de la nature. Et je m'explique. L'humanité n'est pas homme ou femme: elle est homme et femme : et cela dans toutes ses manifestations. Cette loi des deux modes masculi11et féminin se retrouve dans toute la nature; et, au nom ne cette dualité modale, (je demande pardon de cette expression ; mais il est nécessaire que je dise clairement que la dualité est dans les modes pour qu'on ne me fasse pas reconnaître deux principes.) au nom du nombre deux, qui a sa valeur aussi comme la triade, je soutiens que dans toute manifestation de l'acti,ité humaine il doit y avoir deux aspects l'un masculin et l'autre féminin, que, par conséquent, non seulement rlans tous les milieux, propriété, famille, cité, il doit y avoir place pour la femme; mais que le monde sera en souffrance tant que dans ces milieux la femme ne remplira pas les fonctions qu'elle doit y remplir au triple point de vue de l'industrie. de l'art et de la science. Pour aujourcl'hui, il ne s'agit que du travail et de la propriété. Je traiterai plus tard <le l'amour et de la famille, de l'intelligence et de la cité. Revenons à la. physiologie, à cette charmante physiologie au nom ùe laquelle on 'veut faire de la femme un objet d'utilitl: ou de luxe, propre seulement aux soins de la cuisine ou à l'ornement du salon. Où ont-ils donc étudié la femme, ces savants cravatés de blanc, ou dignes de l'être, qui déclarent avec tant d'aplomb que la femme doit s'inquiéter seulement de faire des enfants le plus promptement possible et de les élever de mêmt, laissant à l'homme le rôle extérieur, le travail et la politique, et se contentant du rôle intérieur, de l'administration domestique? La pratique constante de la société est un démenti formel à leur assertion. Sans doute faire des enfants et les élever est unr. des fonctions les plus hautes de la femme ; mais c'est précisément parce que l'avenir des générations est dans ses mains 11u'elle doit être forte et libre pour que ses enfants- le soient aussi. Ce qu'il y a de plus curieux, c'est que ces savants qui bornent le rôle de la femme aux soins du ménage n'ont jamais pris leurs sujets d'étude q11edans ce monde où les fommes font le moins d'enfants possible, les nourrissent peu elles-mêmes, les font élever par <l'autres et, ces soins, les plus importans, ainsi remplis, se montrent en tout des êtres de convention, des objets d'art, des produits factices d'une fausse civilisation, plus dignes du nom de poupées que du nom de femmes. Mais en dehors de ce monde aristocratique où la. femme est en effet un être fragile, partout et dans tous les temps la femme s'est montrée capable de toutes sortes de fonctions. La puissance de la fomme dans les arts est St mcontcstahle que je· n'en parlerai_ que pour dire ceci : la femme n'ayant à ch~isir qu'entre le rôle de courtisane ou de ménagère, quelle éducation lui donnerait-on? Si ménagère, le moins d'éducation possible. Si courtisane ...... mais en vérité on ne peut pas élever <les femmes à Nre courtisanes. Conclusion : pas d'instruction, pas de sciences, pas d'art pour les femmes. Mais les femmes sont éminemment artistes et ne se soumettent jamais à un abrutissement d'où elles ont déjà fort heureusement commencé à sortir de la façon la. plus brillante. Dans la science la femme s'est moins montrée; mais si la femme avait dit son dernier mot, la cause serait gagnée. Elle en a dit assez cepencla11t pour que son aptitude, même à ce point. de vue, ne puisse être niée. l\Iais sa faiblesse, sa délicatesse, la candeur de ses formes et la timidité de son esprit, voilà les grandes raisons de la physi-Ologie. Mais il_s n'ont donc jamais vu, ces physiologues de boudoir, les moissonneuses, courbées tout le jour sous le soleil brfl.lant de l'été, travaillant, même les femmes enceintes, jusq11'à la dernière heure. Ils n'ont donc jamais vu, ces médecins de petites maîtresses, les blanchisseuses qui cassent la glace en hiver pour plonger dans l'eau, des journées durant, leurs pauvres mains rougies et déchirées par le froid. Ils n'ont donc jamais vu, c,es philosophes de coulisses, les ouvrières des villes, da-ns l'ombre et le froià engourclissement qui sent l'immobilité, tirer l'aiguille tout le jour, et souvent toute la nuit. Ils ne savent donc pas qui fait le pain aux champs, et qui, la journée de travail finie pour l'homme, se met encore à travailler pour le ménage. Et ils ne savent pas encore que cela a été plus ainsi dans le passé que dans le pr6sent : qne l'homme fie son droit divin (le droit du plus fort) et parce qùe tel était son bon plaisir, a fait les parts dans le monde, s'adjugeant à laimême les droits seigneuriaux, la guerre, le. chasse, la souveraineté, et donnant pour lot à la femme (le premier des esclaves) le travail et l'obéissance. A lui le droit, à elle le devoir. 1\'faiss'ils ne le savent pas, ils apprendront que ce travail, qui a été la couàition de l'esclavage, sera la condition de la liberté, et que le dur labeur deviendra le gai labeur ; que ni la femme, ni le prolétaire ne le répudient, mais qu'il faut que ce travail vivifiant pour les autres soit vivifiant pour eux-mêmes, et que, pour c,ela, il faut qu'ils se retirent, femme et prolftaire, de dessous la main du maître, et que de ce travail ils fassent la seule, la vraie propriété en vertu de laquelle on est libre et ou ne commande ni n'obéit. Laissons donc ces savants sans science et ces moralistŒS sans amour, et suivons notre voie. L'humanité existant selon deux modes, le mode f~minin et le mode masc11lin, doit reproduire dans toutes se• mauifestations cette dualité modale. (Je suis obligé de me faire violence pour ne pas prendre une .tangente dans la musique, y montrer la coexistence et l'égalité des modes improprement appelés majeur et mineur, et conclure des lois de l'harmonie aux loililde la société. Cela m'entrainerait trop loin. J'indique seulement cette identité.) Dans l'industrie, dans l'art, dans ia science, il doit donc y avoir des fonctions qui appartiennent à la femme. C'est à elle à les chercher, à les choisir où elles existent ' à les créer où elles n'existent pas, et à déterminer ainsi son rôle social selon sa nature. L'homme n'est pas compétent' pour décider du sort de la femme. En lui posant un dilemme quelconque, il ne fait que commettre une brutalité et une insolence. Tout ce qu'il peut faire de mieux, c'est de laisser· 1a· femme, libre, se faire, selon son droit, sa propre destinée. Etre humain, ainsi que l'homme ; sensation, sentiment connaissance individuellement unis et simultanément manifestés en mode féminin, la femme ne peut agir dans aucune fonction que selon ce mode. Soit qu'elle agisse dans la politique, soit quelle agisse ~ans l'industrie, eHe y agira en femme et non en homme, parce qu'elle ne peut pas agir autrement. Craindre un renversement des rôl'ls est absurde (les accords se renversent, les modes ne se renversent pas). Absurde, pourquoi? Parce que c'est impossible. Mais il faut que le rôle de la femme soit rempli par elle dans tous les milieux sociaux, cité, famille et propriété ; il le faut pour elle ; il le faut pour la société toute entière. A la femme, comme à l'homme, il faut une manifestation complète et libre au triple point de vue de la sensati-on, du sentiment et de la connaissance ; à la femme, comme à l'homme, il faut des fonctions industrielles, ·artistiques, scientifiques, afin qu'elle rentre ainsi dans l'unité de sa nature brisée sous l'escla~age domestique. A elle aussi il lui faut conquérir le champ de son activité libre, et se rappeler qu'elle n'aura de liberté et de sécurité dans ses affections que lorsque son fndépendance de l'homme sera ai.surée par la possession de l'instrument de travail. Pour cette conquête magnifique du travail pour tous, de la propriété pour tous, de la liberté pour tous, il n'est pas nécessllire que la femme sorte de son rôle féminin. Qu'elle veuille seulement mettre au service de la justice et de son propre droit la puissance de propagande que lui donne l'irrésistible influence de son sexe. Qu'elle veuille se rappeler qu'il e:'t dans la tradition des Gauloises dè ne pa~ craindre les combats et d'y inspirer par leur pré1oence leurs frères et leurs amants. Qu'elle :sc~oue la pousgière .....
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