Homme - anno I - n.40 - 30 agosto 1854

L'INSURRECTION DE VIENNE. ( Extrait d'une histoire inédite de la .Révolution allemande, par Théodore K.1.RCHER.J Situation de l'Autriche; politique de Metternicù. - Agitation. - Le discours de Kossuth et les étudians viennois. - 0uverture des Etats. - Attitude éuergir1ue des écoles. - Combat du 13 mars. - Concessions de la cour. - Renvoi de l'archi-chancelier. - Promesse d'une Constitution. -Triomphe et enthousiasme de la bourgeoisie. - Funérailles des victimes-. - Les Israélites. - La Révolution s'arrête. - L'Europe républicaine ou cosaque. - Testament de Pierre-le-Grand. - L'équilibre européen révolutionnaire. • De sa nature, le progrè~ est essentiellement envahissant ; il passe à travers les barrières de douane, et franchit les murailles chinoises. Tout est impuissant contre lui, l'habileté diplomatique aussi bien que la force des bayonnettes. Le Nestor des pclitiques de la SainteAlliance, l'ainé des ministres de l'arbitraire et de la compression, 1iletternich lui-même, devait en faire l'expérience. L'aptitude tant vantée de cet homme d'Etat n'était autre chose que la négation absolue du cœur et de la lumière. Il nnintenait les portions disparates de l'empire autrichien, en appelant les Italiens à peser sur les Hongrois, et lt:s Croates à tyranniser les Allemands. Inventeur du système impie, diviser pour régne1·, il le mettait en pratique de la manière la plus brutale. Partisan résolu de l'aristocratie, il n'en avait pas moins a!il1eutéles paysans de la Gallicie contre les nobles, et organisé lè massacre cle tons les hommes qui croyaient à la nationalité slave. Les gibets portaient <:ncoregarnis les ca<lavres des patriotes, qui, dans leur saint enthousia~me, avairnt rêvé de gloire et parlé de liberté. Néanmoins, le règne de la force touchait à sa fin. On n'attente pas im1mnément aux droits de la nature et des peuples, et les crimes politiques, comme les délits ordinaires, échappent rarement à la répression. A bout de patience, malgré leur bonhomie proverbiale, les Autric1iiens se demandaient enfin, si gouverner un état signifie le couvrir de ruines et de décombres. Les peuples de l'Autriche· entendirent le cri d'émancipation, po11ss~ dans les rues de Paris. A la nouvelle des événements du 24- Février, une agitation fiévreuse s'empara des sujets de la vieille maison de Hapsbourg. Le manifeste de Lamartine, sur la politique étrangère de la République française, produisit, il faut bien le dire, U'll effet des plus heureux. Les princes avaient tant parlé de l'esprit de conquête de la France, que les hommes les plus libéraux ne pouvaient se défendre d',mc certaine crainte. Une nation tient, comme chaque membre de la société humaine, à conserver son caractère d'individualité. Aujoud'hui • qu'ils jettent un regard douloureuv sur le passé, ·]es révolutionnaires allemar1ds accusent la France d'avoir failli à sa mission; qu'ils n'oublient cependant pas qu'en 1848, ils seraient accourus les premiers sur lrs bords du Rhin, pour défendre le passage à l'armée de la Révolution. • Les défaites qu'ils ont éprouvées, leur font envisager maintenant la question sous une autre face : nous nous en applaudissons; mais, il y a quatre ans, l'Allemagne <lisait, ni plus ni moins que l'Italie, son fara da se. La terrible leçon devra nous profiter à tous. La République française, enserrée clans u11 cercle de fer qui finit par l'étouffer, comprend maintenant que, dans l'intérêt de son propre salut, elle a pour tàche de chasser tous les tyrans de l'Europe : démocratie oblige. Voilà pour l'avenir; mais, nous le répétons, le lendemain de notre révolution victorieuse, les paroles pacifiques du gouvernement provisoire amenèrent d'excellents résultats, en enlevant aux despotes leur prétexte favori. Le premier jour, les imprimeùrs réclamèrent l'abolition de la censure. La feuille officielle du ministère leur répondit que l'augus~e .maison impériale entendait ~aintenir intacts tous ses ctroits et toutes ses prérogatives. Immédiatement, les effets publics éprouvèrent une baisse considérable, et l'on s'attendit à une nouvelle édition de la banqueroute de l'Etat. La caisse d'épargne fut littéralement assiégée ; à la Banque, chacun voulait échanger les billets contre de l'argent comptant. La publication du bilan de ces deux établissements financiers, quelque favorable qu'il fùt, ne parvint pas à rétablir la cor1fiancc. Les corporations commencèrent à signer des pétitions. Des exemplaires étaient déposés dans les cafés et les librairies, et la foule s'y prt-ssait. Au milieu de cette fermentation, vient tomber un discours brûlant, prononcé par Louis Kossuth à la diète de Hongrie. L'orateur magyar avait dit, avec la véhémente chaleur qui lui est propre, que tous les pays de la monarchie étaient solidaires de leurs Constitutions respectives, et que, ponr sauver la Charte hongroise, il fallait en faire donner une à chacun des peuples soumis au même empereur. Kossuth avoua, depuis, à Londres et à Nottingham, qu'il tenait alors, dans ses mains, le sort de la dynastie de Hapsbourg. Il a dit vrai; malheureusement, il n'était pas encore républicain, et ce fut lui qui maintint le <les11otismeet sauva la tyrannie. Cette err~ur ,fnni:ste, q~e les Girconstances peuvent excuser, perdit d abord ia liberté de l'Allemagne et par suite la nationalité de la Hongrie. Inspirés et enflammés par la parole ardente du député n,ePesth, les étudians de Vienne se réunirent dans la salle de l'Gni\'ersité, c'était le 12 mars, la veille de la séance d'ouverture des Etats provinciaux. Toutes les espérances s'étaient concentrées sur cette session. Les écoles inaugurèrent leur participation à l'insurrection, en votant une adresse à l'empereur, pour demander des réformes radie.iles. Le professeur Hye fut chargé de transmettre cette pétitiQn. L'inimitié contre Metternich prenait des proportions de plus en plus grandes. On se racontait, dans les groupes, qne la cour ne répugnait pas à faire des concessions, et que même la Messaline autrichienne, l'archiduchesse Sophie, se prononçait contre le ministre implacable. Mais lui, qni pouvait regarder comme son œuvre personnelle la réaction efféni5e, sous le poids de laquelle l'Allemagne étouffait depuis les guerres contre Napoléon, lui, l'incarnation vivante de l'esprit aristocratique, ne voulut pas plier : comme l'homme fatal clu roi des agioteurs, il aima mieux être brisé. M. Hye, qui vint le lendemain rendre compte aux étudians de l'inutilité de sa démarche, les conjura de ne, pas sortir ùes voies légales. Ce fut en vain : ils q11i.ttèrent l'acédémie en masses pour se rendre devant la salle des Etats, où se 1rouvaient réunis un grand nombre de bourgeois, des prolétaires et les élèves de l'école polytechnique. Une députation fut envoyée auprès des élus de la province. La foule s'était accrue. Un jeune homme s'éleva sur les épaules de ses camarades, et proclama les demandes du peuple. Ces demandes. ne sortaient pas encore du programme constitutionnel ; la plus impérieuse avait rapport à la liberté de la presse. " Du courage, s'écria l'orateur improvisé ; maintenant il nous faut combattre et vaincre, ou bien nous sommes perdus ; du courage ! " Et l'attroupement répéta : du courage ! Un autre étudiant rendit hommage à l'initiative et à la gloire de la France, à ses combats prolongés pour la liberté, le droit et la justice. Un troisième se fit une tribune d'une fontaine et lut, d'une voix vibrante et enthousiaste, le discours de Kossuth. De bruyantes acclamations l'interrompirent à chaque ~hrase. Les vivats pour l'éloqueut Hongrois alternèrent avec les cris : A bas Metternich ! pas de Russes!! Pour conjurer le danger, le comte Montecuculi, maréchal des états, parait à la croisée et promet d'envoyer immédiatement une délégation auprès de l'empereur, avec une adresse. Ce document est remis à l'élève qui lit la harangue de Kossuth. Mais, avant d'écouter l'œuvre incolore de la Chan.bre, le peuple veut entendre et applaudir jusqu'à la dernière, les p:iroles patriotiques du Magyar. L'adresse humble et servile des Etats est déchirée par ~ l'orateur populaire, et ses concitoyens le portent en triomphe. La foule commence à s'introduire dans la cour de la salle des Etats. Déjà, le bruit du rassemblement s'était rép:mdu dans les faubourgs. Les magasins sont fermés. La générale avait été battue, dans les casernes , dès neuf heures, mais les rues ne sont occupées militairement qu'à midi. La catastrophe est imminente ; les canons sont traînés dans les rues et braqués sur l'attroupement. Les fusils sont chargés, en présence du peuple, ,qui, quoique sans armes, n'est pas intimidé. Il reste là, calme et fort, attendant toujours le retour de ses délégués. Tout-àcoup, ces derniers paraissent aux fenêtres, et crient qu'on veut les retenir prisonniers. •Transportée de fureur, la masse se n!-e contre les portes. En ce moment, sans sommation, sans avertissement préalable, les soldats font feu, et le pavé se couvre de morts et de blessés. Le premier martyr qui tombe, est un étud,iant, un lsraëlite. Un cris terrible aux armes répond à cette lâche agression. Des décharges successives viennent décimer les rangs de la foule, qui se trouve renfermée de tous les côtés.· La soldatesque, ivre de sang et de vin, déploie toute sa sauvage brutalité, contre des hommes inoffensifs qui ne peuvent se défendre. Ce n'est pas un combat, c'est nn massacre. Enfin, le peuple parvient à rompre une 'triple rangée de bayonnettes , et à se diriger vers l'arsenal. Les insurgés n'ont pour armes que des bâtons et des morceaux cle bois, mais ils n'en montent pas moins bravement à l'assant, contre des portes doublées cle fer, derrière lesquelles sont entassées des pièces chargées à mitraille, appuyées par des escadrons de cuirassiers. Ils tordent les lames avec leurs mains ensanglantées , et présentent leurs poitrines nues à la pointe des sabres. Ne pouvant prendre l'arsenal, les combattants se retirent sur la place des Juifs, et la couvrent de barricades. Ils ne possèdent d'autres projectiles, pour répondre aux balles et aux boulets , que des pierres et des tuiles, et, néanmoins la résistance devient de plus en plus opiniâtre. Un officier de cavalerie blesse grièvement un jeune homme, d'un coup de sabre ; on l'atteint; on le jette en bas de son cheval ; o.n met à sa place sa malheureuse victime qu'on promène, le front ruisselant de sang, à travers les rues. Sur le passage du triste cortège, tous les citoyens se découvrent, en jetant de cris de haine et de vengeance. Obéissants, froids et impassibles, à la discipline, les soldats continuent le carnage. Une fusillacle meurtrière force le peuple dans ses derniers rétranchemens. Il quitte ses barricades, mais pas à pas, en faisant face à son implacable ennemi. Les femmes, pâles mais silencieuses, s'arrêtent dans leur fuite, et trempent l!urs mouchoirs dans le sang des hommes morts pour la liberté. Les voitures ont cessé de parcourir la ville. Nul bruit étranger n'empêche les imprécations des blessés et les détonations des arme:; à feu d'arriver jusqu'aux oreilles impériales. La nuit amène enfin une trève forcée, et le gouvernement commence à reculer devant la terrible responsabilité qu'il assume. A peu d'exceptions près, l'armée s'était montrée cruelleet mal inspirée. Les artilleurs seuls hésitèrent devant l'effusion de sang. Ainsi, dans la rue de Carinthie, une compagnie de ce corps d'élite enleva les bayonnettes sur les instances d'11n bourgeois. Un grand exemple de civisme fut donné par un artificier, dont il faut citer le nom, car c'est le nom d'un brave. Tollet dirigeait u11e batterie, placée à la porte du château. Un officier lui donne l'ordre de faire feu; il refuse et dit anx solùati : "C'est à moi que vous ,devez obéir." Le commandant réitère son impérieuse injonction. A.lors le uoble sousofficier s'élance à la bouche de la pièce, et s'écrie : " Le boulet que vous lancerez sur le peuple, me tuera d'abord.'' - Les canons restèrent muets. Pour calmer l'effervescence, le· présideu t <lugou rernement ne trouva rien de mieux que de publier, dar1s la soirée, 1111peroclamation b11rlesque, ainsi conçue : "Un désordre regrettable a signalé ce jour la séance " des Etats provinciaux de la basse Autriche. Les Etats "ont été obligés, par la populace, d'interrolllpre les dé- " bats, et de soumettre à sa majesté les vœux <lela foule. '' Dans le but louable d'apaiser les esprits, ils se sont "montrés prêts à tout faire. Sa majesté a daigné, par "une faveur toute spéc\ale, recevoir les Etats, et leur "promettre tout gracieusement de faire examiner, par " une commission, nommée à cet effet, tout ce qui peut " répondre aux circonstances , et (le le soumettre à la dé- " cision souveraine, pour que son auguste majesté décide, " au plutôt, ce qui peut contribuer au bien commun de " de ses bien aimés sujets. Aussi, sa très gracieuse ma- " jesté attend de l'amour et de l'antique loyauté de lu. " population de sa résidence, le rétablissement de l'ordre, "que rien ne devra }Jlus troubler à l'avenir. " Vienne, le 13 mars 18,18. "JEAN ÎALATZIKo, Baron de Gesticticz, "président du gouvernement.'; Telles sont les pensées <l't;n monarque, en présence d'une révolution. Quel remède à la misère publique! Quelle expiation pour le sang versé ! ! ! Le peuple se prépara, pendant la nuit, à recommencer la lutte le lendemain. Les travaux furent suspendus dam les faubourgs. Partout, les tuyaux de gaz brisés laissèrent échapper la flamme. Cet incendie de rue fut nourri, par les insurgés, avec les débris des guérites et des corps-rlegarde. 'Une illumination gént!rale fut impérieusement exigée. La foule se porta vers les écuries impériales. El1e fut reçue par une décharge à bout-portant. Parmi les victimes, se trouva madame Bauer, la femme d'un professeur. Une députation de citoyens parvint enfin auprès de l'empereur, qui, frappé de terreur, décrét.1 l'armement des étudiants et cles bourgeois, et congédia son âme dnmnée. Mettern}ch s'empressa de se soustraire, par la fuite, à h vengeance populaire. Immédiatement, des patrouilles bourgeoises commencèrent à sillonner les rues. Elles furent reçues avec enthousiasme et enjoignirent aux troupes d'abandonner l'arsenal civil. En passant devant l'Hôtel de la Direction de la police, une de ces patroilles essuya un coup de fusil, tiré d'une fenêtre. Un citoyen tomba mort. Ses camarades forcèrent les portes de l'hôtel, et il y eut une sanglante mêlée. Sur d'autres points , des barricades furent élevées. Des combattants enlevèrent l'enseigne d'un magasin, qui portait le nom du- prince de Metternich. On abattit aussi la balance de la statue de la Justice. La nouvelle de la révolution avait franchi les murs de Vienne et enflammait les habitants des villages envirounans. Ils commencèrent par démolir les édifices publics, et se portèrent ensuite vers les lignes qui ceignent la capitale. Ils parvinrent à les· forcer et à pénétrer clans les faubourgs, après avoir brûlé les bureaux d'octroi. Ils ne furent arrêtés que devant la citadelle (Burg), par la milice bourgeoise plutôt que par les soldats. Le 13 Mars était désormais une journée acquise à. l'histoire. Le 14, l'émpereur Ferdinand organisa, par un décret, la garde nationale, et la plaça sous le commandement de son grand-veneur, le général Hoyos. Il fit' également annoncer une loi sur la presse, et nomma le prince W-indischgrœtz gouverneur civil et militaire de Vienne. Les tendances aristocratiques, bien connues, clu nouveau fonctionnaire, inspirèrent une certaine méfiance. Quoique les étudiants et les bourgeois se fussent empressés d'aller repousser les campagnards, ils étaient loin d'ajouter une grande foi aux concessions qu'ils venaient <l'arracher au gouverneme11t. L'opinion publique n'était pas satisfaite. Les élêves traversèrent la ville , portant des bannières blanches, et criant : "Une constitution, et la liberté de la presse!" Immédiatement, l'empereur décréta l'abolition de la censure, et promit de convoquer une espèce d'assemblée nationale, composée des députés des Etats slaves et allemands, et des délégués de congrégations centrales du royaume Lombard-vénitien. Théodore KARCHEn. ( La. suite au prochain miméro.)

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