Homme - anno I - n.40 - 30 agosto 1854

____ ..__ ____ CORRESPONDANCEPARISIENNE. Pi:ris, 28 août. Boi1aparte emploie les loisirs de sa villégiature à faire joner le télégraphe. Il expédie ses dépêches au ministère <l'Etat, lequel les transmet au ministère de l'intérieur, et en quelques heures, la France est saisie. De quoi? - D'une réponse à l'é\-êque de Bayonne, <liscours préparé sur les grèves, et dans lequel 011 déclare vouloir partager les prières au Tout-Puissant, avec ceux qui se battent, avec ceux qui s01~ffrent... Cette horrible hypocrisie du luxe insolmt et de la làcheté bien gardée, l'opinion publique, en France, l'a bien comprise : elle a dégoüt ! On expédie de plus des circulaires au ministre de la guerre, décrets ordonnant de diminuer les étapes sous la canicule : on écrit cela sous les frais ombrages ou sous les tmtes fleuries, et l'on espère que cette sollicitude pour les recrues en marche, sur les chemins de la France, fera oublier les grands désastres cholériques de nos armées rlans la mer Noire et la mer -dn Nord. 0 Tartuffe à casque et goupillon ! On leur envoie, du reste, à ces braves gens qui meurent là-bas, des paroles de maquignon impérial parodiant l'autre : ou les appelle, soldats, rnès enfants, et on leur dit au revoir. Au revoir? Les Russes n'ont évac·.:é les îles d'Aland que pour fuir le terrible fléau qui les décimait : de là, la facile victoire, tant célébrée par les feuilles de la Sainte=- Alliance de Boulogne. Le 'l'imes déclare que les soldats français vainqueurs de la grande tour sont déjà décimés et qu'.on va quitter le séjour d'hivernage, les forHic«tions détruites! Le journal le Pays ( une des fermes de M. Laguéronière) vient de reccveir un premier avertissement, pour a.voir mal parlé des Turcs : ce 1\1.Laguéronière est un grec, nous le savions. Est-cc que M. Forcade envoyé consul-général à Bucharest serait le Forcade, publiciste borgne de 1\I. Changarnier? - Pauvre maison d'Orléans! Et la maison La Rochejaquelein ? Le dernier héritiP.r que vous connaissez vient de faire un discours au conseil-général des DeuxSèvres. 1 L'apostat et très peu scrupuleux actionnaire félicite la France et son chef de leur sagesse et de leur patience dans la gnerre ! Croyez-moi bien, les aristocraties et les empires en sont à leur dernier jour. XXX. LA QUESTION SOCIALR. Il est manifeste que l'humanité te!lClà la réalisation d'un ordre nouveau dans lequel il n'y aura plus trois ou quatre -espèces de sociétés : le grand monde, le moyen monde, le pauvre rnonde, et le monde innommé, celui des crétins, des voleurs, des prostituées et des mouchards (je demande 1iardon aux crétins, aux voleurs et aux prostituées de mettre avec eux cette dernière espèce, le mouchard) mais une seule société, un seul monde dont, à titre d'homme, on sera memhre, et où la liberté sera le droit de chacun, et l'égalité le droit de tous. Pour atteindre ce but, le seul digne des efforts humains, il faut connaitre et les lois tlu vieux monde qu'il s'agit de détruire, et les lois du monde nouveau c1u'il s'agit de constituer. Un de ceux qui ont fait faire le plus de chemin à. cette donble étude, Pierre Leroux, a parfaitement démontré que le régime des r.astes, qui dnre encore aujourd'hui sous la forme propriétaire, avait pou 1' sanction une notion vraie, mais incomplète de l'homme et de ses rapports avec la nature et la vie universelle. A la ·science antique qui, ayant vu que l'homme est sensation, sentiment, connaissance, avait divisé les hommes io;elon les fonctions propres à ces diverses facultés, et produit par cette division les castes de prêtres ou savants, de nobles ou guerriers, d'artisans ou iudustriels, castes qui toutes puisaient leur vie dans la classe sans nom de l'esclave, du paria, de l'ilote. Pierre Leroux a opposé une notion plus complète de la nature humaine, et il a dit : l'homme est sensation 1 sentiment, connaissance indivisiblement unis et simultanément manifestés. Et cette nouvelle notion ramenant l'homme à l'unité de sa nature ot excluant la possibilité d'une nouvelle division de l'humanité en castes, en même temps qu'elle renferme b. négation de l'ordre passé, renferme l'affirmation la plus haute d'un ordre nouveau. Malheureusement l'ignorance est encore si grande dans le monde, que beaucoup n'ont pas même l'idée qu'une notion antérieure d'un ordre idéal soit nécessaire à la Téalisation d'un ordre réel : à p1ns forte raison ceux-là ignorent-ils que toujours l'ordre réel se modèle sur la notion de l'ordre idéal entrevu. C'est à cette ignorance qu'il faut nous attaquer : et : pour aujourd'hui, je tâcherai de montrer comment, par '.l'exercice de plusieurs fonctions dans les divers ateliers industriels, artistiques, scientifiques, l'homme se conformera à cette loi trinaire de son complet développement L'HO1\~1l ~~ .. que Pierre Le1·oux a appelé la triade et qui est vraiment une des lois de la vie les plus importantes. ( J) On reconnaitra, je pense, volontiers, que le développement partiel d'un des côtés de la nature humaine, aux dépens des deux autres côtés, produit dans la société des choses vraiment effrayantes et monstrueuses. Dans l'industrie, le développement, par le travail, du côté physique de l'homme, en fait une espèce de machine propre à sa fonction, mais impropre à. toute autre chose: Nous ne sommes que des machines! (Chant des Ouvriers de Pierre DuPO:-.T.) Dans la science, le développement excessif des facultés intellectuelles aux déperis du corps et de l'àme fait de la ~lupart des savants de~ êtr~s ~aladifs, sans virilité politique, chez lesquelles l mspuat10n et la spontanéité sont détruites à jamais. Dans l'art c'est peut-être moins fort, les artistes tou- ~h~nt un peu à ~out, mais c'est plus comique. Des êtres 1rntables et vamteux plus qu'aucune femme du monde jaloux du moindre éloge décerné à d'autres, rapportan~ tout à eux-mêmes, pers1iadés queîa terre n'est pas digne de les porter, ne sachant plus que dire, du reste aussitôt q~'il ?'est,_pl~s questio~ de leu~ art, et pen,san;, en poht1qu;, qu 11faut _unear,1stocrat~epour que l art prospère, et qu une Républu1ue democrat1que et sociale n'aurait pas de quoi les payer. , Sans do~te _c~tablea~ est chargé si on veut l'appliquer a tous les 111d1v1duqsm, dans quelque spécialité que cc soit, compren11er,t qu'il faut puiser à toutes les sources de la vie et faire concouJ:ir la science, l'art et l'industrie au cléveloppement mutuel les uns <les autres· sans doute ' ' et fort heureusement, tous les savants ne sont pas des J>édants en us, tous les artistes ne sont pas <les filles entre~enues, _tous les ouvriers ne sont pas que des machines; mais en genéral, et qunnt aux so11ffrances qui résultent pour le~ uns et pour les autres de ce développement inhar~10111que,ce, t~b_leaun'est, l1élas ! que trop vrai. Et encore n aJ-Je parlé que des travaux où l'homme crée et vit véritablement. Il y a d·ms <:cttcscience, telle qu'elle est, des contemplations sublimes; to11t un monde où le savant oublie les douleurs du monde réel. Il_~ a ~:rns _l'art, dans cet art maladif de notre temps, des JOICS 111fi111esd,es émotions puissantes. Ces hommes qui se servent au public sous forme de chant, de drame, de tableau, de piano, de violon, comme l'oie sous forme ~e. fo!e-g~as, ils ont du plaisir à le faire, et, plus que l 01e, ils aiment à être mangés ainsi. Il y a dans l'industrie créatrice des joies mâles et fières, des conquêtes superbes, et celui qui étanche sur son front la sueur noble du t-ravail, jouit aussi des produits -~u'!l crée comme jamais consommateur au monde n'en a JOUI. . Mais <1uc ~ire des malheureux gratte-papier dont la :71c~e passe ~. un bureau, de ceux dont le temps se passe a ph~r et dépu~r des étoffes, de tous ceux enfin qui, livrés a un travail fragmenté, absorbent toute leur vie dans une seule occupation q11'ils exercent toujours, et toujours la même ? sont-ils des hommes, ceux-là ? 'Non. Ou ne peut être ·vraiment homme que si on cultive tout à la fois ses forces physiques, ses sentiments et ses idées. Ce n'est pas assez d'avoir une fonction. Il faut en avoir au moins trois : une dans l'industrie, une· dans l'art, une dans la science. Tout homme doit travailler pl1ysiquement. Tout homme doit travailler moralement. Tout homme doit travailler intellectuellement. L'homme reviendra à l'unité de sa nature quar,d il se _dév:loppera harmonieusement, selon les trois aspects de la vie physique, morale et intellectuelle. Voilà comment je comprends la loi du développement trinaire ou triade. Si, au contraire, l'homme continue à se parquer selon l'industrie, l'art, la science, les castes que nous voulons détruire se recréeront d'elles-mêmes, et nous tournerons éternellement dans le cercle de la damnation. Il est d'autant plus nécess::tire que les révolutionnaires comprennent cela, qu'il n'y a plus guère aujourd'hui que deux castes : celle qui possède et celle qui ne possède pas. Et la situation respective allant se dramatisant à mesure que le problème se simplifie, nous arrivons à un point où. il n'y a plus <p1'une manière de faire la Révolutio~. Cette manière, je l'ai indiquée et j'y reviendrai; mais de gnlce que les révolutionnaires veuillent bien médit~r ,sur le jugement qu'a porté Robespierre sur les révolut_10nsma~quées,, quand il a dit qu'elles n'étaient qu'un crzme succedant a un autre crime. Or'. po11r ne pas f~ire <leRévolution manquée, il faut la fatre sur le terram même où le problème social est posé par la force des choses, et il ne faut pas surtout recommencer le passé. Distinguons donc les fonctions, mais ne divisons plus l'homme contrn lui-même et les hommes entre eux. Qu'y a-t-il d'impossible d'ailleurs à ce que chaque homme se développe sous les trois aspects de sa nature ? ( l) Au lecteur, à Pierre Leroux et à moi-même, je dois de dire qt'.'à moi seul doit inco1_nber la responsabilité de cc que j'écris. Pierre Leroux trouverait sa11sdoute beaucoup à re'>rendre dans des idées dont plusieurs cependant ~ont filles des s~iences : et je n.e m'accorderai peut-être pas avec lui ,ur toutes les conséquences qu'il tirerait de la. loi de la triade. Je crois que toutes les séries sont dans la nature et qne chacune a sa loi qu'il faut connaître ainsi tpie les ohjets auxquels el!~ s'applique. Ne saurait-on être, en même temps, je supvose, jardinier, géomètre et musicie?; ?u tisserand, peintre et philosophe; ou toute autre combinaison embrassant au moins une industrie, une art, une science ? Les différentes branches de l'activité humaine ne s'offrent- elles pas du reste de mutuels secours, et la tendance manifeste de _l'humanité n'est-elle p~s ver<; ce développement harmomcux des facultés humames qui fera de notre espèce quelque chose d'aussi différent de l'homme actuel que celui-ci diffère lui-même du plus brutal sauvage. N'entendez-vous pas les voix des ouvriers poètes, des ouvriers savants ? Ne voyez.·vous pas que dans les grandes villes la jeunesse ouvrière smt des cours de chant de dessin, de ~éo?'1étrie: de physique, etc., etc., et qu~ tout cela nous md1que d une façon certaine la tendance de l'humanité ? , Reste à voir maintenant si la pluralité de fonctions équivaut à ce qu'on entend aujourd'hui par cumul de places ou de propriétés ? .... Je crois qu'après tout ce que j'ai dit déjà, 011 peut répondre sans crainte : non. Il y a_cum,ul lor~qu'~n to~che d'un côté un salaire pour un travail qu on fmt, et de I autre un salaire pour un travail qu'on ne f~it pas; mais que d'autres font pour vous, au moyen de 1 mstrument de travail que vous leur louez ou du capital que vous leur prêtez. ' Mais il n'y a pas cumul lorsqne, travaillant dans divers ateliers, on ne touche dans chacun que le prix du travail fait. Soit donné un homme, jardinier, musici<::net géomètre, par exemple. Et une journée employée ainsi : 4 heures à la Géométrie.; 4 heures au Jardinage; 4 heures à la Musique_ Cela fait une journée de 12 heures de travail. (Je ne crois pas que dans cette voie l'homme cherche à diminu r la journée de travail. La tendance · sera au contraire à l'allonger, parce que les divers travaux se scrviron~ mutuellement de délassement.) Cet ho,~11nedevra rec~voir dans chaque atelier le prix de ce_qu 11y aura produit penda11tles 4 heures qu'il y aura travaillé. Il aura passé par trois fonctions, mais n'aura fàit qu'une journée de travail, et ne recevra que Je fruit de son travail. Il n'y a donc aucun cumul et tout cela est aussi juste que bea11 et utile. Je n'a~ pris cette journée et sa division par 4 heures de travail que pour exemple. Toutes les combinaisons son: possibles et variables à l'infini, selon les goûts et les aptitudes. Il ne faut soumettre la liberté humaine à aucune entr~~e. Mais la libnté est-elle d'être parquée dans une condition quelconque? Non : la liberté est d'l!trc ouvrier, à l'atelier industriel; artiste, à l'atelier artistique; savant, à l'atelier scientifique; et hors <le là et au dessus de tout cela, d'être homme. Aujourd'hui on est ouvrier, ou artiste, ou savant • mais l'on est très peu homme : p ,rce qu'il faudrait êtr~ pour cela et ouvrier, et artiste, et savant, En revanche on est très bourgeois. même parmi les ouvriers. Il n'est pas difficile je pense de comprendre comment dans cette 110uvelle société l'instruction, sauf l'instructior, ~rimaire générale, devienrlrait tout simplement l'apprentissage. L'enfant choisirait lui-même les ateliers où s'exerceraient les fonctions vers lesquelles sa nature le ferait incliner, et de cet usage de sa propre liberté découlerait tout le droit· pour lui. • Ne serait-il pas meilleur de choisir soi-même sa propriété, dans l'atelier où l'on posséderait l'instniment de travail de sa fonction, que de la gagner ou de la perdre au jeu de hasard de la naissanctl? Ne serait-il pas meilleur d'hériter <le toute l'humanité en succédant, dans trois ou quatre ateliers différents, aux hommes dont on continue les fonctions, que d'hériter d'un seul homme dont l'héritage est souvent un fardeau, quand héritage il y a. Cela n'~mpêcherait pas du reste d'hériter du père par le sang, s1 on remplissait quelqu'une de ses fonctions. Soi~nt, par exemple un père menuisier, géomètre et journaliste, et un fils menuisier, géomètre et peintre, le tils succèdera au père dans l'atelier de menuiserie et dans le cabint>t de science géométrique ; mais il ne lui succèdera pas clans l'atelier du journal, et succèdera à d'autres dans l'atelier de peinture. Ainsi toutes les lois véritables ,le la vie s'enchaînrnt ' • d ' s appment et se coor onnent. Ce n'est quf- parce que "l'homme en a négligé l'étude qu'il va se heurter sans cesse à tontes les fatalités imprévues. Cependant la M,ience antique elle-même fait, du fond des siècles, retentir à nos oreilles la mystérieuse parole : connais toi toi-rn,éme. Tout dépend de là. Mais ce n'est pas assez que l'homme individuel se connaisse; il faut encore, il faut surtout que l'homme collectif, que la société se connaisse. Oh! c'est alors que la révolution marcherait dans sa force et dans sa liberté, éclatante et rapide comme la lumière, belle comme l'éternelle jeunesse! 0 République démocratique et sociale quand les peuples apprendront-ils donc à te connaître en se connaissant euxmêmes ! Alfred TALA :-.roi Eu.

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