11 joint la conscience de sa faiblesse réelle. Le tyran, si l'autorité absolue ne l'a pas rendu entièrement stupide, tremble dans son palais en songeant à la haine immense que son pouvoir sans bornes doit avoir éveillée dans tous les cœurs. La conséquence de la peur qu'éprouve le tyran est tout à fait différente de celle de la peur ressentie par le sujet ; ou, pour mieux dire, elle est semblable en sins contraire; car, ni lui ni les peuples ne se corrigent de cette peur, commela nature et la raison devraient le leur prescrire. Ainsi les sujets ne deviennent pas courageux, lors même qu'il ne leur reste plus à perdre qu'une misérable vie, et le tyran ne .levient point traitable, même l~rsqu'il ne lui reste plus rien à acquérir, sinon la gloire et l'amour de ses sujets. La crainte et le soupçon, compagnons inséparab~esde toute force illégitime ( et tout ce qui est sans limites est illégitime) offusquent à un tel point l'intelligence du tyran, fût-il naturellement débonnaire, qu'il devient de toute nécessité cruel, dans le but de prévenir les effetsde la haine méritée dont il se sent l'objet. Il punit donc avec rigueur la moindre tentative contre son autorité, bien qu'il la sache excessive. Il n'attend pas même un commencement d'exécution: il lui suffit de soup<;onner que cette tentative a été conçue, ou, mieux encore, de feindre qu'il le soupçonne. Que chacun de nous descende en soi-même, il y trouvera h preuve de la peur des sujets; qu'il jette les yeux sur les précautions dont s'entoure nuit et jour le tyran, sur les nombreux satellitr.s qui le gardent, et il sera convaincu de la frayeur continuelle dont celui-ci est la proie. Cette peur réciproque et incontestable une fois admise, examinons l'effet qu'elle prodnit par sa permanence, et commençons par les sujets·; nous parlerons ensuite des tyrans par conjecture. Et d'abord, choisissolls dans la tyrannie ce petit nombre d'hommes à qui l'énrrgie de la fibre, une mc.illeure éducation, une certaine élévation cl'âme, et une moindre dépendance devraient fournir les moyens. de mieux connaître la \'érité et de craindre moins que les autres ; après avoir vu ce qu'ils sont, ce qu'ils peuvent et doivent être, nous jugerons par induction de ce que sont et ne ce que doivent être tous les autres. Ce petit nombre, digne d'un meilleur sort, voit le cultivateur, accablé de charges, et devoré par l'usure, mener une vie indigente et malheureuse ; ses fils violemment arrachés au foyer paternel pour porter les armes, non pour la patrie, mais pour leur plus gran1l ennemi et contre euxmêmes. Dans les villes, il voit d'un côté le luxe insolent, de l'autre la misère poignante ; des deux parts l'immoralité. Il voit la justice vendue, la vertu méprisée, les délateurs récompensés, la pauvreté imputée à crime, les charges et les honneurs ravis par le vice effronté, la vérité proscrite, les biens, la vie, l'honneur de tous dans la main d'un seul, ordinairement incapable, et qui laisse à quelq11es agents, plus méprisables encore que lui-même, le droit de <lisposerde toute chose à leur gré. Voilà le spectacle qui s'offre chaque jour aux yeux de ce petit nombre d'hommes chez qui la tyrannie n'a pu éteindre complètement la pensée; et en contemplant ce spectacle ils soupirent tout bas et se taisent. Mais pourquoi se taisent-ils ? Parce qu'ils ont peur. Sous la tyrannie, la parole n'est pas moins un délit que l'action. On en devrait conclure qu'il vaut mieux agir que parler; mais hélas! on n'ose ni l'un ni l'autre. Si tel est l'avilissement des meilleurs sous un semblable gouvernement, quel ne sera pas celui de la multitude? Tous donc, tant que nous sommes, nobles cœurs et âmes vilts, savants et ignorants, penseurs et idiots, vaillants et lâches, tous, plus ou moins, nous tremblons soui la tyrannie. Ce gouvernement n'a pas d'autre ressort, pas d'autre mobile que la crainte. Le tyran veut l'inspirer parce qu'il la ressent; la peur inspire chacune de ses actions, et son administration tout entière. Les abus de cet informe régime n'échappent point à ses regards ; il en connaît les vices, les principes destructeurs, les injustices, les rapines, les oppressions. Il voit les provinces succombant sons l'impôt; mais il ne songe point à les soulager, car c'est de l'énormité des taxes qu'il tire les moyens de maintenir le nombre énorme de ses s0ldats, de ses espions, de ses courtisalls, remèdes nécessaires à son énorme peur. Il voit que la justice prévarique et se vend; que, les emplois et les honneurs tombent infailliblement aux mains les moins dignes : le tyran voit tout cela mais il n'y change rien. Et pourquoi n'y change-t-il rien ? Parce que si les magistrats étaient justes, incorruptibles et honnêtes, il perdrait le moyen de donner à ses vengeances privées les couleurs de la justice. Il en résulte que, devant malgré lui, et presque à son insu, se considérer comme le principal vice de l'Etat, une faible lueur de vérité traverse son esprit et lui montre que, si la moindre notion de véritable justice venait à s'introduire parmi le peuple, cette justice s'exercerait avant tout contre l'oppresseur du peuple. C'est pourquoi la réalité de la justice l'épouvante; il n'en conserve que le nom pour l'exploiter; la chose le tuerait. Toute lumière augmente ses soupçons, toute vérité l'irrite; il l'edoute les honnêtes gens, et ne se croit en süreté que s'il confie les charges les plus importantes à des hommes bien à lui, c'est-à-dire pires que lui, car tels sont ces êtres méprisables qni se font ministres de la tyrannie .. Peur contre peur , tel est donc l'ignoble ressort du gouvernement tyrannique , surtout sous les princes à qui l'hfrMité a trnnsmis cette infâme usurpation du droit L'IIOUME. naturel des hommes, car, ·aux yeux de ces tyrans hérédit11ires,le temps a établi la prescription, et cette prescription prétendue, ils la nomment effrontément légitimité, droit divin. Ayant ainsi placé dans le ciel l'origine de leur autorité sans limites, le vol de l'usurpateur leur ancêtre devient dès lors une propriété sacrée qu'ils nient avoir jamais appartenue au peuple , et dont la 1"evendication est un crime que leur épée toujours levée est toujours prête à punir. "Mais, dira-t-on, s'il était vrai, comme vous l'assurez, " que la peur fût le mobile suprême des hommes sous la " tyrannie, verrait-on, dans les guerres de tyran à tyran, " cette foule de vaillants soldats affronter pour eux la " mort? Prétendrez-vous que ce soit la peur, et non pas " l'honneur qui les guide?" Je réponds que les Orientaux eux-mêmes, peuples de tout temps esclaves, et qui, suivant nous, n'ont aucune irlée de l'honneur, prodiguent leur vie pour leurs tyrans dans les batailles. Cela s'explique par la f-érocité native de l'homme, par l'ardeur du sang qui s'accroît dans la lutte et aveugle sur le danger, par l'émulation jalouse, et, surtout, par la peur ellemême. Cette passion funeste se transfigure sous tant d'a~pects divers dans le cœur de l'homme, qu'elle peut même s'y travestir en courage. Tous ces héros qui font bravement face au danger, savent bien qu'ils ont derrière eux des épée~ inexorables qui ne les épargneraient pas s'ils tournaient le dos à l'ennemi. La peur par derrière fait le courage par devant. Nul ne sait dans quelle proportion la lâcheté individuelle s'allie à la bravoure collective d'une armée. D'ailleurs le courage militaire n'implique en aucune façon le courage civil : on pe1:1t ètre à la fois un brave soldat et un lù.che citoyen; cela se voit tous les jours. Or, c'est de la !Acheté civile qu'il est ici question. Tous les peuples, ancie11sou modernes, en ont été et en sont plus :ou moins entachés. Les Romains, les Anglais et les Françflis, dont l'héroïsme militaire a jeté tant d'éclat, offrent, à certaines époques de leur histoire, les exemples les plus abjects de la pusillanimité des citoyens. Qui metuens vivit, libei· rnihi non erit unquàm. Comment, disent les peuples de la mo1lerne Europe, les Romains ont-ils pu être assez vils pour souffrir les proscriptions ile Marius, de Sylla, des deux triumvirats, les cruautés, les exactions et les ùébauches monstrueuses de tant d'infâmes empereurs? Les p'.)uples modernes font cette question naïve; et les Espagn'>ls ont supporté m1 Pierre-le-Cruel, un Philippe II, un Ferdinand VII et l'inquisition. Les Anglais ont supporté un Richard III,. un Henri VII, 1m Henri VIII, une l\'Iarie, une Elisabeth, un Cromwell. Les Français, d'abord libres, se sont laissé enlever une à une toutes leurs libertés; ils n'ont eu, avant Hugues Capet, que de mauvais rois, et depuis cet usurpateur, qu'nne lor,gue série de tyrans. Ils ont supporté Louis XI, François Ier, Charles IX, Louis XIV, Louis XV et Napoléon. Non-seulement ils ont supporté ce dernier, le plus coupable de tous , mais il l'ont aimé, ils l'ont rapporté de l'exil dans leurs bras. Ils ont fait plus : par idolâtrie de sa mémoire, ils ont sacrifié volon~ _tairement leur liberté nouvellement reconquise à ✓ l'un des plus inglorieux héritiers de son nom. Ils ont donné l'exemple t!e l'avilissement le plus inouï dont les annales des peuples fassent mention. DE LA LACHETÉ. De la peur de tous naît, so11sla tyrannie, la lâcheté du plus grand nombre. Mais les plus lâches sont ceux qui s'approchent le plus près du tyran, c0'est-à-dire de la source de toute peur active ou passive. D'où il suit qu'il y a une grande différence entre la lâcheté et la peur, L'honnête homme, par la fatalité des circonstances, peut se trouver dans la nécessité de craindre ; mais il craindra du moins avec une sorte de dignité ; c'est-à-dire qu'il craindra en silence, fuyant jusqu'à l'aspect de cet homme qui, seul, fait trembler tous les autres, et pleurant dans la solitude, ou avec quelques amis dignes de lui, sur cette crainte forcée, et sur l'impossibilité d'y trouver un remède actuel. L'homme lâche par nature, au contraire, faisant parade de sa terreur, et la cachant sous le masque infàme d'un amour simulé, fera tons ses efforts pour s'approcher du tyran et pour s'assimiler à lui, afin de diminuer sa propn, peur et de centupler celle des autres. J'en conclus que, sous la tyrannie, bien que tous soient avilis et atteints du poison de la peur, tous ne sont pas lâches cependant. ALFr:É1u. VARIÉTÉS. SCIENCE POPULAIRE. LA MÉDECINE. II Quand la 11ratique d'un art varie sans cesse, quand ses traditions de la veille sont abandonnées pour des essais dont l'inanité sera bientôt reconnue, c'est que cette pratique, cette tradition, ces essais ne reposent sur aucun principe fixe et sont tous également en dehors de la vérité. N'est-ce pas là ce que sentait Bœrhaave quall(l il s'écriait : " Si l'on vient à peser mûrement le bien " ' , h • " d • fil qu a procure aux ommes une po1gnt:e e vrais 1 s " d'Esculape, et le mal que lïmmense quantité ile doc- " teurs de cette profession a fait_au genre humain depuis " l'origine de l'art jusqu'à nos jours, on pensera sans " doute qu'il serait plus avantageux qu'il n'y eût jamais " eu de médecins daus monde." • • Cet aveu d'impuissance, échappé au plus savant mé<1ecin du 18e siècle, est confirmé par Broussais, au l 9e siècle, en des termes presque identiques : "Tant que la " médecine, dit ce dernier, ne pourra pas être enseignée " de manière à devenir à la portée de toutes les intelli- " gences; ou bien, si l'on aime mieux, tant que les pré- " ceptes de cette science, quelles que soient la clarté et " la précision qu'affectent de leur donner les auteurs des " différents systèmes, ne produiront pas une imrnènse " majorité de médecins heureux dans la pratique et tou- " jours d'accord entr'eux sur les moyens à opposer aux ", maladies, on ne pourra pas dire que la médecine est " une véritable science et qu'elle est plus utile que nui- " sible à l'humanité." " Il est certain," disait à son tour le docteur SainteMarie, membre de l'académie de Lyon, en 1800, " il est " certain que nous, guérissons quelquefois en agissant " dans le sens même cle la nature et en complétant par " nos ffi')yens l'effort salutaire qu'elle a entrepris et " et qu'elle n'a pas la force de désavouer." Il citait ensuite quelques faits de guérisons obtenues tout-à-fait en dehors des prévisions de l'ancienne école, et terminait par ces parolès remarquables. " Il est impossible que ces " faits de guérison ne, soient que d'heureux hasards; ils " se rattachent indubitablement à quelque grande loi <le "la thérapeutique qui restent à déterminer.'t Eh bien! cette grande loi thérapeutique avait été non seulement pressentie, mais formulée clairement, et qui plus est, mise en pratique par les alchimistes du moyenâge. L'auteur de la Vérité en Médecine, le docteur Perrusse!, disciple d'Hahnemann, a donc tort de dire : " Depuis les premiers siècle de 1'ère chrétienne j usqu • à " l'anatomiste Ve:sale, de glorieuse mémoire, il y a peu " de compte à tenir des médecins qui se succédèrent." " Le temps a fait justice dr Paracelse, a I dit à son tour " un autre homœopathe, le docteur Simon, sans relever " Galien du discrédit où son antagoniste le fit tomber." • C'est là une suprême injustice; car d'innombrables témoignages attestent que Paracelse et ses successeurs ont posé la loi des semblables, qu'on pourrait retrouver peut-être bien qu'un peu plus voilée cl.ansles écrits des pythagoriciens et notamment dans lt:s mystères égyptiens d'Iamblique. Ce qu'il y a de plus sing 1 lier, c'est que cette doc.trine médicale, toujours méconnue par les conserYateurs de la science officielle, a été transmise jusqu'au l 9e siècle par une suite interrompue d'écrivains et- de savants dont la filiation peut être indiquée. Ainsi, au comme.ncement du 18e siècle, le célèbre Stahl écrivait: " La règle admise en médecine de traiter " les maladies par des remèdes contraires ou opposés aux " effets qu'elles produisent, est complétement fausse et " absurde. Je suis persuadé au contraire que les mala- " dies cédent a,ux agents qui déterminent une affection " semblable. C'est ainsi que j'ai réussi à faire disparaître " une dispo.,itions aux aigreurs, par de trè.,;petites doses " d'acide sulfurique, dans des cas où on avait adrni- " nistré une multitude de poudres absorbantes." Un siècle avan-t Stahl, le docteur Thomson, dans un pamphlet intitulé Laleno-pale, après avoir flétri avec une grande énergie l'ignorance et la présomption des médecins de son temps, leurs saignées, leurs vésicatoires, leurs yentouses, leurs cautères, leurs purgatifs et leur diète rigoureuse, appliqués le plus souvent au hasard et, dans tous les cas, . sans règle et sans ordre logique, avait posé en ces termes la loi des semblables : " L'apoplexie " qui tue un homme en un clin-d'œil, n'a-t-elle pas " quelque chose qui ressemble au venin du basilic'! " Dans la paralysie, ne reco_nnaît-on 'pas quelque chose " d'anologue à la nature stupéfiante de la torpille? Des " pestes n'ont-elles pas asphyxié subitement les hommes, " comme ces vapeurs qui s'exhalent des cavernes pro- " fondes et des excavations qui tuent les mineurs dans " leurs travaux ? Il n'est pas douteux que la léthargie " ne provienne d'un poison analogue à l'opium et à. la "jusquiame? La gale peut être comparée au venin de la " pustule des vaches ; les taches de la fièvre scarlatine et " du scorbut à des morsures de mouches ; la petite vé- " role à quelque épispastique virulent, et la rougeole à la " piqûre des orties et des cousins ? " Et plus loin, il ajoute: " Il est certain qu'aucnn mé- " dicament ne peut être efficace et convenable s'il n'est " pas en quelque sorte propottionné à la maladie, suivant " quelle est plus ou moins graduée, sublirnée dans son " activité : réfléchissons, en effet, et considérons qu'un ". corps d'un volume à peine appréciable peut décomposer " et désorganiser notre corps tout entier avec la rapidité " de la foudre. " Au l 6e siècle, Oswald Croll, un des plus brillants disciples de Paracelse, applique les principes homœopathiques admis par son maître et les développe dans sa Basilique chimique, écrite à Paracelse en 1608, et publi~e à Genôve quelques annt?es pltrn tard.
RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==