Homme - anno I - n.37 - 9 agosto 1854

Mai1:que le Leader et les journalistes anglais qui exprimeraient les mêmes idées, sachent bien qu'ils ne trompent personne, pas plus qu'ils ne se trompent eux-mêmes. li est trop facile <lele constater; le silence qu'ils font aujourd'hui, autour <lu trône sanglant de Décembre, n'a co!llmencéque du jour où " le neveu de l'empereur s'est livré à la Grande-Bretagne, en recqnnaissant les traités de 1815. Ils feraient mieux ile <lire nettement:" les intérêts de uotre pays passent pour nous avant les principes, nous soutenons tt flattons l'empire No 3 farce qu'il nous sert." Cela aurait au moins le mérite de la franchise. Chacun est juge de son honneur; puisque certains écrivains anglais placent le leur dans les avafltages exclusifs de l'Angleterre, puisque tout "leur point de vue est natiofla!/' selon l'expression du Leader, qu'ils aient donc le courage rie leur patriotisme, et ne viennent pas soutenir qu'ils se taisent sur les forfaits <l'une bande de 1.'célérats, parce que la France adhérerait à sa propre dégradation. C'est là calomnier très sciemment notre pays. Parler ensuite, comme fait encore le Leader, "de l'incapacité du Gouvernement Provisoire, " avancer à travers d'assez pauvres p aisanteries sur le Socialisme, que ce sont : "les "extravagance~, les faiblesses <les républicains, depuis "le 24 fevrier 1848 jusqu'au 2 décembre 1851, qui " contribuèrent à inaugurer au milieu des acclamations "un nouveau despotisme sur les ruines d'une République "impossible, " c'est ajouter une indignité à la calomnie pour couvrir une véritable désertion du bon droit. Il n'est pas généreux de nous traiter ainsi, il y a dans notre position une réserve forcée qui ne nous permet pas de prouver que toutes les faiblesses, toutes les insuffisances ne sont p.i.s de notre côté. En tous cas, à ceux qui tiennent un langage aussi gratuitement injurieux pour nous et surtout pour notre patrie, nous croyons faire peu d'injustice en admettant qu'ils ont plus de haine pour la •France, que d'amour pour la liberté et de respect pour l'humanité. Uue pareille façon d'expliquer le 2 Décembre, aux dépens <lesDémocr tes français et de notre honneur natioJlale, nous amène à· une triste conviction ;- c'est que les flétrissures imprimées d'abord par le Leader sur le front des assassins de Décembre, ne s'adressaient pas aux assassins, mais, eu eux, aux hommes soup<;onnés de vouloir déchirer les traités de 1815. Dès que ces nobles v1inqueurs, en effet, abattent le drapeau tricol,ne aux pieds de l'Angleterre, le Leader n'a plus pour eux de flagellations, il ne les regarde plus d'un œil indigné ; il se demande "s'il y a eu crime" dans leurs actPs; ce n'est plus par le meurtre et le parjure seulement qu'ils ont triomphé; "ce sont les folies des républicai:1s qui leur ont frayé le cl1emin,au despotisme au milieu des acclamations " et la France " acce°ptc visiblement l'empire !. ... " -Tout cela n'est pas beau et il noù3 est impos!:iible <le l'entendre saus en être vivt:nient blessés. Quant à nous, nous désirons avec sincérité le rapprochement de,s deux peuples, notre reconnaissance pour le refuge britannique nous y porte plus qt:e jamais, malgré l'irijusticc <l'une partie de h presse à notre égard; les haines nationales nous semblent aussi fatales qu'elles sont absurdes, mais ce n'est pas le moyen de les éteindre que de laisser éclater encore tant d'animosité. De plus, une alliance d'expédients n'est pets de110tre goût, ·une alliance qui force l'Angleterre à mettre ses troupes sous le commandement <l'un misér;•Ùle comme Saint-Arnaud, qui est tout à la fois un assassin et un voleur, nous paraîtra toujours manvaise, parce qu'elle est peu honorable; une alliance entre des éléments aussi hétérogènes que le constitutionalisme et l'absolufo:me êsl grosse des périls propres à l'adultère-; basée sur les intérêts égoïstes et momentanés des deux gouvernements, elle ne saurait rallier les deux peuples·; elle se brisera comme verre dès que les intérêts du quart d'heure se diviseront, laissant derrière elle de nouveHes et dangereuses déceptions. L'alliance que nous souhaitons sera celle qui se fera un jour sur le terrain de l'honneur commun et de la liberté commune des contractants ; ce sera celle où aucun aes deux peuples n'aura rien à regretter, où l'un, enfin, ne croira pas encore triompher de l'autre. XXX. LA QUESTIONSOCIALE. " Agrandissez le champ de votre travail," me disent les uns; - " Pressez-vous cle conclure," me disent les autres. Je voudrais suivre le conseil des premiers, et je sens que je dois suivre celui des seconds. Aux uns et aux autres pourtant je dois une explication préliminaire. A ceux qui voudraient me voir traiter d'abord la grande questio:1religieuse, je répordrai que les limites cl'un article de journal ne me permettent pas de donner une philosophie complète du droit, mais seulement de poser quelques jalons auxquels nous puissions, au jour de la victoire, reconnaître la voie que nous devons suivre pour ne pas courir à de nouveaux abîmes. Je me contenterai donc, en ce qui touche à la reli_qion, de donner quelques conclusions dont chacun pr.ut trouver les motifs dans les écrits de nos chers et vénérés initiateurs, quitte à entrer plus tard, s'il y a lieu, dans <les explications plus étendues. A. ceux qui me deman,lent de conclure en hâte, je dirai que j'ai d-éjà conclu en partie. En effet, puisque la posses- ·sion <les droits sociaux, tels qu'ils existent pour les - L'ROM~1E. membres des castes dominantes, 'est la condition nécessaire à la réalisation de la souveraineté individuelle et sociale, il faut que ceux qui n'ont pas ces droits sociaux les prennent. Voilà ma conclusion. Maintenant, ce que j'ai à dire, c'est comment je conçois que tous et t01ites puissent avoir des d'roits égaux, et comment il me paraît possible de les conquérir et de les garder. l\1ais, plus encore que rle conclure, je me hâte de déclarer que je ll'ai aucune panacée universelle, aucune 'vérité absolue, aucune conclusion dernière, aucun secret pour faire la Révolution sans douleur. Je ne connais qu'un moyen pour savoir, c'est <l'étudier, qu'un moyen pour vaincre, c'est <le-Combattre. Voulons-nous la République démocratique et sociale universelle? Aimons-la de tout notre cœur, et employons à sa conquête toute notre intelligence et toutes nos forces. Nous serons nous-mêmes surpris du peu de temps qu'elle mettra à venir. Voilà ce que j'ai à dire à ceux qui me ·demanclent d~ conclure. ,Ie me permettrai encore de leur donner un conseil : c'est de se tenir en garde contre tout procédé infaillible de faire la Révolution ; laissons cela à ces gens qui, sous couleur de sauver la société, sont~ de ~emps immémorial, occupés à sauver ... la caisse. Cela dit, et demandant à tous la permission de rester moi-même, et <l'écrire, bien ou mal, à ma façoR, je reviens à mon sujet. Celui-là seul qui, dans la sincérité <le son âme, a longtemps cherché la vérité peut connaitre les terribles pE.rplexités auxquelles est en proie l'esprit humain en travail. Où est le vrai, où est le faux, où le jugte, où l'iujuste, où la liberté, où la fatalité. On vowlrait un critfrium certain, et on sent que cela est impossible. Cependant il .faut avancer; la vie nous emporte, et ceux qui v-ienne1,1tnous demandent ce que nous avons vu et la lumière à l'aide ac laquelle nous avons marché. le nouvel édifice social n'est pas encore élevé. Les matériaux sont réunis mais épars. Quelques colonnes, il est vrai, sont scùlptées, sur lesquellès on lit perfectibilité, solidarité. Le fronton qui doit briller au faite est aussi taillé; mais il est dans la poussière où sa' sublime àcyise Libe1·té, Egalité, Fraternité, disparaît sous mille taches de sang et de bouc. Nous, nous en sommes encore à la recherche des lois suivant lesquelles doit s'élever l'édifice. Nous demandons aux hommes du progrès la philosophie du .droit nouveau ? Elle n'existe pas. Je demaude pardon de cette afllrmation à qui <ledroit. Si, la philosophie <lu droit existe; mais éparse dans une fou1e d'ouvrages où il est à peu près impossible que le peuple aille la chercher. Je sais bien qu'au résumé, c'est ce qu'il y a de plus difficile au monde à bien faire: cependant à toute révolntion il faut, je crois, ses cahiers. C'est à quoi je voudrais nous voir tous tra,vailler. "La loi, dit Proudhon, n'est l'expression ni d'une volonté unique, ni d'une volonté générale: elle est le rapport naturel des choses, découvert et appliqué par ln raison. " La sanction de la loi est en Dieu qui l'a donnée.'' Et Pierre Leroux : "'La vérité, la science tirent d'elles-mêmes leur sanction. " Vhomme ne dira plus : le maître l'a dit. L'homme e:.t émancipé de l'homme. L'homme dtra : la vétité dit, la science <lit." Cela est bien ; mais cela ne suffit pas. 'Car s'il est vrai que ln loi, quant à sa découverte, est affaire de ·science et non d'opinion, il est également vrai que la loi, quant à son application, est affaire de consentement, c'est-à-dire d'opinion et non 'de science. Que les savants e,herchent et découvrent les lois, rien de mieux ; pour moi, c'est l'opinion que je voudrais éclairer sur ce point. Dans mon travail sur les principes q1ü doivent régir le nouvel ordre social, j'ai dem~ndé à toutes mes affirmations ,leux cho:.es : la première, de satisfaire à la notion du progrès qui est la bannière même d·es temps modernes; la seconde, de présenter le caractère de rapport naturel des choses qui est le caractère même de toute loi qui porte en soi sa sanction. Des exemples me feront mieux comprendre. Sur la question de l'ipdissolubilité du mariage, je me suis p,ono11cé contre immédiatement, parce que l'indissolubilité du mariage suppose ou l'infaillibilité de l'homme et de la femme en matière de sentiment, 011 l'infaillibilité du prêtre en matière religi~Ûse. Sur la question des peines perpétuelles ( l ), je me suis prononcé cont1e immédiatement aussi, parce que cela suppose l'iùfaillibilité du juge, Toute loi qui repose sur une infaillibilité quelconque est contraire au progrès, stupide et tytannique. Voilà le premier point. Sur la question de l'interdiction du mariage entre frères. et sœurs je me suis déterminé pour l'interdiction, parce que la dégéuéniscence des familles qui ne se croisent pas est un fait naturel constaté, et qu'ainsi cette interdiction porte en soi la sanction d'une loi naturelle. Cepenrlant il n'y a pas de loi naturelle contraire absolument au ma- (1) Je dois dire que je me prononce contre toute espèce de peine autre q·ue h réparation, quan-l elle est possible, du tort c11usé. Mais cela demancle à être e:rpliqué et Je sera. riage entre frère et sœur, puisque admettant même la plus grande diversité de races humaines, la. famille a nécessai .. rement commr.ncé par là. Sur la question de· douanes, je me suis prononcé contre, patcê que ce n'est pas une loi naturelle du tout que d'ajouter des barrières factices aux barrières réelles qui séparent les peuples. Ainsi toute loi qui ne repose pas sur un rapport naturel de choses constaté n'est pas une loi, mais une tyrannie et une impiété. Voilà le second point. • Tout le monde pourrait continuer ce travail et soumettre toutes les lois humdines à cette double et terrible épreuve. On connait maintenant le flambeau à la lumi~re duquel j'ai marché. La famille a été le premier milieu social. J c devrais. donc, si je suivais l'ordre de généalogie dP.s tyrannies, montrer d'abord ce que la famille a éonservé d'oppressif pour la fémme et l'enfant, et dire comment on peut modifier ce milieu de manière à lui faire perdre ce qu'il a gardé de sa sauvnge et brutale origine. La religion 'a dominé et domine encore tout l'ordre social. Je devrais donc, s-i je suivais l'ordre d'importance <les sujets, montrer ce que la religion, entendue comme révélation directe <le Dien , a d'incompatible avec la. doctrine du Jlrogrès affirmée comme croyance cle notre siècle , et dire quelle doit être la politique d:u Socialisme avec les religions existantes. lliais plus que la religion, plus qùe la famillll, la propriété constitue aujourd'hui la société. La ptopriété est l'amour; la propriété est la foi; la propriété e·st l'arche sainte; la propriété est le Dieu du siècle. Comment pénètrer tous dans ce sanctuaire et flous rendre maitres de ce souverain bien sans lequel il n'y a ni liberté dans l'industrie, ni joie dans la famille, ni sou vcraineté dans la cité ? La propriété est-elle de droit divin ou humain, naturel ou civil? c'est ce dont je ne m'inquièterai })as ·pour le moment. Entendue comme droit de l'homme à exerce'r ses facultés sur la nature, .la propriété est un droit cùtain et qui appartient à toute l'humanité. Ce droit là, nul ne le détruira, et il c:.t bien superflu <le craindre pour son existence. • E11te11duecomme droit d'user et d'abuser, d'acquérir et de transmettre, la propriété individuelle n'est reconnue, même par le Code civil, que comme soumise aux modifications Nablies par les lois (Art. 537, 544 G. C.). Créons des faits nouveaux, et des lois nouvelles viendront bientôt sanctionner notre œuvre. • VIVRE EN TRAVAILLANT:voilà la loi naturelle, t0ut ce qui entrave ce droit sacré qui appartient à toui-:, doit disparaître de la société. Soit qu'on regarde le travail comme la condamnatio11 qe l'homme rebelle, soit qu'on le regarde comme le privilége de l'être chargé de continuer sur le globe l'œuvrc <le lu création, tout le monde convient que, malédiction ou bénédiction, le travail est la destinée nécessaire du genre humain. Vivre en travaillant n'est pas seulement la formule du rlrnit, ç'est encore celle du devoir. Il nous faut donc modifier la propriété de mamère 'que tout homme puisse également jouir de cê droit et remplir ce devoir. Cela n'est possible qu'en faisant de la fonction la seule véritable propriété, en n'attribuant la possession de l'instrument dt travail qu'à celui qui le fait produire, et en faisaflt que personne 'dans la société ne soit sans fonction. Voilà la véritable propriété, et je me fais fort de démontrer qu'elle satisfait à l'exercice de toutes les facult6s, à l'assouvissement de tous les besoins. C'est du reste le seul mode de propriHé dans lequel l'Egalité soit possible. Car si on veut accorder qu'on puisse avoir des fonctions d'un côté et des propriétés de l'autre, comme ces préfets, magistrats, généraux et banquiers, qui gagnent de bon'nes sommes à la ville et ont encore à la campagne des champs que cultivent pour enx ;le malheureux paysan1-, il est certain qu'il est impossible de de donner cela à tout le monde, et qu'un pareil cumul aboutit forcément à la spoliation du plus grand nombre. Cette propriété li':!e.st injuste au suprême degré, contraire aux lois naturelles, meurtrière pour les faibles, corruptrice pour les forts, ar1ti-humaine, anti-sociale, sacrilége et infàme à tous les ·degrés. Pour la modifier selon les nouvelles notions de .jnstice qui éclairent la conscience humaine, il faut la pre11dre et lui couper ces pattes monstrueuses sur lesquelles elle marche opprimant l'humanité, i'uswre et l'héritage. l'ou'r la prendre, et pour créer en même temps la propriété de la .fonction 1 telle que nous l'entendons, il faut s'emparer de l'atelier, champ ou usine, et ce, à la pre• mière occasion. Il faut qu'à la prochaine Révolution, au nom du droit et de la force, et sans sé_laisser divertir par de beaux discours, les ouvriers de chaque atelier disc11t au maitre : " La commune fera la liquidation de ta propriété, et nous réglerons avec toi sur les bases et dans les termes fixés par elle. Si dès aujourd'hui tu veux remplir une fonctiob dans l'atelier, sur le pied de l'égalité entre nous, tu as ta place ici. Si tu aimes mieux vivre de la redevance ou du prix que nous aurons à te payer vour la propriété 11ue nous te prenons, à ton choix. Nous, nous n'avons pas le choix, et nous ne pouvons faire différem• ment, à moins de retomber avee nos femmes et no• e•-

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