libres qu'on faisait m1ro1ter à leurs yeux à travers l'abaissement du gendre de l'empereur d'Autriche. On sait aussi comment les promesses solennelles jurées au· milieu du danger furent, comme toujours, foulées aux pieds dès que l'heure du, péril fut passée. , Le peuple allemand sentit avec amertume cette déception atroce. Il avait prodigué son sang généreux pour secouer le joug étranger, et la main de fer d'un despote à dcmi-.barbare pesait maintenant sur lui plus dure et plus inintelligente que celle de la France qu'il avait repoussée. La classe moyenne témoigna surtout une indignation sans bornes contre l'Autriche et la Russie, et les universités, professeurs en tête, réorganisèrent les sociétés secrète.; que les préoccupations de la guerre avaient fait abandonner par la plupart <leleurs adhérents. La poiitique russe devina plutôt qu'elle n'éventa ce mouvement. Elle sentit que contre le travail souterrain qui s'opérait ainsi, les bayonnettes resteraient impuissantes, car elles ne sauraient où frapper; et elle ne trouva pas de meilleur expédient que d'égarer l'opinion publique en attirant à sa solde la plume vénale d'un dramaturge, que des ouvrages littéraires d'un mérite réel avaient ren~u populaire en Allemagne. A. de Kotzebue, né à Weimar, et auteur ùe· drames restés au théâtre, fut appelé à Petersbourg avec le titre de consul-général de Saxe-Weimar; mais il n'y resta que peu de temps, ce voyage n'avait pour but que de couvrir une odie11se trahison; car, jusque là, Kotzebue avait semblé défondre la cause de la liberté. Il donna donc sa démission <leconsul-général et revint à Weimar comme agent secret de la police russe avec des appointements de L5,000 roubles. Il devait gagner cc salaire en faisant des rapports de police à l'empereur de la Russie et en attaquant dans son Journal littéraire tout ce qu'il y avait de grand, de bon et de libéral dans l'organisation des universités, en calomniant les professeurs les plus distingués et en jetant la discorde, la haine e.t la défiance parmi les étudiants. Kotzebue ne pflt remplir cc rôle infâme sans révéler bientôt son déshonneur et sa honte. Sa conduite équivoque avait causé d'abord une extxême surprise; sa gloire littéraire militait en sa faveur; on suivait avec douleur un changement d'opinion qui pouvait être consciencieux bien qu'un peu soudain. }\fais quand on le vit disséminer effrontément des opinions que la majorité de ses compatriotes considérait comme autant d'absurdités révoltantes, quand il se mit à traiter avec un souverain mépris les idées libérales dont il avait jadis été l'apôtre, quand on le vit flétrir avœ acharnement toutes les gloires • de son pays., sa trahison devint évidente, et il n'était déjà plus considéré que comme un rénégat et un vil mercenaire, quand le professeur Luden de Iena publia i!ans la Némésis un rapport dé police écrit de la main de Kotzebue et adressé à l'empereur Alexandre. Dans ce rapport que Wielaurl reproduisit immédiatement dans le Patriote, l'espion russe disait q 11e Luùen et son journal étaient les deux_ plus détestables instrumens de l'eufer. Kotzebue eut l'impudence non seulement de reconnaître • son écriture, mais encore de déployer sa patente impé1iale d'agent russe et de se réfugier sous la protection de cc document. Cette bravade audacieuse décida sa mort! Le meurtre politique que les anciens considéraient comme un acte de vertu héroïque, et que les modernes a;-plau<lissent encore dans les Brutus, les Scœvola, les Harmodios et les Timoléon, les Charlotte Corday, etc., est la seule sanction que trouve la justice soui; le régime de la tyrannie. Quand la morale outragée, le patriotisme insulté, l'opinion publique méprisée, ne peuvent se défendre ni par la presse, ni par le .droit de réunion, ni par aucune voie légitime, c'est la jeJnesse enthousiaste qui se charge de les venger par la violence. Carl Sand, étudiant d'Iéna, l'une des universités vilipendées par l'espion russe, résolut d'imposer ,silence à ce mercenaire insolent et làche, qui n'élevait la voix que parce qu'il se sentait appuyé dans son infamie par les bayonnettes des Cosaques. Cette résol11tion discutée pendant plus de six mois avec sa conscience, le jeune Sand écrivit, au commencement de mars 1817, à sa famille et à :-;esamis une longue lettre où il exposait les motifs de sa détermination. " N'est-ce " pas, écrit-il, un des plus grands malheurs de la vie, " quand la volonté de Dieu manque de s'accomplir par "notre inertie. Certainement le plus grand reproche que "nous puissions nous adresser, c'est de laisser dormir, " comme un fantôme informe, comme un vain rêve, ces "principes d'honneur et de justice qne des milliers "d'hommes ont taché d'établir an prix de leur sang et "de leur vie! Si le torrent du progrès est glacé, avant "d'avoir parcouru la moitié de sa course, c'est à la dé- " plorable indolenre de leur·s pères que nos petits-enfants " clevront l;,attribuer !......... Pourquoi la multitude se " courbe-t-elle sous le joug amer de tels misérables ? "D'impitoyables séducteurs préparent en secret la ruine "de notre peuple! L'un cl'eux est Kotzebue; le plus per- ,, fide et le plus vil de tous - la personnification de tout •" ce qu'il y a de pire dans notre époque ; - et cependant "sa voix a de -telles inflexions qu'elle émousse tous les "sens, e't déMture, en les justifiant, les actions les plus " atroces ; il nous berce enfin, pour tacher de nous en- " dormir dans le fatal sommeil Îles vieux jours. Chaque "jour, il trahit la patrie de ses pères, abrité dans sa tra- ·" hison sous une flatterie pleint>d'artifices. Drapé dans .. L'HOJIME. " le manteau é~lata11t de sa renommée poétique, sa là- " cheté n'en est que plus manifeste, mais il éblouit les " yf:ux du public, et nous absorbons le poison que nous "verse son journal demi-russe ...... Si l'histoire de notre " temps ne doit pas atteindre le co'mble du déshonneur, il " faut qu'il périsse !. ........ " Et Kotzebue périt en effet de la main de Carl Sand, au moment où, poursuivi par l'exécration de tout ce qu'il y avait d'éminent en Allemagne, il se préparait à aller jouir de l'impunité, près du despote dont il s'était fait l'instrument. " Le traitre est tombé ! " s'écria Sand, montrant au peuple la fenêtre d'où l'on criait au meurtre. " C'est " moi qui suis le meurtrier; mais c'est ainsi que doivent " périr tous les traîtres. " Puis levant les yeux au ciel, il dit tranquillement: " Je _te remercie, ô Dieu ! d'avoir " permis que j'accomplisse heureusement cet acte de jus- " tice. " Et déchirant les vêtements qui couvraient sa poitrine, il se plongea plusieurs fois dans le sein le poignard 11uiavait servi à tuer Kotzebue. Sand ne fut guéri de ses blessures que pour monter à l'échafaud. Sa mort fut celle d'µn héros et d'un martyr ; et sa mémoire trouva de sympathiques défenseurs, non seulement en Allemagne et en France, mais encore en Angleterre où son caractère et sa réputation furent chaleureusement vengés des hurlements du parti russe, dans un livre publié quelques 'mois après son exécution. J.-Ph. SOCIÉTÉ FRATERNELLE Des Proscrits répiiblicains-démocrates-socialistes français à Londres. Nous croyons devoir rappeler à nos lecteurs que la Société fraternelle de Londres tient toujours ouvert son burpau de renseignements (travail et places), pour les proscrits, 24 bis, Grafton Stn:;et, Fitzroy :::,quare. Cette institution naissante de solidarité a <lroit à tout notre concours fraternel. Nous y reviendrons dans un prochain 11uméro. ------- ---·- -- --------- -·- VARIÉTÉS. LA MÉDECINE. I. Toutes les branches accessoires de l'art de g;wrir, chimie, physique, botanique, toxicologie, physiologie, anatomie, etc., ont fait d'immenses progrès depuis que la médecine, renonçant à, son jargon latin, a donné une extension presque encyclopédique à ses travaux. Uais la thérapeuthique, but et fin de tontes ces études, est malhcureusemeut restée stationnaire depuis plus de 2,000 ans. Le médecin de nos jours a beau connaitre la pathologie des affections qu'il doit combattre, leurs symptômes, leur évolution, sa lutte contre l'ennemi est aussi empirique, aussi conjecturale que du temps <le Galien. L'art de guérir enfin manque de cette méthode qui lui donnerait le caractère de science et le droit de commaader la confiance <leshommes. Pourquoi la médecine, aujourd'hui, est-elle tout au plus au point où se trouvait la chimie au si.ècle dernier, avant que Lavoisier l'eût fait entrer à pleines vviles dans la science, en créant sa nomenclature et en fournissant ainsi une base fixe à la détermination ultérieure de ses lois? Ici encore c'est ·l'esprit de conservation, l'exclusivisme étroit de la sciP.nce officielle qu'il faut accuser de ce re, tard inconcevable dans le progrès de l'art le plus immédiatement utile au bien-être et à la préservati.on de l'espèce humaine. Tant que la médecine et la religion ont été dans les mêmes mains comme en Egypte, tant qu'elles ont eu pour base l'une tt l'autre l'étude de la nature, la médecine s'est perfoctiormée sûrement et tranquillement à l'abri de l'autel. Sacrifia medicamenta sunt, les sacrifices sont des médicaments, dit Iamblique (Chap. x1, ] re part.), axiôme répété par Héraclite dans son livre " des Choses incroyables." Mais aussitôt qu'obéissant aux nécessités de la division du travail, la médecine a fait route à part, la jal-0usie des prêtres s'est effrayée d'une étude qu'ils ne pouvaient plus contrôler parce qn'ils avaient cessé de la comprendre.- Aussi la médecine n'a-t-elle pas eu de plus grand persécuteurs que les prêtres quand ils out pu se faire soutenir par la tyrannie laïq11e. C'est, pê!r exemple, une curieuse et lugubre histoire que celle des alchimistes du Moyen-Age. Persécutés à outrance par les despotismes conttmporains et méconnus de nos jours, parce qu'ils étaient forcés de dissimuler sons un langage mystérieux le"urs découvertes et leurs travaux, les alchimistes eurent, aux yeux de la théocratie chrétienne, le tort immense .d'aller puiser dans l'Orient une science que des moines stupiJes regardaient comme l'œuvre du démon et flétrissaient du nom de Magie. Combien de martyrs ont vu brûler avec eux, sur les btl- ' chers <lel'Inguisitio11 ou pourrir à côté cl'enx: dans les inpace <les couvents, des trésors scientifiques 'dont le monde ferait son profit aujourd'hui sans que pape et empereur osassent y porter une main sacrilége ! • Au Moyen-Age, l'empereur et le pape jouissaient d'une toute puissànce d'autant plus inattaquable qu'elle reposait sur l'ignorance populaire : aussi volaient-ils aux savants les découvertes qui ne sortaient pas du cercle étroit tracé par la foi religieuse, et torturaient-ils impitoyablement les audacieux penseurs que la recherche de la vérité jetait hors des limites marquées par les conciles. Pour ne citer qu'en petit nombre d'exemples ·: au 13e siècle, un moine franciscain d'Oxford, Roger Bacon, l'un des plus grands mathématiciens qui aient existé, l'inventeur de la poudre à canon, de la chambre obscure, de la lentille optique, et, dit-on, du télescope , corrige les erreurs du calendrier, Julien et fixe l'ère vulgaire que nous suivons encore ; le p:ipe Grégoire XIII donne son • nom à cette réforme, comme pour insulter à la mémoire dn véritable inventeur qu'un autre pape, Innocent_ IV, avait fait confiner d'abord dans sa .cellnle avec interdiction de professer à !',Université, puis jeter pendant dix longues années dans un cachot, où l'illustre savant avait souffert les plus dures privations et les plus terribles avai1ies : il avait pour gardiens des moines fanatiques. Au 15e siècle, Agrippa devient médecin de la mère de François Ier, mais il refuse de satisfaire la curiosité indiscrète de cette princesse, est chassé de la capitale et vient mourir à l'hôpital de Grenoble, en 1535, après avoir ·publié sa µhilosophie occulte et un livre remarquable intitulG : " de la noblesse et excellence du sexe féminin et de sa prééminence sur l'autre sexe." A peu près à la même époque paraH le célèbre Paracelse, sorti des rangs du peuple, et que ses ennemis ont poursuivi de leur haine jusqu'après sa mort, en· lui attribuant des ouvrages évidemment indignes de lui. Paracelse né en Suisse, dans un pays comparativement lihre, avait adopté pour devise : ·' Alterius non sit qui :rnus esse potest." Ses voyages en Hongrie, en Tartarie, à' Constantinople, le mirent en relation avec les hachems de l'Orient, et à son retour, il ne manqua pa~ d'être accusé de ]fagif:. C'est Pararelse qui, le premier, oppose formellement la règle homœopathique similia similibus ù la méthode opposée de l'ancienne école hippocratique; il se vanta dans un de ses ouvrages d".avoir guéri une vingtaine de princes <le·divers pays qui avaient rcconn11 ce bon office d'une manière toute princière, c'est-à-dire en faisant chasser de leurs états le célèbre docteur. Appelé chez un grand seigneur malade, Paracelse n'arriva qu'au moment où celui-ci venait d'être administré et refusa de le voir en disant·: "Pourquoi m'avez-vous appelé, puisque vous avez eu recours à un autre médecin?" Un tel homme devait être odieu:,._aux prêtres et ceux-ci ne pouvant le brüler, l'accusèrent <l'ignorance, d'ivrognerie, de brutalité, et le poursuivirent partout de leurs injures, qu'il leur rendait d'ailleurs avec usure bien que dans llit latin peut-être moins académique. " Quoique mystique et illusionné, dit Moreau (de la Sart·he), dans l'Encyclopédie, Paracelse montrait très peu de respect pour les religions établies et pour les solennités religieuses, disant à ce sujet que Luther avait été trop timide, et que s'il se mêlait quelque jour de se faire réformateur, il euverrait le pape et Luther lui-même à l'école." Après Paracelse, un de ses disciplfs, _Guillaume Portel, né en Normandie en 1510, alla en Orient acheter des manuscrits pour le compt·e de François Ier·; mais disgracié à son retour, il erra en Europe et •fut emprisonné i, Rome et à Venise pour avoir osé manifester ses opinions qui tendaient à ramener toutes les nations à l'unité de religion, ce qui ne pouvait évidemment faire le compte d'aucune. Au 17e siècle, le plns illustre des disciples de Paracelse, le célèbre Van I-folmont, né à Bruxelles, fut poursuivi comme sorcier, par l'Inquisition, parce qn'au. lieu de tuer ses 1'nalades comme le fais:iient la plupart des médecins de son temps, il avait le talent de les guérir. Van Helmont n'échappa qu'avec beaucoup de peine aux griffes des T-0rquemada belges, et se réfugia en Hollande où il mourut eu ] G44. Maintenant, quand la magistrature française du 19e siècle poursuit en police correctionnelle M. Hahnemann ou le citoyen Raspail, pour exercice illégal de la médecine, que fait-elle, sinon imiter servilement les procédés de !'Inquisition du ]foyen-Age? Il est vrai qu'au 19e siècle le clergé n'ose plus se mettre en avant pour décréter de sorcellerie les novateurs, mais les illustres Purgon de l'Académie <lemédecine acceptent volontiers à cette occasion l'office des familiers ,de la Sainte-Hermandad, et le bon docteur Bartholo sait à merveille sauvegarder les petits intérêts de Bazile. Cependant il ne suffit pas d'appeler l'attention de la Révoiution :;ur les abus criants qui accompagnent l'exercice de la médecine en :France. Ce n'est pas tout de signaler les déplorables conséquences de ce gouvernementalisme effréné qui permet au pouvoir de toucher à tout; il faut encore vérifier où en est la science médicale et quelle signification économique aurait une réforme universelle de la thérapeutique dans le sens in?iqué par Paracelse au 15e siècle, et développé si brillamment par Hahnemann au 19e siècle. ·J.-PH. BF.RJEA.U. •
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