CORRESPONDANCEPARISIENNE. 18 juin 183~. . C'est aujounl'hui l"anniversaire de la bataille de Waterloo, et, pour la première fois, <lepuis quarante ans, l'ambassade :wglaise à Paris ne tiendra pas la fête de comm5moration, ni donnern 1rns le festin d'honneur. Les casseroles de la gloire resteront en paix, même à Londres où le banquet annuel est interdit: ainsi le veut l'alliance intime du mo :.ent. On Yerra plus tard à retrouver les haines et les annive1:saires. • Tout est plat, triste et nul, e:1 cc pan vre Paris où foisonnent toujours le prêtre et le sergent-ile-ville : on ne voit partout que robes noires on tricornes, et l'on dirait que nous sommes envahis par • iutes les cagoules de la vieille Espagne. Les Cosaques viendront apr ; voilà les précurseurs ! Rien cle net, de clair et de <.• : sif, dn côté de l'Orient : les mystères planent toujours : .r le Danube, et ce Yaste échiquier où sont entassées t .. t dP, légions, est calme comme un cimetière. Ici, la police s'agite beauco· . Elle surveille les quelq aes hommes qui restent des .ciens cercles républcains fermés depuis Décembre, et · ,,!1 inquiétnile est grctnde, surtout, depuis qu'elle a t:-ouYé le placard suivant, affiché ~ur la porte principal::: <les quatre premières mairies de Paris : DÉCRET PROCHAIN. " Vu l'art. 68 de la défunte Constitution de 1S48 qui portait : "Le président de la République, les ministres, les agents et dépositaires ùe l'autorité publique, sont responsables, chacun en ce qui le concerne, de tous les actes du Gouvernement et de l'administration. " Toute mesure par laquelle le président de la République dissout l' Asseinblée nationale, la proroge, ou met obstacle à l'exercice de son mandat, est un crime de haute tq.hison." " Vu l'art. d11 code civil qui déclare que quiconque, soit volontairement, soit involontairement, a occasionné un dommage, est tenu de le réparer ; " Attendu que tous les complices de Bonaparte sont ~olidairement et personnellement responsables sur leurs biens des dommages qu'ils ont occasionnés; " Vu les articles précités de la Constitution et ceux du code civil, " Le Peuple rend le présent décret : " Art. 1. Le tyran et ses complices sont déclarés responsable~, chacùn en ce qui les concerne, des dommages occasionnés. " Art. 2. Provisoirement et pour garantie, leurs biens, meupe3 et immeubles, sont mis sous séq11estre sans.préjudice des autres peines. . Art. J. Défem:e est faite <tux fermiers et détenteurs d'en payer le revenu sous peine de payer deux fois. " Art. 4. Ordre est donné aux percepteurs de l'Etat de recevoir lesdits revenus au nom de la République. " Art. 5. Etat sera fait desdits biens et présenté dans le délai d'un mois par les directeurs s.e l'enregistrement des domaines, " Art. G. Un jury de réparation sera établi dans chaque département, sous la direction de la commission nommée par le Peuple. "Art. 7. Nul ne pourra faire partie dudit jury, s'il n'a été persécuté par la police des coupables. " Art. 8. Toute réclamation contre cette mesure de salut public sera considérée co1:rimeacte de rébellion et passible des peines de droit. . "Art. 9. Tout emprunt, tout impôt contracté depuis la violation de la Constitution est considéré comme acte de concussion et poursuivi comme tel sans action des prêteurs. " Ce décret est recommandé à tous les démocrates qui veulent venger la République et servir la Révolution. " Au nom du Peuple, salut aux frères et sus aux brigands ! "· , Ce n'est pas bien grave, comme vous voyez, et toutes les mesures indiquées ci-dessus ne seraient guères qu'un appendice, si l'on voulait faire dE• la bonne besogne : mais tout innocent qu'est le placard, il a mis en fureur tous les Piétri, petits ou grands. Les brigades sont en quête, les visites domiciliaires se renouvellent, mais on n'a rien trouvé jusqu'ici, et les malins disent que c'est le Petit h9mme rouge des Tuileries qui a fait le coup ! XXX. CORRESPONDANCE DE LONDRES. Londres, 19 juin 1854. . • Dernie1.•e8 nouvelles. Les conférences continuent entre· les princes. Après ··emrevue de l'empereur d'Autriche et des rois de Prusse et de Saxe à Teschen, on annonce une prochaine ,entrèvue du Czar avec le roi et le prince de Prusse. L' Allemagne fait tous ses efforts pour éviter une guerre généL'lIO}l~iE. rale. Une dépêche télégraphique annonce que le sultan vient de signer un traîté avec l'Autriche : les troupes autrichiennes occuperont les Principautés dan nbiennes dans le cas de leur évacuation par les Russes, Le Czar, qui n'a pas voulu céùer aux me,;aces de la France, veut-il gagner du temps et sauver son amourpropre en coucédant à L\.utriche la rentrée des armées russes dans les limites c!el'cmpire, à la condition de ue remettre les Principautés qu'anx troupes neutres de :François .Joseph? Est-ce lit le biais trouvé par le:; diplomates allemauds pour arrêter la guerre sans blesser aucun orgueil? Quoiqu ïl P,11soit, le maréchal PaskewitC'h, blessé à la jambe par une balle morte, a transporté à Jassy son quartier-général, et ou assure qu'il a donné or<lre de battre en retraite derrière le Pruth. La Grèce est rentrée clans ses relations orcfü1aires a\'ec les puissances· et la Tnrquie. Les bandes insurgées qui tiennent encore la campagne, malgré quelques succès, ne tarderont 1nts à regagner le royaume d'Othon où les attend uue amnistie. Le général Canrobert est à Yarna avec ~0,000 hommes. Une division anglaise de S,000 hommes est sur la route de Varna à Schumla. Une partie des flottes obse,ve les bouches du Danube, l'autre croise vers la Crimée, et doit s'emparer du petit port d' Anapa; une descente en Crimée pour occuper Sébastopol et brüler ou prendre la flotte russe, est, selon 1c Times, le seul moyen de terminer promptement la guerre. Lorcl John Russell a été réélu, sans opposition, par la Cité de Londres ; son discours , le plus décisif sur la question d'Orient qui soit sorti d'une bouche officielle, annonce qu'on ne fera la paix qu'en prenant des garanties telles qu'elles rendent impossible le renouvellement de l'agression par la Russie. La flotte française a rejoint l'amiral Napier rlans la Baltique. l,;ne escadre anglaise a visité plusieurs ports de Finlande et débarqué 1,500 soldats 11ourprendre la Banque, à Uleaborg. Les Russes ont été repoussés, le 5, dans un assaut donaé à Silistrie, dont ils ont vainement essayé d'acheter le commandant. On a dit-cela n'est pas encore confirmé, - que Mussa Pacha avait été tué par une grenade, dans cet assaut. Le nombre des troupes françaises parties déjà, ou ayant ordre de s'embarquer, est de 70,000. Le chiffre de l'armée alliée ne tardera pas à dépasser 100,000 hommes. • Les intrigues et les dissentiments des diplomates et des généraux européens Yiennent d'amener un remaniement ministériel à Constantinople. Le grand vizir (père de Vély Pacha, ambassadeur à Paris) a été destitué et remplacé par le lil.inistre de la marine, partisan dP,Reschid Pascha, lequel, par contre , a cédé le portefeuille des affaires étrangères à Chekib Pacha, et rentre momentanément dans la vie privée. . Le Moniteur publie une dépêche télégraphique de Yienne : La garnison de Silistrie a fait, le 13, une sortie, t:mdis que 30,000 Turcs attaquaient le camp russe de l'a.utre côté, pour dégager la place assiégée. Le combat durait depuis 4 heures au départ du courrier. Le général Schilders, qui dirigeait le siége, grièvement ble:?sé, a été trausporté à Kalarasch. Le 13 juiu, fatal en 1849 à la liberté européenne, lui sera-t-il plus favorable cette année, où l'anniversaire de Waterloo, le 18 juin, verra peut-être les Français et les Anglais combattant côte à côte? Salut fraternel, Ph. FAURE. UNNOUVELEROSTR.ATE. Nous avons inséré, le mois dernier, dans les colonnes de ce journal, une lettre du docteur Ernest Cœurderoy, condamné ile Versailles. Cette lettre revendiquait un •souvenir et le droit de paternité pour certaines brochures que la pudeur du parti avait ensevelies dans le silence et l'oubli fraternels, tandis qu'heureuse du scandale la police de France en avait tapi~sé ses journaux, deux mois durant.. Cette insistance du docteur Cœurderoy, au moment où l'administration française, secondée par le Times, renouvelait ses calomnies et cherchait à nous perdre auprès du peup1e rle France, ù. nous compromettre comme agents russes aux yeux de l'Angleterre, cette insistance de réclam-J lancée à fouù d'orgueil, contre les intérêts les plus sacrés, nous irrita, et, sans sortir des termes ou de la pensée de la lettre, nous la flmes suivre de quelq11es observations sévères. . • Sur ce, le docteur Cœurderoy de 11ousdécocher 1lix ou douze pages, et prétendant que nous l'avions provoqué, de demander insertion entière pour le factum. - Il comptait, disait-il, sur notre impartialité .. Notre impartfalité n'étant pas de la niaiserie, nons avons refusé de donner si large place aux fantaisiesulkraines du docteur Cœurderoy : notre impartialité n'étant pas de la complicité, nous avons refusé de discuter sur un terrain où toutes les polices nous appellent. (Lisez la corresponclance du Times- sur le citoyen Boichot.) Alors, tempête d'orgue.if, transport au cerveau, triple Catilinaire! - Nous sommes des ignorants, des chauvins, nous n'avons pas pu répondre. Que le docteur Cœurderoy di~cu~e notre intellige!lce,. qu'il la ml'>priseet la nie, c'est petit souci pow: nous : nous n'avons pas le moins du monde l'envie de r1ous mirer dans sa trousse, et son opinion, en fait de talent, nous est tout-à-fait indifférente . Mai~ le _foug~~ux docteur _se laisse emporter, un peu plus lom, _Jnsqua la calomllle contre notre caractère : il prétend, il affirme qu3 nous sommes inféodés anx hommes cle notre purti qui ont le plus d'influence et d'argent. Nous ne sommes, dit-il, que le prête-nom d'une commandite, et il passe par-dessus nous, pour atteindre les gloires cachées. Nous mettons au défi le docteur Cœurderoy de trou ver, dans notre Olympe, un autre Burgrave que notre camarade Z:mo Swi~tosb.wski. Nous sommes ùeux à tenir le Concile, jeune homme ! En vérité, n'était l'intention, ce serait burlesque. Ils ont donc l'àme bien chétive _ou lJÏen pourrie, ces jeunes gens, qu'ils ne puissent pas croire à la probité des autres à la probité dr. ceux qui, pour la Révolution, ont déjà: derrit!re eux, Yingt ans de misère ou d'exil. Est-ce que si on avait l'ambition de bien vivre et de mourir gras, on n'aurait pas trouvé, l'on ne trouYernit pas demain des conditions faci.les? Personnellement, de pareilles accusations nous touchent fort peu; mais ces rages de calomnie nous attristent: elles sont un clcs signes malheureux di's caractères et du temps. _ • ~fous, ne sommes pas les seuls sur lesquels ait passé le petit ouragan. Ainsi, Louis Blanc, Etienne Cabet, Mazzini, les révolutionnaires, les systématiques, le Comité cln Salut public, et même ce pauvre Appius Cla1.tdi1ts qui ne s'en· doutait guères, tout le monde a souffert dans cette renc_ontre a~ec le griffon. Il y a même <le pauvres journalistes qm out été dénoncés, comme préfets ou proconsuls, à_l'indignation de l'histoire ; eux qui ont vu passer plusieurs révolutions, sans y tremper les lèvres '· Après avoir ainsi pourfendu les vivants et les morts, le docteur Cœurderoy a poussé stm dernier cri de guerre, et comme on n'en entendit jamais de pareil, même sous ~e~ tentes du grand Attila; nous cr~~ons devoir le répéter 1c1 textuellement - désespéré , d ailleurs, de ne savoir, chanter : " Hommes ! c'est la veillée des armes! c'est la fête " du glaive ! Grincez des dents, défiez! riez! Fer, ré- " veille-toi! Hurrah! Allah! Alallah ! En avant!! Qu'on "songe que lr. Liberté, l'Idée, la Plume, l'Occident ne " sont pas tout; -qu'il faut compter aussi avec la Force, "l'Acier, et l'Orient, et le Nord! Dans le domai.ne de la " Fatalité ou de Dieu, nons sommes, hélas! réduits à " constater. Je constate. Ai-je dit que cela ne me dé- " chirât pas les entrailles? On verra bien qui se sera " trompé, comme résultat final, de l'Assemblée nationale " et de ses pareils ou de moi, eu faisant appel aux Co- " saques. Car les rédacteurs de l'Assemblée nationale et "moi avons, SEULS, pris des conclusions. Quant aux "républicains ile la Forme et de la Réforme, qu'ils pren- " nent donc u11 parti! qu'ils concluent! de grâce, qu'ils ". me montrent leur Orient et leur Norcl autrement qu'avec '' leurs grrrands engueulements rrré-volu-tionnaires g_ui "ne prouvent absolument rien. " Sur ce, je dis : Le nommé L. Napoléon Bonaparte a "fait du Mal et. de la Révolution! Le nommé Nicolas de " Holstein-Gottorp fera du Mal et de la Révolution! Après " les semailles, la moisson ! Après un homme, tous las " hommes ! Après cette vie, une autre ! Viennent les Co- " saques! Oui!!!. .. " Est-ce de l' Apocalypse ?.... est-ce de la haute folie de derviche tourneur? L'ou peut choisir. - Toujours estil que nous n'éprouvons pas le moindre besoin et que nous n'avons pas le moindre désir de discuter de pareilles idées et daus une telle langue. To 11t ce que nous pouvons dire au citoyen Cœurderoy, c'est qne ses considérations physiolo.9iques, historiques, et analogiques sont un galimatias_ hors de temps et hors de bon sens. C'est que la transfu3ion du sang par la guerre et par la conquête ne vaut pas la transfusion des idées par les chemins de fer et par l'imprimerie : c'est que les peuples enfants conduits chez nous par des go11Yernemens vieux ne nous amèneraient que des esclaves et des maîtres, ce dont nous avons assez : c'est que si Nicolas revenait aux rives fleuries llt la Seine, comme diraient Mme Deshonlières et Béranger, il y constituerait à nouveau la société bourgeoise, un peu mêlée de Cosaqm,s; c'est qne nous ne perdrions dans. ce naufrage, ni un peintre, ni un acteur aimé, ni une -danseuse, mais bien natre patrie et notre honneur; c'est, enfin, qu'on nous apporterait de là-bas un autre empire et un antre papisme, deux fléaux que nous connaissons. Un dernier mot avant de finir : N~us n'accu..serons pas le citoyen Cœurderoy de faire sciemment, volontairement, le service des polices impériales : il ne nous arrivera jamais de mentir à notre conscience, pas plus sur les idée~, qu'à l'endroit des hommes, même après les plus stupides provocations ; mais nous lui dirons qu'il vient tristement en aide à la calomnie des gouvernements contre les républicains et qu'il porterait un coup rude à la révolution, _si le peuple ùe nos campagnes et de nos villes pouvait l'entendre ou le lire : nous lui dirons que I out orgueil personnel est triste et chétif, devant les questions redoutables qui nous sollicitent et quand les nations en deuil attendent l'effort ccnnmun, au lieu de •la jactance isolée. • 1e citoyen Ctxmrden.ly,nous le craignons bien, a voulu
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