Homme - anno I - n.20 - 12 aprile 1854

nos pères, et là est le germe réYolutionnaire. Les temps les plus durs sont passés; la petite minorité, jusque là complètement <létach~e de la nation, a rencontré le peuple, là où elle pcn:;ait être le plus loin <lelui. 1hec quel (:tonnement on écoutait nos récits sur la commune r'usse, sur le partage continuel des terres entre les•membres <lela commune sur la simple administration par nn Starosta électif, 1,ur le vote universel dans les affaires rle la commune! Quelquefois on nous traitait ea visionn'lire!', en hommes qui av·ücut perùu l'esprit à force ùe so..i:ili....mc ... I:11 bien ! voilà un homme qHi est médiocrement rGvolutio·maire, qui publie trois volumes sur la commune rurale c•n Russie,·- Haxthausen, Catholique, Prussien, agronome et monarchiste tellement rudical, qu'il trouve le roi de Prnssc trop lib6ral et l'empereur Nicolas trop philantropc ! Les faits r,chtés par nous sont débités in extenso par lui. Je ne répétc•ra.i pas encore une fois tout ce que j'ai dit sur cette org.misation rudimentaire rlu s'!lf-government ùes communu;, où tout e:::télectif, où tous sont propriétaires, quoi'lue la terre 11'.1ppartienneà personne, où le prolétaire est une anormité, une exception. Vous la conntiissez assez ponr comprendre que le pe: 1Jple russe, le malheureux qu ïl est, écrasé en partie 11arle servage et entièrement par le gouvernement qui le méprise et l'opprime, ne pouvait suivre l'exemple de:speuple:; de l'Europe clansleurs ph:iscs révolutionnaires complètemenf urbaineset qui aur:iicnt immédiat--ment attaqué par la base l'orgauisation communale. Au contraire, la révolution qui s'accomplit maintenant se trouve placée sur le même terrain-et nous verrons qu"I sera le résultat de cette rencontre, Conscr\'erla commune et 1e1~dre!'.individu libre, étenùre le se~Jgorernment de la com.. une et du c!i,trict (Volost) aux \'illcs et à l'Etat er1tier, et maintenir !'Unité nationale, dércloppcrles droits personnels et maintenir l'indivisibil:té de la terre-Yoilà la ques,ion révolutionnaire }>Our la Russie, la m 'me qne la grande aul anomie ~ociale dout la solutionincom11lèteagite tant l'Occident. L'Etat et l'inùividu-l't\.utorité et la Liberté--le Communismeet l'égoïsme (clans le sens large du mot), ce sont les colonnesherculéennes de 1...grande lutte, de la gra11de (popéerévolutionnairo. L'Europe oppos'e une solution tronquée et al1Straitc. L:iRussieune autre tronquée c:t s1.uva'ge. ~l synthèse sera faite var la Révolution. Les formules soc:alesne président jam,tis à leur réalisation que vaguement. Les peuples Anglo-Saxons sont parvenus à émanciper l'individu en niant l:::, commm:auté, en isolant l'homme. Le peupleru~se conserYe la ccmmunauté, en niant l'individu,en absorbant l'l1omme. Le ferment qui devait mettre en mo11vement la masse des forces inertes endormies par le patriarchalisme communal, c'est le principe de l'individualisme, de la volonté personnelle.Ce forment entre dans la vie russe par une miefüang~re, s'incarne dans un tzar révolufrrnnaire, qui • nie la tradition, la nationalité, qui divise le peuple en deux. L'empirerusse est une création du XVIIIe siècle, tout ce qui a été con~u dans ce temps portait Eë. ;,;oides ge:rmts réYolutionnaires. Le palais célibataire de Fr6dëric JI et la maison de correctionqui Servait ÙC f('.l l;S Ù S011 père, n'étaient nullementmonarchiques comme l' Escur;,11 ou le:; Tuileries. Il y a\'Jit un air âpre, matinal, dan~ le noJveau royaume; il y avait quelque choge de simple, de se', <lepositif, de rationnel,-ct c'est ce qui tue la religion et la monarchie. Demêmeen Russie. Pierre I rolilpit \iolcmment avec la trad'tion Bysantinomoscovite.Homme de génie, il aim üt le pouvoir brnucoup piu,que le trône, il a.;issait plutôt 1,ar la terreur que par la m~jesté, il détestait la mise en scène., cc qui est très importantpour la monarcl ie. L'or;pnisatiou de l'empire russe est de la plus h'llltc s;mplicité. C'est le gouverne•YJentdu docteur Francia. au Para~uayappliqt:é à un peHple de 50 millions d'hommes. C'e~tla réalisation de l'idéal bon aparti 1tc : le peuple muet,sans droits, sans défenseurs, hor:, la loi, et, Yis-r:.- YÎS ùelui un minorité entrainée, prot6gée, at:noblie par legourcrnement et qui forme l'adrr.iiiistration. La Russie est, ù h lettre, gouvernée par les aide-<leomps, les on1onn:rnces, les copi"tes et les esta~~,t.t;.s. Le !foat, le comeil d'Etnt (c:-{-,:tionpost~ric1,rc.), les mi,1isùes - ne l:.Ontque cles chancellcrirs, où on ne discute pas,m::isoù on exëcute; où on ne tldibère pas, mais où tn transcrit. Toute l'administration ne reprt'.-entc que les bras d'un tGlégraphc par lequel l'homme du Palais d'hiver an:ioncesa Yolonté. Cetteorganisation exp ~<lifr,e antonntitp1e, est beaucoup rnoi!lsatt~qu:i.blcpar la bas~ que par le crime. ' Jhns la monarchie, le roi tué - la monarchie reste. Chez nous, l'emprrrur tué, - la discip1ine reste, l'ordre bureaucratiquereste - pourvû que le télégraphe joue - il seraobéit.... On peut demain chas ;er Kicolas, mettre à sa place Or,offou je ne sais qui, sans la moiudrc secousse. Les affaires 'expédieront avec la même pr6cision, la machine continueraà fonctionner, à transcrire, à transmettre, à répondre,-les machinistes continueront à voler et à faire du z ~le. L'impératrice Catherine II a eu peur de cette terrible et muetteomnipotence, de cette obéissance illimitée d'a1' HO~I ii E. gents et a·esclaves qui servent celui qui ordon~e, dont l'obéiss·rnce survit mêmo au maître. Elle voulait appeler la noblesse à une existence plus indépendante, pour :woir nn entourage attaché librement à elle et à la couronne, Si:r lequel elle pût compter. Le silence <les copistes et des e.ll.écuteurs effraya la femme de Pierre III! C'est dans le même silence qu'Alexis Orloff étrangla son maitre emprisonn~, que les copistes écriv:i.ient : " S. M. daigna mourir," et les exécuteurs exécutaient quiconque ne le croyait pas. Ces 110:ivelles organisations étaient vraiment 6tranges, surpreauntes. On n'a jamais sérieusement réfléchi sur leur caractère excentriq;1e, mélange exotique de démocratie et d'aristocr:1tie, du despotisme le plus illimité et <le droits d'élection très étendus, de J ean-le-Tcrrib!e et de Montesquieu. Tontes ces institutions portent le double cachet de la périorlc <lePierre I et cl 'institutions 1w...ionales peu formulées, qui s'épanouissent par l'influence organisatrice <les idées de l'Occident et qui les modifier t à leur tour dans un sens qui leur est presque contradictoire. Des juges éligibles et éligibles pour 6 années, cles juJes ap~trfenant aux trois classes, à la noblesse, à la boL,rgcoisic et aux paysans, et point du tout d'état j11dicia ire! Chacun <le ceux qui ont le droit de prendre part aux élections l)CUt être C:lu juge. L'absence de l'ordre jJcliciaire est un des faits des plus graves. Un ennemi de moins-et quel ennemi ? l'autre homme noir, le pendant laïq11c du prGtre, et le ganlien mystérieux de la loi humaine qui a le monopole de juger, de condamner, rle romprcndrc la rati.u scripta. Il est très drôle de voir des or.icicrs d,! ca.:alerie démissionnaires, devenir juges par é'cction, sans rien connaître aux lois et aux proc6dures; mais il est d'aut,·e part bien triste de déclarer tous les hommes incapables à st'ltuer sur un fait à l'exception des experts en robe, qu'on a élevés ad !toc. Si les juges élus sont mauvtis, t::nt pis pour les élnctcurs, - ils sont majeurs et savent ce qu'ils font. l\fais, élit-on, la jurisprudence ne vient pas avec la barbe, les lois sont si compliquées, qu'il faut de longues annéc-i, de grandes études, pour se rccomrnitrc dans le <léllale judici~ire ... C'est nai -pourtant il ne s'en s11it pas qu'il faille préparer Ù;}s l'enfance une classe entière à comprendre ces lois, mais bien qu'il faut jeter ces lois au feu. Les rapports des hommes sont très simples. Ce sont les formalités, les r6miniscences, c'est la poésie de la robe, les fiorituri de la jurisprudence qui embrouillent les questions. • En Russie, le tribunal est composé d'un membre élu par la noblesse, d'un autre élu par les bourgeois, d'un troisième élu par lès paysans libres. Denx candidats sont élus par la noblcsso 1>ourl'emploi <luprésident. Le gouvernement choisit l'un des deux et envoie de son côt6 un procureur investi du droit <lesuspendre chaque décision et d'en référer au sénat. Si on se rappelle que les procureurs appartiennent aussi à la nobk sse, on voit ch irement que l'actioll du jubeassesseur bourgeois et du juge-assesseur paysan est paralysée dans tous les ras <l'opposition. Pourtant ils ont le plein droit de protester et <le faire passer l'affaire au .sénat. Cela ne se foit 11ue bie11rarement. La raison en est simple: c'est que le sénat, qui n'a aucun élément ni popu 1airc, ni électif, e.;t tonjoura d'accord e.vec le parti nobiliaire et gouvernemental. Ce que nous occupe à préseut, c'est la norme et noa l'abus. Pensez au cadre, à la puissance possible dans l'aveni,, et non à l'application actuelle. Il y a une dizaine d'années, un homme intègre, austère, un vi'cux négocbnt de Moscou fut élu maire de cette ville. Le rn:;.ire des villes est chargé de la surveillance des affaires financières de la citE:, il administre les revenus, les dépenses. Ordinairement c'est un millionnaire qnclco1111uc,aimant à poser dans les fêtes officielles,-qui est élu, il donne des dîners monstres, des bals monstrueux et signe tout ce que le gouvernement veut et tout ce que les employ~s désirent. Le mafrc de l\Ioscou, Chcstafî, comrrit r,utrcment ses fonctions. 11 cou1Ja tellement les a·1 •s ,!nx Yolc1:rs officiel~, que le gr-:nd maitre de police lui déchrn une i;•1errc aclw.rn6e. Le 11égoci,,mt l'accepta, la lutte finit par la c:rnte compl~tc du général de la police, _. ]lais cc ne rn:1t pa:. seulemeut les juges qui sont électifs. La ;,o7ice d:.-sdistricts est élective. Le capit::iinP. de rolice, e:t en rartie ses as..,csscurs, sont élus p:n la noblesse. Li où finit la police du district, commence la commune rurnle,- avec Sùll ù parle: son staroste élu, sa police élue; aYcc son absorption de l'individu au nom d'un commnnis ·1e trn<litionnel et natio1,al. Là où commence de l'autre ctté la centralisation gouvenlt'mentale, c\:st-à-11ire, ::iu-dcssns de l'admi,1istratio:1 locale tles provinces, là finit trntc trace tlu choit imli"i<lnel,- l'i111lividuest complètement ab~orbé, anéanti par la dict·•t1,re <lePétcrsbourg, au ncm de l'autocratie la plus absolue et la moins slave clu rn0nde. Le seul milieu où les idées cl11nroit personnel et les idées révolutionnaires puissent se produire, se sont la noblesse et la bourgeoisie. L'influence de la bouri;eoisie est moindre en Russie qu'en Europe,-non seulement parce que le développement industriel a été moindre, mais encore parce que la haute bourgeoisie passe facilement dans la noblesse (les employés <lel'état, les négocians les plus riches, les artistes, les décor~s, etc.~ 1 Nous :ne connaissons pas encore 11otre bourgeoisie comme force morale. Elle s'est montrée dans tous les cas extrêmement rétrograde, conservatrice, orthodoxe, servile et patriotique plus que de besoin. Opprimée, cachant sa richesse et se cachant à elle-même, elle reste muette, elle s'efface, bàtit des églises, distribue des secours aux pauvres et aux prisonniers, donne des cadeaux à tous les employés ... et accumule des :-:iillions. Ce n'est que la nouvelle génération qui, ayant reçu mie éducation tout-à-fait europ6enne, p'trtagera nos idées révolutionnaires. La noblesse chez nous est plutôt une administration qu'une aristocratie. La naissance, les titres de prince et de comte, l'ancienneté du nom, l'éteudue des possessions ne donnent absolument aucun privilège. C'est le rang de service qui les donne. Lorsqne deux générations des nobles n'ont pas servi, b gouvernement peut ôter la no)Jlcsscaux héritiers. Cette universalité des services en change le sens. Ser- \'Îr le gouvernement en Russie n'a pas le sens que les Franç:i.is attachent à ce nom, c'est-à.dire le sens d'être un agent du gouvernPment, une âme damnée du pouvoir. Tous les conspirateurs du l-1/?G Décembre occupaient des places dans le service. Une distinction parfaitement tracée se fait dans l'opinion publiqne. Entre les employés réels, dévoués, pleins de z~le, les employés par goût et les employés qui ne sont rien de cela. L~s J>remi rs rnnt quelquefois craints, mais jamais respectés. Les autres forment presque exclusi\·em2nt la société in1lépcndante dans les capitales (t clans les provinces. Cette classe est 'lssez nombreuse, si on y compte les offü:iers qui, en général, sont loin d'être sen iles et m:rnvais, comme les emp!oy~s civils, les hommes qui ont quitté le service à. 2 J ou 2ü ans, les propriétaires 'lui demcnrent dans leurs terres et ne serccnt que lorsqu'ils sont llùs p::r la noblesse. C'est là. que l'étlncation uni-verselle et polyglotte a produit les l10m:ues les plus inclépcndant1: de l'Europe. Le despotisme: écrasant, l'absence <lela parole, la nécessité <l'être toujours sur ses ga~ùes, ont habitué la pensée à la concentration, à un tranil intérieur, hardi et plein de haine. La littérature mod.:-rne a.dévoilé r.e qu'il y a <lepassions sourdes, accumulées dans la P'JÎtrinc russe. L'opinion de la minorité civilis6e le constate aussi. S:,ns peur et sans remords ()Il arriva au socialisme en politique, au réalisme, à la nég:üion de toute rdigion en philosophie.~ Le socialisme unit les révolutionnaires Cl.llopéens aux révolutionnaires panslnves. Le socialisme ramena le parti révolutionnaire au peuple. C'est très signific:itif. Tandis qu'en Europe le socialisme a1>paraît comme un drape:tu de discorde, comme une menace; chez nous, il se lève comme l'arc-en-ciel des révolutions, commt. une esp6raY:.ce. :Maintenant que vous conni.issez un peu les éléments de la vie russe, vous êtes à même de voir qu'il est de toute impossibilit(;! de foin· un pas en aYaut, sans eutrer dans une phase révolutionnaire on d,ms une guerre européenne, Toutes les questions vitales sont posées de manière que leur solution nous entrai11e de toute nécessit/\ à une réorganisation sociale, à moins qu'elle ne soit différée par une préoccupation extérieure. L'émancipation des paysans, chose si facile dans les autres pays, est impossible sans la concession de la terre; l'émancipatic:1, l'émanci11ation a1:ec la terre, c'est l'expropriation partielle de la noblesse. Les conditions d'existence de la noblesse seront chaugées, àYec elles ses rapports an gouvernement, et n'oublions pas que la juridiction et la police cxtra-urhaine appartiennent à la noblesse, et que la noblesse de chaque province est organisée en corps clélib6rant avec les mar6c11aux, ayant des réunions régulières. Si un homme énergi(lue occupait le trône russe, il se mettrait à la tétc du monvcment émancipa~eur; il couvrirait d'une véritable gloire la !L1 de la période <le Péter31Jou~g et il aurait hâté un mouvement inévitable qui, à défaut de cet homme, cnglout; !'a le trône ; mais pour cela, il fallait être J:licrre Ier et non Nicolas. Pcnuc.ttez-moi d'expliquer ma pensée daxantagc. Cc n'est pas seulement l'alJsolutismc, comme tel, q1li empêche en Ru:;sie tout progrès. Le d"spotisme d~ Percrsbourg conserve, comme nous l'avons <lit, sa' forme dictatoriale, r6volutionnaire, clénnée de tradition et de princi1>e,-c'est une machine de guerre, cb lutte, qui pourrait senir à d•vers usages. ?.fois le pli abominable que le gouverne_ ment russe a pris dans toutes les que~tious de l'intérieur d"puis le 26 Décembre 1:::25, le rrn,i arfaitcmcnt inca-' palilc de faire quelque chose <le hou. ~ icolas a immensément rétrogradé et cela n.vecune mnlatlrcsc surprenante. Kic<'las vo •lut (lt:•s le commencement de son règne être plns Tzar qu'Empcreur - mais faute cle comprendre le génie slave, fau:c cl'en avoir l'intuition, il n'y parvint pas, tt se 1JOrn!l. à persécuter toute a<;pirntion ver:; la liberté, à étouffer tout désir ùe 1>rogrès, et à arrêter tout mouveme1 t. Il Youlait faire de son Empire une Bysance militaire. De là son orthodoxie de parade, froide, glaciale comme le climat de Petersbourg. Nicolas n'a compris que la compression, que lïmmobilité, que le côté chinois dfr la qucstiou. Il n'y a dans son système rien d'actif, ri1m de national même, il a cessé d'être européen, sans devenir russe. Pendant son long règne, il a touché à toutes les institutions, à toutes les lois, pour y introduire un élément de mort - de paralysie. La nobleese ne pouvait devenir une easte dose, id.ce-

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