Homme - anno I - n.16 - 14 marzo 1854

par ~uitc d'nne fistule et ne rêv:mt qu'héritier, énervé et insatiable, incapable de travail, infatigable an plaisir, réglant ln. politique au bal, incrédule et fataliste, hypocrite et superstitieux, soldat du pape et croy,mt à l'étoile, allant de la messe il l'orgie, avalant le champagne à l'e:tu bénite et le bon Dieu aux truffes, en communion de Saint-Arnaud, le diable ermite ! Non, honnêtes vens, vous ne pouvez aimer et estimer cet Alibaba empereur, qui a fait du Louvre une ca\'erne et de l'histoire de France une hi,toirc de voleurs, q,1irésume à lui seul tontes les hontes, toutes ]es démences, toutes les misères, toutes les monstruosités de l'ère de Césa:-s, toutes les profusions de sang, de vin, d'argent des douz~ Augu_stcspayens, qui démolit la capitale pour la rebâtir à sa guise, qm donne le sportule au peuple de Paris avec le cienier des provinces, qui i:11posePersigny pour consul, <1uifait voter la sauce de ses turbots au sénat, qui a pour ministres des confidents de tragédie et d~ • valets de comédie, des complaisants et des co!11plices,des Cr: ··)ins et des Narcisses, des fripons et des sicaires, des Baroc ·, et des Magnan, exécutant en muets de sérail ses ordres , • ;croquerie et de tuerie et mangeant son reste de la France apr· lui; cet ogre toujours en fête ou en crime, frêlon en manteau t'. 1beille, attablé au budget, digérant malgrê famine ses 50 millior . le 24e du revenu public en liesse, au profit des pauvres, cette id. -:hinoise, aussi ridicule qu'odieuse, qui a des prêtres laquais et , gfoêraux chambellans, ce grand Lama de France _qui s'em ·me de porte-clés, de porte-queues, de portem?ucho1rs, de p ]-coton, de porte-cuvtte, qui se dêguise en Dieu de l'Olymp~. !l empereur de carnaval, en roi de mardi-gras, qui fait cour ou 1 .,,\Ôt courtille, tantôt en Vulcain aux Tuil~ries, tantôt à St.-Clou,l_ <'nNapoléon, tantôt à Compiègne en Louis XV, et qui dit sans doute comme ce roi bubon : après moi le déluge! Non, non, ce coupe-bourse, ce boute-feu, ce casse-cou, ce faiseur de cour:, d'état, de coups de main et de coups de tête, n'est pas votre homme et vous ne l'aimerez jamais, bien qu'il ait mis sa face immonde sur les pièces de cent sous. N;,us savons bien ce qui vous plairait, permettez-nous de vous le dire encore pour finir, Si vous êtes moins arriérés que l'Empire, vous êtes moins avancés que la République. Donc point d'extrêmes, ni République, ni Empire, ni Restauration; ni ai0 le, ni lys, ni niveau. Vous voudriez encore dujuste-milieu, un peu de danger avec un peu de salut, une royauté citoyenne entourée d'institutions républicaines, la meilleure des républiques, une monarchie constitutionnelle, parlementaire, avec chambres, presse, cens, etc., avec le coq, cet aigle domestique, clairon familier de la journée, réveil-matin de vos ouvriers. Vous voudriez revenir à vos moutons d'Orléans, aux rois qui règnent et ne gouvernent pas, aux premiers ministres, aux beaux discours, aux bons mots, aux gros budgets, dans vos mains hien entendu, à toute cette représentation à votre bénéfice, c'est-à-dire le pouvoir, l'argent, l'influence, l'autorité, la souveraineté nationale toute en vous! A ce prix, vous vous arrangeriez même de la République, d'une républi<fue royale, à patrons et à plèbe, à maîtres et à esclaves, une république bourgeoise enfin. Malheureusement rien de tout cela ne se peut plus, Nous ne vous prenons pas en traitre. Pour notre compte, nous vous le disons net, nous ne voulons plus de prolétariat. Nous nous souvenons du mot de Sieyès : Qu'est-ce que le peuple? Rien. Que doi~-il être? Tout. Plus d'intermêdiaire, de terme moyen, de transact10n, de juste-milieu possible. Vos chers princes eux-mêmes vo~s en ont donné les premiers la preuve par la fusion. Ce sont eux 9m vous ont planté là: c'est Richard qui t'abandonne, ô Blondel! ils vous ont donné le mot de la situation, l'exemple du sacrifice au principe. Prenez-en votre parti, il n'y a plus que les extrêmes ! ou la République ou l'absolutisme I princes, rois, empereurs et peuples, tout le monde maintenant est d'accord là-dessus. L'oncle l'a ,dit lui même : République ou Russie ! Nicolas le pense aussi : après Février, il se tenait coi dans ses ghces ne ,•oulant plus se mêler de l'Europe; après Décembre, il est €11 marche sur Const~ntinople, rêvant 1812. Enfin, nous Républicains, nous vous disons, comme les envoyés de Rome au roi d' Epire :Choisissez! ou la révolution ou l'invasion ! Bourgeois de France, c'est aujourd'hui le 24 Février 18{i4 ! nous ne croyons pouvoir mieux céléln·er l'annivereaire ou plutôt la commémoration de la République de 18, qu'en vous faisant un dernier appel en son nom, qu'en vous donnant la main pour sauver tous ensemble la Patrie, la Liberté, la France et l'Humanité! nons le pouvons encore! Certes, ce n'est pas pour n,~?-sque n_onsvous par~ons. Nous prenons Dieu à témoin que, s 11 ne fallait que blanchir et mourir dans l'exil pour détourner le malheur qui menace, vous n'entendriez pas mùme un soupir de nous. Nous sommes les disciples de cenx qui disaient : périsse même notre mémoire et que la patrie soit saurée ! Comme la Cassandre antique, nous prévoyons, nous prédisons le péril et nous serons les premiers à en tomber victimes. Ecoutez donc ces voix désintéressées, dévouées de l'exil, qui vous crient : proscrits de vos droits, bannis de vos libertés, vous êtes plus exilés que nous ! Ecoutez ces voix de la prison qui vous crient: enfermés dans la peur et gardés ~ar la haine, vou~ êtes plus prisonniers que nous! :E:ccutez ces voix de la tombe qui vous crient : rongés et souillés vifs par les vers de l'Empire, vous êtes plus morts que nous! , Pour votre honneur, votre liberté, votre, salut réveillez-vous, ranimez-vous, relevez-vous! et si vous êtes sourds à ce triple chœur ~e l'exil, de la prison et de la tombe, que le cri de la patrie en danger vous ressuscite ! il est temps, debout ! La France est en danger de mort. Ah! quelle que soit notre foi profonde dans le pro~rès, dans l'avenir, rhns la vie éternelle de l'humanité, quelque certitude que 11ous ayons que le bien sort quand même du mal, nous, enfants de la patrie, nous ne pouvons pourtant pas penser sans trouble que l'Europe survivrait à la France. 0 patrie! ô mère ! ô sainte nourrice du droit, source féconde de lumière et de vie, toi qui as conçu, porté, enfanté dans la douleur, allaité de ton ~ang et de tes larmes la liberté du monde, rlois-tu périr de ton subh_me enfantement? non, non ! rappelle tous tes fils à ton a,ide, les vivants et les morts, bourgeois et prolétaires; crie-leur au secours ! à moi ! tu es menacée, ils te répondront tous, oui tous, même ce fou qui préférait en pleine tribune l'étranger aux Républicains. Il accourrait lui-même, peut-être, pour expier son blasphème, son blasphème isolé, Dieu merci ! Le parricide n'est pas de son parti. C'est un crime d'aristocrate, ô Bourgeois, et vous n'êtes pas encore nobles! Vous Êtes toujours enfants de la France, com~e nous ; i:iouscroyons encore à votre patriotisme ! vous ne pourriez pas voir sans horreur la profanation du sol sacré des anc~tres et des enfants, 1: Russe au sein de la patrie, la nation frappee au cœur dans sa vie et son honneur, 12.France polluée, violée, restaurée, démembrée et partagée cette fois, tuée ! no:1! vous répondrez à notre appel! Venez à nous! rapprochez-,,ous ! ralliezv?us promptement, franchement, fraternellement ; ne soyez pas pnes que les princes, pas moins frères que les rois. Notre cause est commune comme notre berceau ; notre intérêt est commun comme _notre ennemi. Réunissons-nous donc! l'heure presse; chaque JOur est un opprobre et un péril de plus. N'attendez pas cette mortelle alternative de laisser envahir le pays ou de défendre l'Empire. L'Empire ne peut ni sauver, ni être sauvé. Il a perdu la France deux fois avec lui; nous vous redisons avec le vaincu. de l'île d'f:lbe et de Sainte.Hélène : République ou Cosaque. La Révolution seule peut trancher le dilc1.1mc; la Révolution seule peut sauver la France; elle l'a dlljà s;, '.Véeune fois! Car la Révolution c'est le droit, et avec le droit, ,a France peut lutter avec le monde. Elle l'a prouvé en 93; oui. m~is alors la Révolution règnait, elle avait la force, elle disposait de pouvoirs de la nation. :Pour repousser l'ennemi du dehors, il faut qu'elle soit quitte de L'HO~I~IE. l'ennemi du dedans; il fau: qu'elle soit souveraine maitresse du pays pour le défendre. Les 1ournécs des 9 et 10 aoüt ont précédé les tno~p_hes de _Valmy et le J emmapes et la prise des Tuileries a assure l cvacuatlon de la Fance. Aux Tuiledes ! à bas l'Empire! à bas l'empereur! vive la Frnnce ! vive la République Démocratique et sociale Universelle Le Corniti:dela Commune révolutionnaire, Félix PYAT, IorcHOT; pour CAUSSIDIÈRr:absent: RouoÉ, supJléant. Londres, 24 F~vrier. MORTETFUNERAILLES Du ~itoyen G~oI•i,îeS Gaffi1ey, IH"OSCi•it •~an~als. Encore un martyr de la liberté qui tombe et meurt sur la terre étrangère; encore un de ces vaillants que le plomb de Bonaparte n'a pu abattre et qui s'éteint loin de la patrie. La proscription de Jersey pleure de nouveau un de ses membres bien aimés, une des victimes du Deux Décembre. Le citoyen Georges Gaffney,journaliste au Hâvre avant le coup d'Etat, proscrit depuis cette époque, a succombé le huit mars 1854, à St.-HélieT, à la suite d'une maladie de poitrine, résultat d'une douleur morale. Triste conséquence des souffrances créées par l'exil, et de cette souffrance bien plus grande encore prenant racine dans l'âme du démocrate sincère, lorsqu'il voit son pays livré à la honte et au despotisme du joug bonapartiste. Gaffney est mort comme un soldat sur le champ de bataille : il est tombé proclamant' ses convictions jusqu'au dernier moment, faisant des vœux pour la résurrection de la République et repoussant, ainsi que Lamennais, la présence d'un de ces prêtres catholiques dont le métier consiste à tromper les hommes et les peuples, afin de les livrer plus facilement à la tyrannie du pape, - cet abrutissement de l'intelligence et du cœur, - et à la tyrannie des rois,-cette négation de la dignité et de la liberté humaines.-Rien n'est venu troubler la fin de Gaffney ; il n'y avait à ses côtés aucun des sujets de Pie IX, le saint bourreau des Romains. Ceux qui l'entouraient, ses amis, ses frères de lutte et de malheur, lui ont seuls porté leurs encouragements et ont senls recueilli ses dernières espérances. Gaffney avait vécu en républicain loyal, il est mort en philosophe convaincu. Honneur à lui ! La fin prématurée de cet homme de bien - Gaffney, hélas ! n'avait que trente-cinq ans! - a jeté une profonde douleur parmi toutes les proscriptions habitant Jersey. Quiconque avait connu Gaffney savait que s'il n'avait jamais cessé d'avoir un bras intrépide dans le combat, un jugement sür dans le conseil, il possédait aussi un cœur dévoué, une âme aimante, une loyauté chevaleresque, un dévouement et une abnégation à toute épreuve ! et chacun reconnaissait que de telles qu~\ités, trop rarement réunies, étaient précieuses pour la Révolution future. Ce n'est donc pas seulement un homme regretté que le trépas enlève à ses amis, c'est encore un brave lutteur et un bon conseiller que la République vient de perdre. Les funérailles de cette nouvelle victime du coup d'Etat ont eu lieu le 10 mars. Comme si chaque malheur de la démocratie devait lui apporter une consolation et un espoir, le spectacle imposant de la cérémonie funèbre disait à tous que si h Révolution est terrassée, elle n'est pas vaincue ; que les monarchies, malgré leurs bourreaux et leurs valets en uniforme et en soutane, ne tneront pas la vérité, défendue par ces hommes qui portent en eux l'idée et la ferme résolution de la traduire en fait. Plus de !50 proscrits, - débris des grandes batailles q1:1lea démocratie a livrées sur tous les points du mondeplus de 150 proscrits réunis sous le drapeau emblême de la Républic1ueuniverselle, sous le drapeau rouge, attendaient dès le matin la dépouille funèbre du citoyen Georges Gaffney. Le cercueil arriva, couvert d'un drap mortuaire et suivi du frère de notre ami, proscrit comme lui, accouru de Londres pour rendre les derniers devoirs à son frère décédé. Aucun prêtre n'escortait la bière. Le mourant avait repoussé l'homme noir, le cadavre ne subissait pas son contact. Qu'aurait fait, <l'ailleurs, un agent de Rome auprès de la cendre d'un républicain mort en proclamant ses convictions inaltérables? Le cortège se mit en·route, au milieu du plus grand recueillement. Il y avait là des fils de toutes les patries opprimées; H y avait là, côte à côte, des jeunes gens, presque des enfants, que deux dignes frères - l'empereur de France et l'empereur d'Autriche - ont frappé do.smêmes persécutions ; il y avait là des hommes que l'âge a müri, des littérateurs, des philosophes dont l'esprit humain s'enorgueillit; des soldats dont la valeur et les ha11ts-faits laisseront un souvenir éternel dans les fastes d.ela guerre émancipatrice ; des travailleurs au bras fort, qui ont mis ce bras au service de la Révolution, parce qu'ils savent que la conséquence de la Révolution sera, cette fois, le bien-être du peuple ; il y avait là d~s vieillards attendant le triomphe du droit avant de descendre eux-mêmes dans'la tombe; il y avait là des femmes, des enfants, compagnons de leurs maris, de leurs pères, toute une nation nouvelle enfin, affirmant, au milieu du pass~, et derrière un cadavre, îe règne de l'avenir. Quatre proscrits, - Hongrois, Polonais, Italien, Français - tenaient les coins du poële et accompagnaient le char_mortuaire, ombragé et pour ainsi dire protégé par un 1mme11sedrapeau rouge ; venait ensuite le frère de Gaffney suivi de la foule triste et recueillie. Bien des paupières étaient mouillées, bien des bouches rappelaient les qualités tlu défunt, bien des intelligences se demandaient combien de ces victimes de l'injustice tomberont encore à l'étranger, combien ne rcYenont plus leur père, leur femme, leurs enfants!. .. Hélas ! Arrivé au cimetière de St.-J ean, le cortège s'arrêta • tous les fronts se découvrirent avec respect, le corps fu ~ descendu et placé dans une fosse proche de celles <lescitoyens Bou~quet et de la citoyenne Louise Julien, proscrits français morts à Jersey depuis moins de deux années. A cet instant, le citoyen Bonnet-Duverdier au milieu du plus profond recueillement et de la plas ~eligieuse attention, prononça, d'une voix émue, l'adieu qu'au nom de la proscription entière, il adressait à Georges Gaffney. Voici ses touchantes paroles CITOYENS, La tâche qui m'est imposée serait lourde pour les plus éloqu;nts d'entre nous; c'e_stdire _assez que P?ur moi elle est plus qu accablant:, elle est 1mpos~ible : le sentnnent du devoir a pu seul me la faire accepter. Que votre bienveillance me vienne en aide pour essayer de l'accomplir. Citoyens, la mort est en permanence dans nos rangs comme le crime est en permanence dans nos patries ; la loo-ique est inépuisable, et chaque victime qui succombe ici est un"'effet dont la cause, le bourreau, règne ailleurs. C'est la quatrième fois aujourd'hui qu'un devoir sévère nous ~mène autour de ce tombeau dont le témoignage impartial et implacable ne nous fera pas défaut quan<l aura sonné l'heure des grandes revendications. Hélin, Bousquet, Louise Julien, Georges Gaffney, tel est le tribut payé jusqu'à ce jour au crime triomphant par la proscription de Jersey. Combien ont succombé ailleurs dont les tombes crient malédiction ! comme celle-ci. .. Combien à Londres, en Belgique, en Suisse, en Piémont en Amérique, en Espagne : partout ? ' Combien dans les prisons, à Belle-Isle, à Cayenne, en Afrique, à N ouka-Hiva, qui pourra jamais le dire? qui le saura jamais i Citoyens, le 23 avril 1854, à pareille heure, ici même, sous les plis du même drapeau, au milieu du même recueillement, nous venions porter à cette tombe sa première proie; sur l'autre bord de la fosse, en face de l'éloquent orateur qui parlait en notre nom ce jour-li\, et dont l'absence ne ee fait que trop vivement sentir aujourd'hui, un homme jeune, au visage pâle et am"aigri, à l'œiI fiévreux, s'abandonnait, avec une émotion sympathique, à la double fascination de l'éloquence et du tombeau. En ce moment, la même cl!rémonie nous rêunit autour de la même tombe qui vient de œ rouvrir. Où est le grand jeune homme pâle qui se tenait debout et ferme, là, en face de moi, il y a moins d'une année? Vous chercheriez en vain autour de vous, amis ; abaissez vos regards ; le pied lui a glissé ... il est là! Vous n'attendez pas de moi, citoyens, la. biographie, l'oraison funèbre de l'ami à qui nous rendons le dernier devoir; un ami d'ancienne date de Gaffney, dont l'absence involontaire affligerait le mort s'il restait place pour l'affliction au-delà du tombeau, aurait pu accomplir avec l'autorité du talent et l'éloquence du souvenir ce pieux et saint devoir. Moi, l'ami de la dernière heure de celui que nous pleurons, je ne vous dirai de sa vie que ce qu'il nous en faut savoir pour méditer avec fruit sur sa triste mort. Georges Gaffney, né de parents irlandais, naturalisés français, a passé au Hâvre sa jeunesse, je veux dire sa vie, car il meurt à 35 ans. Républicain depuis l'âge où l'on commence à penser par soimême, Gaffney, pendant de longues années, sous la monarchie et sous la république, a combattu avec ardeur dans la mêlée toujours périlleuse du journalisme; bravant procès et condamnation, il est resté ferme à son poste jusqu'au dernier moment, et la nouvelle du guet-apens nocturne du bandit de Décembre est venue l'y trouver; aussitôt, sans hésitation, Gaffney jette là sa plume désormais impuissante, et court à Paris prendre sa place au premier rang des intrépides défenseurs du droit violé, de la justice, assassinée, du peuple mitraillê; mitraillé n'est pas assez dire, du peuple odieusement trompé par l'immonde trompeur ! De retour au Hâvre Gaffney est empoigné, comme tant d'autres, comme vous tous, par d'ignobles argousins et jeté dans les prisons, ces tombes anticipées qui ne s'ouvrent que sur l'exil, Cayenne ou l'Algérie, devenus pour tant de nos frères déjà des tombes définitives. La voile qui emportait notre ami sm-la terre d'exil disparaissait à l'horison juste au moment où arrivait au Hâvre l'ordre télégraphique de l'embarquer pour l'Algérie. Le crime est insatiable en ses fureurs : pour fait de propagande au Hâvre, l'exil; pour acte de résistance à Paris, un bagne en Afrique ; deux condamnations pour un double devoir accompli. Eh bien, soyez satisfaits, buveurs de sang farouches, la mort vous rend tout entière cette proie dont l'exil vous avait pris la moitié ou plutôt .. ,,., mais refoulons un instant les réflexions qui nous oppressent pour dire cette mort qui vient de mettre fin à une agonie de deux années. Gaffney à peine arrivé en Angleterre est rejoint par sa jeune femme dont l'affection et le dévouement allègeront, en les partageant, les souffrances du pauvre exilé. Mais le fardeau de l'exil est trop lourd, même quand on est deux à le porter, et bientôt l'épouse tendre et dévouée, après quelques mois de consolations prodiguées au compagnon malheureux, se sent prise de désolation à son tour, et une maladie de langueur, résultat de ses tortures morale~, la clone bientôt sur son lit qu'elle ne doit quitter que pour la tombe. De ce moment aussi, dévouement pour dêvouement, immolation pour immolation ! notre ami s'établit au chevet de la mourante, il y prend racine, pour ainsi parler, et plusieurs mois durant ce fut pour les nombreux amis de notre cher camarade, témoins de la simplicité et de la grandeur du sacrifice, un spectacle touchant et sublime à force de simplicité. Le mari désespéré remplissait son rôle de garde malade avec un dévouement héroïque et chacun put prédire bientôt que son organisme, miné par l'excès des veilles et, s'il est permis de le dire, par l'exagération du devoir, profondément ébranlé d'ailleurs par les souffrances inénarrables et les mille tourments attachés à notre misérable existence de proscrit, ne survivrait pas au coup qui allait le frapper, et en effet, pour ce cœur meurtri et qui ne vivait plus que du reste de vie de celle qu'il perdait, ce fut le coup suprême, le coup mortel. Que me reste .t-il 1lvous dire que vous ne sachiez aussi bien que moi ?regardez! Gaffney est là maintenant et les souvenirs se pressent pour vous tous autour de son cercueil. Vous l'avez vue, s'acheminant chaque jour, à pas pressés, vers ce lieu lugubre, cette existence, si cela peut s'appeler une e.xistence, cette mort vivante que Gaffney

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