-SCIENCE.- ' -SOLIDARITEJOURNALDELADEMOCRATIUENIVERSELLE. N° 15. - MERCREDI, 8 MARS 1854, 1 Ce .Journal parai& une toi• par aemalne.1 Dans une réunion de proscrits français faisant partie de la société la Commune révolutionnaire, et le jour anniversaire du 24 Février, le citoyen Félix Pyat a lu, au noni du comité, la lettre suivante adressée à la boargeoisie : A LABOURGEOISIE. I. L'EMPIRE. Eh bien! hommes d'ordre et de paix, que dites-vous de l'empire et des empereurs ? Que vous semble des Césars et des Tzars? Commenttrouvez-vous Napoléon et Nicolas? Vous avez renversé la République en haine du Socialisme et par peur de la guerre, et vous avez le Socialisme et la guerre ! Nonpas, bien entendu, le Socialisme intelligent, scientifique, démocratique, que vous étiez appelés vous comme d'autres à discuter,moèifier et diriger par vos lumières, que l'étude et le temps préparent, que l_a raison propose, dont le droit dispose, mais un Socialismeimpooé, impérieux, impérial, un Socialisme de caserne, une science de caporal, une justice de police, une raison de canon, le Socialisme napoléonien; c'est-à-dire la saisie des biens d'Orléansau profit des prêtres, l'emprunt forcé à la banque de France, au profit des soldats, cinquante millions de liste civile personnelle, Je crédit foncier au profit de l'ami Fould, la vente des chemins de fer au profit du frère Morny, trois budgets dévorés d'avance en famille; les dotations au sfoat, le pain et le cirque a•.1 peuple de Paris et mille autres mesures exorbitantes pendues sur votre tête par un fil, comme l'épée de Denys sur le bourgeois Damoclès. Vonsl'avez voulu! l'Empire, c'est l'ordre! · Vous avez aussi la guerre, non pas la guerre de principe, la guerre du droit, la guerre pour la défense de la patrie et de la liberté, pour l'indépendance du pays et la délivrance des peuples, la guerre qui protège et triomphe, la guerre républicaine, non ! mais la guerre d'agression, d'occupation, d'ambition, rleconquêtes, de rapines et de défaites, la guerre de l'empire, de l'invasion et de la restauration, la guerre napoléonienne enfin. Vous l'3yez voulu! ]'Empire, c'est la paix! Hommes d'ordre et d'honnêteté, de paix et de modération, vous avez entendu par République, au dehors une irruption sauvage de la France sur l'Europe, au dedans du pauvre sur le riche , ce qui vousfait frémir. Entre nous, vous passez encore qu'on frustre les gens avec 1a forme : la forme couvre le fond; mais qu'on se jette en brute sur le prochain, qu'on le dépr tille violemment, 'qu'on lui prenne de force la bourse ou la vie, vous n'avez trouvé qu'un mot assez odieux pour exprimer votre horreur du fait, YOUSavez appelé ça Socialisme l Eh bien! il se trouve, à cette heure, que ce socialisme ce n'est pas la république, c'est l'empire, que les Césars sont les partageux, que les Sires sont les Jacques. Ainsi, voilà l'empereur par excellence, l'empueur de Russie lui-même, le pilier de l'ordre, le parangon de l'autorité, de la légitimité, l'assureur de trône$, le souteneur des rois, le sauveur en chef des sociétés, le grand archi-conservateur de la religion, de la famille et del~ propriété, Nicolas Ier, ou plutôt Jacques Ier en personne, qui, après aYoir partagé la Pologne, veut encore .socialiser la Tur- '}UieV. oilà que, sous prétexte de religion, il veut sauver la propriété de son voisin le Turc ; et voilà Napoléon, ce César de Funce, ce Nicolas d'Occident, ce sous-sauveur de l'ordre, cette secondecolonne de l:& paix du monde, qui n'attendait que l'occasionet l'exemple, voilà Napoléon de la partie, prêt à faire par ici ce que Nicolas fait là-bas! l'Empire, c'est l'ordre! l'Empire, c'est la paix ! Allez! mêmes principes, mêmes conséquences ; mêmes causes, mêmeseffets : les pays ne changent rien aux empereurs, pas plus queles temps. Empereurs du Midi ou du Nord, anciens ou modernes,aigles de Rome, de Russie ou de France, à une ou deux têtes,il~ se ressemblent et font pareillement. Même autocratie, mêmeabsolutisme, même arbitraire sans bride et sans frein; par conséquentmême soif insatiable de pouvoir, même frénésie d'ambition,même fureur d'égoïsme, même orgueil infini, désordonné, effrénéi,nsensé, le délire, le vertige, le haut-mal des Césars, qui punit l'excès du pouvoir par l'excès du désir, qui tourmente Nicolascomme Néron et Napoléon comme Nicolas ! A coup s0r, Bonaparte ne s'en tiendra pas plus à la France queRomanoff à la Russie. Il aura aussi sa Turquie. Il est difficile de dire au juste quand et comment. Les hommes qui n'ont d'autres principes que l'intérêt, ne suivent pas la ligne droite. Quoiqu'aisés à deviner finalement, ils peuvent certes dérouter toute prévision sur le moyen et Je moment dans leur dédale de ruses; mais à travers les tours et détours, les écarts, les reculs même,tous les ambages de leur perfidie, la logique de leur ambitionmontre invariablement leur but. Or, le but de Louis-NapoléonBonaparte, c'est l'Empire ! et, quoiqu'on ait dit, l'Empire n'est pas fait : l'empereur tout au plus ! Napoléon III n'est ~ncoreque l'empereur du royaume de France, du royaum,e de 1815,du royaume des traités de Vienne, du royaume des :Bourbons restaurés, un tiers d'empire et d'empereur ! Qu'est-ce que 86 Jépartements? Qu'est-ce qu'un empire qui n'a pas même les bordsdu Rhin et le pieù des Alpes ? Qu'est-ce qu'un empereur qui n'a encore en main que le poignard de Décembre et qui voit t'êpée impériale, au dehors, en Belgique, sous la patte du lion anglais. Ce petit empire honteux, fi donc! Cette France écourtée des lys ne lui suffit pas. Bon pour les rois! l'aigle est plus gros mangeur que le coq. Il lui faut tout l'empire, le grand empire. Il a rêvé tout, il veut tout. Le Rhin, les Alpes et au-delà, les 140préfectures, la médiation germanique, le protectorat suisse, les royaumes d'Italie, d'Espagne, de Hollande, toute la succession impériale et royale. Il veut tout c.equ'avait l'oncle et quelqne chose encore. Il croira n'avoit rien, tant qu'il n'aura pas tout, C'est son mot de joueur et d'empereur : tout ou rien! Il se dit: j'ai fait le plus difficile, j'ai gagné la France. J'ai l'outil, à l'œuvre ! J'ai même plus de chance ou plus de force que l'oncle: il lui a fallu Marengo pour avoir la France, il ne m'a fallu que Satàfy ; il lui a fallu un drapeau pour ~r la République, à moi Toutes lettres et correspondances doivent être affranchies et adressées au bureau de }'Imprimerie Universelle à SaintHélier (Jersey), 19, Dorset Street.-Les manuscrits déposés ne seront pas rendus. A Jersey, 19, Dorset st. ·1 ON S'ABONNE : A Londres, .50½, Great Queen st. Lincoln's-Inn-Fields, à la LiPRIX DE L1ABO,.NNEMENT : Un an, 8 shillings ou 10 fran es. Six mois, 4 sh. ou 5 fr. Trois mois, 2 sh. ou 2 fr. 50 c. 1 A Genève( Suisse), chez M. Corsat, libraire, rue Guillaume-Tell. CHAQUE NUMÉRO : 3 pences ou ô sous. une serviette. Le gargotier enfonce le héros! Quitte ou double! :m avant marche jusqu'au bout. J'ai commencé, j'achèverai ! Partons pour la Syrie ! Et le voilà à Constantinople, soutenant Mahomet d'une main comme il soutient de l'autre Jésus à Rome, e sempre bene! 1'0~ rient et l'Occident ! le m1mde n'est pas de trop pour lui et la famille. On est empereur ou on ne l'est pas ! On est chef de dynastie! Si on n'a pas encore d'enfants, on a des cousins et un tas : (l'état de prince est si bon qu'on y pullule.) à défaut d'aiglons, toutes sortes d'oiseaux qui muent et qu'il faut remplumer, tous affamés et ouvrant le bec à l'envi pour gober quelque peuple, tous à terre et battant ùe l'aile pour repercher sur quelque velours, une ménagerie, depuis ce vieux coucou de Jérôme dans sa caoe d'invalide, jusqu'à cette oie grasse de Murat qui fait l'aigl~ aussi, exaltant ses ailerons debasse-cour,et lorgnant de ses yeux de volaille le soleil de Naples, le trône cleMonsieur son père et sa trahison. 0~ ne laisse les proscrits italiens à Paris que pour ça. On n'env_oiedes co'!lmis voyageurs, Brenier et autres, placer l'insurrection en Italie que pour ça. On ne tient ses troupes à Rome que pour ça. 0 fils de Rabelais, baptisés en Voltaire, confirmés en Paul Louis et en Béranger, ô bourgeois gallicans et mécréants qui_ avez eu l'hypocrisie de faire la guerre à la République rom~me P?ur mieux la faire ensuite à la République française, on voit mamtenant quelle part la religion avait dans votre plan. Maintenant qu'une moitié de votre armée chrétienne défend la croix avec les jésuites et l'autre moitié le croissant avec les pi'Ote~tans ! Quel gâchis! C'est à rendre le pape Turc et le Turc jéSUiteet les protestants jésuites et Turcs. Mais ce pauvre Jlape est le plus à plaindre de tous pour l'instant. Il a beau prier, menacer, maudire et b1\nir, promettre de sacrer ou d'excommunier, c'est comme s'il chantait. Chaque fois qu'il dit à Bonaparte : merci, assez, je n'ai plus besoin de vous, tout est tranquille, allez vousen, on ira vous huiler à Paris; Bonaparte lui envoie un régiment ~e plus. _L'infortuné Saint-Père en engraisse de chagrin et il en JO~e au billard toute la journée pour diminuer son ventre et sa peme; par ordonnance du médecin! Voyez-vous d'ici le Christ se mortifiant par le carambolage! ô calice, ô sueur de sang, ô mort des oliviers, 8 queue de procédé! Dieu délinez-nous de nos libérateurs! Libera nos a malo, Amen l Napoléon est donc à Rome chez le pape et à Constantinople chez le sultan, toujours dans l'intérêt du ciel, oui, comme Tartuffe chez Orgon. Quand on lit ses manifestes et ses lettres à Nicolas, car il est repris de sa manie d'écrire, et quand on lit les réponses de son b011 ami de Russie, car ces gouvernements du silence parlent, ces pouvoirs absolus s'expliquent, se soumettent 2'eux-mêmes à l'opinion publique, ils sont trop bons, on conçoit que <:•estpour_l'amo~ de Dieu! Tenez, quand ce monde là parle de Dieu,_l_eD1abl~ lm-même se signe! ils joignent l'hypocrisie à la convo1t1se, le vice au crime, C'est là tout~ leur religion. La question d'Orient, une question religieuse, ah bien oui, la religion, c'est l'Empire! . Ceux 1ui pénétrent dans les arcanes de ces saints assurent que N~poléon, modeste d'abord, a voulu, pour commencer, la fille de Nicolas et le partage du globe, en attendant mieux. A vous l'Orient, à moi l'Occident l une sorte de Tilsitt sans Austerlitz l - partager, a dit le panslave, pourquoi? Un seul Dieu, un seul empe!eur. Vous o~ moi, Romanoff ou Bonaparte! Que Moscou brule on que Pans se rende, la force en décidera. Et voilà l'Europe ~n guerre, toutes les armées sur pied, hommes, chevaux, charr!ots, ~:mons en branle; le droit, le progrès, la civilisation, tout 1avenu du monde remis au sort des armes. Bonaparte dispu_tel'empire à Romanoff, l'Empire c'est l'ordre, l'Empire c'est la paix! . Pren~~ lïndividu de la. tête aux pieds, d'un bout à l'autre de sa v 1 1e P?hhque,. actes, écrits, discours, idées et vous verrez que 1 emprre a touJours lité et est encore son seul et unique but ? Que d!sa!t-i_ldans ses livres?_ Je veux la. France grande et forte. Que d1sa1t-il _dansson expédition de Boulogne ? J'apporte à la France ses frontières naturelles. Que disait-il dans son procès du Luxembourg en montrant anx pairs sa grand-croix de la légion d'honneur? C'est l'héritage de mon oncle. Que disait-il dans sa cellule de Ham r La prison ou l'empire. Qu'a-t-il dit dans ses .décrets le .l~n~emain de Décembre? Strasbourg sera la quatrième division m1hta1re tant que la France aura ses limites actuelles. Qu'a-t-il dit! hier, dans sa réplique à M. Kœnigswatet venant lui parler de paix, de commerce, d'intérêts matériels? Intérêts moraux, honneur de la France, droits de l'Empire. Ainsi, c'est une monomanie, une marotte, une idée fixe qu'il a .~oursuivie sans cesse, qu'il a saisie à demi et qu'il veut tenir entièrement. On peut, sans crainte d'erreur, juger du futur de l'h?mme _par s_onpassé. L'arbre, dit l'Evangile, se connait aux fruits. D1s-mo1 ce que tu as fait, je te dirai ce que tu feras. Le Deux Décembre contre la République présage donc certainement un Deux Décembre contre les rois. Le coup d'état sur ia France pr~dit un coup d'état sur l'Europe. Tout, position, besoins, condmte du personnage, annonce, confirme cette conclusion fatale de ses antécédents et de sa nature. Il a été créé et mis au monde exprès pour cette fin. Né d'un crime pour faire le crime, il porte le coup d'état comme le pommier les pommes. C'est son fruit. On peut dire que l'homme est un corle dont les animaux sont les articles, que l'âme est une synthèse de passions qui ont leur type élémentaire dans les instincts des êtres inférieurs. A ce compte, Bonaparte procède évidemment des créatures les plus abjectes, du mulet et du singe, du cochon et du loup. Il a l'obstination et l'astuce des utJs, l'appétit et la férocité des <tutres.Regardl"Z ce front étroit, ce nez énorme ou plutôt ce grouin, cette bouchc:- serrée; ces petits yeux gris, ternes, vitreux, ces yeux de poisson mort, oil toute lwuière physique et morale semble éteinte. Assurément,_c'est une des formes les plus hideuses, m11isaussi les plus harmomeuses avec le fond. En effet, il est têtu, rusé, avide, atroce. Froiù comme un Hollandais, cruel comme 1:n créole, dissimulé comme un Corse, si faux qu'il dit parfois la vérité, si traître qu'il conspire tout haut, si 15.effé scélérat qu'il s'approche de sa victime en fr~re et la baise, comme Judas, pour la tuer. On a tort de le rapetisser, c'est un grand coquin ! Il a toutes les qualités de l'emploi. Voyez comme il a opéré en France. Foi, loi, droit, honn<:ur, conscience, morale pt1 blique et privée, il a tout violé. La trahison, le parjure, l' ass-assinat, l'or, le fer, le feu, il a tout employé, et avec quel art, quelle patience et quelle férocité ! Il a commencé par faire toutes les promesses, tous les serments qu'on a voulus, tous les mensonges qu'il a fallu. Ne pouvant remerser la République à lui seul, passer tout de suite de la présidence à l'empire après l'élection du Dix Décembre, il a donné toutes les assurances, toutes les hypothèques, tous les gages imaginables de ses bonnes intentions. Il a juré, protesté, attesté, par licrit et de vive voix, par mandat, en personne, de sa loyauté, dt son désintéressement, de son dévouement à i'ordre établi, à la na• tion, à la Joi ; il a crié à la c;:lomnie contre le doute meme; il s'est <lit l'ami du peuple, de la Constitution, de la République; puis il a pactisé avec les.ennemis de la République, de ]a Consti~ tution et clu peuple. Il a complott€ avec l'aristocratie, la petite el la grande, avec les prêtres, les nobles et les riches, avec leB royalistes, de toute nuance et de toute branche, bleus, blan es, aΕ 11éset cadets. Il s'est fait l'allié des hommes de Gand. Il a com• battu à Rome avec eux. Il les a pris J'l'our ministres, pour complices et pour dupes. JJ s'est servi du pouvoir de l'assemblée contre le peuple et du droit du peuple contre l'assemblée, et enfin, à son heure, le Deux Décembre, après trois ans de préméditation et d'attente, il a fait son coup d'état contre l'assemblée et cont:e le peuple, il s'est fait empereur. Eh bien! ce sera la même œuvre au dehors qu'au cledan~.C'est le même procédé avec l'Europe et la même méthode avec les rois. Il joue avec les monarchies le même jeu qu'avec les partis. même ajournement et mêmes apprêts; mème eau trouble, mêmes circuits, mêmes crochets, mêmes ronds autour de sa proie pour l'engourdir et la saisir à son gré. Comparez! Empêché d'agir tout de suite au dehors après le Deux Décembre par les embarras ùu dedans et ne pouvant lutter seul contre l'Europe, Je loup redevient berger; il débute encore par se faire le champion de ce qui est, le chevalier du statu quo, le défenseur des traités;-le tuteur du droit, du repos et de l'équilibre européen. Il ne parle que raison et justice; il se dit l'ami des gouvernements, même des Constitutions et des Parlements; il se fait l'allié des Anglais, des gens de ·w aterloo. Rien ne lui coûte, ni la bonne humeur, ni l'humilité, ni l'oubli des injures, des blessures, des morts. Sinuosités, earesses, lâchetés, cet aigle-monstre rampe au lieu de voler, tout pour consommer l'Empire. Quel dommage qu'Huès:>n Lowe ne soit plus, on le ferait gardien des cendres! Qµel malheur qne Wellington soit enterré! on le referait maréchal d'empire! 0 touchante harmonie! les habits rouges marcheront avec les habits bleus, enseignes déployées, portant ce glorieux nom de ,vaterloo en toutes lettres; ils n'en ont pas d'autre. Il fera la. guerre avec eux, pour eux, il sera leur associé, leur frère d'arme à Constantinople, comme il a été le vôtre à Rome, avec la même franchise. Il les leurra ainsi en paroles et en actions tout le temps qu'il faudra; puis, un beau jour, ou plutôt une belle nuit, cet aigle est m1e chouette, quand il aura bien endormi son monde, que tout sera prêt, il fera encore un signe à Saint-Arnaud ou autre, et tout sera dit. Les employés du chemin de fer du Nord, en ouvrant les wagons à Bruxelles, feront descendre des chasseurs de Vincennes au lieu de voyageurs. Alo:s on proclamera aux Belges qu'on vient les délivrer des chaînes de la SainteAlliance, de la tyrannie des rois, des servitt:des de 1815; qu'on vient le.ur rendre leur indépendance, leur souveraineté, leurs droit8 . de 1uffrage, et on les fera voter librement l'annexion de la Belgique à la France~ sous la protection de 100,000 bayonnettes. Enfin on se posera l'homme de la Révolution, le soldat de la liberté, l'ami des peuples, l'ennemi d~s rois; on appellera tout le monde aux armes, à l'insurrection : Italiens, Hongrois, Polonais, Allemands, pour ùominer à la fois les peuples et les rois. Cette fois, l'Empire sera fait. On sera empereur et roi. Voilà Je but! Le lion belge n'a qu'à bien se tenir! on a plusieurs raisons pour commencer par lui. On ne pardonne pas au Cobourg d'être à demi-Bourbon quand on est Bonaparte, d'avoir Epousé une archiduchesse quand on est réduit à une jolie femme, d'être choyé par Nicolas quand on est rebuté, d'être allé à Londres pour opérer la fusion sous le patronage du Tzar et pour rallier Victoria au Russe; enfin d'être le cornac du lion britannique et notre plus proche Yoisin. Déjà on a envoyé devant le beau cousin pour tâter le terrain, vous savez, celui de tous qui ressemble le plus à l'oncle. Qui lui ressemble, en effet, comme l'ane au cheval, ce fameux fils Jérôme, l'ami de M. de Girardin, le présomptif rouge, l'Mritier populaire qui nous promet, ô bonheur! l'empereur républicain-démocrate ..socialiste, Titus, Trajan et Marc-Aurèle, tous les Antonins dans sa peau, les délices du genre hwnain ! On l'a choisi pour toutes ses rares qualités. La Belgique aime les contrefaçons. En voyant cet exemplaire de Napoléon et d'Auguste, rdié en peau d'âne, elle s'est mise à. crier vive l'empereur au nez de ses rois qui donnaient la main (lâcheté de prince) i l'agént de l'homme qui a volé leur famille, en attendant qu'il les vole eux-mêmes et qu'il leur envoie, mœurs turques, un cordon pour les étrangler après. Et. à cette heure, hormis Bruxelles peut-être à cause de son métier de capitale, et le peuple qui ne compte jamais, toute la Belgiqu~ Liège pour ses fers, Amers- pour son port, les Flandres pour leurs toiles, Mons pour sa hO'llille, l'armée pour ses grades, les fonctionnaires pour l'argent, le clergé pour l'empereur catholique, tout le pays légal attend que Bonaplrte vienne sauver la religion, la famille et la propriété. Il ira, chers Belges, soyez en sûrs, il ira chez vous et plus loin encore! Anvers pour César n'est que le chemin de Londres comme Constantinople n'est, pour le Czar, que le chemin de l'Inde, sauf à décider entre eux dans un dernier combat. Les Anglais s'en doutent et en tremblent. Menacés en Orient et en Occident, ils vont au plus pressé, du côté de l'Inde, et acceptent en attendant le secours cle Bonaparte. Mais ils craignent autant l'ami que l'ennemi. Le mot de cette alliance problématique, énigmatique est la peur. Que l'habile lord Pal,., merston y prenne garde, il sera roulé comme l'habile 1\:1.Thier5it Vos pareils d'Angleterre, ces bourgeois d'outre-mer qui ont auœ plus de boutique que de principes, de commerce que de courage.. de boyaux que de cœur, qui n'aiment pas mieux que vous la Réva,;, lution, les whigs ont eu peur comme vous, peur de tout, d'elle, mais de lui surtout; leur dégoût naturel, leur r6pugnance natio,., nale et politique, ils ont tout immolé aux nécessitl!s de la devanture. Croyant d'abord que Bonaparte tomberait, ils l'ont pous90
cle toutes leurs forces. Leurs journaux ont tiré dessus à boulets et à mitraille jusqu'à la dernière gargousse. N'ayant plus d'injures dans leur propre langue pour qualifier clignement le héros de Décembre, ils venaient prendre jusque dans la n6tre les éphi~ thètes de monstre et de ru.ffim. Puis Bonaparte tenant bon, après les injures sont venues les pétitions; après ies écrits hostiles, les paroles amies ; après les journaux, les députés. On lui a dépêché la véritable ambassade anghise, n'en déplais~ à Lord Cowley, des notables de la cité, les rr.inistrcs du thé, les plénipotentiaires du sucre, ::\f. :M:isterman et consorts, qni ont remplacé, désavoué le Times, supplié l'empereur de ne p:>.sconfondre le co:nm,;~ce avec la presse, la nation avec les Journaux, de croire à la bonne volonté de l'Angleterre en gl!néral et de la cité en par'iculier; en 1m mot, de ,,ouloir bien leur accorder la pa:x. De ce jour là, Bonaparte était roi d'Angleterre! - De policeman ! quel avancement! • Donc, la cité étant l' a\ngleterre et M. Mastrrm1,nn son représentant, Bonapa:tc est maître de la position, de pied forme dans Tcmple-B1r, en pleine entente cordiale. Ce que le meilleur des rois pourtant, un roi mod;;Je; un roi :\lonthyon, whig, constitutionnel et pritchardistc, an3lais, celui-là, de cœur et d'âme, s'il en fut, ce que cc malheureux Louis-Philippe, votre SalomoR, n'avait pu obtenir par dix-huit années de tendresse, de csmplaisances et de eoncessions, la précieuse entente cordiale,si humblement et si vainement sollicitée par lui de l'aristocratie anglaise, le 1nonstre, le ruffimi, le Buonaparte l'obtient d'un coup : il leur a fait peur et voilà. Les pavillons sont unis, les drapeau.Xmêlés, les gouvcrnemens allié~, les noms de Napoléon et de Victoria enlacés dans la même guirland<! ! Que ne sont-ils à marier? Ah! le clivorce est cle loi an1;laise et de coutume impfriale ; l'affaire peut s'arranger. Et voilà même qu'on dit pis que pendre de cet infortuné prince Albert qui n'est pas assez bonapartiste, qui avec son instinct ùe prince craint le parvenu, avec son sang de Cobourg Jiait le Napoléon, avec son double titre d'Anglais et de mari veut absolument sauver son pays et sa femme des mains de l'ennemi. Le prince Albert a trop d'intérêts pour ne pas voir clair, et il voit bien. En vain Waleski, cet auteur sifflé, tombé diplomate, intrigue, prodigue avances et promesses, fait miroiter au'Cyeu."<:du prince la cou;'onne d'Espagne pour ~on neveu de Lisbonne, tandis qu'on prendrait celle de Naples pour le cousin Murat, le tout aux dépens des Bourbons, famille us6e, le jeune Cobourg se moque de cette com!ldie comme de celle de l'auteur, il résiste, ne perd pas le Nord, tourne la boussole anglaise vers le P61e et se cramponne au Russe. Il tient la reine en garde, fait armer les c6tes, augmenter les flottes, enr6ler des milices et ménage le Tzar. 11 sait bien que ce n'est pas po11r l'amour du Turc que Bonaparte lève 60,0.00marins, met 700,000 hommes sous les armes, fait des presses de mer et de terre, des rappels de classes, des recrutemens et des remontes, qu'il commande 200,000 sacs, qu'il remplit ses ports, approvisionne ses magasins, double son matériel de gnerre, souffle, jour et nuit, les poudrières, les fonderies, les chantiers, les arsenaux, les bureaux. Non, les Turcs ne sont pas si amis! Il devine que Bonaparte amuse le~ gens, passez-nous le mot, aux bagatelles de la porte; que la question d'Orient se tranchera en Occident, non pas dans le Bosphore, mais da11s lu Manche; non pas sur le Danube, mais sur les bords du Rhin, sur l'Escaut, sur la Tamise peut-être. Il se rappelle le mot de ce préfet de Toulouse qui ne voulait d'avancement qu'il Londres ; le mot ile ce colonel qui ne voulait visiter le palais de cristal qu'avec son régiment ; et le mot de Bonaparte lui-même à ses soldats de Décembre : Je vous ai do11,névotre revanche de 1830, je vous donnerai celle de 1815. Il comprend que Bonaparte veut brouiller l' Angleterre, la commettre, l'engager sans retour avec le Tzar; qu'enlever l'Angkis au Russe, c'est 6ter la solde au soldat, le nerf à la guerre, l'argent, l'âme des sept coalitions qui ont renversé l'empire. Il voit que Bonaparte rallie l'Angleterre pour l'affaiblir, qu'il la secourt pour la vaincre, et qu'il l'embrasse, en César, pour l'étouffer. Il sait enfin que le neveu de l'oncle est l'ennemi des rois comme des peuples, qu'il lui faut l'Europe comme la France, qu'il faut l'Empire à ]'empereur. Aussi, malgré tout, t6t ou tard, la huitième et dernièrt- coalition se reformera et de plus belle ! car Pitt est marié à Cobourg. L'Angleterre repr.:ndra, à sa solde, sa vieille amie, la Russie. L'Autriche et la Prusse sortiront de leur fausse neutralité, regagneront ouvertement leur place dans la sainte alliance, et l'Europe entière retombera sur la France. Nous aurons ainsi le grand empire, la grande armée, la grande guerre et le grand d!lsastre. Nous reverrons le bon temps des cent jours, des ré(\uisitions, des conscriptions, de la chair à canon, où les hommes coûtaient presque un manteau d'Eugénie, où la terre manquait de bras, les familles d'enfanti., où les boîteux mêmes n'Haient pas exempts de marcher au pas, les muets de crier vive l'empereur ! Et la France, !:puisée de sang, d'argent et d'honneur, ~ra envahie une troisième et dernière fois ! Ainsi finit l'Empire! car voyons ses chances, s'il vous plaît. Sans complimens, vous êtes hommes de calcul et vous vous rangez du c6té dn·plns fort, du côté <lnsuccès, du parti des Dieux. Voyons donc ! , Une armée de prétoriens, démoralisée, sans principes, sans connanee en ses chefs ni en soi-même, sans force, sans âme, sans autre volonté, comme les dogues de la barrière, que le geste du maître, se battant pour et contre ; ivre de sang français, déshonorée, dieu merci.! par le nom même qui l'avait glorifiée, retenue seulement par lq ventre. Mais on n'attache pas plus les hommes que les chiens avec des saucisses. Rien d'infidèle et d'ingrat comme la panse; et ce n'est pas un titre suffisant que d'être chef de cuisine. Le vainqueur de Satory sera donc laissé là au premier revers. Et avee des armées qui n'ont pas la force du droit ni du devoir, la victoire dépend du nombre et le nombre n'est pas pour elle. Que dire des généraux? plus soudards que leurs soldats, plus mercenaires que des remplaçants, vendus d'avance à qui veut les acheter, - question de prix, - tenant plus à leurs traitemens qu'à la vie et surtout qu'à la mort, n'aimant les hasards que tout juste ce qu'il leur en faut, et préférant, à cette heure, les l!!gitimes et les quasi-légitimes aux· bâtards. Un clergé qui a aussi élevé l'empire contre la R!!publique, mais qui, maintenant, prêche pour ses saints. Or, il n'y a pas de saint Napoléon, et il y a un saint Henri. Les nobles conspirent avec les prêtres en l'honneur du m~me patron. Vous-mêmes, bourgeois, conservateurs et par conséquent royalistes, libéraux aussi et par conséquent anti-bonapartistes, impuissants pour renverser mais aussi pour maintenir, et laissant au moins faire comme toujours. Le parti républicain, plus nombreux, plus puissant, plus actif que jamais dans une pareille crise, surexeit<l par le danger du pays, et osant tout pour son salut! Voilà l'intérieur. A ]'extérieur, les nations sachant que le neveu ne peut riu'imi. ter les crimes de l'oncle et non les réparer, pas un peuple pour lui, tous les rois contre! Telles sont les chances de l'empire ... C'est donc ]'invasion ou la Révolution! Fé!L~ PYAT. (La seconclepartie au prochain numéro,) L'HO~IJIE. MORTDE LAMENNAIS. )fon cher Ribeyrolles, Nous recevons une bien d011loureuse nouvelle: Lamennais vient de mourir. A le voir si frêle de ~anté, ne soutenant un corps débile que par l'indomptable !!:1ergie d'une religieuse Yolonté, on devait cra"ndre depuis long temps de le voir enlever à la démocratie ; ponrtant, il avait sunnonré tant de souffrances, de persécutions, àe déceptioM,pour son S:ne plus accablant:11 encore: que la prison ou la mahdie, qu'on e~pérait le revoir en rentrant en Frar.ce, lorsque la sainte Révolution souhaitée, prêchée par son éloquence, régénérerait enfin notre pauvre patrie ... Hélas ! combien de nos amis, des plus dévou~s, des plus Ï!l!elligents, manqueront en ce jour à l'appel de ,1os eœurs ! ComL:en de tombes s'élèveront sur la route des exil(,, et attrh:teront notre retour! li strait inutile cle rappeler aux lecteurs de l' Ilomme ce que fut Lamennais pour la démocratie, pour la civilisntion. Ses travaux consciencieux, sa parole sublime de grandeur ~t de conviction, la puissance de ses idées et l.i.religieuse ardeur de ses efforts pour connaître et répandre la lumière de la Justice et de la Vérité, ont trop illustré le x1xe siècle pour rappeler ici, un il un, les œuvres et les actes de l'ap6tre populaire. Si d'abord il flétrit la tiédeur des âmes s'endormant paresseusement dans un doute égoïste, et s'il essaie de ressusciter le catholicisme en mettant la science de sa théologie au service de la Papauté, c'est qu'il espérait l'affranchissement de l'Humanité par l'église et la loi du Christ, Si plus tard, il esquissa les dogmes de la Religion universelle sans plus s'enfermer dans le Christianisme, qui lui avait refusé de prendre la croix de bois et de défendre la cause des Peuples opprimés,- e'est que son esprit sincère avait radicalement rompu avec la lettre morte des cultes passés, sans abandonner pourtant sa confiance dans la loi providentielle dont il n'a pas cessé d'affirmer la puissance souveraine. Persécuté par l'Empire, par la Restauration, il expia, par un an de prison, le crime d'avoir dénoncé la haute-trahison du règne de Louis-Philippe et les habiles jongleries du sceptique 11. Thiers, Il avait, dans le pamphlet brûlant qui lui couta la liberté, signalé l'explosion publique du socialisme dans les grimes de 1840, après l'avoir prophétisé pendant dix ans par les Paroles d'un Croyant, le Livre du Peuple et tous ces Psaumes révolutionnaires dont la mystique influence a préparé l'Europe entière à l'avènement du Verbe nouveau. Dans sa prison, il étudia pratiquement Je problême social ; et, réfutant les théories absolues du Gommu11ismc, tout en flétrissant l' Individualisme inhumain, il posa les bases de la réalisation révolutionnaire par l'Association et le Crédit social, en même temps qu'il exhort:iit les prnlétaires à chercher dans la Foi et le mutuel dévouement la force et l'union indispensables au triomphe de !'Egalité. L'invariable loyauté du caractère de Lamennais l'a fait varier radicalement et brusquement <lane l'application de la vie politique de ses principes religieux; mais il n'a jamais cessé de progresser, d'avancer vers l'idéal; et il a toujours courageusement proclamê ce qu'il croyait être la vérité, même quand il fallait reconnaître qu'il avait erré. On le vit, par exemple, après avoir rédigé une Constitution où il introduisait la présidence comme élément d'unit!!, voter contre la Présidence lorsque les dangers lui en eurent été démontrés par cette lettre si pleine d'alfectuense vénération que lui écrivit G. Sand, dont vous devez avoir gardé le souvenir. Après avoir s!lvèrement blâmé les folles excitations, les entraînements désordonnés auxquels s'abandonnait parfois notre parti en rn48, il n'eût plus de blâme et de colère, après les funestes journées de Juin - qu'il avait de tou1e son âme essayé de prévenir - il ne prit plus la plume que pour condamner les persécuteurs et défendre l'honneur, la vie, la liberté des vaincus. Aussi ne tarda-t-il pas à voir le sabre briser sa plume ... Ce courage de ses convictions, cette vaillance en face de la Force victorieuse, ne l'ont jamais abandonné. Il ne chercha jamais la popularité atL\'.dépens cle ses principes. " Sa voix n'était qu'un souffle,'' dit de lui Louis Blanc; et ce souffle ne pouvait se faire entendre dans les tcmp&tes révolutionnaires. Il se taisait donc tristement, regrettant de se sentir la belliqueuse énergie des chevaliers mystiques du moyen-âge, sans pouvoir, à défaut des armes, lutter contre ]'Erreur et la Tyrannie. Mais, dans l'intimité, il ne cessait,d'inspirer à tous ceux qui l'approchaient ce respect de la divine essence de l'humanité, cette foi dans ]'Idéal, cette austère et constante abservance du Devoir et de la Solidarité morale d.es hommes qui ont dicté ses commentaires sur l'Ev!rngile, et qui l'ont mis souvent aux prises avec les fractions sceptiques, voltairiennes et individualistes de no_tre_parti. Il eût voulu voir pratiquer, dans la vie de chacun, les prme1pes de morale éternelle supfrieurs il tout intérêt de parti, et que les champions, du Progrès dohent propager par l'exemple autant que par la parole, sous peine de ressembler à ces prêtres dont la conduite souille et corrompt l'enseignement. Sa mort laisse interrompue mie traducti.m du Paradis du Dante; prtssentiment de sa fin. Ce travail nous eût fait connaître le mystici,,•ne du poète, comme lui révolutionnaire et théologien ... Lamennais croyait, il a toujours cru, que l'humanité ne pouvait progresser sans puiser, dans une foi religieuse, le lien des âmes et la l_oide la Société. Il partageait cette croyance avec ces esprits émments, 11ourla plupart ses amis personnel~. et qui s'appellent Bfaanger, Châteaubriant, Lamartine, G. Sané!,,P. Leroux, Jean Raynaud, etc., etc., etc. Il s'était, comme eux, élevé à cette ,,ie supérieure des progrès de l'hum1mité, qui brise les chafoes des sectes et des superstitions sar.s amoindrir i'homme et le Mpouiller du religieux sentiment de sa mystérieuse destinée. Et cela ne l'e:11pêch~itpas de vivre chaque jour de la vie rle tous, sympt~1que à toutes les souffrances, partageant les luttes et les émotions de ses frères, les aidant de ~es conseils, de son exemple, rle toutes ses facultés (1), et travaillant avec ardeur il rapprochC;r l'avènement de la Démocratie, bien que son approbation fût refusée à certaines doctrines ou à certains hommes dont il ne re-· cherchait ni ne repoussait l'alliance. ... Il y a huit ans de cela, nous causions tous deux des dogn1es divers sur la vie future; et il me disait : " De cette existence de " l'homme après la susplnsion de son exisrence connue, nou~ ne " pouvons nous former l'idée que par hypothè;e ; et l'allégorie, la " poésie, la légende même valent souvent la philosophie sur ces " questions. C•est ainsi '}Ue des mythes populaires nous r· pré- " sentent les âmes de deux amants s'unis~ant, après la : ort, "pour ne former qu'un seul être; et, au oontraire, ]'Esprit d'un " grand homme s'inc~rnant dans ~es disciples, même dans toute " une Nation, et donnant la vie à de nombreuses crénérations.. .'' Ah! s'il en est ainsi, puisse l'esprit de Lame1~nais vivifier les générations qui, viennent, et substituer à l'ap1,thique inclifî:,renee de nos contemporains en matière de Religion, de Morale et d'Honneur, l'énergique et religieuse foi au Devoir qui l'a soutenu d~ns sa lutte contre les Puissances jusqu'après ~a mort, et lui a fait léguer, par son testament (2), un dernier acte de foi à son cadavre! (1) J'ai été chargé, à diverses foie, de porter, de la port de Lamennais, des secours à des rétugiés qui ~•adressaient il lui par lettres, et dont il ne voul(lt pas Gtre connu, me défendant même de dire que je nnais de sa part. Il était !Qin d'Gtr~ dans l'ai•ance, à cette ~poque. (2) Il a ordonn€, par son te,tament, de donner à son cercueil Jee fun6n,illes da pa11"rc, 1(JIU pauer à l'églù;e. CORRESPONDANCEPARISIENNE. La lettre suivante a été adressée au citoyen Victor Hugo : Paris, Je J er mars 18ii4. Cher proscrit, . Je croi~ qu'il est utile que vous soyez rrnseig-né sl'r la mamère dont se sont passée, les ob•èque!;: de Lamennais. Je vous écris au grand courant de la plume quclqw1s note~ à cet {irrard. Le convoi avait été indiqu( pour huit hem es du mat:n. Le 0corbill_ard est arrivé il sept heures N un quart, et dès huit heures moms vingt minutes, malgré les instances de M. Blaise neve:i du glori~ux défun! (qui v?ulait qu'on attendît les quelques 'per~onnes aut~r1sées à fane partie dn convoi), le corps a éte emporté. Les environs de la maison mortuaire é,aient inondés d'ar~ousins. Le communiqué publié par les journaux avait suffisamment fait comprendre aux agitate1Jrs qu'ils ne devaient pas senger il se former en cortl!ge. Ils ~•étaient répandus en nombre inrlni sur le boulevard Baumarchais, sur la place de la Bastille et rue de la Roquette. Je ne saurais vous donner un chiffre même approximatif des hommes, ouvriers et gens d'habit, qui ont ont voulu saluer le cercueil. Tout ce que je puis vous dire, c'ei,t qu'il devait être immense. Snr la place de la Bastille, la circulation a ùé interrompue. Rue clela R?qu~tte, le convoi avait _toutjuste de quoi irnsser entre les deux haies. La foule encombrait le boulevard extérieur près ,<lu cimetière. :Malgré la tenue grave et résignée de cette mulntude, des atrocités ont été commises, et plusieurs sous mes yeux. Pour avorr manifesté l'empressement à saluer, pour avoir essay,é <lepénétrer un peu plus avant quïl n'était ordonné, pour ~es_nens en un mot ou pour ~es choses dont ]'intention unique e~a1t le respect et la sympathie, sans aucun mélange de violence m même d'éclat exagéré, plusieurs hommes ont été littéralement a~somméfi. Les sergents de ville étaient armés de je ne sais quels casse-têtes importés d'Angleterre et frappa:ent sur ce, malheureux jusqu'à les étendre par terre tont ensanglantés. D vant moi, un l1omme en blouse a reçu au moins dix coups de casse-tête qui l'ont étendu sans mouvement et sans souffle. Il y a eu (ceci est ~ertain) quinze cas au moins du même genre. Si je ne craignais de compromettre des amis, je vous citerais )IM. tel et tel qui revenaient du Père-Lachaise indignlls, - et l'un d'eux les larmes aux yeux, - des brutaliti!s dont ils venaient d'être t€. moins. Chose monstrueuse ! Ils ont écarté le peuple cle cet admirable spectacle d'humilité. Le grand homme a voulu être trait!i comme les pauvres qu'il a tant aimés. Il a été inh11mécomme les mendians. Son corbillard était celui, ncn pas de la dernière clas~e, mais d1:iprès la dernière classe, de cenx que la mis~re a nus au-~essous de tous et qu'on enterre par charité. Ayant entendu dire q~e cela se ferait ainsi, je pensais : au moins, son corps sera mis dans un tombeau de famille, dans un endroit propre_à recevoir un monun:ient.. Non, j'ai pu, à force depaticnce, parvenu à entrer dans le c1met1ère. Lamenn:iis a voulu être enterré dans la fosse commune. J'ai vu son cercueil à peine recouvert côtoyant le cercueil des derniers inconnus. Je ne saurais vous dire, cher proscrit, c:imbien j'ai été touché. Cette pr6dication de l'égalité, q>1in'exclut pas l'action du génie, mais qui ]'unit dans un saint embi:assement avec la pauvreté, est d'une grandeur, d"une éloquence qm émeut jusqu'au fond de l'âme.-~1ais voilà qui est encore plus grand et qui, vu les circonstances, est tout-il-fait digne de votre attention. Suivant les intentions de M. Lamennais formellement exprimées dans l'acte cle ses volontés dernières, non se?lement on n'a pas conduit son corps à l'église, mais on n'a pas mis ùe croix sur sa fosse. J'ai touché le bâton grossier auquel on a Aattachéavec une c_ordeun papier portant ce nom glorieux ; un ~at_on,et pas de croix ! superbe exemple donné par ce génie sireh_g1,euxqui s'en est. allt! à Dieu en répudiant les vieux signes, la vieille formule, IC' v1euxsacerdoce, toutes ces vieilleries, décrépites seulement,l'autrejour, mais aujourd'hui,après tant d'attentats, après tant d'actes d'un absolutisme intolérable, devenues des signes de honte, des symboles détestables qu'on doit hautement répudier. Et ce~ exemple est donné par un ancien prêtre, un vieillard de 71 ans, s1pur d:ms sa glorieuse apostasie ! Oui, oui, c'est là un signe des temps : il n'y a plus de sacerdoce, il n'y a plus de surnaturalisme, les prêtres s'en vont l CORRESPONDANCEDE LONDRES. Lo~dres; 3 mars 1854. La mort de Lamcnnai~ jette un voile de deuil sur cette semaine déjà si triste pour les républicains célébrant dans l'exil, dans les prispns, ou ùans le grand cachot impérial, l'anniversaire du réveil si court de la Révolution en 1848. Le grand nom, le d!lvouement modeste et constant de Lamennais avaient excité dans la population de Paris nn ardent d!lsir de rendre un dernier hommage au théosophe démocrate, et d'honorer par Ulle immense et populaire manifestation le co11void1, pauvre. On se répétait tout bas qu'il avait refusé jusqu'au dernier moment la Yisite des prêtres et des dévots qui voulaient extorquer de son agonie une ahjuration; qu'il avait enfin deshérité, par son testament, ceux de ses parents qui avaient pris part à la répression <lel'insurrection de ,Juin 1848. Le gouvernement a fait publier la menace d'interdire, par la force, la µianifestation de respect et de vénération pour les restes du gra11dhomme qui venait de mourir. Mais, pour èviter un con- "it, on a fait partir le convoi dès 7 heures du matin, après l'avoir annone!! pour dix heures. Quelques amis persounel, Blaise, Be. i1oit-Ch:1mpy, Aug. Barbet, E. Littré, Martin de Strasbourg, Garnier-Pagès, suivaient seuls,. Béranger a rejoint le funèbre cor- :ège, en route, et son arrivée a fait une grande impression sur la foule qui stationnait dans les mes; Béranger était, avec Châteaubriant, l'ami le plus intime de Lamennais. . Le convoi s'est rendu an Père Lachaise par des rues détournées; néanmoins la foule était si considérable, qu'au pont du Canal ]es sergents de ville se sont ouvert passage l'épée à la main.-Des charge~ de garrle municipale ~ur la place de la Bastille, et de dragons près du cimetière du Père-Lachaise, de~ coups de canne et cl' épée aux environs de la maison mortuaire ont assailli les masses accourues et se dispersant en apprenant le changement d'heure et d'itinéraire. Telles ont été les obsèriues d'un des plus illustres gllnies dont la Funce citera toujours avec orgueil le nom aux nations ses émules. Il est vrai que c'était un penseur, et que le régime du sabre voudrait en finir avec la pPnsée..... . -Une insurrection militaire à Saragosse a été vaincue par une partie des troupes sur Je concours desquelles comptait le coîonel Hore, tué à la tête des insurgés au moment où il reprochait sa trahison au colonel des grenadiers. Cette insurrection, sans drapeau, acclamant le nom du général Concha au lieu de faire appel aux sympathies des radicaux de Saragosse, n'est pourtant pas étouf.ëe; les vaincus ont battu en retraite, mais ils ont rallié à eu."< la garnison de Huesca et battelolt le Haut-Ara,gon.-De noµi-
breuses arrestations de députés et de journalistes, la plupart ro,vafütesn,odérés, ont eu lieu il. Ma~rid. Le Times persis,teà s_outenir que le Coqp d'Etat de la r;1~e Is~belle pe_utd,etc;n_imer l'expulsion des Bourbons et la crcation cl un Empire cl !bene en faveurdes Bra"'ance.D'autres parlent de République ..... . Lord J. Rus~ell a prdsent/Sun large projet de Réforme électorale; ce projet, assez bien accueilli pD.rl'opinion _publi'lue,1(a pourtant excité nul enthousiasme; les préoccupations sont ailleurs. On en a profité pour engager le ministère à l' ajo~tmer,et 1 hier, lord J. Ru~sell a annoncé qu'en effet, le vote du p:oJet de 101 ue serait pas pousséaussi vivement, amsi proi_npte:nentqu'on l'avait dit d'abord. Le Chronicle, organe des \Vh1gs,tout en approuvant l'hésitation du ministère :. hitter contre certain~de ses partisans, craint que cette reculade ne dé~affectionn~l_espopulatio~s en leur montrant la guerre comme un 1,10yend aJourner la Reforme; le Times fait uu appel ironique à l'opinion publique, qui peut seuleenlever d'enthousiasme une Réforme peu agréable aux membresdes Communes. 11aintenant,revenons à la question d'Orient. Les cabinets de Patie et de Londres ont envoyé au Czar une dernièresommation d'avoir, dans les six jours, à déclarer s'il veut, oui ou non, évacuerles Principautés avant le 30 avril. On approuve peu, ici et à Paris, ce nouveaudélai ; on aurait préféré une déclaration de guerre immédiate. La flotte de la Baltique va partir pour bloquer les ports russes aussitôt la fontedes glaces, et empêcher les escadres ru~sesde se réunir. Le Danemark a étéprié <lelaisser le port deKiel ouvert aux vaisseauxanglais et français; la Suède redoute les flottes russes, les ports de Riga et de Kronstadt étant près d'être ouverts par suite de l'adoucissement inaccoutuné de la température. Le maréchal St.-Arnaud est nommé gJnéral en chef de l'expéclitiond'Orient. Les généraux Canrobert, Bousquet, Espin~sse, etc., l'accompagnent. Parmi les régimens dés;gnés, le ~0ede.h~ne et le 7e léger ont été surtout connus pour leurs votesrepubhcams en 1849. • Le Parlement français (où on ne parle guères) a été ouvert en grandepompe hier ;Je discours impérial roule sur la disette et s~r la guerre, sans offrir rien de remarquable que la confiance placee dansl'alliance des Puissances gern~aniques. Les opérntions militaires sont suspendues, en Orient, par les tempêteset les pluies torrentielles. Néanmoins, u~e esi;:adreescorte un convoi de troupes destiné à l'armée d'Asie, et des renforts, surtout des officiers européens, arrivent constamment à Omer Pacha. Des combats d'avant-poste ont eu lieu tous les jours sur tout le Bas Danube. Trois escadrons de Cosaques chrétiens (tribus réfugiées chez les Turcs par suite des défaites de Charles XII et des insurrections du dernier siècle) ont été organisés par le Sultan et armés par Louis Bonaparte. Ces Cosaques portent réunis sur leurs drapeaux la Croix et le Croissant, ~yrnbole de l'extinction des fanatismes religieuxdominéspar l'idée humanitaire.-D'autre part, une princcs~e kurde, à la façondes antiques amazones dont elle occupe presquele territoire, a.mèneelle-même au Sultan les guerriers de sa horde: protestation• contre la réclusion des harems! L'Islamismee·enva so11sle choc des événements; il acce~te le concours des Chrétiens, leurs officiers, leurs armes, et ne s effraie pas de voirune femme, une princesse sans voile et les armès à la main ! Ainsi tombent les anciens cultes, les ancienspouvoirs ; à quand les vieillessociétés ? Tout à vous, Ph. FAURE. LONDRES. Il y a en Angleterre de grands préjugés contre la Révolution française. A tous les degrés de l'échelle sociale, vous entendez nombre de gens maudire les grands hommes ttui, par des efforts surhumains, sauvèrent en 93, les idées de 89 prêtes à sombrer sous la ·coalition de l'Euro.Pe absolutiste. On rend responsables des maux de la guerre sociale ceux qui furent les plus vaillants soldats de la vérité, ceux qui donnèrent jusqu'à leur vie pour assurer la victoire du droit moderne sur le passé. Nous voyons des Anglais, professant d'ailleurs des opinions fort libérales, aller jusqu'à dire que la Révolution a été plus füneste que profitable à la liberté et à l'émancipation de l'esprit lmmain. Il nous paraît instructif de rapprocher de ce jugement celui d'un duc et pair, l'un des chefs du parti conservateur en France. Ce que nous donnons ici à méditer aux lecteurs anglais est extrait d'un article sur " Othello et la littérature moderne ". (Revue française, janvier 1830.) " •. . . . • En faisant, avec diligence, toutes les perquisitions convenables, on trouverait aussi sur la rive gauche cle la Seine, un CJrtain nombre de salons où se rassemblent chaq11esoir de irès bonnes âmes, lesquelles déplorent, <le très bonne foi, la corruption de nos mœurs. A les entendre, le feu du ciel ne peut manquer de descendre sur nous tôt ou tard ; notre pauvre pays se trouve en pire état que Soclôme et Gomorrhe ; la Révolution française a profondément gangrené tous les cœurs ; et cette Révolution maudite, à qui la devons-nous? Aux encyclopédistes, à M. Turgot et à ses réformes, à la publication du Compterendu de M. Necker, et que sait.on ? peut-être à la substitution des gilets aux vestes, et à l'introduction des cabriolets. " Les argumens sont de la m~me force. Jeter feu et flamme contre la corruption des mœurs, jeter les hauts cris sur la décadence du goüt, s'en prendre à tel ou tel événement, en accuser tels ou tels écrivains, l'1m vaut l'autre, en vérité ; il y a là parité de bon sens, de justice et de discernement ..... . " Ce ne sont point les philosophes du dernier siècle qui ont produit le grand et glorieux mouvement de 1789 ; tant d'honneur n'est pas le11r partage. Ce sont les causes générales qui préparaient de loin et dès long-tempi. 1789, ce sont ces causes dont le premier enfantement a donné naissance aux philaiophes d_udernier siècle. " Ce ne sont pas non plus les grands écrivains de nos jours qui ont transformé le goût du public ; ce sont les causes générales, destinées à opérer ~tte métamorphose, qui ont susciM et inspiré, lorsque le moment eD est ·yenu, les gr~nds écrivains de nos jours. L'HOlU~IE. " Quelles ont été les causes de la Révo~ution française? "Cc n'est, à coup sûr, ici ni le lieu ni l'instant de s'en enquérir ; mais tout hom111e de bon sens et de bonne foi conviendra, sans peine, que les causes d'un tel événement ont dü être et ont été en effet très nombreuses, très profondes, trts diverses ; des causes actives et p'.lissantes ; de ces causes qui échappent, en raison de leur nombre, de leur profondeur et de leur diversité même, à tout contrôle extérieur, et contre lesquelles est bien enfant qui se dépite et bien absurde qui se mutine ..... . "Durant le cours des deux derniers siècles, le peuple français offrait au monde un singulier spectacle ; il marchait dès lors à la tête de la civilisation ; c'est dire assez qu'au fond il en était cligne; mais pour qui se serait arrêté à l'extérieur, il semblait avoir à peu près résolu le problème d'être à la fois le plus frivole et le plus sérieux de tous les peuples, le plus frivole dans les choses importantes, le plus léger en ce qui touche aux grands intérêts de la société et de l'humanité, et le plus grave, le plus pédant dans les puérilités et les bagatelles. Divisé hiérarchiquement en classes, cette dassification ne correspondait plus à rien d'utile ni même de réel ;- elle n'avait plus d'autre but qu'elle-même, c'est-à-dire qu'elle n'existait plus que pour exister, pour exciter l'orgueil, la vanité dans les rangs élevés, et l'en\"ie dans les rangs inférieurs. Du reste, toutes les conditions sociales avaient ceci 11e commun qu'elles étaient également dépouillées de tous droits politiques, également étrangères à toute existence publique, également dépourvues de toute participation aux affaires de l'état, de toute vocation active au civique. " La noblesse de cour tenait le premier rang. " Cette noblesse, si vous en exceptez quelques mois en temps de campagne, en temps de guerre, était oisive par droit de naissance, et s'en faisait' gloire. " La nobles!>e de province figurait au second. " Celle-ci imitait de son mieux, dans son petit cercle, la noblesse de cour. Elle se calquait, en le détestant, sur ce brillant modèle, sans qu'il tombât dans la pensée de chacun de ses membres de chercher, dans ses rapports avec le peuple, un crédit, une importance qu'il ne tint pas de ses ayeux ou des bienfaits du prince. " La robe avait des fonctions ; force était bien que la bourgeoisie embrassât des professions diverses ; mais les fonctions de la magistrature étaient souvent un objet de ridicule ou de dédain ; dans les grandes familles parlementaires, c'était à qui déposerait la robe pour revêtir l'habit brodé. Les professions de la vie civile imprimaient le sceau de la roture sur ceux qui s'y linaient ; dans les bonnes familles de la bourgeoisie, c'était à qui s'en décrasserait en achetant une charge de sécrétaire du roi. " Les artisans dans les villes, les paysans dans les campagnes, dignes héritiers de Jacques Bonhomme, gent taillable et corvéable à merci et miséricorde, ne comptaient pas et n'étaient de rien. • " Quelles pouvaiont être les préoccupations d'une société ainsi faite ? " Trois choses ; tro.is sans plus, en vérité. L'.ambition, la galant~rie, Ja dissipation. L'ambition, c'est-à-dire, la volonté de se pousser auprès du maître, d'obtenir les grâces, les dignités, les postes éminents, .les pensions, de lès obtenir par la faveur et Je d~n de plaire, par les intrigues et les sollicitations. La galantirie, affaire d'amourpropre ou de sensualité. La dissipation, enfin, ]a dissipation sous toutes les formes, parties de chasse ou de jeu, de plaisir ou de débauche, bals, soupers, spectacles ; la <lissipation, objet définitif de l'existence, dernier but des des antres buts, la vie n'ayant apparemment été donnée à l'homme que pour en jouir, èt le temps que pour le gaspiller et 's'en défaire. " Nous parlons de la société en général, et sana méconnaître ce que les j11gemens absolus, par cela seul qu'ils sont absolus, ont toujours d'injuste et d'exagéré ..... . "La Révolution française a jeté bas tout cet édifice _social ; elle l'a, pour ainsi parler, rasé jusqu'au sol. ".Si c'est là un mal ou un bien, chacun en pent juger selon qu'il l'entend. Ce qui est certain, c'est que cette révolution a remis les hommes à leur rang, et les choses à leur place; c'est qu'elle a rendu aux objets leur nom véritable. Désormais le sérieux est le sérieux, le frivole est le frivole. Les conventions ont fait retraite devant les réalités. " Les Français sont égaux entre eux ; ils ont des· droits à exercer en leur propre nom ; ils ont des devoirs à remplir envers l'état. Tontes les professions honorable:s sont honorées ; toutes mènent à tout. Plus de distinctions légales qui n'aient leur source dans la diversité des droits et des fonctions ; plus de distinctions sociales qui n'aient la leur dans la supériorité de mérite, d'éducation et de lumières. L'ambition est obligée d'exhiber ses titres, et de se produire au grand jour ; la dépravation des mœ11rs de se cacher ; les fautes de chercher des excuses. " En présence d'un état si nouveau cles choses et des esprits, ce qu'on nommait jadis le grand monde a baissé pavi11on. " Il a fini comme la monarchie du grand roi ; il a abdiqué comme l'empereur Napoléon, lequel nommait le grand roi son pré~écesseur, et n'avait rien négligé pour le ressusciter. Nous l'avons vu disparaitre ce grand ·monde, avec ses prohibitions fantasques et ses licences immorales, avtta ses convenances futiles et ses scrupules de commande, avec ses conq1:1érants à bonne fortune et ses juridictions de vieilles femmes. Notre cour n'est plus qu'une coterie, si tant est même que c'en ~oit une ........... . " A <l'autres mœurs, des goüts différens. " La vie en général est devenue simple et active, laborieuse et animée. Chacun est en train, chacnn vise à quelque chose, et à quelque chose qui en vaut la peine. Les discussions publiques et la presse libre nous entretiennent sans relâche des plus grands intérêts de l'homme. et du pays ...... " Sa\·ez-vous quel est le révolutionnaire, l'anarchiste, Je. démagogue, le lmveur de sang qui a éc:it tout cela? JJf onseigneur le duc de Broglie. V. S. ANl'IJVERSAIRE DE LA RÉVOLUTION ITALIENNE. (9 DÉCEMBRE.) Bien que voilée aujourd'hui sous les crêpes du deuil, la. noble Italie ne manque jamais <le trouver chez ses enfans des voix généreuses s'élevant, malgré les oppresseurs, pour consacrer une fois de plus les dates suprêmes de sa gloire et de ses malheurs, memorandurn des pouples mutilés. C'est ainsi que l'Italie jette à la vieille Europe, égoïste et flétrie, la commémoration du cinquième anniversaire de la République romaine assassinée par Bonaparte, au profit d'un·pape hypocrite et sans foi, asshté d'un Antonelli, fils d'un bandit de la montagne, et menant de frout, à son profit, en accaparant les gi;ains, la famine du peuple et la torture des soutiens de la liberté. Les patriotes Italiens ~onsacrent le nom de leurs martyrs, devoir pieux et touèhant ! oui, vraiment, touchant et pieux, car la reconnaissance est un sentiment digne et saint, un sentiment qu'il importe bien plus de conserver dans la conscience populaire que dans la mémoire de l'individu. Les noms des trois jeunes soldats du régiment des Financiers, l'un des plus braves de l'armée romaine, exécutés après quatre années de prison, et jetant, au moment de mourir, ce cri suprême : vive la République! comme, il y a trente ans, les glorieux sergens de la Rochelle·; ces noms, <lisons-nous, et cc cri resteront gravés dans la mémoire des peuples, de même qu'y resta le souvenir des quatre sergens. Et pourtant, on dansait aux Tuileries lorsque la hache du bourreau tombait sur la tae de ces nobles victimes ; mais huit ans plus tard? - Oh ! huit ans plus tard, la loge des Amis de la Vérité rendait un solennel hommage à leur mémoire et chassait l'échafaud de la place de Grève,. où, depuis, il n'a jamais reparu, et, ce même jour, les amis, les comp:ices des quatre sergens envoyaient à la législature du temps une pétition pour l'abolition de la peine de mort. . · L'Europe a gardé religieusement les noms de nos martyrs ; elle fera de même pour ceux des trois nobles romains morts en criant : vive la République! J. CAHAIGNE. Voici la relation donnée par l' ltalia è Popolo du cinquième anniversaire de la République romaine : I Nous nous sommes imposé le devoir d'enregistrer avec tin soin religieux tontes les Jates qui, dans les annales des peuples, font éclater la gloire clel'Italie. Ceci est pour nous un culte ; c'est un hommage aux malheurs de la patrie. D'autres adorent le présent et jettent de l'encens à ceux que l'imbécilité _deshommes et_d_emalheureuses illusions maintiennent au pouvoir : nous, nous v1s1tonsle champ des morts et des opprimés, nous interrogeo~s les prisons et les tombes, E;tle cri que nous jette la nature du sem de la terre, et l_cslamentations de nos frères invincibles qui souffrent, font retentir en notre âme la sublime parole d'un passé qui est un enseignement pour les futures batailles... Des captifs et des morts il ne peut nous venir que des douleurs et des excitations aux sacrifices, des voix d'espérance et la conscience d3 nouveaux devoirs. Et nous, nous acceptons avec orgueil cette triste mission de publicistes officiels des opprimés, mission à laquelle de loin s'associent les hommes, parce que dans ce champ sem6 de giùets et de sép~lcres, on ~e recue~lle,au~jours de l'attente, ni des récompenses, m des ovations, mais le blame et la calomnie, mais m1eimmense défiance, une guerre sourdeet des persécutions _avouées.. . . , Mais aussi, cette lustoire des aflhgés et cette etnd~ que nous consacrons à écrire les pa.,.es des malheurs de l' Itahe, presque dans le mystère, seuls et c~chés, ont une sublime poésie et des moments d'un pur et saint enthousiasme, de chères aspirations et des espérances plus chères encore. Et, pleine d'amour pour la sainteté de notre cause, pour la vertu des héros italiens, notre· âme na"e dans la lumière et dans la joie, et nous trouvons belle, légère ;t sainte la destinée des journalistes organes des mendiants, des forqats, des agitateurs et des_ Barrabas. . . Que nous importe à nous, s1nous entendons la ra1llene des vendus et le cri des révolutionnairesen g,mts jaunes? Que nous importe, si la corruption si avant_dans Ie_sâ~es qu'à la fin toqt ce qui n'est pas trafic, tout cc qui ce qm n est pas vente ou achat (vente ou achat de conscience,peu importe) est un mal bien plus terrible que l'exagération des limes exaltées? . Nous ne parlons ni aux vendus, ni à ceux qui, par fol orgueil, se sont complu à désorganiser ce que d'autres avaient préparé par d'immenses sacrifices. Les faits le prouveront dans l'avenir, tous ceux-là sont hors ; d'action : ils ne seront plus utiles ni il eux-mêmes ni à la causei de l'Italie. Les adulations, les apo:.tasies, les incertitudes: sont' utiles aujourù'hui, mais ne le seront plu~ a11_jour du co?1bat. Alors il n'y aura pas de poste pour ceux qm Ms1tent et trahissent en hésitant ; il y a des barricades d des tentes que ne peuvent occuper ni défendre les orgueilleux qui veulent être tous généraux, pas plus q'fieles hommes sans foi et sans loyauté qui préfèrent la.. fumée de l'encens à celle des combats.
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