Homme - anno I - n.10 - 1 febbraio 1854

-SCIENCE.- ' -SOLIDARITE- .. JOURNALDELADEMOCRATJUENIVERSELLE. N° 10. ~ MERCREDI, ] er FÉVRIER l 854. l Ce ,fonrnal p,..-alt une fül• par •e•nalne. j LALIBERTÉDE CONSCIENCE. I. Il y a long-temps que lu discussion est établie dans le monde; il y a longtemps que les conscieuces luttent. Hommes de la force, hommes de l'épée, hommes du Sénat et des Assemblées plus ou moins souveraines ils vous disent tous : - Faites du g·ouverncme~t, organisez la force : le droit a besoin de l'épée. II. Nous n'aimons pas l'épée; gens de France, notrn habitude est d'étudier et de comprendre. La nation est la patrie, elle a souvent oublié le devoir absolu daus les crises, mais, quelle que soit sa faute, la patrie est sainte. .. . Un mot sur nos idées pourtant: gens de travail, O'ensde pensée et gens d'épée, parfois· l'on· nous inquiète et à l'étrang·er l'on nous demande le toast à la monarchie, ce qui pour nous est le toast à · l'ante-christ. Pourquoi cela? . Nous ne parlons jamais, ni dans les bânquets, 11i dans les fêtes : tles meetings et les parlements uous sont inconnus. Que uous veut-on?- Lai~ez- <loncaux pauvres la besace de l'honneur! Au temps de la vieille monarchie les intelligences marchaieut et se développaient. ·Molière, Lafontaine, Corneille, gens fiers, mais tristes, passaient en face du trône; hommes de la conscience et de la misère, ils étaient presque libres, pourquoi ne le serions-nous pas en Angleterre, après deux cents ans de lutte et <leraison humaine'? Aujourd'hui, la France est tombée, elle est ffiste, elle est perdue. Toutes les probités_ont peur de son g·ouverneme11t,comme tous .les ~ro1ts. ~ous les voleurs cspt'>rent dans cette sttuat1on qm· ne clo11nreien au travail et qui promet tout aux vilémcs. Alors, pourquoi' voulez-vous que nous n'ayons pas et le respect de-nos souvehirs et l'e..pérance de nos foyers affi-anchis! Gens de labeur, nous pouvons souffrir; mais gens <l'honneur et de probité, nous nous souviendro.ns toujours que la République n'e,st pas la mon~rchie, et nous resterons éternels soldats de notre foi dans tous les milieux et dans tous les temps.· La conscience c'est la vie : au temps de Louis XIV et des Cévennes, on marchait sur les douleurs,"sur les idées, sur les foye1:s.Les protestan!s tombaient : mais ils tourmentaient le· grand roi, qui, du fond de son Versailles, .étudia.~t de~ questions d'héritao·e, quand il y avait en d1scuss10ndes questions hu~aines. Combien n'y a-t-il pas encore de Louis XIV? III., Les Chinois aiment l'opium; les Anglais aiment la monarchie; les Fra11çaisaiment la République. Qu'y a-t-il à dire? - Laissez donc· à chacun sa pensée. . . . . , Nous sommes vrngt-crnq ou trente mille exiles; Toutes lettres et correspondances doivent être affranchies et adresslies au bureau de !'Imprimerie Universelle à SaintH'êlier (Jersey), 19, Dorset Street. - Les manuscrits déposés u~ Slltont pas rendus. l ON s' ABONNE : A Je1·sey, 19, Dorset st. il ]'Imprimerie universelle. A 'Londres, liO½, Great Queen st. •.1 Lincoln's-Inn-Fields, à la Librairie univer~elle. PRIX DE L'ABONNEMEN'r : Un an, 8 shillings ou 10 francs. Six mois, 4 sh. ou 5 fr. et politique elle est encore bien au-dessus de nous; mais rien n'est assuré : Napoléon est à Paris, le pape est ~ Rome; donc, la copscience et l'houneur sont en peine €t menacés. Cu Rrn. -------------------- LA PRESSE. Au 18e siècle, des hommes qui s'appelaient Diderot, J~n-J acques, Voltaire et Morelly clierchaient à relever la conscience humaine et ,travaillaient, courtiers de librairie, pour que leurs pensée püt se répandre. La France, alors, était inondée : Les grandes paroles qui venaient de Maëstri<:ht Oli de Genève l'enthomiasmaient : Elle avait le culte des idées, et la Sorbonne et le Chatelet et le Louvre contre elle ne pouvaient rien ! Nous $Ommes aujourd'hui clans la triste année des servitudes, Condorcet, Turg·ot, Saint-Just, Robespierre, tous les hommes du g·rand combat et du grand dévoùment sont tombés. Que reste-t-il à l'humanité ? De~ proscrits, des exilés, et, chose terrible, c'est que dan~ cette misère profonde et triste où le pays est plongé, les mnses elles-mêmes s'envolent; c'est qu'il n'y a rien dans les drames, dans les théâtres, dans les_feuilles qui puisse nous consoler, rien qui nous dise que dans notre patrie quelque chose de gTand se pepse à l'écart: non, rien. Les poète~ faiseurs d'ég·logues, , iii'appellentBelmontet ; et, toutes ces natures:• tous ces génies, toutes ces forces, tous ces héros du • second empire ne valent pas une strophe de l'exil! Nous n'en voulons pas seulement à Bonaparte, parce qu'il a tué sur les boulevards, parce qu'il a tué dans les prisons, parce qu'il a transporté, exilé, g·uillotiné, notts en voulons à cet homme parce qu'il a porté la main sur une civilisation héritière des pensé.es humaines, . parce qu'il a détruit la loyauté dans les cœurs, parce qu'il a profité d'un rayon de gloire qoi n'était ni sur lui, ni pour lui, parce qu'enin, daos la France de Descartes, de Saint-Simon, • et de Mhabeau, il n'a laissé que Saint-Arnaud, Troplong et Morny, pour assassiner la conscience lmmaine ! Nous le savons, la littérature est, parfois, marchande., EJle calcule, elle fait des académies, mais le génie littéraire de la France c'est l'âme· du monde ; il s'inquiète peu de la société des gens de lettres; il va au fond des idées, il s'appelle les tribuns, les penseurs et les poètes ! Le reste n'est rien. Voilà pourquoi, dans notre exil, nous souffrons 1 de voir la France si bas tombée, dans ses arts et dans ses formes : Patriotes, il ne nous est pas indifférent de savoir que la poésie ne s'appelle même plus ni Chénier, ni Lebrun, et quelque haine que nous ayons contre Bonaparte, il y a pour nous une douleur que nous ne voulons pas cacher, c'est celle <le la France abattue, abattue dans son droit, et ridicule dans ses poètes ? Ch. RYB. L'ORIENT. :tes feuilles anglaises, payant beaucoup pour être mal rem1eig-nées,nous déclarent que l'Orient .est sauvé, les deux flottes de France et d'Angleterre étant d'ac,wr<l et naviguant de concert dans .1amer Noire. Trois mois, 2 sh. ou 2 fr. 50 c. Balkans et Constantinople; il s'appelle Turquie, mais on oublie là-bas, et voilà le crime, qu'il pourrait venir aux camps et <lePologne, et de France, et <le·Hongrie. L'Angleterre a des meetings, <lesjournaux libres, des clubs ouverts, toute une propagande qui peut parler publiquemtnt : l'Angleterre ne s'en sert pas. Elle est la contradiction. de !a Russie, comme institutions - elle est l'antinomie française à tous les points de vue, et c'e~t par ~. Cobden qu'elle espère régenter le monde. Err~ur et folie ! Nous avons vu notre pays, qui est aussi grand que !'.Angleterre, sombrer sous Jes forces et les brutalités <lu guet-apeus : dans les trois royaumes, c'est le devoir .des patriotes de réfléchir E:td'agir. Nous sommes convaincus de ceci: c'e$t que l'Angleterre est trompée. Que l'Angleterre, y. prenne garde; nous, g·ens de rien, proscrits à l'aventure, homm~s que la misère et la mort peuvent emporter, nous, consciences intrépides, mais loy,autés vraies, nous sommes couvaincqs •que PA.ngleterre se trompe dans son gouvernement officiel. Nous somnies convaincus qu'elle est dupe dans les mouvements du Danube, et que, lorsqu'elle aura eng·agé ses forces dans la can:ipagne, ouverte avec les deux flottes, elle se _trouvera seqle, isolée, perdue, eptre la France .qui ne veut pas •de Bonaparte et _laRussie qui veut aller loin. En 1849 Haynau était à. Londres. Les ouvriers de la brasserie B .. ; donnèrent une grande leçon aux oligàrchies et au despotisme en le fustigeant. L'opinion anglaise, dans les trois royaumes, acclama religieusement cette pensée profondémeut humaine, qui ne voulait pas voir un boucher sans le flétrir. • Est-ce que les Anglais comprennent autrement, aujourd'hui, la_politique de l'humanité, qu'ils ue la comprenaient alqrs? Quapd ils luttaient par leurs f~mmes, leurs enfa11ts et leurs soldats d'industrie, les ouvriers, est-. ce qu'ils n~ co19-poouaientpas qu,'ils s'eng:.tgeaieut pour la Hong-rie, pour la Polog}1e, pour le droit humain? est-ce qu'ils ne savaient pas q_u'Haynau était un des capitaines de la grande marche sur Constantinople? Est-ce qu'ils l'ont oublié '! Ch. RYB. Chez lis Grecs et les Romains, il était de croyance vulgaire qu'après un certain nombre d'aunées passées dans, le Tartare ou_dans les Champs-Elysées, les âmes remontaient sur la terre pour y commencer une nouvelle vie. L'eau du fleuve léthée que l'on faisait boire aux ombres avant de sortir du séjour des morts, leur ôtait la mémoire du passé. Pour ces deux peuples, la vie future n'était guère que l'image décolorée de celle-ci. Ce dogme du retour sur la terre était admis chez nos ancêtres, les Gaulois. Ils lcroyaient à l'existence d'un autre monde, où des peines attendaient les méchants ; ces . peines n'étaient point éternelles, et une fois qu'on les avait.subies, .on retournait sur la terre pour y commencer une vie nouvelle. En meme .temps, les Gaulois se persuadaient que les hommes admis dans le ciel pouvaieut se perfectionner jusqu'au point de devenir des dieux, ce qui semblerait nier la croyance à un retour ici bas. la Hollande, la Suisse, l'Irlande, aux flots tristes, nousconnaissent. Nous sommes les hôtes de Dublin, d'Edimbourg, de Londres, des gens de partout et <lesO'ensde rien si vous voulez, mais partout n~us re~pcctons la loi ; laissez-nous donc partout vivre libres ! Nous aimons la .République et nous voulons la défendre. La dernière religion qu'il y ait au monde est la nôtre : République égalitaire, solidarité humaine, voilà notre foi, laiss~z-nous doncnotre évangile .... En dehors qu'y a-t-il ? dei boucherset des bourreaux. Les despotismes se comprennent ; les peuples ne se comprendront-ilsjamais? Voilà toute _la question. Nous la posons nettement, nous qm sommes au oTédes sinistres, des vents et des misères. ' Il est faux qu'il y ait au fond un accord entre les deux puissances, Angleterre et France, et, : d'une autre part, il est certain que la Russie veut Constantinople. Vôilà la vérité. Qu'on s'inquiète ou qu'on s'endorme, la situation ne changera pas : le canon est 1a1' bout des protocoles. Où est le droit? entre les Cette croyance a disparu de l'Occident depuis JésusChl'ist, qui a cru ou qui a laissé croire au monde chré~ tien qne, pour lui, l'autre vie ne supposait point un . retour sur la terre, qu'elle se passait dans le ciel, c'està-dire dans un autre monde et dans- des conditions différeqtes de celles que nous connaissons. Et, en effet, il disait à ses disciples : ." Les justes ont dans le ciel 1m domicile éternel que Dieu leur a préparé... La mort n'y sera.pas : il n'y ailra pour eux ni deuil, ni cri, ni travail ... ; ils y verront Dieu face à face, et Dieu sera tout en tous." De nos jours, l'ancienne solution de l'autre vie a retrouvé des partisans et des défenseurs. Parmi eux, et au premier rang~ se trouve Fourier qui, avec l'originalité qu'il communique à tout ce qu'il remue, lui a donné une apparence scientifique dont elle était jusqu'ici dépourvue. Fourier croit à l'immortalité de l'âme des planètes et à Que l'Angleterre y song,e: par la lib~rté ~e ?o_nscienceelle nous a devances; par la hberte civile · r, 4',, • •

celle des individus. Avant cette vie, les âmes étaient : elles seront encore après cette vie. Il y a métempsychose ; les âmes se manifestent toujours sous la forme matérielle pour n'être jamais isolées des voluptés physiques. Mais l'auteur ne ravale point notre âme à stationner dans le corps iles animaux ; il tient leur nature pour être infé- -:rieure à la nôtre. Nos âmes voyagent alternativement de la terre à d'autres globes ; de telle sorte qu'avant la ~n de la carrière planétaire, elles auront alterné périodiquement environ 810 fois de l'un à l'autre monde, fourni ainsi 1,620 existences, dont 54,000 ans passés dans l'autre monde, et 27,000 dans celui-ci. A l'époque du décès de la planète, la grande âme de Ja terre passera, en compagnie de noi petites âmes qui lui sont inhérentes, sur un globe neuf et vierge; car nos âmes sont destinées à croître en développement pendant plusieurs milliards d'années. Fourier détermine ensuite quels corps les âmes revêtent dans l'autre vie, dans quel état de bien-être elles s'y trouvent, et quelle solidarité les rattache à nos destinées terrestres ; car Dieu, dans sa providence, a dO. faire dépendre le bonheur des trépassés du bonheur des vivants, le progrès de ceux-là du progrès de ceux-ci. De là, nouveau motif à ajouter aux mille que nous avons déjà d'améliorer notre sort ici-bas, de constituer la société sur de meilleures bases, de cultiver, d'embellir la planète, et d'amener le règne de l'harmonie universelle. Fourier établit encore que nos impulsions collectives sont comme les oracles ou révélations de nos destinées, comme les interprètes du sort que Dieu nous prépare dans cette vie et dans les autre<;. C'est là qu'il puise ses preuves de l'immortalité de l'âme. Or, les lrnmmes en général désirent et espèrent instinctivement le bonheur en l'autre vie, le retour ~n celle-ci; et les vieillards, unanimement, demandent une existence nouvelle, plus l'expérience acquise dans la vie précédente. De là, les efforts de Fourjer pour répondre à cet espoir. Il nous fait faire un voyage à travers les siècles, à travers les astres et les tourbillons d'astres ; il nous fait passer d'un sexe à l'autre, de caractère à caractère, de forme à forme; et finalement, quand l'évolution sera accomplie, nous aurons parcouru à peu près une même somme d'existences variées : chacun de nous se trouvera avoir réalisé à peu près la même somme de bonheur et de malheur que tous ses semblables. C'est en cela que Fourier ferait consister l'égalité positive des hommes ; car tout serait ordonné de même dans la ilistribution des existences simultanées, pour que les dégrés d'inégalités les plus divers correspondissent entre eux, ce qui expliquerait les inégalités dont nous sommes témoins ; mais ce qui en même temps impliquerait que la moralité de l'homme n'a point de sanction, ou que Dieu est indifférent à la vertu et au crime. Mais nous doutons qu'il soit donné à aucun homme de réhabiliter cette croyance, qui d'ailleurs n'a jamais obtenu la foi de la majorité des hommes : c'est qu'elle a contre elle les invincibles répugnances du cœur, et les plus solides objections de la raison; c'est que nos aspirations instinctives vont au-delà de pareilles promesses; c'est que le passage d'1me vie à l'àutre, sans la continuité de conscience, équivaut à une mort complète pour le cœur et l'intelligence, et que dans tous les cas cette croyance serait impuissante à· captiver notre foi. L'espérance se refusera toujonrs à abdiquer ses pressentiments devant une pareille doctrine qui, après tout, ne peùt se produire ni comme démonstration, ni comme la plus vraisemblable. Un être moral qui n'a plus conscience de son passé est comme s'il n'avait pas vécu dans ce passé, est comme s'il n'avait pas été, est enfin un autre être ; car la véritable immortalité consiste à conserver éternellemeut le souvenir, la mémoire de toutes ses existences, de toutes ses manifestations, afin de sentir réellement sa perpétuité dans cette mémoire et dans la conscience facultative qu'il s'en donne. Or, suivant nous, ce qui prouve l'immortalité de l'esprit, ce sont moins les considérations de l'ordre métaphysique que celles de l'ordre moral .................. . Ah! lais:.ons ses ailes à l'espérance! Nous offrir en perspective une terre où Dieu aurait effacé nos amours, nos amitiés, nos pères et nos enfants, nos joies et même nos douleurs, c'est nous ann-0ncer 1Jn lieu d'exil, c'est nous désoler d'avance par l'anéantissement anticipé de la vie présente, puisque c'est anéantir la foi d'un lien durable entre nous et des êtres chéris auxquels notre amour a besoin de communiquer l'immortalité, pour n'être point glacé dès l'instant. Car, sachons-le bien, dans cette doctrine, rien de plus désolant, pour qui laisse épanouir son âme : amour, enfants, épouse, amis, famille, tout cela finit quand commence l'agonie et :s'ouvre la tombe; de sorte que la mort du corps est hien celle de l'âme; de sorte que la tombe des os et de la chair est bien celle du cœur et de l'intelligence! ... ...... Quoi de plus rationnel, de plus social et de plus conforme aux aspirations instinctives de l'humanité, que de supposer une autre vie où nous soyons admis à des conditions de bonheur supérieur, mais oà nous conservions la mémoire de celle-ci, ou nous retrouvions les ol>jets de _. nos attachements ? Quoi de plus consolant que d'annoncer une autre destinée au-delà du globe terrestre, où nous échapperons enfin aux misères extrêmes qui nous accablent en celle-ci? Quoi de plus social que de croire que chacun y aura sa place en raison de ses bonnes œuvres, de son activité utile, de son dévouement à l'humanité, de son obéissance aux préceptes de la loi morale fl.l..l cette vie?""" ) L' HOli ME. Pour etre intéressé au progrès des choses d'ici-bas, il n'est pas nécessaire d'avoir l'espoir d'y revenir indéfiniment, il suffit que la conquête de la béatitude dans l'autre vie soit le prix cles bonnes œuvres d'humanité eu celle-ci. Rien de plus social, disons-nous, que cette doctrine. Si elle n'a point eu des résultats qu'on puisse avouer dans le passé oriental, iridou et égyptien, où elle était de croyance générale, c'est qu'elle y était mariée à une erreur manifeste; c'est que les joies de l'autre vie étaient le prix de l'anéantissement de l'âme et du corps dans celle-ci. Pour mériter le paradis à so~1âme, il fallait tuer, abîmer son corps ; lc1contemplation, la fainéantise et l'indifférenceétaient sanctifiées comme les voies p:n lesquelles seules on :p9uvait se rapprocher de Dieu et gagner l'immortalité de notre être. Mais, dès qu'avec Jésus-Christ vous dites à l'homme : " Prends ta croix et marche à la conquête du règne de Dieu sur la terre par ton amour et ton dévouement pour l'humanité, et, comme récompense pour toi, à la conquête de la félicité dans le ciel, alors vous avez conservé un dogme aussi humanisant et aussi favorable au progrès terrestre, qne possible. Assurément, il ne faut pas être bien difficile en fait de bonheur pour désirer mieux qu'on ne trouve sur la terre, et ce serait un bien triste encouragement pour l'avenir de songer au 4,000 ans que nous aurions déjà parcourus sur cette terre par des retours successifs, pour n'avoir encore ·mérité et obtenu que la médiocre félicité dont nous sommes témoins. Comptez les larmes qu'on répand encore autour de vous, les privations, les douleurs, les maladies, les travaux de la multitude sur toute la terre! et dites si le progrès réel est fait pour consoler à l'idée d'un retour éternel ou indéfini sur le globe? Si les hommes, surtout dans les civilisations primitives, désirent revenir sur la terre après leur mort, c'est que leur croyance en l'immortalité, et en un autre monde, a ses heures de défaillance; c'est qu'au lieu de la certitude, l'espérance seule les soutient ; mais demandez-leur s'ils ne préfèreraient pas un autre monde à celui-ci, dans l'hypothèse qu'il offrît d~s conditions de bonheur plus généreuses que les conditions terrestres ? Ils veulent donner une forme aux félicités et aux conditions de l'autre vie, il faut bien qu'ils prennent leurs types dans le monde qu'ils connaissent; mais les perfections dont ils gratifient toujours leur paradis prouvent bien qu'ils le mettent ailleurs que sur la terre. Quelle que soit l'autorité des élans irrésistibles de l'âme vers l'infini, Dieu, pour la fixation des destinées réservées à cpacun dans ses apparitions successives sur cette terre, doitise déterminer par des motifs rationnels et moraux. L'm\ de ces motifs, le seul même, ce sont les actes vertueux, les mérites maifestés par chacun dans sa vie intérieure. Il faut donc que le dogme du retour en ce monde dom1e raison Iles inégalités de bonheur et de malheur qui existent aujourd'hui dans les destinées d~s classes, des sexes, etc. Il faut qu'il prétende que chacun ne se prépare pas un mieux-être pour son prochain retour, en raison de ses sacrifices en cette vie, ce qui ôte à ce dogme to1it caractère social ; ou il faut qu'il soutienne que chacun en ce monde a toujours la position et le dégré de bonheur qu'il mérite: et, dans ce cas, il légitime et divinise, en quelque sorte, les inégalités actuelles de conditions. Les plus riches sont aussi les plus vertueux. Les pauvres n'ont que ce qui leur est do. : de là toute une réhabilitation des castes et des réprouvés. Au contraire, avec l'hypothèse d'une autre vie placée dans un autre monde et se manifestant dans des conditions nouvelles, dont nous ne pouvons nous faire une idée, bien que Dieu se déteqnine toujours et nécessairement d'après les mérites de chacun en sa vie antérieure ; comme la vie future est tenue pour être d'un autre ordre, c'est-à-dire pour être un mystère, nou:, ignorons comment les inégalités se produisent ; et, en attendant, les inégalités dont nous sommes témoins ne nous apparaissent plus que comme des conditions de sacrifice et de mérite pour chacun et pour tous, au lieu d'être des effets, des résultats, des récompenses ou des peines correspondantes aux actes d'1me vie antérieure. Suivant nous donc, tout dogme sur l'immortalité de l'âme doit satisfaire à ce; -conditions : 1 ° l'autre vie, placée dans un autre monde que la terre ; 2° perpétuité de la mémoire, continuité du sentiment de l'existence ou de notre identité ; 3° souvenir de la vie présente dégagé de tout sentiment douloureux ; 4o retrouver l'humanité, et dans l'humanité tous les êtres que l'on a aimés d'une affection pure et désintéressée ; 5° recevoir de Dieu des couditions cle bonheur et de libl,'rté, infiniment plus abondantes, plus accessibles et plus durables que celles de cette vie ; 6° des conditions EXTÉRIEURES ùe félicité, égales pour tous les hommes indistinctement, quelle qu'ait été leur conduite en cette vie ; mais l'inégalité distributive, réalisée par les conditions intérieures de bonheur 1 par la diversité des dispositions intimes, fies caractères, etc., afin que nul ne puisse juger, par la seule vue des positions matérielles et des obligations extérieures de chacun, la valeur morale, effective, de ses semblables ; 7° ou bien, que tout soit tellement ordonné dans l'autre vie qu'il soit encore possible de mériter indéfiniment aux yeux de Dieu, sans que la position sociale et les réalités de la vie individuelle puissent être considérées comme le thermomêtre de la valeur morale ou des vertus passées de chacun. C. PEc... ,R. CORRESPONDANCE DE LONDRES. Londres, 27 janvier l 8/i4. •_Louis Bonaparte devient décidément un grand personnage. Le Tnnes vante son alliance; la République Helvétique emprisonne et expulse trois italiens coupables d'avoir colporté des chansons c?nlre lui ; le cz:ir modère son irritation et répond poliment et grac_ieusement aux notes des puissances occidentales, par considération pour le gouvernement français. La Turquie, enfin, réclame son C?~cours armé, à peine d'être vaincue et forcée d'accepter les cond1t10ns du cz~r. Louis Bonaparte devient l'arbitre de l'Europe! Il est vrai qu'aux yeux de l'Angleterre, c'est l'appui de la France qui est import:rnt et indispensable, quel que soit son gouvernement; la Suisse cède à la crainte, mais sans sympathie! pour l' Empereur; le czar flatte l'orgueil de son cousiu pour o-ao-nerdu temps et endormir l'Europe sur les préparatifs du co~p 0 décisif dou_t il menace la Turquie. - Quant aux Turcs, c'est avec dépit 'JU'1ls en sont réduits à invoquer l'appui des chrétiens dont ils semblent redouter la coûteuse et oppressive alliance. - .Mais, IJUoiqu'il en soit de toutes les sourdes hostilités cachées sous les flatteuses paroles des gouvernemens, il n'en est pas moin• vrai que L. Ronaparte peut s'énorgueillir du rôle qu'o11 lui donne à jouer dans cc tenible drame qu'on appelle la question d'Orient. Le czar ne veut négocier qu'avec le sultan seul et sans le con-- cours de ses alliés; il veut avoir la Turquie à sa.discrétion; et, profitant des mezzo-termine des Puissances, il amoncèle ses armées sur le Danube pour écraser l'armée d'Omer-Pacha; le général Gortschalrnff se prépare à s'emp:irer de Kalafat, dût-.il lui en coÎlter 10,000 hommes, pour forcer ensuite les Turcs à se retirer derrière les Balkans. Tont cela est connu ; mais au lieu de répondre par une déclaration de guerre à ]'entrée des flottes dans la mer Noire, le czar demande avec une politesse méphistophélique qu'elle a été l'intention des puissances occidentales en sortant du Bosphore? Le czar ne considère pas cet acte, passablement agressif pourtant, comme un Casus belli, ponrvu que les flottes traitent avec imparti:ilité les escadres turques et russes. Cette ironie a mis au d6sespoir les bo11rses de Paris et de Londres; b hausse, la baisse se sont succédées rapidement et alternativement, et les faiseurs ne sarent sur quoi compter. Pourtant, les flottes ayant escorté un convoi portant un renfort de 10,000 Turcs et des munitions à l'armée d'Asie, et ayant signifié qu'elles s'opposeraient à toutes agression des Russes, la question posée par le Czar est résolue par le fait. Mais la tête tourne à tous les politiques, à ce qu'il paraît; et tandis que des journaux affirment gravement que le czar revient à d_es sentimens pacifiques, voici d'autres journaux annonçant, sans rire, que le czar négocie avec le pape pour réunir les églises catholique et grecque, sans doute pour entraîner toute la chrétienté dans la Croisade-Romanoff contre Constantinople! Le comte OtloJf parcourt l'Europe avec une mission de Nicolas. Il va, dit-on, commencer par mettre l'Autriche en demenre de se prononcer. L'Autriche, qui a déjà concentré 80,000 hommes sur les frontières de Hongrie, dirige encore vers ces contrées son armée de Bohême : c'est probablement une preuve de plus de sa résolution de rester neutre ? Les troupes autrichiennes, dans les Etats pontificaux, se conc_entrent peu à peu clans les villes les plus importantes des Légations. Les finances du Saint-Père, épuisées dès longtemps, ne peuvent suffire aux dépenses des troupes étrangères; c'est un compte difficile à solder, et qn'il faut solder à tout prix pourtant. La colère cléricale se décharge sur les :iccusés politiques, amoncelés dans les prisons infectes, torturés de toutes façons ; voilà. deux douaniers du corps de Zambianchi condamnés à mort et exécutés, :iprès 54 mois de détention ! Partout on se prépare à la guerre : les Cours de Suède et de Da: ne:nark arment pour maintenir leur neutralité· la Prusse d:ins li même but, vient d'acheter, sur la mer du No::d, le port de hlde appartenant au grnnd duc d'Oldenbo!lîg; le czar proteste, dit-ou. - Les envoyés de Prusse et d'Autriche ont renié, à Const:intinople, toute solidarité avec l'attitude prise par la France et l' Angleterre à la suite du désastre de Sinope. Partout des démarches inquiètes, dépitées, indiquent l'approche d'une crise décisive. Les flottes naviguaient vers Sinope ou Batoum aux dernières nouvelles; la flotte russe, qu'on dit être sur les côtes de Crimée, n'a pas encore été rencontrée. On dit que les Russes ont pris la forteresse de Kars, en Asie. La Perse, après avoir reculé devant les menaces de l'Angleterre et des Afghans, concentre pourtant une armée d'observation sur la frontière turque. Plusieurs journaux font rem~rquer qu'un désastre sur le Danube ou en Asie forcerait la Turquie de négocier clirectement avec le czar, les secours cle la France et de l'Angleterre ne pouvant arriver à temps pour anêter la marche des Russes : d'ailleurs la Turquie, à bout de ressources financières, ser:i fort en peine pour solder les troupes auxiliaires que les Puissances ne voudraient pas, dit-on, envoyer à leurs frais. Et voilà l'instant que choisit un grand p:nti en Angleterre, le parti du Libre-Echange, pour conseiller l'isolement, l'égoïsme et la Paix à tout prix comme la véritable politique à suivre! Le parti de Manchester, dans sa conférence habituelle avant.l'ouverture du Parlement, a entendu Cobden louer la lenteur diplomatique de Lord Aberdeen, renier toute sympathie pour les Turcs, "des Musulmans après tout", et, tout en blâmant l'injustice, l'insolence <lu czar, déclarer que la conquête de Constantinople par les Russes n'aboutirait qu'à changer leur empire en puissance commerci:ile et maritime, et, sans doute, à faire triompher le LibreEchange ! M. Bright, l'ami de Cobden, a rappelé que leur opposition aux mesures demandées il y a un an contre l'éventualité d'une invasion bonapartiste ét:iit impopulaire, comme aujourd'hui leur résistance à la guerre ! 1. . Attendons la fin, MM. du LibreEchange, m:iis surtout souvenez-vous que la Paix ne se conserve pas par la résignation et b soumission à l'injuste agression, mais par l'énergique résistance à l'envahissement des conquérans: et que, pour avoir la paix, il faut être prêt et décidé à la guerre. Si vis pacem, para bellum ! Le Times, sans répondre à M. Bright qui a raison quant à l'inconséquence anglaise à l'égard de L. Bonaparte, relève vigoureu- ~ement les assertions de M. Cobden. "L:i. Russie, dit M. Cobden, est injuste dans son agression, mais qu'importe anx Anglais que le czar ou le sultan règne à Constantinople, et l'Angleterre est-elle le Policeman de l'Europe 1 '' Le Times démontre le péril évident courn par l'Angleterre, par l'Europe, par la civili5ation même, si le czar s'empare de la clef du monde, et fait appel - qui le croiraità la solidarité des peuples pour exciter ses compatriotes à défendre Constantinople malgré son éloignement, et à ne pas séparer leur cause de celle des autres nations ......... -A .Maclrirl,coup d'Etat : la dissolution des Cortes est suivie par des décrets dictatoriaux; et, en attendant qu'il déchire ouvertement la Constitution, le ministère Sartorius exile 011 t.lestitue les généraux de l'c,pposition. Dans le nombre, nous \'Oyons en première ligne les Moderatos, les serviteurs jadis dévoués de la reine Isabelle, les vainqueurs d'Espartero. Les frères Concha, Armero, le génér:il Serrano sont les plus connus parmi ces victimes du coup d'état IJUicommence à Madrid, comme à Paris le 2 décembre, par la chasse au:r:généraux. -A Paris, le convoi de Mlle Emélia Manin, fille du président de la République de Venise, a réuni ce qui reste de notabilités

républicaines, donnant ainsi une marque de sympathie au patriotisme du père et de la fille. MM. Gninarcl, L. Téléki, Sartori, Carnot, Basti<le, Goudchaux, etc., ont été remarqués an convoi de cette exilée, morte des suites <leses souffrances pendant le siège de sa patrie vers bquelle ont volé ses dernières pensées. Au mo- •ment d'expirer, ne pouvant plus parler, elle a écrit au crayon encore quelques mots de regret pour s:t chère Venise. Tout à vom;, Ph. FAURE. A l'Editeur du llf orning Advertiser, Lond.-es, 30 décembre 1853. Monsienr, Je ne répondrai pas à la réplique de M. Richards insérée clans votre numéro d'hier. Il y a d:ins notre première Révolution des choses que je regrette de toute mou âme, .mais je ne l'en vénère pas moins profondément. Jp l'ai <lità M. Richar,ls, et pour me réfuter, il verse sur elle un torrent clenouvelles injures au milieu desquelles il va jusqu'à placer le mot de "bouffonnerie." Si un pareil jugemi>nt, appliqué à un épisode quelconque du gigantesque mouvement français qui émancipa l'Emope, n'est pas lui même uné bonffonnerie, j'en clema11depardon anx bouffons. A Vienne, j'ai aussi entenrlu des Autrichiens dire que la Révolution romaine était pleine de bouffonneries. Je ne puis discuter sur ce ton. :.\I. Richards m'oblige à Je répHcr, il a moins de <lroit que personne ile revenir sans cesse sur " les horreurs de 93.'' Il a en effet déclaré qu'il vent garder l'échafaud "ponr un petit nombre d'oppresseurs! ,, et il gémit parce que plusieurs d'entre eux, en mourant de viellesse, ont échappé au trépas cruel qu'il leur réservait. "Hélas! ces compensations à exercer par la Pologne sont désor- " mais perdues, les oppresseurs sont morts de vieillesse.'' Parmi les extrémité<; auxquelles nos glorieux pères ont été condamnés pour nous délivrer de l'absolutisme et des prêtres, et pour se défendre an milieu d'nne effroyable guerre civile, je ne découvre rien d'aussi froidement barbare que cet HÉLAS! poussé au coin du feu par le contempteur des révolutionnaires français. ::VI:iis,demande-t-il e1rnore: " Dois-je m'excuser pour avoir " parlé avec approbation du poignard, en exprimant mon horreur "de la guillotine?•' En vérité, je ne me rends aucun compte de l'humanité de M. Richards. A mon avis, verser le sang avec un poignard ou avec une guillotine, c'est tout nn; exercer ce q11'il appelle " des compensations" avec un poignard ou avec une guillotine, c'est toujours tuer, c'est toujoms commettre un acte de vengeance sanguinaire, et quant à moi, si je ne repoussais avec terreur et dégoût tout instrument de meurtre hors du champ de bataille et de la défe1rne personnelle, j':mrais encore plus d'horreur du poignard que de la guillotine. D'ailleurs, est-ce que notre Révolution ne fut pas un combat perpétuel depuis Je premier jour jusqu'au dernier? Est-ce qu'elle fut jamais entièrement maîtresse de la situation? Est-ce que ceux auxquels M. Richards reproche si âprement la guillotine que nous repoussons, n'étaient point en cas de légitime défense comme les Italiens auxquels il conseille le poignard? Est-ce qut! les royalistes qui attaquaient la Révolution au-dedans et au-dehors, avec le secours des armées étrangères, n'étaient p1s alors à la France ce que l'Autriche est à l'Italie ? Au surplus, M. Richards qui est parfaitement maitre <lesa plume ne pent échapper à ce qu'il a signé. Ce n'est pas seulement le poignard pendant la bataille qu'il désire, c'est la guillotine après; "la peine de mort qu'il veut conserver pour "certains oppresseurs " n'est évidemment pas une arme de combat. En second lieu, dans la collection qu'a faite M. Richards de tout ce qu'on a écrit contre les Franç:iis, il voit des autorités que je ne saurais priser. Il trouve bon de citer maintenant des textes de Washington et de John Adams injurieux pour notre Révolution. Je n'en voudrais pas paraître dénigrer ces héros <le l'indépendance de la race blanche en Amérique, ils ont fait des choses que j'admire et admirerai tonte ma vie. Cependant, puisque l'on nous met clans le cas de nous défendre contre eux, je suis bien forcé de le dire : pour grands qu'ils füssent, ils étaient tellement privés d'un certain sens moral et du respect cle l'homme que leur opinion à notre endroit ne m'inquiètera jamais beaucoup. Washington fut ùélibérément un sontenenr de l'esclavl\ge aboli par ces révolutionnaires qu'il calomniait, il était lui-même propriétaire cl'esclaves, enfin, il est un de cenx qui contr-ibuèrent le plus à graver au front rle la Constitt1tion américaine la tache infamante de la servitude. Cela me suffit pour n'avoir pas une confiance absolue dans ses opinions en matière d'humanité. Entre celui qui tue son semblable et celui qui le dégrade jusqu'à ]'assimiler à un bœuf de labour, le second est peut-être pins atroce que le premier; en tout cas, il offense davantage la dignité de la nature humaine. Tout ce que M. Richards pourra rlil'e afin d'excuser Washington, c'est que ce grand homme participa de fatales erreurs de son temps et du milieu où il vivait; mais c'est là précisément ce que nous disons de nos grands hommes, c'est préci- ~émcnt ce dont il ne veut pas tenir compte à leur égard. Et encore eux ils servaient un principe contre des ennemis puissants, implacables, prêts à les écraser, tandis que "\Vashington et John Arlams asservissaient toute une race bienveilhnte et inoffensive dans un misérable intérêt de dollars. Pourquoi les gens du Sud exigeaient-ils qu'on ne toucMt point à lenr propriHé pensante? Parce qu'ils gagnaient des dollars à la conserver. On a tort d'évoquer contre nous les ombres solennelles de Washington et de John Adams. S'ils ont eu le malheur d'insulter la Révolution française, il valait mieux le cacher pour leur gloire et aussi pour ne point nous réduire à protester. Je ne me sens ni le goût ni l'envie d'abaisser leurs hautes statues, mais enfin, dès qu'on rappelle qu'ils se tournèrent contre nos pères, on m'autorise à rlire que ces statues ne les représenteront pas fidèlement si elles n'ont point dans la main le fouet d'un commandeur de nègres. - C'est aussi pousser trop loin la prévention et l'injustice que de s'acharner à résumer l'œuvre des révolutionnaires de lï93 par une guillotine, et de ne pas même apercevoir la servitude au fond de l'œuvre <lesrévolutionnaires de 1787, la servitude qui avilit l'homme, étouffe son intelligence et corrompt son cœur. Hélas! il faut bien le reconnaître, "le père! de la liberté américaine" est afüsi le père de cet esclavage américain devenu la clef de voûte de tout ce qui reste dans le Nouveau-Monde du dernier legs des temps barbares. Personne n'a rien à m'appréndre sur les grandeurs morales du gouvernement ,lémocratique fondé par Washington, John Adams et lenrs émules, je sais tout ce qu'il présente de beau, de sublime, mais cela ne sert qu'à me pénétrer d'une plu• profonde douleur au spectacle affreux clu cancer qui le ronge et le souille. M. Richards voit sur les bords du Delaware et- du Missisipi " le plus "grand exemple de la liberté dont l'univers ait été témoin.'' Il a certainement raison si l'on ne regarde qu'un côté du tableau; pour moi, je ne saurais détacher mes yeux t!e l'autre, et il m'est impossible de considérer comme " une République sacrée, équilibrée (balenced )," le pays ou 3,200,000 êtres humains se tordent à cette heure sous le bâton meurtrier de leurs maîtres, le pays oà, il y a quelques jours à peine, une généreust femme, Madame Mari:aret Douglas, était Mclarée coupable PAi\ UN JURY du crime L'HO)IME. d'avoir reçu quelques enfants nègres clansson école, et condamnée à six mois de nrison !... On impute :ux hommes de 93 d'avoir engendré les monstres appelés Bonaparte, autant vaudrait imputer à la réforme religieuse d'Angleterre d'avoir engendré le règne de Marie-h-Sanglante. Quiconque vourlra lire notre hi~toire avec impartialité reconnaîtra que le traîrre du 18 Brumaire et le vil coquin <lu 2 Dtlcembre sont uniquement les odieux produits d'une force tout il la fois aveugle et corrompue, celles cles armées permanentes. Mais est-il un seul homme capable de nier que les rédacteurs du pacte fédéral cle l 787 n'aient répandu sur lem~ patries les noh-es et malfaisantes ténèbres d'où sont sortis les juges de Margaret Douglas ? Et ces juges ne sont-ils pas les vrais pendants du juge de Madiaï, d'autant plns impardonnables qu'il est plus innocent d'apprendre à lire à de petits enfants dans une République que de faire circuler la bible protestante dans une contrée catholique. En lisant <lepareils anêts, non moins faits pour déshonorer le dix-neuvième sii)c)e que le triomphe momentanê des décembriseurs, en lisant l'horrible loi des 1-sclavesfugitifs votée le 18 septembre 1850 par le congrès américain, on voit ce qu'il en coûte il l'humanité lorsque des hommes placf>scomme l'était Vi'ashington transigent avec le mal, et ne s'attachent pas à être les;serviteurs inflexibles des principPs. Dans sa République ''équilibrée'', "\Vashington n'a pas seulement fait les nègres esclaves des blancs, il a fait aussi les blancs esclaves de l'esclavage. Le congrès des Etats- Unis en est venu à étendre les chaînes dn Sud sur la fédération entière ; les Etats libres n'ont plus même le droit d'asîle qu'avaient les temples cl' Hercule il y a 3000 ans! 'l'ont citoyen de la République américaine est aujourd'hui forcé de livrer ]'esclave fugitif réfugié sous son toit ...... Ajoutons un mot décisif pour ceux qui opposent les révolutionnaires sages de 1787 aux révolutionnaires violrnls de 1793. Les héritiers <l,es violents ont aboli la peine capitale, le châtiment corporel qni survit dans les lois anglaises. Les héritiers des sages ont encore la peine capitale, ils ont encore le châtiment corporel, ils se livrent encore an commerce cle chair humaine, vendant et achetant, jusque dans leur métropole nommée "\Vashington, des hommes, des femmes, des enfants, comme du bétail, arrachant, sur leurs marchés impies, le fils à la mère, comme nous séparons, sur les n6tres, la brebis de l'agneau destintl à l'abattoir ...... Où litrent les meilleurs enseignements? Encore une fois, je tiens à le répéter, il n'entre pas dans ma pensée d'attaquer la Répulllique des Etats- Unis, nous y trouverons, je le sais, de magnifir1ues exemples à suivre, j'ai l'admiration la plus sincère pour la plupart de ses institutions, j'éprouve la sympathie la plus ardente pour les nobles et nombreux Américains qui, fidèles au véritable esprit démocratique, poursuivent l'esclavage au péril même de leur vie; dans ce que je viens d'écrire avec tristesse, j'ai voulu seulement montrer qu'il ne faut pas juger les nations sur des accidents malheureux; la France, que l'on traite exclusivement avec une sévérité trop légitime dans son abaissement actuel, ne porte pas seule une plaie honteuse ; elle se délivrera du chancre bonapartiste comme les Etats- Unis se délivreront du chancre servile. Quant à John Adams qui manifesta" son mtlpris pour tout le "mouvement de b Révolution française '', je ne puis trouver son mfpris que très méprisable. Je le dis sans hésitation, lui et ses collègues, quelle que fût d'ailleurs l'élévation de leur âme, n'étaient point à même d'apprécier ceux qu'ils osaient flétrir ; les législateurs de l'assemblée de Boston qui consacraient la sauvage doctrine de la possession de l'homme par l'homme, ne pouvaient comprendre les réformateurs français qui disaient : •• 11y a oppression contre "le corps social tout entier, lorsqu'un seul de ses membres est " opprimé.'' M. Richards ne va pas moins contre son but en rappelant ces paroles de John Adams : " que peut-on attendre d'une nation "d'athées?" Pour mon compte, je réprouve énergiquement toute atteinte portée à la liberté de conscience, je veux laisser chacun maître souverain de l'exercice privé de sa foi religieuse. Le culte public de la Déesse Raison ne me semble ni plus "bouffon•' ni meilleur que le culte de la vierge Marie, mère de Dieu ; mais ceux qui ridiculisent tous les jours sans ménagemeus les cérémonies de l'église romaine et " les fraudes de la prêtraille " (priestcraft ), selon l'expression de M. Richards, comme ceux qui honorent les martyrs allant renvetser les Idoles payennes dans les temples antiques, me paraissent au moins fort inconséquents de blâmer la Convention d'avoir renversé lei Idoles catholiques. Il n'est ni bon, ni sage, puisqu'on 1ial'le tant de sagesse, de reprocher aux autres ce qu'on fait soi-même. li ne sert de rien de briser le bois et le marbre adorés, si l'on n'éclaire pas Phomme qui les divinise, nous i.avons cela aujourd'hui ; mais parmi les conservateurs protestants, si grands docteurs " de la juste mesure ", si sévères pour "les exagérations démagogiques et inéligieuses de 93 '•, qui me dira où sont les anciennes statues de toutes les cathédrales Il'Angleterre! Je vois bien Sl1akspere, Watt, Miss Siddons, Wilherforce à "\Vestminster et je ne le regrette pas, mais qu'a fait votre père des saints dont ils ont pris la place, répondez, ô vous qui condamnez si résolument les nôtres pour la mutilation des tombes royales de Saint-Denis ? Quand on voyage rapidement sm le railway, il est facile de déblatérer coutre l'ingénieur qui n'a pas craint d'abattre la vieille chapelle dont la voie se trouvait embarrassée. Du reste, ]'apostropl1e de John Adams :iccuse simplement chez lui une déplorable absence de toute idée philosophique. Qu'aurait-t-il pensé d'un catholique romain lui demandant ce qu'o11 pouvait attemlre d'une nation de pr9testants ? Certain~ déistes montrfnt à l'égard des athées une intolérance aussi absurde que celle de oertains catholiques à l'égard ùes protestants et desjnifs. Nombre de gens ont consumé de longs jours et de longues nuits dans la méditation pour chercher la lumière sans pouvoir sortir de l'obsc.urité. Croire on ne pas croire n'est point affaire de choix ni de goût pour· ceux qui ne se bornent pas à penser comme leur voi~in, c'est un acte de !'~rit indépendant de la volonté; les plus fortes têtes du catholicisme ont même soutenu que c'était un pur effet d'une chose inconnue et impondérable, çe qu'ils appellent la grâce. Croire ou ne pas croire ne constitue pas la moralité; si la loi suprême du ]);enétait dans tel ou tel livre prétendu saint, comme il y a plusieurs cl~ ces livres par le monde, il faudrait savoir quel est le bon, C!lr ils se contredisent sur plus d'un point. Chaque sectateur d'une religion pense que la sienne est la seule vraie et renferme le seul guide à suivre. Au résumé être déiste ou athée ne vous rend point honnête homme, et ce qu'il faut c'est d'être honnête homme, toujours, partout, envers et contre tons, jusqu'au sacrifice de la vie; ce qu'il faut, c'est d'aimer l'hu-· manité jusqu'à l'oubli de soi-mêmt. Or, sans pour cela tenir en doute leurs mérites, je ne crois pas plus à l'entière pureté du cœur qu'à la parfaite intelligence des gens comme John Adams qui chargent leur prochain de cl1aînes et nient la faculté de bien faire à ceux qui ne partagent pas leur foi. Agréez Monsieur, etc. V. SC!IŒLCHER, Londres, 20 janvier 1854. Devaut les lecteurs de l'Homme je dois déclarer que Mr. Richards a fait à mes lettres un~ seconde réponse que j'ai laissé tomber &ansréplique. Voici pourquoi: Comme on l'a vu, il n'avait pas cr.aint de d_ire: " Quant à la peine de mort demandée par les ré- " publicains français, cette loi aurait pu empêcher (might have p1·e- " venter/) b dernière révolution de dévorer ses propres enfans, " comme celle de 93." J'ai <léfié l'accusateur de citer un seul de ses enfans, ou même de ses ennemis que la magnanime révolutiou de 1848 eût dévoré. Là dessus il s'explique ainsi: " Mr. Schœl- " cher ne m'a pas du tout compris, je n'ai pas voulu dire que les "républicains de 1848 s'étaient dévorés,-ils n'en eurent point le " loisir,-j'entendais qu'une telle loi était calculée pour assurer le " salut ries acteurs d'un tel drame. Les révolutionnaires de 1848 " considérant le sort cle Danton et de Robe~pierre, ont sagement " songé à l'éviter. Cela était dit plutôt comme une suggestion que " comme un fait." ' En somme, c'est un calcul de lâches que nous suppose Mr. Richards, et ensuite il s'étonne que l'on se fâche. Il débite cette offensante ineptie fort innocemment, il ne paraît pas comprendre qu'il nous prête une bassesse qui 11'est que clans sa pensée. On voit comment notre parti est toujours; traité par ces hommes qui s'appellent modérés. Tout en ne pouvant s'empêcher de nromettre la guillotine "à des oppresseurs." Mr. Richards nous signale comme des tenoristes, prêt!! il nous "entre dévorer,'' pnis il expose bénignement que 5i nous avons aboli la peine de mort, c'est en vue de préserver nos têtes ! ! Les modé-rés sont partout les mêmes, nous avions dejà trouvé cette odieu~e échappatoire dans la bouche de ceux de France. Vos pères ont:ils dressé l'échafaud, vous avez soif de sang; l'abattez-vous, vous avez peur pour vous mêmes! Que dire à cela ? Rien. On ne discute pas avec la méchanceté flagrante, avec la calomnie avérée, on les laisse aller à. leur place. J'aurai soin de le faire savoir à Mr. Rich.:.rds par l'envoi de ce numéro. V. ScHŒLCHEIL VARIÉTÉS. ROME ET FRANCE. Lorsqu'il y a une dizaine d'années, nous avons montré l'esprit prêtre qui commençait de nouveau à s'abattre sur la France, au ]jeu de l'esprit religieux, les politiques à grande vue nous ont averti que nous faisions là un rêve. Pour eux, hommes d'expérience et de haute visée, ils n'apercevaient rien de semblable à l'horizon. Et il arrive que, dès la première expédition de la République hors de ses frontières, la France enfroquée dans une croisade du saint-office, s'en va glorieusement dérouler à travers le monde, sous le ciel d' Arcole et de Rivoli, la bannière de Loyola. Pour que rien ne manque au caractère de cette expédition, nous mettons tout le génie des docteurs des Provinciales dans notre plan de campagne ; nous soupirons dans nos proclamations pour le bonheur de l'Italie, mais il convient avant tout de la saluer bénignement d'une pluie d·e mitraille bénite. Notre désir naturel est d'éman- •ciper les Italiens; mais un amour plus honnête nous dit. de les canonner d'abord pour leur félicité. Evidemment, c'est en les tuant que nous ferons leur salut. J'ai travaillé de longues années pour empêcher mon pays de glisser et de tomber dans ce cloaque de sang. L'esprit que je combattais l'a emporté pour un jour : qu'il soit jugé par ses œuvres ! Voici le secret de beaucoup <le choses qui autrement seraient inexplicables. La France qui a fait cinq ou six révolutions politiques, ne s'est jamais décidée à faire une révolution religieuse ; elle a conservé au moins la forme du système religieux du moyen âge. De là ces contradictions, ces apostasies monstrueuses dont aucun peuple n'a donné le spectacle. Courant d'une extr1:m1té de la liberté à l'extrémité de la servitude, elle s'élance par bonds dans l'avenir; elle plane avec ravissement sur l'horizon social. Soudain une petite chaîne bénie, qu'on avait oubliée et qui la tient par le pred, se tend sous une main inconnue. La France retombe aussitôt, de trois siècles en arrière, dans une geôle du moyen âge. Hier elle avait devancé le reste • du monde, elle riait de ses contemporains ; aujourd'hui la voilà qui se débat, de concert avec les Napolitains de SanGennaro, dans une affaire de sang que l'on ne sait comment clasi.er, entre la guerre des Albigeois, la Saint-Barthélemy et les dragonnades des Cévennes. Nos clubs eux-mêmes, qu'on faisait si terribles, n'ontils pas été doux comme des colombes à l'égard de l'esprit prêtre? Ils l'ont caressé, évoqué. C'était, disaient-ils, un appui nécessaire, une force qu'il fallait absolumeut· conquérir par l'humilité. Pas un n'a fait planter un arbre de liberté qu'il ne l'ait fait baptiser par un saint homme. L'arbre ne pouvait _croître, dii:,aient-i1s,s'il ue sortait du jardin du sacré-cœur : l'entente était parfaite. Par malheur, à un signe, le jeu a cessé; la France, on ne sait comment, s'est trouvée liée des durs liens de la mort. Une servitude que l'on n'avait pas encore vue a pesé sur la langue et sm· la. peusée des hommes. Veut-on voir à quel point nous sommes éloignés du sentiment du droit? Pendant que d'nn côté nous aspirons à un monde nouveau de justice et de lumière, de l'autre nous nous laissons ravir, presque sans y penser, les conquêtes les plus assurées de la civilisation ; nous retombons soudain, du milieu du XIXe siècle, dans le droit barbare du , • moyen âge. Jusqu'à ce jour, les défenseurs les plus intrépides de la cause italienne ont cru devoir l'excuser par ce motif qu'elle ne porte nulle atteinte à la croyance de l'Eglise, et qu'elle est toute entière renfermée dans un intérêt politique. Singulière défense qui, pour sauver la liberté, commence par abandonner la première de toutes, celle de' la conscience! Si l'Italie, pour la centième fois, brisée, violée, lacérée, souillée, étouffée, au nom de l'Eglise, par toutes les nations dites catholiques, veut échapper à ce grand coupe-gorge qui se dresse pour elle à chaque siècle, le moyen radical, le seul efficace, est celui

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