Homme - anno I - n.08 - 18 gennaio 1854

billet qu'il ne paierait pas à i'échéance. Peut-~tre, apr~s tout, ce que nous déplorons est-il moins regrettable qu'il ne nous apparaît. Lorsque je comidère que ces différences ont toujours existé dans toutes les écoles, je me prends parfois à penser qu'elles sont dans l'essence même des choses et servent le progrès à notre insu même. Des branches et des racines d'un arbre aucune n'est identique, plus il en a cependant et plus il y a de forae. N'en serait-il pas ainsi de notre parti ? avec un but commun la diversité de ses aperçus ne constitueraient-elle pas sa vie, cette puissance presque surnaturelle qui le rend immortel, l'élève au dessus de toutes les persécutions, le fait survivre ii tous les despotismes, à tons les égoïsmes v:iinement ensemble conjurés pour l'anéantir. Mr. Richards, qui est si bien instruit des divisions de la proscription française, ne paraît pas être renseigné avec un soin pareil rnr nos liens avec les autres proscriptions, il 1iarait fort désireux de nous isoler; non content de ne pas nous aimer il veut que personne ne nous aime : "le libéral hongrois, écrit-il, ne rechercl1e " aucune alliance avec le libéral français. Le Hongrois ne forme " d'antres souhaits que de jouir d'une monarchie constitutionnelle." pour tonte réponse, je transcris la lettre qne vient de m'adresser mon ami, le colonel hongrois Teleki, l'un des plus vaillants parmi cette nation de vaillants: "Mon cher Schœlchcr, Je vois dans votre polémique avec Mr. Richards que, selon lui, le~ Hongrois désirent nne monarchie constitutionnelle. Laissez moi protester contrP une pareille assertion. Nous pensons tous que les monarchies constitutionnelles sont des mensonges comme celle de Louis-Philippe. Je ne crains pas d'affirmer que l'immense n11joritéde la Hongrie veut la République pour elle et la Rép11blï,11e tmiverselle pour le monde. A vous fraternellement, Le colonel Alexandre Teleki.'' Encore une fois, je n'incrimine plus la sincfrité de Mr. Richards, mais je dis que son attitude est inexplicable, si elle ne s'explique pas par une antipathie nationale. Voyons! ne ponvait-il venger l'Italie des grnssières insultes du Times sans mettre en présence les patriotes français et italiens au détriment les uns des autres, sans produire des assertions capables de les diviser, s'ils étaient moins bien unis? li persiste à dire que l'exécrable expédition de Rome a été faite non plus par /e.s Républicains, mais par des Républicains; nous sommes au moins tous coupables" de l'avoir soufferte." et si le citoyen Ledru-Rollin, alorRl'élu de six départements, apoussé la protestation le 13 juin 1819jusqu'à descendre dans la rue, tout ce qu'il obtint c'est un implacable "trop tarcl.'' Ainsi, d'ua c6té, M. Richards nous fait un crime d'avoir renversé l'excellent roi constitutionnel Louis-Philippe salis raison, par une sorte d'amour dépravé de la révolte ; puis, de l'autre, il nous reproche de ne nous t:tre pas insurgés imméùiatemcnt contre le gouvernement rfactionnaire, mais légal, qui commit l'attentat sur la République romaine. Est-on plus injuste? Réfugié ic;, je ne me permettrai pas d'apprécier"publiquement la politique du cabinet de St.-J ames, mais bea~coup d'Anglais, vois-je par votre propre feuille, Monsieur, trouve cette politique eu Orient compromettante pour l'honneur national, et Mr. Richards est de ceux-là. Or, quelle opinion auraitil de celui qui attribuerait à lui et à ses amis d'avoir consommé le déshonneur de la Grande-Bretagne, parce qu'ils "souffrent" la conduite que tient le ministère Aberdeen il Constantinople. Mais M. Richards va si loin, pousse si loin ses antipathies pour tout ce qui est républicain, qu'il s'en prend même à la manifestation du 13 Juin. C'était, dit-il avec dédain, "une manifestation "pacifique. Je ne crois pas aux mauifestations pacifiques quand "1111 autre peuple est victime de l'injustice, je crois à une inter- " rention armée.'' Fort bien; j'espère que, conséquent avec luimême, M. Richards, renonç:rnt à tout meeting pacifique en faveur des Italiens, fera sans retard une intervention armée. 11. Richards persiste également à soutenir que les Républicains voulaient envahir l'Angleterre. Savez-vous pourquoi? parce que le citoyen Ledrn-Rollin (toujours Ledru-Rollin), a écrit le livre de la Décade11cdee l' Augleterre ! Lisez plutôt : "J'ai dit que les Ré- " publicains français auraient envahi l'Angleterre. Quelqu'un "peut-il lire ]'ouvrage de M. Ledru-Rollin et douter de son pen- ., chant s'il avait le pouvoir? Je dis qu'il a, personnellemnet, en- ,. vahi l'Angleterre. Sa présence ici, après la publication d'nn tel "livre, est une invasion. Et les amis et les partisans d'un chef po- " litique ne doh•ent-ils pas être inculpés par ce qu'il a écrit?" Tout le monde me dispensera, j'espère, de répondre à une argumentation oil il est exposé que la présence d'un homme dans un pays " est une invasion.'' Une grande partie de la lettre de M. Richards est dirigée avec une véhémente passion contre le citoyen Leclru-Rollin. Celui-ci e~t de force il se défendre s'il en a envie; je me borne à dire que solidariser tout un parti avec telle ou telle pensée d'un de ses membres, si honnête et si éminent que soit ce membre, c'est pousser la solidarité beaucoup plus loin qu'il n'est raisonnable et que je ne l'accepte. Si mon arlversaire était moius prévenu, il aurait ai~ément trouvé des réfugiés français heureux d'avoir publié leur profonde reconnaissance envers un pays qui leur donne généreusement asile sans la moindre condition, qui les défend contre les poursuites de leurs ennemis, qui enfin leur laisse l'inapréciable liberté de dire et d'écrire tout ce qu'ils veulent. 11ais votre correspondant, Monsieur, tient si fort à ce que nous ayons eu le projet d'envahir l'Angleterre, qu'il donne le titre de républicain, dans les lignESsuivantes, au général Changarnier, le plus royaliste de tous nos généraux : "li peut ~tre vrai que le "Républicain Changarnier SEUL proposa l'invasion à ses frères "républicains. lis étaient probablement trop occupés de l'em- ,. barrassante question de l'administration intérieure pour avoir "trouvé le temps d'examiner ce projet l" Qu'est-ce que M. Ricl1ards penserait de l'état de mon cerveau, si je lui disais que s'il n'essaie pas d'envahir la France, c'est probablement parce qu'il est trop préoccupé de l'embarrassante question tic la retraite etcLord Palmerstou / Pour nous brouiller avec l'Angleterre, M. Richards a encore découvert que" dans les premières heures de la République fran.. "çaise on discuta une coalition entre la France et la Russie, ayant "pour but le partage de l'Emope. La Grande-Bretagne, dit La- ,. martine, serait aIon 'mise de côté co1nme un pur satellite de " !'Océan.'' Je ne sais oil notre adversaire :i pris cette citation du citoyen Lam:utine, je ne sais à quoi elle fait allusion; mais ce que j'affirme de bonne source, c'est que la coalition sus-mentionnée est une pure invention. Jamais alliance avec la Rnssie n'a été imaginée par personne au gouvernement provisoire, jamais l'idée n'en a traversé, même comme un éclair, l'esprit d'un de ses membres, jamais il n'en a été question une minute. Si .M. Richards peut dire la contraire, il faut qu'il s'explique. Cette lettre, Monsieur, s'allonge encore au-delà des formes; je suis forcé de m'arrêter quoiqu'il me reste peu de mots à dire. J'rspère que vous, Monsieur Richards, et le lecteur m'excnserez en considérant que la défense est toujours plus longue que l'attaque, et en remarquant que j'essaie de répondre à dt!s opinion3 qui appartiennent malheureusement à beaucoup d'Anglais. Je m'engage à terminer demain, si vous croyez pouvoir m'accorder encore un peu de place, et je reste en :ittendant, Monsieur, Yotre obéissant serviteur V. SCltŒLCHER. L'HO}IME. Nous publions l'éloquent appel de Victor Hugo, dans ses parties principales: plusieurs journaux l'ont déjà donné, mais il est bon que de telles paroles courent la terre. Qui ébranle les échafauds, ébranle les trônes ! AUXHABITANTDSEGUERNESEY. PEUPLE DE GUERNESEY, C'est un proscrit qni vient à vous. C'est 1111 proscrit qui vient vous parler pour un condamné. L'homme qui est dans l'exil tend la main à l'homme qui est dans le sépulci-e. Ne Je trouvez pas mauvais, et écoutez-moi .............. . Il y a une divinité horrible, tragique, exécrable, payenne. Cette divinité s'appelait Moloch chez les Hébreux et Teutatès chez les Celtes; elle s'appelle à présent la peine cle mort. Elle avait autrefois pour pontife dans l'Orient le ma·ge et clans l'Occident le druide ; son prêtre aujourd'hui, c'est le bourreau. Le meurtre légal a remplacé le meurtre sacré. Jadis elle a rempli votre île de sacrifices humains ; et elle en a laissé partout· les monuments, toutes ces pierres lugubres où la rouille clés siècles a effacé la rouille clu sang, qu'on rencontre à demi ensevelies clans l'herbe au sommet de vos collines et sur lesquell8s la ronce siffle 11uvent du soir. Aujourd'hui, en cette année dont elle épouvante l'aurore, l'idole monstrueuse reparaît parmi von~ ; elle vous somme de lui obéir; elle vous convoque à jour fixe, pour la célébration de son mystère; et, comme autrefoi_s, elle réclame de vous, de vous qui avez lu l'Evangile, cle vous qni avez l'œil fixé sur le Calvaire, elle réclame un sacrifice humain! lui obéirez-vous? redeviendrezvous payens le 27 janvier 1854 pendant deux heures? payens pour tuer un homme ! payens pour perdre une âme ! payens pour mutiler la destinée du criminel en lui retranchant le temps du repentir! ferez-vous cela ? serait-ce là le progrès? où en sont les hommes si le sacrifice humain est eticore possible? adore-t-on encore à Guernesey l'idole, la vieille idole du passé, qui tue en face de Dieu qui crée? à quoi bon lui avoir ôté le peulven ~i c'est pour lui rendre la potence? Quoi! commuer une peine, laisser à un coupable la chance du remords et de la réconciliation, substituer au sacrifice humain l'expiation intelligente, ne pas tuer un homme, cela est-il donc si malaisé? le navire est-il donc si en détresse qu'un homme y soit de trop? un criminel repentant pèse-t-il clone tant à la société qu'il faille se hâter de jeter par-dessus le bord, dans l'ombre de l'abîme, cette créature de Dieu! . Guernesiais ! la peine cle mort recule partout et perd chaque jour du terrain ; elle s'en va devant le sentiment 'humain. En 1830, la chambre des députés de France en réclamait l'abolition par acclamation ; la Constitution de .Francfort l'a rayée des codes en 1848, la Cons~ituante de Ron:ie l'a supprimée en 1849; notre Constituante de Paris ne l'a maintenue qu'à une majorité imperceptible; je dis plus, la Toscane, qui est catholique, l'a abolie; la Russie, qui est barbare, l'a abolie; Otahiti, qui est sauvage, l'a abolie. Il semble que les ténèbres elles-mêmes n'en veulent plus. Est-ce que vous en voulez, vous, hommes de ce bon pays ? . Il dépèncl de vous que la peine de mort soit abolie de fait à Guernesey ; il dépend de vous qu'un homme ne soit pas "pendu jusqu•à ce que mort s'en suive" le 27 janvier; il dépend de vous que ce spectacle effroyable qui laisserait tme tache noire sur votre beau ciel, ne vous soit pas donné. Sauver cette•vie, sauver cette â1ne, vous le pouvez, cela dépend de vous..................................................... : .................... . Dii:a-t-on, qu'ici, dans ce sombre guet-apens du 18 octobrll, la mort semble justice ? que 1~crime de Tapner est bie.n grand? Plus le crime est grand, plus le temps doit être mesuré long au repentir. Quoi! une femme aura été assassinée, lâchement tuée, lâchement ! une maison aura été pillée; violée, incendiée, un meurtre aura été accompli et autour cle ce meurtre on croira entrevoir une foule d'autres actions perverses, un attentat aura été commis, je me trompe, plusieurs attentats, qui exigeraient une longue et solennelle réparation, le châtiment accompagné d_ela réflexion, le rachat du mal par la pénitence, l'agenouillement du criminel sous le crime et du condamné sous la peine, toute une vie de douleur et de purification ; et parce qu'un matin, à un jour précis, le vendredi vingt-sept janvier, en quelques minutes, un poteau aura été enfoncé dans la terre, parcè qu'une corde aura serré le cou d'un homme, parce qu'une âme se sera enfuie d'un corps misérable avec le hurlement du damné, tout sera bien l Brièveté chétive de là justice humaine! Oh! nous sommes le dix-neuvième siècle; nous sommes le peuple nouveau; nous sommes le peuple pensif~ sérieux, libre, intelligent, travailleur, souverain ; nous sommes le meilleur âge de l'humànité, l'époque de progrès, d'ai-t, de science, d'amour, d'espérance, de fraternité; fohafauds ! qu'est-ce que vous nous vo_ulez? 0 machines monstrueuses de la mort, hideuses charpentes du néant, apparitions du passé, toi qui tiens à deux bras ton couperet triangulaire, toi qui secoues un squelette au bout d'une corde, de quel droit reparaissez-vous en plein midi, en plein soleil, en plein dix-neuvième siècle, en pleine vie? Vous êtes des spectres. Vous êtes les choses de la müt, rentrez clans la nuit. Est-ce que les ténèbres offrent leur service à la lumière ? Allezvous-en. Pour civiliser l'homme, pour corriger le CO!tpable, ponr illuminer la consèience, pour faire germer le repentir' dans les insomnies du crime, nous valons mieux que vous; nous avons la pensée, l'enseignement, l'éducation patiente, l'exemple religieux, la clarté en haut, l'épreuve en bas, l'austérité, le travail, la clémence. Quoi! du milieu de tout ce qui est grand, de tout ce qui e&tvrai, de tout ce qui est beau, de tout ce qui est auguste, on verra obstinément surgir la peine de mort! Quoi! la ville souveraine, la ville centrale du genre humain, la ville du 14 juillet et du 10 août, la ville où dorment Rousseau et Voltaire, la métropole des révolutions, la cité-crèche de l'idée, aura la Grève, la Barrière SaintJacques, la Roquette! Et ce ne sera pas assez de cette contradiction abominable l et ce contre-sens sera peul et cette horreur ne suffira pas! Et il faudra qu'ici aussi, dans cet archipel, parmi les falaises, les arbres et les fleurs, sons l'ombre des grandes nuées qui viennent du pôle; l'échafaud se dresse, et domine, et.constate son droit, et règne l ici ! dans le bruit des vents, dans la rumeur éternelle des flots, d:ins la solitude de l'abîme, clans la majesté de la nature! Allez-vous-en, vous dis-Je I disparaissez! Qu'est -ce que vous venez faire, toi, guillotine, au milieu de P:iris, toi, gibet, en face de !'Océan? Peuple de pêcheurs, bons et vaillants hommes tle la mer, ne laissez pas mourir cet homme. Ne jetez pas l'ombre d'une potence sur votre île charmante et bénie. N'introduisez pas dans vos héro"iques et incertaines aventures de mer ce mystérieux élément de malheur. N'acceptez point la responsabilité redoutable de cet empiétement du pouvoir humain sur le pouvoir divin. Qui sait? Qui connaît? qui a pénétré l'énigme? Il y a des abîmes dans_les actions humaines comme il y a des gouffres dans les flots. Songez aux: jours d'orage, aux nuits d'hiver, aux forces irritées et obscures qui s'emparent cle vous à de certains moments. Songez comme la côte de Serk est rude, comme les bas-fonds des Minquiers sont perfides, con11ne les écueils des Pater-N oster sont mauvais. Ne faites pas soùffler dans vos voiles le vent clu sépulcre. N oubliez pas, navigateurs, n'onbliez pas, pêcheurs, n'oubliez p:is, matelots, qu'il n'y a qu'une planche entre vous et l'éternité, que vous êtes à la discrétion des vagues qu'on ne sonde pas, et de la destinée qu'on ignore, qu'il y a peut-être des volontés dans cc que vous prenez pour des caprices, que vons luttez sans cesse contre la mer et contre le temps, et qne, vous, hommei: qui savez si peu de chose et qui ne pouvez rien, vous êtes toujours face à face avec l'infini et avec l'inconnu! L'inconnu et l'infini, c'est la tombe. N'ouvrez pas, de vos propres mains, une tombe au milieu de vous. Quoi donc! les voix de cet infini ne vous di~ent-elles rien ? Est-ce que tons les mystères ne nous entretiennent pa<;les uns dans les autres? Est-ce que la majesté de ]'océan ne proclame pas la sainteté tin tombeau? D:ins la tempête, clans l'ouragan, dans les coups d'équinoxe, quand les brises cle la nuit balanceront l'homme mort aux poutres du gibet, est-ce que ce ne sera pas une .9hose terrible que ce squelette maudissant cette île dans l'immens~té ! Est-ce que vous ne songerez pas, en frémissant, j'y insiste, que ce- vent qui viendra souffler dans vos agrès, aura rencontré à son passage cette corde et ce cadavre, et que cette corde et ce cadavre lui auront parlé? Non! plus cle supplices! Nous, hommes de ce grand siècle, nous n'en' voulons plus. Nous n'en voulons pas plus pour le coupable que pour le non-coupable. Je le repète, le c1·imese rachète par le remords et non par un coup de hache ou un nœud coulant; le sang se lave avec les larmes et non avec le sang. Non, ne donnons plus de besogne au bourreau. Ayons ceci présent à l'esprit, et que la conscience clujuge relig·ieux et honnête médite d'accor<l avec la nôtre: indépendamment du grand forfait contre l'inviolabilité de la vie humaine accompli aussi bien sur le brigand exécuté que sur le héros supplicié, tous les échafauds ont commis des crimes. Le code de meurtre est un scélérat masqué avec ton masque, 6 justice, et qui tue et massacre impunément. Tous les échafauds portent des noms d'innocents, et de martyrs. Non, nous ne voulons plus de supplices. Pour nous, la guillotine s'appelle Lesurques, la roue s'appelle Calas, le bûcher s'appelle Jeanned' Arc, la torture s'appelle Campanella, le billots'appe11e Thomas Morus, la cigiie s'appelle Socrate, le gibet se nomme JésusChrist ! Oh! s'il y a quelque chose d'auguste clans ces enseignements de fraternité, dans ces doctrines de mensuétude et d'amour, que toutes les bouches qui crient : Religion, et toutes les bouches qui disent: Démocratie, que toutes les voix de l'ancien et du nouvel Evangile sèment et répandent aujourd'hui d'un bout du monde à l'autre, les unes, au nom de l'Homme-Dieu, les autres, au nom de l'Homme-Peuple. Si ces doctrines sont•justes, si ces idée~ sont vraies, si le vivant est frère du vivant, si la vie de l'homme est vénérable, si l'âme de l'homme est immortelle, si Dieu seul a le droit de retirer ce que Dieu seul a eu le pouvoir de donner, si la mère qui sent l'enfant remuer dans ses entrailles est un être bfoi, si le berceau est une chose rncrée, si le tombeau est une chose sainte, insulaires de Guernesey, ne tuez pas cet l10mme 1 Je· dis: ne le tuez pas, car, sachez-le bien, quand on peut empêcher la mort, laisser mourir, c'est tuer. • Ne vous étonnez pas de cette instance qui est dans mes paroles. Laisgcz, je vous le dis, le proscrit intercéder pour le condamné. Ne dites pas : que nous vent cet étranger? Ne dites pas an banni : de quoi te mêles-tu ? ce n'est pas ton affaire.-J e me mêle des choses du malheur; c'est mon droit, puisque je souffre. L'infortune 1. pitié de la misère; la douleur se penche sur le désespoir. D'ailleurs cet homme et moi n'avons-nous pas des douleurs qui se ressemblent? ne tendo11s-nous pas chacun les bras à ce qui nous échappe? moi banni, lui condamné, ne nous tournons-nous pas chacun vers notre lumière, lui vers la vie, moi vers la patrie ? Et,-l'on devrait réfléchil" â ceci,.....:...J'aveug1emendte la créature l111mainequi proscrit et qui juge est si profond, la nuit est telle sur la terre, que nous sommes frappés, nous les llannis de France, pour avoir fait notre devoir comme cet homme est frappé pour avoir commis un crime. La justice et l'iniquité se donnent la main clans les ténèbres. Mais qu'importe! peur moi cet assassin n'est plus un assassin, cet incendiaire n'est plus un incendiaire, ce voleur n'est plus u11 volem; c'est_ un être frémissant qui va mourir. Le malheur le fait mon frère. Je le défends. L'adversité qui nous éprouve a parfois, outre l'épreuve, des utilités imprévues, et il arrive que nos proscriptions, expliquées par les cl10seijauxquelles elles servent, prennent des sens inattendus et consolants. Si ma voix est entendue, si elle n'est pas emportée comme un souffle vain dans le bruit du flot et de l'ouragan, si elle ne se perd pas dans la rafale qui sépare les deux îles, si la semence de pitié qw~ je jette à ce vent de mer germe clans )P,scœurs et fructifie, s'il arrive que ma parole, la parole obscure du vaincu, ait cet insigne honneur d'éveiller l'agitation salutaire cl'oilsortiront la peine commuée et le criminel pénitent, s'il m'est donné à moi, le proscrit rejeté et inutile, de me mettre en travers d'un tombeau qui s'ouvre, de barrer le passage à la mort et de sauver la tête d'un homme, si je suis le grain de sable tombé de la main du hasard qni fait pencher la balance et qui fait prévaloir la vie sur h mort, si ma proscription a été llonne à cela, si c'était là le but mystérieu~ de la chute de mon foyer et de ma présence en cei îles, oh l alors tout est bien, je n'ai pas souffert, je remercie, je rends grilces et je lève les ma.ins au ciel, et, dans cette occasion oî:1éclatent toutes les volontés de la providence, ce sera votre triomphe, ô Dieu, <l'avoir fait bénir Guernesey par la France, ce peuple presque primitif par la civilisation tout entière, les hommes qui ne tuent point par l'homme qui a tué, la loi clemiséricorde et de vie _parle rneurtrit>r, et l'exil par l'exilé l Hommes cle Guernesey, ce q11i vous J>arle en cet instant cc n'est pas moi, qui ne suis que l'atôme emporté n'importe clans quelle nuit par le souille de l':iclversité. Cc qui s'adresse li vou<; aujourd'hui, je viens de vous le dire, c'est la civilisation tout entière; c'est elle qui tend vers vons ses mains vénérables. Si Beccaria proscrit était au milieu de vous, il vous dirait: la peine capitale est impie ; si Franklin banni vivait à votre foyer, il vous 1\irait : la loi qui tue est une loi fm1este; si Filangieri réfugié, si Vico exilé, si Turgot expulsé, si Montesquieu chassé, habitaient sous votre toit, ils vous diraient : l'échafaud est abominable ; si Jésus-Christ, en fuite devant Caïphe, abordait votre île, il vous dirait : Ne frappez pas avec le glaive; - et à Montesquieu, à Turgot, il Vico, à Beccaria, à Franklin, vous criant : grâce ! à Jésus-Christ vous criant'. grâce! réponclriez-Yous : Non? Non l c'est la réponse du mal. Non l c'est la r~ponse dn néant. L'homme croyant et libre affirme la vie, affirme la pitié, la clémence et le pardon, prouve l'âme de la société par la miséricorde ,le la loi, et ne répond, non ! qu'à l'opprobre, au despotisme et à la mort. Un dernier mot et j'ai .fini. A cette heure fatale de l'histoire oil nous sommes, car si grand que soit un siècle et si beau que soit un astre, ils ont leurs éclipses, à cette minute sinistre que nous traversons, qu'il y ait au moins un lieu sur la terre où le progrès couvert de plaies, jeté aux tempêtes, vaincu, épuisé, mourant, se réfugie et surnage ! Iles de la Manche, soyez le radeau de ce naufragé suhlime l Pendant que l'Orient et l'Occident se heurtent pour la fantaisie des princes, pendant que les continents n'offi·ent partout aux yeux que ruse, violence, fo~rberie, ambition, pendant que les grands empires étalent les passions basses1 vous, petits pays _.....L

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