Homme - anno I - n.07 - 11 gennaio 1854

-SCIENCE.- -SOLIDARITEJO-URNADLELADEMOCRATIUE.NIVERSELLE. N° 7. - MERCREDI, 11 JANVJER J 854. 1 t:e Jour11al p111•alt 111,e t'olo par oe1nab1e, 1 I L'AUTORITE. I. C'est le mot du jour; il couvre toutes les infa~ mies, sert d'excuse à toutes les bassesses, légitime aux yeux des crétins et d~s cou~rds, toutes les apostasies et toutes les tralnsons : 11 est le_verbe des fripons, le dogme du ventre et de la caisse, la parole sacramentelle invoquée par les intérêts et les peurs qui tiennent sur son fumier et dans sa nuit la O'randeFrance déchue : c'est l'évangile de ce 0 ' • temps d'usuriers~ de ,liber~n~_etc~evol,~urs~chacals immondes en curee d une c1v1hsationqu ils depècent, comme ne l'auraient pas fait les Co,saques, ces missionnaires de la lance et du sang. Un homme arrive, éclos d'uue révolution qu'il n'a pas faite, et qui l'a sacré dans la folie de ses souvenirs : serment prêté, la parole haute et la main ouverte, à la face du peuple et sous le ciel, il monte au fauteuil de la République et, le lendemain, il la livre à ses ennemis : plus tard, quand elle eit démantelée, désarmée, défail1ante, il l' égoro-edans l'ombre, comme un assassin;, et, paiTicid: hideux, le nom dans la boue, les pieds dans le sang, le front dans le crime, il se couronne, il revêt la pourpre, assis sur ses cadavres, au milieu des sanglots d'un monde : le guet-à-pens se fait César! Que voulez-vous, disent les banquiers obèses, les notaires véi;_eux,les avoués fripons, les journalistes éculés, les juges blafards, les propriétaires transis, tous _les cœurs pourris, tous les esprits lâches, toutes les ambitions tarées et toute la dieutelle du grand Panurge,-que voulez-vous ?-c'est de l'autorité cela :-la liberté nous traînait aux abîmes! Derrière cet homme, un tas de généraux mendians, d'officiers besogneux, de soldats ivres, de policiers chevronnés en honte se ruent sur la France, embastillent, ég·orgent, fusillent., ,transportent-:, ils sc~lpent la famille, comme les sauvag(:lsl~s visages pdles; lui prennent le père, le fils, le frère et quelquefois les femmes, et, quelquefois tout~ la lignée, toute. la maison : ils font de la justice le pistole-tau poing, de l'administration à coups de bayonnette, et du o-ouvernement, comme le pratiquaient les prétorieis de Rome : entre leurs mains, la soçiété se débat convulsive, la. civilisation râle ·et la liberté meurt. Que voulez-vous? tout cela c'est eucore del' Autorité: la taupe creusait trop profondément : à bas l'idée, vive la force! et le chœur acclame. Magistrature assise ou debout, fonctionnaires assermentés, corps d'état engagés, et par l'honneur et par le devoir, à la :fidélité de la parole,-tous les pouvoirs, toutes le 1 s fo~ctions, tous les gr_ad~s conférés par cette repubhque, sauf quelques md1vidualités vaillantes, deviennent complices ou s'écartent en silence, sans oser ni la protestation en faveur du droit, ni la défense des martyrs. La civilisation s'affaisse ou se dérobe dans tout son monde officiel, et nous voyons les juges, l~s prêtres, les évêq~es, t~aîn_er,d:i,~s les prétoires militaires, ceux-ci la Justice civile, ceux-là, le Christ, o-énie des miséricordes, et tous, l'honneur. O l ? ' d l' t 't 1 Que vou ez-vous . c est encore e au ori e, s'écrient les lâches, - et, l'on emprisonne, on fusille, on exile, on met en bagne, avec la sanction des juges, des lévites et des grands-prêtres : Pilate, cette fois, ne vaut pas mieux que Caïphe! II. Nous avions entendu parler de l'autorité, dans ce siècle, avant que Louis Napoléon, deux fois chef de guerre civile, ne l'eût restaurée.Joseph de Maistre, esprit inquiet mais vigoureux, en logique comme en dE:sseinplus g-rand que Bossuet, et son égal dans la forme, Joseph de Maistre nous avait douné sa. pensée sociale: -1' autorité emmanchée d'une guillotine, =-- le roi et le bourreau, - :M, de Toutes lettres et correspondances doivent tltre affranchies et adressées au bureau de l'imprimerie Universelle à SaintHélier (Jersey), 19, Dorset Street. -Les manuscrits déposés ne seront pas rendus. Bonald, moins clair et non plus profond, avait trouvé, glanant derrière lui, la révélation universelle dans le catholicisme, même celle des langues! et le prélat monomane nous avait fait un ciel d'où Je dogme tombait sur l'humanité vivant~, et, la couvrait comme la voû.te d'un cachot. A côté d'eux et derrière eux, gens habiles en matière d'autorité, les Cosaques étaient venus qui nous avaient fait la monarchie de droit divin, et le monde allait être rég·lé, dans la pensée comme dans l'action, selon les éternel1es Capitulaires de l'absolutisme à deux face~, - le dogme infaillible et l'i.nviolable légitimité. . Tout le passé revenait donc au sein d'une patrie qu'avaient fatiguée les guerres, et le milieu ne fut jamais mieux préparé, pour que les branches tombées et mortes pussent de nouveau prendre sève, pousser racine et fleurir. La maison royale était dix fois séculaire : ......1. prestige. - Il n'y avait point de co11rtisanes au trône, si ce n'est du sang; point de voleurs trop tarés dans la salle des maréchaux : la maison ~tait propre, la lignée vieille, et les relations avec l'Europe des rois étaient profondes, sérieuses, comme de vraies alliances. Eh bien ! l'esprit de liberté qui soufflait de 93, de 89 et des sommets du dix-l10itième siècle, l'esprit de révolte à l'aile ouverte et rapide, éteignit tous ces grands cierges, alluma les cœurs et fit éclater 1830, année fanatique, où l'on ne parlait certes pas la langue révélée par le dieu de M. de Bonald, et où ce terrible M. de Maistre faillit perdre son dernier soldat, le bourreau ! Le 1er septembre 1830, qu'était-ce donc que l'autorité ? uu vieillard à tête branlante, qui s'en allait au pays des Stuarts, la poussière d'un trône,' le cadavre du dernier Cent-Suisse~ _unnéant. ... III. • Aujourd'hui, le monstre s'est relevé, non plus en grimp~mt.sur l'~paule des Co~aqu~s, jusqu'à la haute colonne des siècles en cendres tombée, jusqu'au 4roit divin, ~ssence des monarchies, mais en ouvra!1t deux mauvais lie~x : un corps de g·arde aux intérêts effarés, une taverne aux soldats. - - J ON s' ABONNE : A, Jersey, 19, Dorset st. à l' Iml)rimerie universelle. A Londres, 50½, Great Queen st. Lincoln's-Inn-Fields, à la Librairie universelle. PRIX DE L'ABONNEMENT : Un an, 8 shillings ou 10 francs. Six mois, 4 sh. ou 5 fr. Trois mois, 2 sh. ou 2 fr. 50 c. ·LAFAMINE. I. Elle arrive, hâve, livide et l'œil creux comme 1a mort, la maigre louve du poète, la hideuse famine! elle traîne sur ses pas loques, haillons, guenilles, tout un monde de misères, et s'en. va partout, cherchant les miettes et les os. L'ouvrier sombre et fier la suit, déjà, la tête basse, comme les vieillards vermineux ou les pauvres sans honte : elle va frapper au guichet des h6pitaux, à la porte des riches, à l'étable 'des fermes; ~t, si sa misère n'est pas consolée, si la saison dure, elle ira peutêtre, bient6t, avec tous ses Jacques, livrer bataille sur les grandes places ! C'est que le besoin public, cette fois, n'est pas une intrigue organisée par les partis, un expédient de guerre, un calcul de révolution: la terre n'a pas porté la moitié de ce qu'elle donne aux années grasses; la récolte est en déficit et la France qui travaille tant n'a pas de pain. Que manque-t-il à l'approvisionnement? - Cinq millions d'hectolitres, au moins; et sur quel marché les trouvera-t-on? La Russie n'expédie plus que des balles, l'Egypte a fermé ses greniers, et l'Amérique, où se disputent toutes les ~oncurrences affamées, l' A_mériqoe est bien loin ; - il y a donc crise, et crise terrible à l'horizon ! A ce défici_tdu _grain, à cette difficulté des arrivages, ajoutez, à l'intérieur, la politique atroce, l'ambition fatale de l'accaparement. Ainsi, la production e~t insuffisante ; le blé qui vient sur les marchés se vend cher, très cher : g·ardez le vôtre en vos greniers, achetez même celui de votre voisin que le besoin force à la vente; accumulez, entassez, accaparez ; vos réserves, plus tard, vous rapporteront cent pour cent : on ne se passe pas de pain, et quand vous aurez le blé dans vos coffres, les dernières çéréales sous votre clef, vous pourrez rançonner toùt à r aise. • Il y a des hommes comme cela, qui voient passer, chaque jour, sous leur balcon, tous les grands désespoirs de la faim, les enfants blêmes, les .m,èresdéfaillan~es, les vieillards_-squelettes, et qui çlise~t : ne vendons. pas enpore; le besoin L'autorité s'appelle maintenant Louis Napoléon, . un assassin, un parjure, un usurpateur de la plus grande souveraineté du monde, celle du peuple - l'âme d'un tigre et la peau d'un chacal sur un trône. monte, le blé montera ! , • Que voulez-vous? Aux termes de l'offre et de la demande, ils sont' dans ·1e vrai : _la logique des vieilles écoles est avec eux, et la loi les couvre ! Cet homme n'a trouvé ni femmes honnêtes pour aller à sa puissance, ni soldats probes, ni penseurs sérieux, pour ~enir en son nom la plume ou l'épée : sa maison est une tente où se heurtent le pêlemêle des vices et la cohue des ambitions : c'est la taverne des aventures. Le passé de son nom, qui devait lui faire ciment, s'écroule de toutes ses victoires sm: son grabat d'empereur pourri, sur ses hontes et sur ses crimes : sous ses pieds, il n'a pas d'institution, il n'a que des cadavres, et les cupidités qui marchent sous son drapeau, vivandières de sa fortune, le méprisent elles-mêmes ! Qu'adviendra-t-il maintenant de cette autorité, fille du guet-apens, qui ue peut invoquer ni le ciel ni la terre, et qui n'a pour son cnlte que les épées et les ventres? Demandez à tous les gouvernements qui reposent aux catacombes ; ils avaient pour appui, celui-ci le principe des siècles, celui-là l'intérêt du temps : ils sont morts. L'aventure et le crime auraient-ils plus belle fortune? - Il faudi-ait alors douter des destinées, et quiconque les a cherchées, suivies, soit dans la scieuce, soit dans l'histoire, sait bien que les accidents ont l'évolution courte! L'empire est fait, disait M. Thiers, il y a quatre ans. Nous disons, nous : l'empire est mort. - Ceci est la dernière mascarade des g·ouvernements : il n'y aura plus désormais d'autre Autorité que celle de la conscience humaine! CHARLES RIBEYROLLES, Mais là n'est pas tout le danger; on peut forcer les accapare~rs à la vente immédiate à prix moyen, et m~me à la largesse au rabais : tous les gouvernemens, en général, ont l'habileté des suprêmes défenses, et, volontiers, ils étranglent l'intérêt qui les gêne quand la tempête les traque. On peutdonc faire ouvrir les greniers jaloux, et jeter à la faim désespérée les gerbes et les calculs de l'accaparement : mais ce n'est là qu'une bouchée de pain, dans la crise, et le défir;it n'en reste pas moins sur ses caisses vides, défiant les philantropies et les forces. Mieux que cela; les besoins du jour satisfaits,· ou la faim calmée, que restera-t-il pour Je lendemain ? et la saison est longue, du mois des neiges au mois des grains, de janvier eu septembre. Comment passer, le ventre creux, cette longue morte saison <le la terre, à moins de manger les feuilles et les fleurs ? C'est là le grand problême, difficile à résoudre en temps de paix, impossible à vid~r en temps de guerre, et surtout entravé, comme il l'est, de prohibitions, de restrictions, d'échelles, de calculs et de défiances. II. On nous accuse, nous les proscrits, de voir avec joie ce grain des misères monter à l'horison : on dit que nous comptons sur la famine, ses convulsions et ses rages pour nous rendre la République et nous ouvrir les portes de la patrie. - Mais qui sommes-nous donc? des prolétaires s&ns travail pour la plupart, pr~sque tous sans rente, et qui

traînons éternellement, sur les routes de l'étranger, . le besoin du jour, le cruel souci du lendemain : suspectes et captives à l'intérieur, nos familles seront les premières à souffrir de la faim: nous avons des enfants, des mères, des sœurs qui sont isolées, surveillées, parquées, sans espoir, sans salaire et qui, pour garder la dig·nité des absents, sauront mourir au foyer, sans la plainte des agonies - et l'on nous accuse de voir avec joie palpiter les entrailles de la victime, quand cette victime, ce sont nos entrailles; c'est notre sang, c'est nous-mêmes! Ah! les misérables qui font bombance au milieu des misères et qui dénoncent le malheur qui pleure à l'écart, comme si leur soif de vampires était la conscience républicaine, était l'affection familiale et sacrée que savent garder les pauvres ! Nous souffrons, gens de la meute impériale, oui, nous souffrons, et pour nous et pour les nôtres: la neio-e qui tombe de Quiévrain aux Pyrénées, nous t~ansit; la faim qui traverse nos villages, nous accable, et nos douleurs abandonnées s'endorment, s'effacent devant celles que nous apportent dans leur murmure les vents de la patrie : mais ce que nous savons, et ce qui nous console, c'est que vous serez ch~tiés par le grand siuistre, et, que ce sinistre, c'est une leçon de la justice éternelle, tombant sur vos crimes ! Oui ! le clergé vous a bénis et sacrés; l'armée vous a servis jusqu'à l'assassinat, la magistrature jusqu'à la bassesse, la peur )?squ'au fanatis1!1e: oui, vous avez vu toutes les rehg10ns parfumer d encens votre caverne, tous les corps de l'état s'incliner sous vos pa1jures, tous les intérêts plier le genou, sur les libertés mortes, devant vos grandeurs tatouées <le honte et de sang : mais il y a une puissance, une force, une probité qui n'a pas _fait cortège à vos g·loires : c'est la vieille mère commune, c'est la nature indignée. La terre a parlé, quand se taisaient les philosophies, les académies, les gouvernemens, les peuples, et elle a dit : Je ne donnerai point mon pain à la trahison, mon lait au crime : j'ai trop de morts qui se révolteraient dans mon sein, et, puisque les vivans oublient les grands devoirs de la vie, je serai la vengeance des morts ! C'est terrible, la famine; c'est monstrueux et bête, surtout, quand on songe aux merveilleuses puissances du .travail,. de la science et _de la,.t~1Te: mais, il faut bien le dll'e, le progrès .1usqu 1c1naquit toujours du sang; ou ~es !armes. , Les ré~olutions ne s'ouvrent qu en dccLirant : c est la 101 des idées immortelles, colombes qui descendent au milieu de nos luttes, et l'humanité ne se développera, ne montera pacifiquement, jusqu'au dernier beau, jusqu'à Dieu, que dans la justice et l'égalité! Ch. RYB. Nous avons reçu d'un de nos amis, proscrit comme nou1, les énergiques lignes qui suivent, à propos des calomnies royalistes répandues ~ur les tombes de Thermidor : nous partageons de toute notre âme ces vigoureux sentiments, et nos sympathies à cet éo-ard ne sont plus à proclamer. Quant à la 0 seconde partie de l'article qui s'adresserait à nous, personne, ici, n'ajamais dit que Jes hommes de 93 n'étaient pas socialistes : ils l'étaient de cœur, d'instinct, de passion, jusqu'à la mort, mais ils ne savaient pas, ils ne pouvaient savoir les conditions vôritables de l'économie nouvelle, et les lois qui la doivent régler. Pour s'en assurer qu'on lise dans Condorcet les prolégomènes du socialisme : c'est une magnifique préface : mais qu'y a-t-il là pour le travail dans les sociétés modernes '? Respect aux morts, c'est notre religion, mais la vérité devant les vivants! NOSMAITRESDE 93. Plus que tout autre, le parti révolutionnaire doit avoir le culte de ses morts, car ses morts ont marqué de leurs cadavres amoncelés toutes les grandes étapes de l'humanité. Et, parmi tous les saints martyrs tombés, dans le cours des siècles, pour la cause de la liberté, en est-il de plus augustes que les v:iillants pionniers de 1793, dont le sang généreux a fécondé tous les champs de l'avenir ? Qui donc a cru, qui ùonc a travaillé plus énergiquement au soulagement de la misère, à l'affranchissement des esclaves, au triomphe de la justice, au salut des hommes ? Qui donc a droit à la première place dans la reconnaissance ùes nations, sinon ces hardis lutteurs qui donnèrent 1m corps aux maximes de la philosophie, et qui firent écrire dans la loi : la nature ne nous a pas créés pour la servitude : soyons libres, soyons égaux, soyons frères ? D'où vient donc que les fils ont laissé si longtemps caomnier, et calomuient souvent eux-mêmes leurs pères ? 'où vient que la France 1·evendique l'héritage de 1792, tout en insultant à ceux qui l'ont si péniblement amassé, et qui l'ont scellé de leur sang avec tant· d'intrépidité ? Nous ne relèverons pas tout ce qu'il y' a de lâcheté dans le silence des républicains qui, pour ne pas être accusés de connivence, permettent aux ennemis du peuple de revenir sans cesse sur les scélérats grandioses de 93. Les prétendus crimes de ces héros sont-ils autre chose que de grandes et nobles actions ? En face dP.résistances aveugles et implacables, l'énergie est la première et la plus sainte ùes obligations. Le char de la révolution ne se laisse pas enrayer. Malheur à ceux qui se précipitent devant lui, dans sa course effrénée ! ils sont écrasés sous les roues. De quel droit les corrompus, qui ne veulent abandonner d'odieux privilèges qu'avec la vie, se plaindraient-ils de ce que le peuple poursuit avant tout l'abolition ùe l'injustice? Cœurs d'or et âmes de fer, les vaillants soldats de la liberté dûrent faii-e triompher la vérité par ]a. force. A leurs convictions inébranlables ils ont sacrifié leur vie et jusqu'à leur mémoire, et nous, leurs fils et leurs héritiers, nous permettrions qu'on leur jette impunément l'outrage et la calomnie? Heureux, si nous pouvons, aujourù'hui que la lumière s'ast faite en partie, appliquer le grand dogme ùe l'inviolabilité de la vie humaine, dans toute sa sainteté ! Heureux, si l'iùée parvient à planter pacifiquement son drapeau ùans le monde! Nous nous en glorifierons pour notre siècle, mais nous ne laisserons jamais calomnier cette époque de 93, belle et sublime entre toutes, marquée dans l'histoire par ces <leuxfaits éclatants : l'affranchissement du genre humain, et le maintien de la nationalité française. Mais récemment, d'autres voix, grandes et éloquentes, se sont élevées da11snos propres rangs, non pas pour accuser cette superbe Convention nationale, qu'ils célèbrent au contraire, dans le langage le plus magnifique de nos temps, mais pour lui re1Jrocher, les uns son insuffisance, les autres son ignorance. D'un côté, nous entendons dire que les révolutionnaires n'étaient pas socialistes ; de l'autre, qu'ils ne savaient pas organiser le droit de l'homme. Comment ! ils ne seraient pas socialistes, ces infatigables réformateurs, qui ont labouré si profondément la terre des innovations? Il est évident qu'ils ne pouvaient pas résoudre des problèmes qui n'étaient pas encore posés, ni remédier à des situations qui n'existaient pas encore. Mais ou donc trouvait-on le socialisme, dans toute la haute signification du mot, si ce n'est dans les paroles et les actes de cette phalange immortelle qui a commencé la liquidation logique de la vieille société, et planté solidement les fondations du nouveau monde? Comment ! il ne serait pas socialiste, le révolntjonnaire Robespierre, qui affirmait " qu'une révolution qui n'a pas pour but d'améliorer le sort du peuple, n'est qu'un crime substitué à un autre crime." • Comment ! il ne serait pas socialiste, le révolutionnaire Saint-Just, qui s'écriait : "tant qu'il y aura un pauvre dans l'état, vous n'aurez point fait une véritable République." Nous nous arrêtons, car nous ne pourrions citer tous les actes, toutes les lois qui tendaient à la destruction de la misère et de l'ignorance, de ces dernières et abominables tyrannies. La diffusion de la propriété, effectuée par nos pères, n'a-t-elle pas rendu tout retour à la féodalité radicalement impossible? Le temps seul leur a manqué pour féconder, par une organisation démocratique du crédit, tous les grands canaux qu'ils avaient ouverts, et pour faire pénétrer le capital dans toutes les artères du corps social. Le temps seul, car les discussions- lumineuses dans le sein de l'assemblée populaire, prouvent surabondamment que ce n'est pas la science du socialisme qui leur faisait dé-. faut. Peut-on leur reprocher, avec plus de raison, de n'avoir pas eu celle de l'organisation de la liberté ? Quand, il y a trois ans, l'itlée du gouvernement direct du peuple, jetée dans le monde, par une grande voix, d'un coin de l'exil, rallia tous les républicains sincères et dévoués, et devint pour ainsi dire le drapeau de la révolution imminente alors, cette idée n'avait-elle pas été prise dans la Constitution de l 793, dans le seul contrat social qui ait su et voulu se rapprocher de l'idéal des penseurs, et le seul, hélas ! qui n'ait jamais été appliqué? Cette Constitution garantit (art. 122) "à tous les Français, l'égalité, la liberté, la süreté, la propriété, la dette publique, le libre exercice des cultes, une instruction commune, le droit de se réunir en sociétés populaires, la jouissance de tous les drolts de l'homme." Qu'avons-nous à ajouter à cette énumération ? Le§ 21 dit: "Les secours publics sont une dette sacrée. La société doit la subsistance aux citoyens malheu - reux, soit en leur procurant du travail, soit eu assurant les moyens d'exister à ceux qui sont hors d'état de travailler. " Il y a donc là le droit au travail et Je droit à la 1·etraite. " Le peuple délibérant sur les ]ois et les votant " ( art. 10 et 20), toute usurpation d'un délégué ou d'un mandataire ne devient-elle pas impossible ? Quelle entrave trouve la liberté ainsi définie : (§ 6) " le pouvoir qui appartient à l'homme de faire tout ce qui ne nuit pas aux droits d'autrui? " cette liberté qui a polU principe la nature, pour règle la justice, pour sauvegarde la loi. N'avaient-ils pas la science de la solidarité, eeux qui , disaient, dans cette magnifique DÉcLARATION DE L'HOMME ET DU CITOYEN, qui résume admirablement la haute philosophie du 18e siècle : " il y a oppression contre le corps social, lorsqu'un seul de ses membres est opprimé. Il y a oppression contre chaque membre, lorsque le corps social est opprimé (§ 34) ? Révolutionnaires de 1848, il nous convient de nous incliner devant les révolutionnaires de 1793. Nous avons laissé debout le royalisme et l'église, l'exploitation et le privilège. Nos pères ont supprimé la féodalitl!, et émancipé l'industrie. Nos pères ont crié à la face du soleil : meure le roi et vive le peuple! Nos pères ont fait comparaître, devant le tribunal ùe la raison, jusqu'à l'existen.ce de Dieu et l'immortalité de l'ümc. Oui, gloire à vous, grands martyrs de thermidor, vous qui avez emporté la liberté dans votre tombe. Pardonnez à vos fils d'évoquer aussi souvent vos ombres vénérées. C'est qu'ils ont besoin de se retremper à la source ùe la révolution. C'est qu'il faut du courage pour acheter l'œuvre que vous avez commencée sans que leur cœur faiblisse. Oh! que ne pouvez-vous soulever la pierre de vos sépulcres ? que ne pouvez-vous revenir nous apprendre comment on supprime les aristocraties? Inspirez-nous de votre esprit, pour que nous marchions sur vos traces,- dussions-nous, comme vous, périr à la tâche, jeunes d'années, mais vieux ne luttes, -avec la douleur amère d'être incompris par la génération dont nous aurons préparé l'affranchissement. Théodore KARCHER. CORRESPONDANCE DE LONDRES. Londres, Gjanvier 1854. Les nouvelles sont à la guerre. De Paris, le correspondant du Times annonce l'envoi - peu probable - de 70,000 hommes en Orient sous les ordres du Ministre de la guerre lui-même et du général Canrobert. Quoiqu'il en mit de cette fanfaronnade, la rente a baissé à 99, et la guerre continue sur le Danube et en Asie. Les Turcs ont pris d'assaut la ville <leKaracal, vers Krnjova, dans la basse Valachie. Il est vrai qu'ils ont encore subi un échec en Asie, pendant leur retraite, mais sans grande importance. Leur général battu, Abdi Pacha, a été destitué et remplacé par son lieutenant, Ahmed Pacha, dont le courage a sauvé l'honneur de l'armée. Vély Pacha, voyant fuir les soldats irréguliers, a voulu les arrêter, et, ne pouvant y parvenir, il en a tué quatre : les fuyards l'ont assassiné. Mais comme le corps d' Ab<li Pacha était surtout composé d'irréguliers, cet échec n'a produit que peu d'effet à Constantinople. Ainsi que je votts l'écrivais, il y a huit jours, le Sultan a consenti à négocier, mais avec des conditions trop éc1uitables pour être acceptées par la Russie. Personne ne doute du refus de Nicolas. Pourtant la conùescendance du Sultan pour les conseils ùu général Baraguay d'Hilliers a mécontenté la population ; les softas (étudiants des Mosqufes) ont essayé une manifestation qui a été réprimée par l'anestation ùc 300 d'entre eux. Mais pour calmer l'émotion populaire, le Sultan a fait publier une dé.claration portant que le Divan, - tous les ministres et ulémas assemblés - avait accepté la proposition de la Conférence de Vienne, mais sans suspendre les hostilités ni conclure un armistice : au contraire, l'ordre était envoyé aux généraux sur le Danube et en Asie, et à la flotte, de reprendre l'offensive aussitôt que possible et de presser les opérations militaires. Enfin on a annoncé que les flottes anglaise et française avaient reçu l'ordre d'entrer dans la mer Noire et de forcer les escadres russes à s'enfermer dans leurs ports. Bien que, par prudence, le Sult:m ait appelé devant Constantinople une partie des flottes pour réprimer l'ardeur de la population, la ville paraît tranquille et le parti de la guerre domine dans le Divan. Les Russes ont occupé le Khanat de Khiva, pays tartare près de )a mer <l' Aral. Les Anglais sont très inquiets pour leurs posses~ions des Indes, rn,tnacées, dit le Times, d'une invasion de Kalmouks à qui l'on promet, pour les exciter il la guerre, le pillage des présidences anglaises. Le ColoBel Thompson, l'envoyé anglais, a décidé, paraît-il, le Shah de Perse à ne pas déclarer la guerre à la Turquie, et à rétablir ses relations amical~s avec le Sultan ; les menaces des chefs Afghans auront contribué, sans doute, à faire revenir la Perse de ses sentimens hostiles: mais le gouvernement anglais ne s'en prépare pas moins à une guerre acharnée sur tous les points. Il aug~ mente sa marine et met en ordre ses finances. Le résumé des recettes du Trésor Public en 1853 vient d'être publié : le Times constate un accroi~sement de recettes de 1,500,000 livres sterling (37 millions 500 mille francs) sur les prévisions du budget, malgré la diminution de plusieurs impôts directs et indirects, diminution qui s'élère à près de 300,000 livres sterling (7,500,000 francs). Le Times termine ainsi son article de finances : " L'année qui commence vcn·:i sans doute la fin d'une longue paix ... Si la cause de la justiée et de l'honneur national exige ce sacrifice, nous le ferons gaiement; et il n'y aura pas un cœur sincèrement anglais qui hésite un instant à échanger notre prospérité financière (our overflowing e:rcltequer) contre les embarras (de la guerre) et la dette. Nous nous vantons d'être le boulevard cle la liberté clans le monde... Qu'on sache bien que telle est notre résoh1tio11,et elle aura du poids clans ce~ régions vastes, serviles, misérables (poverty stricken) qui menacent d'écraser les libertés de l'Europe sous la force 11umérique et la barbarie! •' Vous le voyez, le ton de la presse anglaise est à la guerre; et les événements semblent entraîner fatalement l'Europe :lune de ces luttes décisives où succombent les Empires ... et quelquefois aussi la civilisation. Espérons que le Czar, en déclarant la guerre, eu refusant, aujourd'hui même, d'entrer en négociation, est poussé par cette providentielle folie qui mène les tyrans à leur perte : quos vult perdere Jupite,· deme11tat. Le duel de M. Soulé et <luDnc cl' Albe })ara1tun fait controuv6 : M. Soulé, assure-t-on, est en très bonne santé; M. de Turgot ne se rétablit que lentement. Les généraux Lusuncli et Sanz ont été destitués de leurs commandemens et remplacés par les généraux Shelby et Mirasol. Grandes nouvelles de Na pies - si elles sont vraies ! Une conspiration militaire, menée par les partisans de Lucien Murat dans l'armée napolitaine, sous les auspices de M. de Maupas, l' ambassadeur français et le préfet de police du 2 décembre, a été découverte : 500 soldats et officiers sont arrêtés; un généra) s'est suicidé. - La presse anglaise garde le silence sur ces bruits ; mais elle attaque le roi de Naples dont les tribunaux ont encore condanmé ù mort un ancien député, de Blasüs, tranquille depuis 181:8 clans ses terres de Calabre. Les roi&\le Su~de et de D:,,nemai;k ijl liguent pour maintenir

leur indépendance : il s'agit réellement, dit-on, d'une alliance avec la Russie. Les correipondants français parlent de la disgrfrce du Maréchal Castellane, à cause de ses démonstrations militaires à Lyon. .La fiision vourlrait en profiter, dit un journal anglais, pour gagner le maréchal à sa cause....... TOUT A vous, PH. FAURE. Nous avons publié, ùans un ùe nos ùerniers numéros, une letlre ùn citoyen Schœlcher, en réponse à quelques attaques ùe M:. Richarùs coutre la révolution française et ses prosc1,its : cette polémique, aujourrl'hui se continue dans le Jifornin,q Adverfiser, et comme l'intérêt en cause est des plus sacrés, puisqu'il ne s'agit plus de nous, seulement, mais de notre foi politique et de l'honneur ùe nos morts, nous publierons la lettre nouvelle et les suivantes. La défense française est en_des mains loyales : To the Editor of the Morning Advertiser. London, december, 26th, 1853. MoNSJEUR, Dans la réponse de :M. Richarcls que contient votre numéro de ,;amedi, 2 i décembre, il me traite avec trop de considération pour que je ne sois pas oblïgé de lui rendre grâce; je l'aurais fait avec plai~ir s'il n'avait encore gravement accusé les Républicains français tont en ne génfaalisant pins ses rigueurs dans la forme. Je ne suis pas de ceux qui se trouvent satisfaits parce qu'on les excepte au moment oi) l'on charge leurs amis. Tout l'honneur de ma vie politique est d'être clu grand parti des dém·ocrates-socialistes; qui les condamne me cond:11nne. Comme homme privi!, je puis être touché des bons sentiments qu'on daigne avoir pour moi, comme homme public, je répudie hautement des éloges qui, par cela même qu'on les refuserait à tels ou tels de mes frères, devienclraientpour eux un déni de justice, Ne voir des Républicains estimables que dans des hommes pareils aux citoyens Hugo et Lamartine est au moins une erreur, et me ranger exclusivement de leur côté n'est pas plu~ me plaire qu'il ne plaira à mon excellent ami, Victor Hugo, d'être mis à p:ut. Je suis sûr que du haut des rochers de Jersey, cl'où il lance la foudre de ses vers contre la bande bonapartiste, il m'approuvera de parler ainsi en son nom. Quant au citoyen Lamartine, je m'honore beaucoup de son amifü; son adhésion à la République est un surcroît de gloire pour elle, mais il est très loin d'être, selon moi, un démocrate assez radical. Cependant, puisque M. Richards a retiré avec une parfaite galanterie les paroles qui pouvaient nous offenser tous, il ne reste plus que son opinion plus ou moins sévère sur les Républicains, et je vais essayer de la redresser en éloignant aussi toute expression discourtoise. Je préfère de beaucoup la discussion ~ur ce nouv'eauterrain, la vérité est ainsi pins facile à dégager, et si l'on ne parvient pas il se convaincre, du moins, au lieu de donner un scandale au public, lui fournit-on un bon exemple. :M. Richards proteste contre le sentiment de malveillance auquel j'ai attribué sa sortie contre nous; je crois clone qu'il a mal apprécié les faits et les causes ; mais alors qu'avait-il besoin, lui qui aime avec ardeur la liberté en Italie, cl'attaquar les dHenseurs de la liberté en France? Qu'avait-il besoin, pour venger les intrépides patriotes italiens, de jeter un blâme passionné sur les actes des patriotes français 7 Que nous 11ous soyons trompés on non, il ne peut nous croire !1lal intentionnés, pourquoi alors nous maltraiter si fort? A quoi bon parler comme nos ennemis et sans que rien 1 ni en donne sujet " des horreurs de notre première ré- ,. volution ? '' Est-ce que cette révolution ne fut pas un combat oil tous les partis, tous, usèrent des mêmes armes ? Peut-on, avec éc1uité,lui reprocher à elle seule des moyens que chacun déplore aujourd'hui, mais qui tenaient aux temps et dont les royalistes, je le r!'pète, se servaient comme les révolutionnaires ? Est-ce que ponr un homme vraiment libéral et sans préoccupations anti-républicaines, il n'y a eu que des nécessitl!s fatales dans notre première révolution? Est-ce que ses grande11rs magnifiques, ses aspirations sublimes, ses bienfaits, sa haine contre l'oppression, et les torrents de lumière qu'elle a versés sur le monde entier ne l'emportent pas sur tout le reste ? 11. Richards, cependant, qui a rappelé 93 sans y être amené par \\Il seul mot de nous, revient encore sur ce chapitre dans sa nouvelle lettre et il me demande si 93 11'apas été défendu par nous à la tribune. Oui, nous n'avons pas voulu laisser outrager les sauvems de la France délivrée, oui, nous avons dl!fendu 93 pour ses résultats, mais cela veut-il dire que nous soyons disposés à user desmêmes moyens? Mr. Richards qui cite le mot de Milton: "The people have a warrant ofGod to judge the wicked princes.'' approuve sans doute comme Milton la sentence de Charles Ier, cela veut-il dire qu'il soit prêt à voter la mort de la Reine Victoria? Il serait odieux de lui prêter cette pensée, pourquoi semble-t-il nous prêter une pensée analogue / Il me demande encore, si sous Louis Philippe la France a saigné par tous les pores comme sous la première révolution 7 Non, cela est vrai. Mais Louis Philippe, clemanclerai-je à mon tour, a-t-il eu constamment à se défendre contre ses enn·emis ùu dedans coalisés avec les ennemis de la France au dehors? Un second Pitt avait-il soudoyé l'Europe contre le roi citoyen? Son trône fut-il sans cesse menacé par une armée de Républicains émigrés l'attaquant à outrance au milieu des armées étrangères soudoyées par la Grande-Bretagne qui lui aurait déclaré la guerre sans aucune provooation do sa part ? Je ne prétends pas récriminer ici contre le pays qui nous donne une généreuse hospitalité; forcé de soutenir mon parti,j'en appelle simplement à ]•histoire. Au surplus, pourquoi la question de Mr. Richards si lui révolutionnaire en Italie, il ne devient pa'>tout-à-coup conservateur en France, grâce il des préjugés nadonaux? Parce que les Rêpublicaius respectent leurs gigantesques pères, est-ce une raison pour les juger sur une face du passé au lieu du présent. l\Ioi, je clisà 11r. Richards que sous Louis-Philippe les démocrates ont été traités avec une violence criminelle, sauvagement privês de la liberté de parler et cl 'écrire, arrêtés préventivement à la moindre rumeur eourant la ville, et torturés dans les cachots cellulaires lorsqu'ils étaient condamnés. Du jour au contraire oi) ils ont été les nnîlres, il n'est pas un de leurs persécuteurs qu'ils aient poursuivi. Encore une fois, le premier~acte des Républicains français le lendemain de leur victoire a Hé de renverser l'échafaud politique. -Pourquoi clone, si l'on n'est pas leur ennemi, rappeler des échafauds qui Haient d'ailleurs des représailles? Pourquoi en 1853 s'acharner à nous voir à travers 93 et non pas à travers 1848. J'insiste beaucoup sur ce point, Monsieur, et vous le comprendrez, car c'est en exploitant toujours le côté terrible de 93 que les royalistes, oublieux de leur 1815 et de leurs massacres de la rue Transnonain, excitent l'Europe il prendre mauvaise opinion de nous. Puissé-je ramener M. Richards à des vues plus vraies, j'rnrais l'espoir alors d'y ramener en même temps beaucoup d'autres Anglais. Mon antagoniste ne veut pas que je lui suppose de l'inimitié contre les Français, je ne demande pas mieux ; cependant, pour un homme impartial, n'est-il pas \111 peu trop instruit de tout ce qu'on a déblatéré à notre endroit? Selon Lord Brougham, dit-il, 11 en monarchie ou en rêpublique, le!l Frll.nçai&ne ~eront jamais L'HOMME. "libres,'' selon Alfieri " les Français ne $eront toujours que des "esclaves rebelles ou obéissants." C'est s'occuper de peu que de prendre le soin de réimprimer ces haineuses niaiseries, et tant que M. Richa:d~ n'_aurapas rour autorité des caractères plus solides et des espnts_moms versatiles qne Lord Brougham et Alfieri, il ne prouvera pas grand chose. Comment, après tout, traite-t-il parmi nous les hommes mêmes qu'il accepte, Victor Hugo, Lamartine, et moi dont il veut bien joindre, grâce à la circonstance, l'humble nom à ces noms retentissants? N011sne sommes guère quc de bons fous, des rêveurs de réalités possibles dans l'avenir.'' Le citoyen Ledru-Rollin peut se consoler de passer pour un " disturber of the cau!ileof liberty " aux yeux d'une personne qni ne voit clans les deux grands poètes que des rêveurs. Rêveurs! Est-ce bien le M. Richards des Italiens qui parle? Ne le sait-il pas? C'est là ce que tous les ennemis dn progrès ont toujours dit avec une feinte pitié de tous les amis du progrès qu'ils n'osaient pas insulter; c'est aussi ce que tous les hommes de faible volonté ont toujours dit des entreprenants. On l'a dit de Socrate, on l'a dit de Jésus-Christ, 0,1 l'a dit de Savonarola, et de mille autres; on le dira éternellement de tous les soldats avancés du bien, jusqu'au jour oi) le bien sera réalisé. Mais ce mot est dangereux, car les méchants et les égoï~tes s'en autorisent pour empoisonner, crucifier et brûler les rêveurs. Aristote appelait au~si des rêveurs les philosophes de son temps qui soutenaient que la société pouvait exister sans esclaves. Le monde serait encore dans les chaînes de la servitude antique si la liberté n'avait pas eu des rêveurs pour la proclamer et ]'affirmer au prix de leur sang. Mais quoi! M. Richards ne va-t-il pas jusqu'à reprendre cette vieille sentence de nos borne, : "La France n'est pas'mûre pour la liberté!" Qu'il me permette de le dire, ce langage est celui des rétrogrades de tous les temps. Par combien de phases révo1utionnaires diverses la Grande-Bretagne n'a-t-elle point passé, avant de gagner la souveraine liberté individuelle et la liberté illimitée de la presse qui font sa gloire, sa force et sa tranquillité, malgré, selon moi, ses institutions aristocratiques? Certains disaient aussi de \Viclef, de Hampden, de Foë, de Milton etc. qu'ils voulaient une liberté pour laquelle l'Angleterre n'était pas mûre ; on pendait les uns, on exilait, on mettait au pilori les autres en punition tle ce crime: la Jamaïque et l'Amérique du Nord furent peuplées cle nobles Anglais qui rêvaient "un présent impossible" Leurs efforts ont vaincu; leur patrie longtemps agit~, ensangla11tée par la lutte, jouit en paix et grandit à l'ombre des principes que ces perturbateurs ont posés. La France lutte encore, voilà toute la différence; die lutte encore, parce qu'elle a commencé sa ri!volution plus tard, parce qu'elle s'est malheureusement plus attachée à l'égalité qu'à la liberté de l'homme, surtout parce que sa position géographique l'a forcée d'avoir de ces grandes armées permanentes dont les despotismes ont pu se servir contre elle ; mais dire que la nation capable d'avoir sacrifié trois fois tous se• intérêts matériels et son généreux sang pour faire les révolutions de 1793, 1830 et 1848 n'est pas mûre pour l:i liberté, en vérité, n'est-ce pas la bien mal juger? Qu'est-ce que prouvent contre elle, contre ses instincts, contre ses véritables sentiments, et le 18 Brumaire, et la Restauration, et le Deux Décembre 7 Rien, sinon qu'elle a été vaincue par son immense arml!e perman,mte, comme l'Italie par les Autrichiens, ou• la Hong;rie par les Russes. L'ignoble et sanglant triomphe du 2 décembre tiendrait-il un jour sans les prétoriens qui campent, en vertu de l'obéissance passive, dans nos villes et clans nos places fortes, comme les Croates à Florence ou les troupes de la réaction à Rome? Ces lamentables accidents n'accusent pas plus an fond l'esprit de la nation française que le règne de Charles II, après Cromwe], n'accuse l'esprit de la nation anglaise. Ah certes, notre patrie supporte en ce moment un joug bien ignomineux, de même qu'elle a supporté au commencement du siècle un· despotisme bien dégradant. On le lui reproche avec un impitoyable durett!, et nous qui ressentons ces humiliations jusqu'au fond de l'âme, nous avouons que ce sont là des hontes dont elle aura peine à se laver dans l'histoire. Mais connait-on beaucoup de peuples qui aient échappé à ces fatalités? Rome n'a-t-elle pas supporté les Tarquins avant de s'en délivrer, n'a-t-elle pas supporté Claude l'imbécile avec Héliogabale le crapuleux? Ne voit-on pas, dirons-nous encore e:ins vouloir aller au delà de ce qu'il convient à notre position, ne voit-on pas le~ peuples les plus fiers de leur lïberté supporter ùes maux oi) ltur dignité, sans être aussi avant engagée, ne laisse pas que de souffrir? Le lion gaulois a d'incompréhensible sommeils, mais ses réveils éclatans qui ont oha']ue fois retenti jusqu'aux confins du monde prouvent assez qu'il est toujours le lion. Attendez, ne dites pas qu'il est mort. Revenons: à quelles hiconséquences :Mr. Richards n'est-il pas entraîné par des idées défavorables à notre égard 7 Ecoutez-le: "Je suis républicain de cœur et de principe, né sous une monar- " chie constitutionnelle qui ne m'opprime pas, je sens que je dois " mon hommage à une reine dont les vertus domestiques me ré- " concilie plus encore avec mon lot." Ainsi l\1r. Richards est républicain de cœur et de principe, seulement il ne fait rien pour réaliser son idéal, parce qu'il vit libre sous une reine reconnue universellement reconnue pour une honnête femme comme épous~ et comme reine. N ous,sous Louis-Philippe, nous étions "opprimés par la monarchie constitntionnelle,'' nous avions à la tête du gouvernement un malhonnête homme, un prince qui après avoir, pour gravir le trône, pris le titre de roi-citoyen et dit que la charte s~rait une vérité, fit de la charte un scandaleux mernwnge, reconstitua une aristocratie, confisqua toutes les libertés, publia le cléshonlll!Urd'une femme sa parente, rendit proverbiale la corruption de son gouvernement et provoqua enfin une révolution surnommée la révolution du mépris. Rien ùonc ne nou~ "réconciliait avec notre lot." Eh bien! Mr. Richards ne nous pardonne pas d'avoir renversé mi tel roi afin, nous Républicains comme lui, de vivre en Rl'publique ! Je discute longuement, Monsicm, et vousm'excuserez, j'espère. Si le débat n'avait lieu qu'entre 1fr. Richards et moi, il ne me paraîtrait pas, (ponr mon compte tlu moins,)mfü·iter tant de place dans votre honorable journal, mais je sais que les idées de votre correspondant sont celles de beaucoup d'Anglais, comme lui de bonne foi, comme lui amis de la liberté, mais comme lui aussi trompés sur notre compte et tenant les Français et surtout les Ri!publicains français pour des brouillons ingouvernables, ne ~achant ce qu'ils veulent. J c saisit. avec empressement une occasion naturellement :oftèrte de nous montrer sous un jour plus vrai, et je serais heureux de réussir ainsi à rectifier parmi les adversaires loyaux que nous avons dans ce pays des opinions erronées et funestes. Je ne regrette qu'une chose en voyant la tâche s'élever devant moi, c'est qu'elle ne soit pas échue à une main plus habile. Mais sous cette impression ma lettre s':lllonge au delù cles bornes, je m'arrêterai donc là et reprendrai demain, si vous le permettez, la fin de ma réplique. Agréez, je vous prie, Monsieur, l'assurance de ma gratitude et mes meilleures salutations. V. Sc11œLc11tm. MORTDEMIRABEAU. Elle approchait l'heure terrible! Bientôt la physionomie de Mirabeaq ne füt plus que celle d'un cadavre. Et alors, , justement, comme si la destruction de l'enveloppe terrestre eO.tcessé d'unir en lui ses souillures à la o-randeur de l'üme immortelle, il fut sublime par le cœur ef par la pensée. Il ~oul_utv?ir de près, aussi près de lui que possible, ceux qm lm étaient chers, léguant la pauvreté des uns à l'opulence des autres, les consolant· tous, et, tant. que l'usage de la parole lui resta, s'entretenant avec eux de la gloire, de l'avenir, cfala patrie, de la liberté. Entre l'Etre des êtres et lui, qu'avait-il besoin d'un intermédiaire officiel?_Le seul prêtre qu'il reçut fut l'évêque cl'Autuu, auquel il confia le soin de lire à la tribune un ùiscours de lui su_rl~s testamens. L'Angleterre le préoccupait; là, il le sentait bien, se formait le point noir par où la tempête s:annonce. " Ce Pitt, dit-il, est le ministre des préparatifs. Il gouverne avec ce dont il menace, plutôt qu'avec ce qu'il fait. Si j'eusse vécu, je lui aurais donné du chagrin." Si j'eusse vécu ! Il se consiùérai t en effet comme ayant cessé d'être, et l'on remarqua que pendant les deux derniers jours il ne parla de sa vie qu'au passé! Le 2 avril au matin il fit ouvrir ses fenêtres, et ùit à soi~ mé~ec!n d'une voix ferme : " Mon ami, je mourrai aUJOUrÙhm. Quand on en est là, il ne reste plus qu'une chose à faire, c'est de se parfumer, ùe s~ couronner de fleurs et ùe s'environner ùe musique, afin <l'entrer agréablement dans ce sommeil dont on ne se réveille plus." Le soleil brillait. Il ajouta : " Si, ce n'est point là Dieu, c'est du moins son cousin germain." Il demanda ensuite Je comte ùe La Marck, et mettant dans une de ses mains la main de Frochot : ·' Je le lègue à votre amitié." Puis il perdit la parole, ne répondant plus que par de légers signes aux larmes de ses amis, et n'ayant que le mouvement de ses lèvres pour les avertir de la douceur qu'il trouvait à leurs caresses. Vers huit heures, il fit le mouvement d'un homme qui veut écrire. On lui apporta une plnme, du papier, et il écrivit très-lisiblement dormir. C'était le mot d'Hamlet ! Il désirait avec ardeur ùe l'opium, et la par_olelui étant un moment revenue, il s'en servit pour se plamdre de ne pas voir son désir accompli. A huit heures et demie, debout et pensif au pied ùe sou lit, un autre métl.ecin qu'on avait appelé, put dire et dit : " Il ne souffre plus! " .......................................................... . . Les funé~ailles furent magnifiques. L'immense population ~e P~ns se pressait sur le passage du héros étrang~, pour pma1s endormi. Balcons, terrasses, toits ùes maisons, l:s arbres même, tout Hait chargé de peuple. Ce fut à crnq heures et demie du soir que le cortége s'ébranla. Fn détachement de cavalerie ouvrait la marche. Des canonniers de chacun des soixante bataillons, de vieux soldats blessés, _l'état-major de la garde nationale et Lafayette, une partie des Cent-Suisses, le clergé venaient ensuite, précédant le corps qui ;,'avançait entouré de grenadiers et porté par douze sergents. Le cœur était recouvert ù'une couro_nne de comte, masquée sous des flenrs ; un drapeau ~otta1t sur le cercueil. Par une condescendance singulière et caractéristique du temps, le président de l'Assemblée nationale avait voulu céder le pas au président et aux membres du club des Jacobins ; mais ils refusèrent, et se contentèrent de prendre place, au nombre de dixhuit cents, immédiatement après l'Assemblée, c'est-àdire a~a~t le département, avant la municipalité, avant les m1111stres, avant totttes les autorités constituées ! Bailly, m~lade, ne suivait pas le convoi ; Boni lié le suivit, son chapeau sur la tête. On y remarquait Sieyès donn~nt l~ bra~ à Lameth, auquel il n'avait pas parlé ùepuis d1x-hmt mois. Un homme avait refusé de consacrer par sa présence l~s égarements du génie : c'était Pétion. Après trois heures d'une procession solennelle, le cortège qui occupait un espace cle plus d'une lieue entra dans l'église Saint-Eustache, entièrement tendue d~ noir. Là, devant un sarcophage élevé au milieu du chœur, en ~rés~nce d'une ~ultitude recueillie, Cérutti prononça l oraison funèbre : 11y rappelait les grands noms de Montesquieu'. de_Fénélon, de Voltaire, de Rousseau, de l\fobly, et défimssa1_t en ces termes le r0le historique joué, après eux, par Mirabeau : "Mirabeau se dit : " Ils out créé la "lumière, je vais créer le mouvement." On se remit en marche. La nuit était descendue sur la ville ; et à la lueur agitée des torches, au roulement des tambours voilés, au bruit, tout nouveau, du trombonne et du tam-tam, instruments inconnus qui mêlaient aux chants lugubres composés par Gossec leur lamentatio11 sauvage et, sonore, l; convoi se traîna lentement jusqu'au Panthéon a travers l ombre des rues profo11des. . . . . . Moins de trois ans plus tarcl, le 27 novembre 1793, sur un rapport de Jose ph Chénier, et les })apiers trouvés dans l'armoire de fer sous les yeux, la troisième Assem- ~lée de la R_évoluti~n rendait ~n décret ~insi conçu : La Convention nationale, considérant qu'il n'y a poiut de grand. homm_e san_sv:rtu, ùécrète que le corps d'HonoréAGabnelle-Riquett1-M1rabeau sera retiré <luPanthéon français. Celui ùe Marat y sera transféré." Ce fut le 21 septembre 1794 seulement que cet ÜJPxorahle arrêt fut exécuté, mais enfin il le fut strictement froidement, an milieu de la solitude et ùu silence pendau; la nuit. Et mai_ntenant, il est quelque part, :ntre les ru:s Fer-à-Moulm, des Francs-Bourgepis, des Fossés, Samt-M~rcel et la place Scipion, une fosse sans nom que ~haq~e J~ur ~oule le passant distrait~ Là, tout près de l ancien cimetière de Clamart, le cimetiere des suppliciés, là sont les ce11dresde celui qui, dans un moment de triste~se divine, traça ces liines : fi Souvenei ..vous que la

seule dédicace qui nous soit venue de l'antiquité, celle d'Eschyle, ne porte que ces mots : Au TEMPS.Eh bien! cette dédicace est la devise de quiconque aime sincèrement, et avant tout, la gloire. Au TEMPS ! ils auront beau faire : je serai moissonné jeune, et bientôt, ou le TEMPSrépondra pour moi, car j'écris et j'écrirai pour le TEMPSet non pour les partis. " Tel il passa sur la scène du monde. Tout ce qui peut fortement imprimer l'image d'un l10mme dans l'esprit des autres hommes, il le tenait de la nature. Sa taille massive, ses formes athlétiques, son vaste front qui semblait fait pour porter la pensée, son teint olivâtre, ses joues sillonnées de coutures, ses grands yeux à petites prunelles s'enfonçant sous un haut sourcil et dans un enchâssement plombé, sa bouche irrégulièrement fendue, constituaient la laideur la plus admirable, la plus puissante qui fut jamais. De sa chevelure, qui était énorme et ajoutait au volume, déjà très considérable, de sa tête, il disait luimême : Quand je secoue rna terrible hure,. il n'y a personne qui osât m'interrompre. Il avait la démarche brusque, il avait le geste du commandement. Quand il parlait, sa voix, moins âpre que ses traits, était entrecoupée d'abord et traînante ; mais à mesure qu'il prenait possession de la parole, elle s'animait, se précipitait et devenait v~ritablement la musique de son génie. De l'homme politique, de l'orateur, il ne nous reste rien à <lire : il s'est assez défini dans ce livre par ses actes et par ses il.iscours ; mais il est des choses Je lui plus intimes, que, sous peine d'injustice, l'histoire doit recueillir. Il fut toujours lui-même si équitable envers ses adversaires ou ses ennemis ! Ne se plaisait-t-il pas généreusement à vanter l'esprit de Charles Lameth et sa franchise (1)? Ne disait-il pas de Barnave : C'est un grand chêne qui deviendra un mât de vaisseau ? Nul, avec plus de grâce et de noblesse, ne faisait valoir ses amis. Souvent, par exemple, il lui arriva de parler comme s'il eQt voulu qu'on le prît simplement pour " une horloge qui ne faisait que sonner les idées de Sieyès à la tribune." En lui, quand la passion ne le dominait pas, le tact des conve11ances était extrême. Un de ses contell)porains, peu suspect de partialité en sa faveur, a écrit de lui :· "Il trouv:i.it ùu plaisir à dire des choses obligeantes. Je me souviens que pendant qu'il était président de l'Assemblée nationale, M. Tronchet, vieillard vénérable et déjà cassé, lisait un rapport long et d'un médiocre intérêt. On faisait.du bruit : Mirabeau, pour le faire cesser, dit en agitant sa sonnette : Messieurs, veuillez vous rappeler que la poitrine de iW. Tronchet n'est -pas aussi forte que sa tête." ......... .. Ah ! qu'il reste sur Mirabeau, le voile dont la Convention enveloppa sa statue il y a soixante ans, qu'il reste taut que les sociétés seront plongées dans cet Hat de corruption qui veut qu'on soit inexorable pour le vice! Mais si jamais les âmes s'affranchissent, si jamais se rlissipe la nuit au sein de laquelle errent aujourd'hui les intelligences égarées, ô postérité des siècles heureux, grâce, ou, <lu moi11s,_pitié pour Mirabeau! Et n'oubliez pas, vous qui le jugerez plus tard, qu'il y eut des jours dans sa vie où il combattit pour le droit; qu'il y en eut où 11 souffrit pour la justice ; que sous ses fautes, après tout, germèrent des qualités charmantes ; que cet homme, si violent, était néanmoins d'un commerce facile et doux ; que la vue d'un malheureux le remplissait d'émotion ; qu'il eut des amis fanatiques et des serviieurs qui l'adorèrent; que, dans son L'HOMME. cœur, hélas ! trop orageux, l'amour de la liberté, flambeau céleste, vacilla d'une manière étrange, mais ne s'éteignit jamais entièrement ; que s'il descendit à des goO.tsqu'on n'avoue pas, il ne fut point sans avoir les inspirations élevées, et que s'il risqua la pudeur de son nom sur des oreillers impudiques, il sut aussi aimer les femmes avec héroïsme, avec pureté, comme il aimait la gloire enfin, ou ce qui vaut peut-être mieux encore, COJ.'!lmiel aimait les fleurs. Que serait-il arrivé s'il eO.t vécu ? Question posée mille fois, et bien vaine ! Dans le drame du temps, chacun a son rôle, tracé <l'avance par le grand auteur mystérieux. Or, qu'il soit illustre ou non, vêtu de pourpre ou couvert Je guenilles, quand l'acteur s'en va, c'est q11'il n'avait plus rien à faire sur la scène, et la preuve que son rôle est fini, c'est sa mort. La Révolution, d'.ailleurs, jusqu'à ce qu'elle eut atteint le dernier terme de son développement, se trouvait avoir quelq11echose d'évidem:ment indom.ptable ; elle allait à son dénouement, en vertu d'une logique contre laquelle il n'y avait rien de possible ; et c'est ce que Robespierre lui-même sembla ne pas bien comprendre, lorsque, par allusion à un mot de Mirabeau agonisant, j] s'écria : Achille est mort, Troie ne sera pas prise. Comme si le sort de Troie, à cette époque, eO.t pu dépendre de la vie d'Achille ! Non, non, tout Mirabeau qu'il était, Mirabeau n'aurait ni arrêté ni troublé la Révolution dans sa course fatidique, Que ses aptitudes dominantes fussent d'un homme d'Etat, et qu'en lui l'orateur au repos eO.tpu se montrer sous l'aspect d'un Richelieu, il est permis de le supposer ; et cependant, quand on lit sa correspondance secrète avec la cour, on est frappé de son impuissance. A chaque pas il hésite ; ses contradictions sont palpables ; ses conseils manquent de portée autant que de grandeur ; l'indigence de ses combinaisons est manifeste, et si, parmi les divers moyens de salut qu'il propose, vous cherchez les vues d'un Richelieu, vous ne trouvez que les ruses vulgaires d'un capucin Joseph. Et lui-même il ne ii;efaisait point illusion à cet égard, luimême il n'ignorait pas que la cour, en l'achetant, lui avait donné à combattre une force bien supérieure à la sienne : on le devine aux cris de découragement que, de loin en loin, sa situation lui arrache, et, plus encore, à ce perpétuel besoin qu'il a de se rendre la nation favorable, de la flatter, de s'appuyer sur elle ... pour la trahir. Mais quoi! la Révolution n'était-elle pas, elle aussi, environnée de périls ? N'apparaissait-elle pas déjà flottant, dans un frêle esquif, sur une mer agitée ? Comme César, plus nécessairement que César, elle avait ses destinées à accomplir, et au nautonnier, entre les flots de l'abîme soulevés et le ciel en feu, au nautonuier sai3i d'épouvante, elle avait certes le droit de dire : " Va, ne crains rien : tu portes le peuple et sa fortune ! " Mirabeau mort, il était naturel que Lafayette s'attendit à paraître plus grand. Marat en eut le frisson, et son effroi se changea aussitôt en rage. Il avait trouvé dans Fré~ ron un auxiliaire dont les fureurs~ pour êwe déclamatoires et factices, n'on agitaient pas moins les faubourgs. Dans des lettres qu'il se faisait adresser et qu'il accompagnait de frénétiques commentaires, Fréron enregistrait chaque matin la prétendue preuve des noirs complots 01ndis par Lafayette. Rien de moins conch~ant que les faits déuoncés par l'Orateur du peuple; mais du soMl\1AIREde chaque feuille se détachaient en gros caractères des· titres propres à frapper vivement l'esprit: Dénonciativn des nouveaux actes tyranniques de Bailly et de Mottié. - Lafayette et Bailly absolument démasqués, etc ... , etc. .... Ce qu'il eatend dira sans cesse, le peuple finit par le croire.-D'ailleurs, Mar~ savait joindre à ses calomnies des accusations fondées qui donnaient aux premières une vraisemblance sinistre. Toujours est-il que l'astre de Lafayette commença justement à pâlir au moment où celui de Mirabeau venait de se coucher pour jamais. La section du Théâtre-Francais ayant demandé la destitution du général, quatorze sections exprimèrent le vœu qu'on en délibérât, et le bataillon <les Champs-Elysées refusa Je le reconnaître pour commandant. Sans être décisifs, ces symptôme~ étaient graves. Mais cela ne répondait ni aux inquiétudes de Marat, 11i aux exigences de sa haine. Parce qu'une dénonciation lancée contre Lafayette par nn certain Rutteau était allée s'engloutir dans le comité des recherches, parce qu'on ne se hâtait pas de destituer Lafayette, parce qu'on ne le <léclarait pas sans plus tarder traître à la patrie, Marat s'écria : " 0 Parisiens, vous êtes si ignares, si stu1lides, si présomptueux, si lâches, que c'est folie d'entreprendre de vous retirer de l'abîme. " Et, menaçant le peuple de l'abandonner, il parla d'aller prêcher chez une nation moins corrompue l'apostolat de la liberté. La menace était simulée. Camille Desmoulins la prit au sérieux et écrivit : " Marat est celui de tous les journalistes qui a le mieux servi la Révolution. L'ami dit peuple va se déshonorer en <lésertant le champ de batoille. Il est bien vrai que son plan de conduire le peuple jusqu'au but, en l'emporta11tbien au delà, ne lui a pas réus:si: cependant, ces trois bataillons qui voulaient, il n'y a pas longtemps, promener dans Paris son buste ceint de lauriers, lui prouvent qu'on rend justice à son courage." ... ......··············· ............................................. . Ces polémiques, trop caractéristiques pour être passées sous silence, n'empêchaient pas Camille et Marat de poursuivre ensemble une guerre à outrance contre toutes les renommées suspectes d'indécision révolutionnaire, surtout contre Lafayette. Les accointances du général avec le Châtelet ; ses conférences avec Suleau ; ses liaisons, à peine voilées, av.,:cMontmorin et Bouillé ; son intimité à l'égard du duc d'Orléans, qu'il avait fait si arbitrairement espionner à Londres ; la persécution, sourde ou déclru:ée, dont il enveloppait Santerre ; son refus de reconnaître l'indépendance des Belges ; ses votes en faveur du veto absolu, de la loi martiale, du droit de paix et de guerre accordé au,.1·oi; son attitude enfin dans les affaires de Vincennes de la Chapelle, de Nancy ... , tels étaient les griefs que .Camille Desmoulins butinait dans sa feuille , immortelle. Les ~vénements ne t~rdèrent pas à mettre en saillie la portée de ces attaques. Lours BLANC. (1) (l)E>ltrait du 5e volume de ]'Histoire de la Revolutionfmaqaise, ERRATA. Ire _page, Ire colonne, au lieu de garnissaires, lisez garnisaires. Id. 2e . id, au lieu de la nuit aux caravanes, lisez la nuit aux cavernes. 4e id., 3e id., 2e vers de la 3e strophe, au lieu de encore mieu~, à mourir, lisez, encor mieux, à mourir. AVIS 11 sera publié avec chaque numéro un supplément spécial pour les ANNONCESdans l'intérêt du Commerce, de !'Industrie et de la Science. Les Annonces de . . • tous le_spa_y~seront acceptées -à la_con~ition_d'être écrites eu français, conforméme~t au spécime~ ci-i:qirès. Les Avis et Annonces sont reçus jusqu'au vendredi à m1d1,à Londres, à la hbrame et agence de l'lmpnmene Umverselle, 50 lz2, Great Queen Street Lmcoln's-Inn-F1elds, et à l'office de !'Imprimerie Universelle, 19, Dorset Street à Jersey, S-Hélier, jusqu'à l'arrivée du courrierdu mardi. Toute correspondance doit être affranchie et contenir 1111 bon, soit sur la poste anglaise, au nom de l\f. Zéno SwrnToSLAwsK/ soit sur. un des banq~iers de J er~ey ou de Londres. Le prix_~es Annonces est uniformém~nt de six sous (trois pence) la ligne, pour les trois sortes de caractères courants employé~ dans ce Journal. Les hgnes en capitales et en lettres de fanta1s1e, seront payées en proport10n de la hauteur qu'elles occuperont, calculée sur le plus petit texte. LEDkJ.PHILIPPE, DE LA FACULTÉ DE MÉDECINE DE PARIS, Donne des consutlatio11sgratuites tous les soirs, de 6 à 10 heures, - à la PHARMACIE li'RANCAJSE, 28. Greek Street, Soho Sq., à Londres. N.-B. Produits pharmaceutiques, fleurs, plantes. etc., le tout provenant de France. ANNONfJES. MAISONDE COMMISSION HOTELDEL'EUROPE N O J Y DON STREET, No 11, 0 3, SURLEP RT,A ERSE• TENUPARG.ROUSSEL. C. Heut•tebise, Commissionnaire en mar- G. RousseL a l'honneur de prévenir MM. le~ chandises, se charge de vendre et acheter tonte_ voyageurs qui viennent visiter cett,e île, soit pour sorte de marchandises, et de faire de recouuements agrément, soit pour affaires, aussi bien que les haen France ou en Angleterre et en Amérique. bitants de cette localité, qu'ils trouveront dans Correspondants à Paris, Bordeaux, Lyon, Lille, son Hôtel, bonne table, bons vins, et tous les soins, Londres, Birmingham, Liverpool, New-York, etc. ainsi que tous rens1:ignements possibles. 15" Table ù;Hôte à 10, I et 5 heures.-Repas à toute heure.-Il sert aussi en ville. FBONY PROFESSEUR D'éQUJTATJON, an- • cien élève de l'école de Saumur, a l'honneur de prévenir le public qu'il vient d'ouvrir un cours d' Equitation à son manège, sur la Parade. 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RIBEYROLLE_S, ex-rédacteur en chef de Tableaux historiques de la Civilisation à Jersey, HOLINSKI, La Califo.rnie et les routes Îlllerocéa1 vol. m -12. la Réforme. - Les Bagnes d'Afrique, précédés l vol. grand in-8. niques, l bean vol. LeGouvernement du Deux DJcembre, pour faire suite d'une dédicace à Napoléon Bonaparte, l vol. JOACHIM LELEWEL. Histoire de Polo•me à l'Histofre dz~ Deux Décembre, l vol. in-12. in-12. grand in-8, 2 vol. avec Atlas. 0 ' PI~RRE LE}tOU?(, représentant _du p~upl_e.Traduction du même o_uvrage, 1 beau vol. in-8. Antiquités de Pologne, accompagné de deux Invasion de l'.Anglt>terre, so11s le titre : )'Empire Cours de Phren?logze. les douze premières hv,ra1- PH. BERJEA U, ex-redacteur de la Vraie Répu· planches. français et les Polonais ( French empire and sons (ouvrage m~rrompu). blique. - Biographies bonapartistes ( en vente), Etudes numismatiques et cwchéologiques, avec Atlas. the Po les), I vol. in-8. Lettre aux Etals d~ Jerse!f sur les moy~ns de quin- contenant la vie ùe Persigny, Saint. Arnaud, Atlas du type Gaulois. • Relalîon de la campagne de Sicile en 1849, J vol. tupler les prodmts agncoles, 1 vol. m-12. Morny, Magnan, Baroche, Achille I Fould et Géographie du Moyen-Age, avec Atlas. in-12. VJCTO~ H{!G<?, repré~entant du peuple. - ~utres ,qui out pris part au Coup-d'Etat, l vol. Pythias de Marseille et la géographie de son temps, Recueil ,le documents secrets et inédits, pour Nc~poleon-le-I>,e~it. 1 v~l.m-32. . m-32. :r ; ., • accompagné de 3 planches._ servir à l'étude de )'Histoire politique de C11dtime11~s, poes1es pohtiques, ouvraîe nouveau, J•. CAHAIG NE, ex-reùacteur - propnetaùe tlu GOLOVINE. La France et l'Angleterre comparées. l'Europe dans la ~rise actuelle, trois livraisons l vol. m-32. Journal la Commune de Paris.-la Couronneimpé- ALEX. RER.ZEN, Du développement des idks ré- in-8.

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