Homme - anno I - n.04 - 21 dicembre 1853

• CORRESPONDANCE DE LONDRES. Londres, 16 Décembre 1853. Et d'abord, commençons par la fin : la nouvelle se répand que Lord Palmerston, Ministre Secrétaire d'Etat à l'intérieur (Home Secretary), vient de donner sa démission. Lord John Russe~! s'~st rendu près de la Reine, à Osborne ( Isle of Wight), pour hu faire agréer cette démission. JI paraît que Lord Palmerston trouve ses collègues trop avan~és ! Le ministère actuel avait promis, dès son entrée aux affaues, de présenter un plan de réforme électorale. Cinq de ses membres - Lord Palmerston était du nombre -ont été chargés de l'établir. Ce pl:m donnera-t-il une_extension d_ud_roit de ~uffrag; ? ac_cordera-t-il une représentation à des d1s_tr1~tst~ès-Reuples qm en sont privés aujourd'hui ? s'étendra-t-11 JUsquà l m~roduchon du scrutin secret ? En tous cas, on n'attend pas du cabmet Aberdeen des mesures très radicales. - Pourtant, c'est le plan de réforme accepté par le ministère que Lord Palmerston ~e veut pas pré~enter et qui décide sa retraite; on l'assure du moms; et ce bruit est d'autant plus probable que Lord Palmerston est, après tout, un 1'ory. Entré fort jeune aux affaires, dan~ le cabinet tory LIVERPOOL et PER<;EVALv,ers 1811, il est toujours resté, pour le public, le jeune ministre, actif, ardent, plein de verve, administrateur habile, orateur impitoyable pour ses adversaires et même pour ceux de ses alliés dont la marche ne concordait pas entièrement avec ses vues. Très-prôné par ce qu'on appelle le parti libéral pour son attitude vis-à-vis de l'Europe. qualifié de diplomate brouillon par les ronservateurs continentaux, Lord Palmerston passe, aux yeux de bien clesgens, pour le chef du parti de h guerre ici, pour l'appui des révolutionnaires à l'étranger. Il est vrai qu'il étend la main de l'Angleterre dans tous les troubles; il augmente ainsi l'influence du pays qu'il représente et dont les divers partis, sur le continent, recherchent tous l'incertaine protection. La Pologne, la Hongrie, l'Italie, et, en ce moment, la Turquie, peuvent dire si les actes répondent aux paroles, et si les intrigues diplomatiques et la fière attitude de la politique Palmerston sont une entrave ai:x envahissemens de la coalition absolutiste ! Sorti du cabinet Ru~sell en Décembre 1851 pour avoir approuvé le Coup d'Etat de Bonaparte, renouant avec ses anciens collègues et les reliant aux amis de R. Peel en Décembre 1852, pour renverser le ministère Derby au nom de la Rlfforme douanière, voilà Lord Palmerston repris - dit le Times-de son hostilité chronique contre le cabinet en Décembre 18:i3, et rompant de nouveau al'ec ses collè;;ues, trop radicaux, à son gré, dans leur réforme électorale. Lord Palmerston nous paraît alfecter le libéralisme en politique étrangère et en économie politique pour mieux entraver la Démocratie, au moins à l'Intérieur. Quoiqu'il en soit, sa retraite affai • blira beaucoup le ministère; et lui voilà un nouvel ennemi, renforpnt les torys ouvertement réactionnaires, l'opposition de parti pris de la brigade irlandaise, et le parti de la paix, Cobden et ses amis. La session sera très animée, sans doute. Le$ nouvelles d'Orient deviennent défavorables aux Turcs, l'armée d'Omcr Pacha reste retranchée derrière le Danube; ~a11séchecs il est vrai, et remportant même quelques avantages :partiels de loin en loin. M:,is en Asie, où de brillms succès avaient aussi ouvert la c,m113agne,les Russes reprennent l'avantage. Osman Pacha, dont l'escadre escortait un convoi d'hommes et de munitions destiné à l'armée de Sélim Pacha, n'a pu éviter la flotte tusse, be:iucoup plus nombreuse et plus forte. Il a cherché à débarquer, dans le port de Synope, les troupes qu'il escortait; y est-il parven lt? On ne sait. Il a été pris; sept à huit bâtimens-frégates -outransports, - ont été coulés; les Russes se vantent d'avoir tué -5,000Turcs clans cc combr..t, où d'ailleurs ils n'ont pas accablé fa_ cill'ment ch•g bâtimens pourtant encombrés, incapables d'une résista11ceefllcace. Osman et son escadre se sont vaillamment défC'lld11;;. f'ettr ,10mellc a déterminé les amirnux Anglais et Français à fain• entrer 1• bâtiments dans la mer Noire. Une dépêche arrivée hier annonce un succès de l'armée russe en Asie : 4,000 Turcs auraient péri dans cette bataille. La guerre se poursnit a,ec ach:imciment sur tous lP.s,points, à en juger par le petit nombre de prisonniers faits par les Russes. La principauté clc Serbie est très agitée; les chefs Serbes voudraient seconder la Russie contre les Turcs; et comme le prince Alexandre paraît peu disposé à se faire le vassal du Czar, il est question de le déposer et d2 rappeler le prince Milosk qui s'est rapproché des frontières pour être à même de profiter des intrigues russes . .Enfin on annonce que la Perse, à l'instigation clu Czar, a déclaré la guerre à la Turquie : l'envoyé anglais ;mrait quitté Téhéran. Le seerétaire du général Gortzshakoff, un polonais, dit-on, nommé Razicwiez, accusé d'entretenir des relations avec OmerPacha, aurait été fusillé sur place; un officier, son complice, aurait été fusillé de même à St. Pétersbourg, la première exécution depuis 2,j ans, ajoutent hypocritement les feuilles amies de Nicolas. En Espagne, le ministère Sartorius a dissous les Cortez, le sénat s'étant permis de lui donner tort dans la question des chemins de fer. En Piémont, le ministère Cavour-Rattazzi est victorieux clans les élections. J c ne vous dis rien de la France, vous savez mieux que moi ce qui s'y passe. A vous, PH F ... CHATIMENTS. Rien n'est plus triste q11el'ignorance, mais nous ne savons rien de plus hideux que la misère : conseillère farouche, elle vend la fleur clesfilles et la loyauté des hom- • mes : elle a sa main dans tous les crimes. Dans certains salons, pourtant, les reins et les pieds sur la soie, les obèses et les belles clamesnient souvent la misère, ou l'excusent et la voilent. Eh bien, qu'ils lisent Sous ce titre: Joyeuse vie, voici les caves de Lille ! JOYEUSE VIE. I. Bien, pillards, intrigants, fourbes, crétins, puissances ! Attablez-vous en hâte autour des jouissances! Accourez ! place à tous ! Maîtres, buvez, mangez, car la vie est rapide. Tout ce peuple conquis, tout ce peuple stupide, Tout ee peuple est à vous ! Venclczl'Etat! coupez les bois I coupez les bourses ! Videz les réservoirs et tarissez les sources ! Les temps sont arrivés. Prenez le dernier sou ! prenez, gais et faciles, Aux travailleurs des champs, aux travailleurs des villes! Prenez, riez, vivez ! Bombance! allez! c'est bien ! vivez! faites ripaille! La famille du pauvre expire sur la paille, Sans porte ni volet. L'HOMME. Le père en frémissant va mendier dans l'ombre ; La mère n'ayant plus de pain, dénûment sombre, L'enfant n'a plus de lait . II. Millions! .millions! ch/iteaux ! liste civile ! Un jour je descendis dans les caves de Lille; Je vis ce morne enfer. Des fantômes sont là sous terre dans des chambres, Blêmes, courbés, ployés ; le rachis tord leurs membres Dans son poignet de fer. Sous ces voûtes on souffre, et l'air so::mbleun toxique; L'aveugle en tâtonnant donne à boire au phtisique ; L'eau coule à longs ruisseaux; Presque enfant a vingt ans, déjà vieillard à trente, Le viTant chaque jour sent la mort pénétrante S'infiltrer dans ses os. Jamais de feu; la pluie inonde la lucarne; L'œil en ces souterrrains où le malheur s'acharne Sur vous, ô travailleurs, Près du roüet qui tourne et clu fil qu'on dévide, Voit des larves errer clans la lueur livide Du soupirail en pleurs. Misère! l'homme songe en regardant la femme.· Le père, autour de lui sentant l'angoisse infâme Etreindre la vertu, Voit sa fille rentrer sinistre sous la porte, Et n'ose, l'œil fixé sur le pain qu'elle apporte, Lui dire : d'où viens-tu? Là dort le désespoir sous son haillon sordide ; Là, l'avril de la vie, ailleurs tiède et splendide, Ressemble au sombre hiver; La vierge, rose au jour, dans l'ombre est violette; Là, rampent dans l'horreur la maigreur du sqelettc, La nudité du ver ; Là, frissonnent, plus bas que les égoûts des rues, :Familles de la vie et du jour disparues, Des groupes grelottants; Là, quand j'entrai, farouche, aux méduses pareille, Une petite fille à figure de vieille Me dit: j'ai dix-huit ans! Là, n'ayant pas de lit, la mère malheureuse 1\1et ses petits enfants dans le trou qu'elle creuso, Tremblants comme l'oiseau ; Hélas! ces innocents aùx regards de colombe, Trouvent en arrivant sur la terre une tombe, En place d'un herceau ! C:ives de Lille ! on meurt sons vos plafonds de pierre! .J'ai vu, vu de mes yeux plçurant sous ma paupière, Râler l'aïeul flétri, La fille aux yeux hagards de ses ·cheveux vêtue, Et l'enfant spectre au sein de la mère statue! 0 Dante Alighieri ! C'est de ces douleurs-là que sortent vos riehesses, Princes! ces clénûments nourissent vos largesses, 0 Vainqueurs! conquérants! Votre budget ruisselle et suinte à larges gouttes Des murs de ces caveaux, des pierres de ces voÎltes, Du cœur de ces mourants. Sous ce rouage alfreux qu'on nomme tyrannie, Sous cette vie que meut le fisc, hideux génie, De l'aube jusqu'au soir, Sans trève, nuit et jour, dans le siècle où nous sommes, Ainsi que des ·raisains on écrase des hommes, Et l'or sort du pressoir. C'est de cette détresse et de ces agonies, De cette ombre, où jamais, dans les âmes tetnies, Espoir, tu ne vibras, C'est de ces bouges noirs pleins d'angoisses amères, C'est de ce sombre amas de pères et de mères Qui se tordent les bras, Oui, c'est de ce monceau d'indigences terribles Que les lourds millions, étincelants, horribles, Semant l'or en chemin, Rampant vers les palais et les apothéoses, Sortent, monstres joyeux et couronnés de roses, Et teints de sang hnmain ! • III. 0 paradis! splendeurs! versez à boire aux maîtres·] L'orchestre rit, la fête empourpre les fenêtres, La table éclate et luit; L'ombre est !il sous leurs pieds; les portes sont fermées; La prostitution des vierges affamées Pleure dans cette nuit! Vous tous qui partagez ces hideuses ,dlilices, Soldats payés, tribuns vendus, juges complices, Evêques effrontés, La misère frémit sous ce Louvre où vous êtes! C'est de fièvre et de faim et de mort que sont faites Toutes vos voluptés! A Saint-Cloud, effeuillant jasmins et marguerites, Quand s'ébat sous les fleurs l'essaim des favorites, Bras nus et gorge au vent, Dans le festin qu'égaie un lustre à mille branche$, Chacune en souriant, dans ses belles dents blanches Mange un enfant vivant! Mais qu'.importe ! riez! se plaindra-t-on sans cesse? Serait-on empereur? prélat, prince et princesse, Pour ne pas s'amuser ? Ce peuple en larmes, triste, et que la faim déchire, Doit être satisfait puisqu'il vous entend rire Et qu'il vous voit danser ! Qu'importe! Allons, emplis ton coffre, emplis t:i poche. Chantez, le verre en main, Troplong, Sibour, Baroche! Ce tableau nous manquait. Regorgez, quand la faim tient le peuple en sa serre, Et faites, au dessus de l'immense misère, Un immense banquet! IV. Ils marchent sur toi, peuple 1 6 barricade somhr,e, Si haute hier, dressant dans les assauts sans nombre Ton front de sang lavé, Sous la roue emportée, étincelante et folle, De leur coupé joyeux qui rayonne et qui vole, Tu redeviens pavé! A César ton argent, peuple; à toi, h famine. N'es-tu pas le chien vil qu'on bat et qui chemine Derrière son seigneur? A lui la pourpre ; à toi la hotte et les guenilles, Peuple, à lui la beauté de ces femmes, tes filles, A toi leur déshonneur! V. Ah! quelqu'un parlera. La muse, c'est l'histoire. Quelqu'un élèvera la voix claRsla nuit noire, Riez, bourreaux bouffons ! Quelqu'nn te vengera, pauvre France abattue, l\ia mère! er l'on verra la parole qui tue Sortir des cieux profonds! Ces gueux, pires brigands que ceux des vieilles r:ices, Rongeant le pauvre peuple avec leurs dents voraces, Sans pitié, sans merci, · Vils, n'ayant pas de cœur, mais ayant deux visages, Disent: Bah! le poëte ! il est dans les nuages! - Soit. Le tonnerre aussi. Révélations terribles, lueurs sinistres, anathèmes-fourlres, sombres avertissements et saintes révoltes de la pitié, tout n'est-il pas là, dans cette pièce, comme dans tout ce volume des Châtiments, nuée profonde et chargée, véritaole ouragan de mitraille et d'éclairs qui vient d'éclater sur l'Empire ? L'espérance aussi, l'espérance des grands réveils s'y trouve, et dans la pièce de la Caravane, voici le vengeur qui se lève: les chacals fuient .dans l'ombre, avec les hyènes ; toutes les voix rauques se taisent, voici le peuple, voici le lion ! Le tumulte effrayant cesse, râles et plaintes Meurent, comme des voix par l'agonie éteintes, Comme si, par miracle et par enchantement, Dieu même avait dans l'ombre emporté brusquement Renards, singes, vautours, le tigre, la panthère, Tous ces monstres hideux qui sont sur notre terre CE:que sont les démons dans le m~ndc inconnu. Tout se tait. Le désert est muet, va~te et nu. L'œil ne voit sous les cieux que l'espace sans borne. Tout-à-coup au milieu de ce silence morne Qui monte et qui s'accroît de moment en moment, S'élève un formidable et long rugissement! C'est le lion. III. Il vient, i 1 surgit où vous êtes, Le roi sauvage et roux des profondeurs muettes 1 Il vient de s'éveiller comme le soir tombait, Non, comme le loup triste, à l'odeur du gibet, Non, comme le jaguar, pour aller dans les havres Flairer si la tempête a jeté des cadavres, Non, comme le chacal furtif et hasardeux, Pour déterrer la nuit les morts, spectres hideux, Dans quelque champ qui vit la guerre et ses désastres, Mais pour marcher clans l'ombre à la clarté des astres, Car l'azur constellé plaît à son œil vermeil; Car Dieu fait contempler par l'aigle le so lei!, Et fait par le lion regarder les étoiles. Il vient, du crépuscule il traverse les voiles, Il médite, il chemine à pas silencieux, Tranquille et satisfait sous la splendeur des cieux; Il aspire l'air pur qui manquait à son antre; Sa queue à coups égaux revient battre son ventre, Rt dans l'obscurité qui le sent approcher, Rien ne le voit venir, rien ne l'entend marcher. Les palmiers, frissonnant comme des touffes d'herbe, Frémissent. C'est ainsi que, paisible et superbe, Il arrive toujours par le même chemin, Et qu'il venait hier, et qu'il viendra demain, A cette heure oil Vénus a l'occident décline. Et quand il s'est trouvé proche de la colline, Marquant ses larges pieds dans le sable mouvant, Avant même que l'œil œaucun être vivant Ait pu, sous l'éternel et mystérieux dôme, Voir poindre à l'horizon ~on vague et noir fantôme, Avant que, dans la plaine, il se soit avancé, • Il se taisait; son souffle a seulement passé, Et ce souffle a suffi, flottant à l'aventure, Pour faire tressaillir la profonde nature, Et ponr faire soudain taire au plus fort du bruit Toutes ces sombres voix ']ni hurlent dans la nuit. IV. Ainsi, quand ..de ton antre enfin pous~ant la pierre, Et las du long sommeil qui pèse à ta paupière, 0 Peuple, ouvrant tes yeux d'où sort une clarté, Tu te réveilleras dans ta tranquillité, Le jour où nos pillards, où nos tyrans sans nombre Comprendront que quelqu'un remue au fond de l'ombre, Et que c'est toi qui viens, ô lion! ce jour là, Ce vil groupe où Falstaff s'accouple à Loyola, Tous ces .gueux devant qui la probité se cabre, Les traîneurs de soutane et les traîneurs de sabre, Le général Soufflard, le juge Barabbas, Le jésuite au front jaune, à l'œil féroce et bas,. Disant son cha1)elet dont les grains sont des balles, Les Mingrats bénissant les Héliogabales, Les Veuillots qui naguère, errant sans feu ni lieu, Avant de prendre en main la cause du bon Dieu~ Avant d'être des saints, tra"înaient dans les ribottes Les haillons cle leur style et les trous de leurs bottes. L'archevêque, ouléma du Christ ou de Mahom, Mâchant avec l'hostie un sanglant Te Deum, Les· Troplong, les Rouher, violateurs de chartes, Grecs qui tiennent les lois comme ils tiendraient les cartes, Les beaux fils dont les mains sont rouges sous leurs gants; Ces dévots, ces viveurs, ces bedeaux, ces brigands, Depu-is les hommes vils jusqu'aux hommes sinistres, Tout ce tas monstrueux de gredins et de cuistres Qui grincent, l'œil ardent, le muffle ensanglanté, Autour de la raison et de la vérité, Tous, clumahre au goujat, du bandit au marouffie, Pâles, rien qu'à sentir au loin passer ton souffle, Feront silence, ô peuple! et tous disparaîtront Subitement, l'éclair ne sera pas plus prompt, Cachés, évanouis, perdus sous la nuit sombre, Avant même qu'on ait entendu dans cette ·ombre Où les justes tremblants aux méchants sont mêlés, Ta grande voix monter vers les cieux étoilés! VICTOR Huoo. BIOGRAPIIIEBSONAPARTISTES. M. DE MORNY. (Suite.) M. de Morny donna donc sa démission et fut remplacé au ministère de l'intérieur par M. Fialin "de Persigny. Des consolations de diverses natures vinrent soulager le

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