Homme - anno I - n.03 - 14 dicembre1853

ùèrent que les journaux républicains fussent mis dans l'impossibilité matérielle de continuer leur publication. Bonaparte, qui n'avait rien à refuser à son frère, et le général Changarnier, possédé de la haine inintelligente que tous les sabreurs ont pour la presse libre, v.ccordèreut avec empressement le sac des journaux républicains. Deux amis particuliers de M. de Morny furent chargés spécialement de diriger cette opération. L'un rl'eux, M. Vieyra, juif portugais naturalisé, fut dirigé sur les bureaux du Peuple et de .l'imprimerie Boulé ; l'autre, M. Odiot, l'un des principaux actionnaires du Constitutionnel, fut chargé du sac de l'imprimerie Proux et du journal la Vraie République, à quelques pas de la boutique Véron-Morny. , Le premier de ses honnêtes pillards, M. Vieyra, était chef de bataillon de la 2e légion. C'était un rude champion de l'ordre, de la famille et de la propriété. De J 823 à 1827, il avait tenu, rue Rambuteau, un lupanar où les viveurs d'alors respectaient et honoraient la famille et la propriété ; et c'est à ce titre, sans doute, qu'on ltur confiait l'honorable mission de ruiner deux imprimeurs, trois ou quatre journaux et deux cents travailleurs. Cette œuvre de Vandales fut accomplie à la satisfaction ,de Morny, à qui elle faisait gagner d'un coup quatre à cinq cent mille francs, comme nous le verrons tout ~t l'heure. Les soutiens de l'ordre,' conduits par un officier de police, nommé J euneson, et un aide-de-camp du géné, al Changarnier, M. de Sercy, brisèrent à l'imprimerie Proux pour 45,000 francs, à l'imprimerüi Boulé, pour 75,000 francs de caractères, de machines, de matériels et de meubles. Total l 20 mille francs de dégâts qui n'ont jamais été ré11arés. Les honnêtes magistrats qui administrent la justice de Bonaparte déclarèrent que les auteurs 1Je ce pillage étant inconnus, il n'y avait pas lieu d'en poursuivre la réparation. Tout le monde avait cependant sous les yeux le rapport que le chef de bataillon Vieyra avait eu l'audace de publier dans le Moniteur du 19 juin; et les journaux républicains qui avaient survécu s'étaient empr~ssés de donner les noms des hommes que la justice s'obstinait à ne pas trouver. Mais la magistrature qui a mis Bonaparte hors la loi le 2 Décembre et qui lui a prêté serment quinze jours après, a trop d'autres méfaits sur la conscience pour que nous nous arrêtions davantage sur ce petit grief personnel. De cette époque à Décembre 1851, en dehors de ses spéculations industrielles et des coups de Bourse dont M. Fould avait la direction suprême, l\L de Morny ne s'occupe plus que des trames secrètes de la conspiration dont il est, pour ainsi dire, le seul confident. 11a supplant~ dans la confiance absolue de Bonaparte M. Fialin, dont l'intelligence et le courage sont plus que jamais problêmatiques. Le prétendant trouve en son frère une audace réfléc)lie, un sang-froid diabolique que l'ancien confident des complots de Boulogne et de Stra~bourg est loin de posséder. D'ailleurs, les relations de M. de Morny dans le monde intrigant des salons et la finance sont bien autrement étendues que celles d'un pauvre diable de sousofficier qui n'a quitté quelques années la caserne que pour aller rêver en prison aux pyramides d'Egypte et au mythe d'Osiris. Avec un directeur tel que l\fonJy, familier depuis longues années a-,cc tout ce qu'il y a Ùrl vénal et de corrompu dans les rnlons de Paris; avec un exécuteur tel que SaintArnaud, lié par une étroite communauté <l'intérP-tset de position avec ce qu'il y a de pis dans les conil.ottiers africains; avec un auxiliaire occulte tel que Carlier, dont le petit Maupas n'est que la pâle marionnette, le· prétendant peut tenter avec quçlque chance de succès le coup de main préparé contre la bourse, la dignité, l'hounéur et la conscience du Pe11plefrançais. Les historiens du coup d'Etat ont tous vanté la résolution <le M. de Morny pendant la crise. Se8 complic;es, pour la plupart, et surtout le prétendant, étrangers à Paris et à la France, perdirent plus ou moins la tête et , crureµt un moment que tout était p~rdu. Ainsi Maupas, tremblait de tons ses membres au milieu de ses mouchards; Magnan faiblissait et, contrairement à sa consigne et au plan convenu, laissait la majorité de l'Assemblée se réunir à la mairie du l0e arrondü;sement et proclamer la déchéance du tyran; Saint-Arnaud et Louis Bonaparte, malgré des récentes bravades devant les soldats, n'osaient monter à cheval et ne se montrèrent nul1c part pendant les évènemens. Que M. de Morny ait su commander à son visage et faire parade de résolution, cela se peut, mais ces actes politiques, rovoqués pr~squ'aussitût qn'affichés, ses concessions 11endant le péril, celte liste d'une commission consultative qu'il faut refaire trois fois en quelques jours, trahissent un désordre d'esprit au moins aussi grand qu,e celui de ses collègues en conspiragon. Ce fnt lui cependant qui eut le courag~ de contre-signer les premiers bandos nocturnes du coup d'Etat comme ministre de l'intérieur. La plèbe ministfrielle, les Fould, ]es Rouher, les Magne, les Lacrosse, les CasRbianca, ]es Fortoul et les Turgot ne comptaient que pour mémoire et • AVIISMPORTANTa Dans l'i11térêt du Commerce, de l'I nclustrie et de la Scie:1ce, les Annonces de tous les pays seront acceptées l à la condition d'être écrites en français, conformément au ne se co:npromircnt d'abord par aucun acte ostensible. D'ailleurs, l'affiche. qui les nommait ne portait pas de date et ne fut placardée qu'à midi, le 2 Décembre. En cas d'échec, il n'est pas douteux qu'ils n'eussent tous <lésavoué leur nomination comme M. Odillon Barrot renia la sienne au 24 Février, après la chute et l'expulsion de Louis-Philippe. MM. Lacrosse et Casabianca protestèrent seuls, on ne sait pourquoi, contre l'usage qu'on avait fait de leurs noms sans les consulter et furent remplacés , le lendemain par M. Ducos, le bigame, et M. Lefèvre Duruflé, con11upar une broc1mre, intitulée l'Art de mettre sa cravatte. . L'espèce de sanction légale dont les conjurés cherchèrent à couvrir l'attentat, en formant une commission consultative d'hommes politiques choisis dans la réaction anti-républicaine, fut une conception malheureuse et qui ne fait pas honneur à !'habilité vantée de M. de Morny. La liste affichée le 3 Décembre dut être rectifiée le. lendemain et refondue pour la troisième fois le 13 Décembre, par suite des réclamations énergiques qui s'élevèrent de toutes parts. On connaît la lettre insolente qu'écrivit à cet égard le vertueux. Caton-Faucher, que des préjugé3 parlementaires empêchaient de profiter du coup d'Etat après l'avoir préparé par ses attaques furibondes contre le mouvement républicain. M. Suchet d' AllJ~féra vint se plaindre à M. de Morny d'avoir été mis en si mauvaise société. Celui-ci lui répondit simplement : " Monsieur, " nous avons eu besoin de votre nom, nous l'avons pris, " t' ' ~- l quan a votre personne, nous n en avons que 1a1re: sen e- •" ment, je vous invite à vous tenir tranquille." Et M. Suchet fut écond11it avec la plus superbe impudence. l\L J oseph Perrier, dont la protestation reçut le même accueil, s'en alla dans les rues effacer son nom sur les affiches et on n'osa }'_arrêter·; enfin, on cite M. Beugnot comme ayant fait distribuer partout des cartes de visite sur lesquelles on lisait : " M. Beugnot ex:-rep1ésentant, mais " lion membre de la commission consultative." Les tâtonnemens, l'irrésolution et la faiblesse des conjurés au milieu du péril ne se trahissent-ils pas à chaque ligne dans cette proclamation, dûe à la plume du frère adultérin de Bonaparte : • MINISTÈRE DE L'INTÉRIEUR. I REPUBLIQUEFRANÇAISE, Procla~ation. " Le président de la République et son gouvernement ne reculeront devant aucune mesure pour maintenir l'ordre et sauver la société, mais ils sauront toujours entendre la voix de l'opinion publique et les vœux des honnêtes gens. "Ils n'o11t pas hésité à changer un mode de votation qu'ils avaient emprunté à des précédents historiques, mais qui, dans l'état actuel de nos mœurs et de nos habitudes électorales, n'a pas paru assurer suffisamment l'indépendance des suffrages. . " Le président de la République entend que tous les électeurs soient complètement libres dans l'expression de leur vote, qu'ils exercent ou non des fonctions publiques, qu'ils appartiennent aux carrières civiles ou à l'armée. " Indépendance absolue, complète liberté des votes, voilà ce que veut Louis-Napoléon Bonaparte. "Paris, 5 Décembre 1851.- " Le ministre de l'intérieur, "DE MoRNY." Tandis que M. de Morny mentait avec une hypocrisie toute bonapartiste en promettant l'indépendance et l<Lliberté du vote, qui n'eut lieu, bien entendu, que sous la pression de la police et des bayonnettes, le commandant supérieur des gardes nationales et son honorable chef d'Etat-Major, l'ex-directeur du lupan:i.r de la rue Rameau, placés tous deux sous les ordres du ministre de l'intérieur et obéissant à ses instructions, faisaient afficher cet ordre du jour, épitaphe ironique de la garde bourgeoise : GARDES NATIONALES DU DÉPARTEMENT DE LA SEINE. "Paris, 5 Décembre 1851. " Soldats de la garde nationale, "Je ne vous ai point appelés à pnndre part à la lutte nouvelle entreprise par les fauteurs de l'anarchie contre la société et si vaillamment soutenue et terminée par notre brave armée; je sais que si votre concours leur eût été nécessaire, le pay"> et votre général pouvait compter sur lui; mais vous avez fait céder l'élan de votre patriotisme à l'obéissance que je vous avais demandée; je l'attends toujours de v:JUs et je vous en remercie. "Le général commandant supérieur, "Signé: LAVŒSTINE. " Pour copie cor1forme, " Le colonel, chef d'Etat-Major général, " V lEYRA." . Deux jours après, lorsque la victoire eut cessé d'être douteuse, lorsque les féroces lieutenants de Saint-Arnaud, les Pellion, les Eynard, eurent assuré dans les départements le succès du crime, le ton du ministre Morny devint spécimen ci-après. Les Avis et Annonces sont reçus à l'Office de l'lmprimerie Universelle, 19, Dorset Street, à Jersey, S-Hélier, jusqu'à l'arriYée du courrier du mai di. Toute correspondances doit être affranchie et contenir 1111 bon, soit sur la 11oste anglaise, au nom de M. Zéno SwrnT03LAwsKr, soit sur uu des banquiers de Jersey ou arrogant et provocateur, comme il convient ù. un l1ommequi a été presque humble dans le danger. Il adressa la lettre suivante à M. Lavœstine, ce singulier général qui loue ses soldats de ne s'être pas battus, et ne leur demande l'obéissance que pour les empêcher de se battre. A M. le général commandant supérieur des ,r;arde.~ nationales de la Seine. " Paris, le 7 décembre 1851. "Général, ."Dans p~~sieurs quartiers de Paris, quelques propriétaires, ont l 1mpudeur de mettre sur leur porte : Armes donnees. On concevrait qu'un garde national écrivit : Armes a1-rachées de force, afin de mettre à convert sa responsabilité vis-à-vis de l'état et son honneur vis-à-vis de ses concitoyens. Mais inscrire sa honte sur le front de sa propre maison révolte le caractère français. " J'ai donné l'ordre au préfet de police de faire effacer ces inscri_Ptions, et je vou~ prie de me désigner les légions où c~s faits se sont pro~mts, afin que je _propose à M. le Président de la République_ de décréter leur dissolution. " Agréez, général, l'expression rlé ma considération la plus distinguée, "Le ministre de l'intérieur, "A. DE MORNY," . Il serait curieux de savoir ce que M. de Morny a fait de ses armes le 24 Février, et comment il a défendu la monarchie de Juillet, dont il affectait d'être un des vaillants appuis •. D'ailleurs, tout conspiratenr qu'il a été, ~- de _Morny ignore, à ce qu'il paraît, la pratique révolutwnnaire da désarmement à domicile, autrement il aurait s:1_q 11e les bourgeois armés n'eussent pas été sauvés d'une v1s1te à domicile en écrivant de leur propre main, sur les volets de leur boutique, les mots : Armes données ! Mais• q!rn to~ltes ses i_nsc:iptions de la même main, et marquée_s d un signe particulier, sont le fait il.'un chef de barricade chargé de procurer des armes à l'insurrection. .Aussi n'est-il pas bien sûr que, le 25 ou le 26 Février, les passants n'aient pas lu cette inscription sur la porte de la Niche à Fidèle. Le, grand parti _de ~'ordre a crié contre les pouvoirs confies aux comm1ssaues du Gouvernement Provisoire dans les départements; il a naturellement applaudi à ceux que l'un des conspirateurs de Décembre conférait en ces term,:s à ses agents : "Paris, 7 décembre 1851. " Par ma circulaire du 2 il.écembre, vous avez été inv~sti dn rlroit de suspendre, !:!tmême de révoquer imméd1at~ment, tons . les fonctionnaires dont la coopération ne serait pas certarne. Ces pouvoirs extraordinaires il était nécessaire _de_Yous,les co1~férer, quand il était ü;dispensable cle reprnner a la fois toutes les tentatives de résistance q11i auraient pu être de nature à compromettre Je suce~ des gr~ude_smesures de salut public décrétées par le pn_nce Loms N a_poléon. Ces pouvoirs qui vous permettaient de sùrve1ller même les juges-de-paix, doivent ce!',ser maintenant que le gouvernement est maître de la situation ...... "D,E MORNY." Le 20 Décembre, l\L de llfotny faisait appeler dans son cabinet les syndics de la corporation des imprimeurs dé Paris, et leur déclarait que, dorénavant, aucun livre ou brochure de moins de dix feuilles d'impression ne pourrait être. imprimeé clans leurs ateliers avant d'avoir été soumis à la' censure et approuvé par le miuistre de l'intérieur. La carrière rn~nistérielle du spoliateur de tant de fa- ~illes _ruinées par le coup d'Eta~ devait se terminer par un smguher scrupule. La confiscation des biens de la famille d'?rléans, en vertu du décret autocratique du 22 janvier, lui sembla une attaque beaucoup plus directe à la propriété que la ruine systématique des paysans et des bourgeois, qu'il aYait lui-même chassés de leurs maisons, ou privés d'offices achetées sous la tolérance ou avec la garantie ile la loi. Le sens moral du fils d'Hortense de Beauharnais n'avait pas été blessé par la confiscation et la fermeture violente des cabaret&, des librairies, des magasins , des études d'h,uissiers , d'avoués et de notaires, que ses agents subalternes avaient opérées par ses •ordres ; mais il se révoltait à l'idée que les biens des princes d'Orléans pussent être arracllés à leurs possesseurs , et jetés en pâture à l'avidité de la soldatesque prétorienne et de la prêtraille catholique. (La suite au prochain numéro.) PH. BERJE:AU (1). (1) Exfrait des Biographies bonapartistes, par Ph. Berjeau, exrédacteur-gérant de la Vraie République. de Lond1·es. Le prix dés Annonces est uniformément cle six sous (trois pence) la ligne, pour les trois s-ortes de caractères courants employés dans ce journal. Les lignes en capitales et en lettres de fantaisie, seront payées en proportic,n de la hauteur qu'elles occuperont~ calculée snr le plus petit texte.

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