\ D'antipathies personnelles, d'idées systématiques, de défiances injustes, d'enthousiasmes exagérés? - Le dévouement commun à la cause commune ne doit-il pas seul éveiller un écho dans cette autre tombe qu'on appelle l'exil. - C'est l'amour fraternel, le dévouement, la foi au devoir qui peuvent ressusciter le Lazare populaire; oublions donc un moment nos sectes, nos préférences individuelles; ne pensons qu'à nos aspirations communes vers la délivrance de l'humanité ; et prouvons au monde, par nos actes plus que par nos paroles, que notre doctrine de Solidarité n'est pas un texte mort pour les démocrates, pour les proscrits ! Pu. FAURE. CHATIMENTS. Cc livre ( Châtimens) est tout un supplice; chaque page 3 son poteau, ses }1ontesflagellées, ses lâchetés pendues : c'est la plus terrible représaille que la muse amante du droit et sœur des idées ait jamais exercée contre la force et le crime. La conscience humaine sera vengée ! Juges prévaricateurs, magistrats félons, prêtres sacrilèges, délateurs mendians, plumes vénales, sièges souillés, ,épées sanglantes .et déshonorées , tout est là , marqué, iflétri, flétri pour l'éternité ; car il n'est pas de ceux qui meurent, le verc justicier et vengeur de Victor Hugo! Le troisième Napoléon, surtout, lui devra de vivre, de ,;ivre longtemps, aux foUTchesde l'histoire: il est là, sous toutes ses faces, dans toutes ses hypocrisies, dans toutes ses laideurs , supplicié qui se balance à tous les vers, et qui ferait peur à sa mère elle-même! Nous n'avons pas h1 le volu.me tout entitr, et ne pou- ,;ons en{:oreaujourcl'hui -suivre le grand poète en ses repos charmans et ses exécutions tragiques; mais nous publions une pièce nouvelle, élégie vengeresse d'une grande vie et d'une saime mort; PAULINE ROLAND. I'i..llcne ,connai~sait ni l'orgueil ni la haine; Eli~ aimait; elle était pauv.re, simple et sereine; ~ouvent 1c pain qui ml\nquc abrégeait son repas. Elle avait trois enfants, ce qui n'empêchait pas {,lu'cllc ne se sc,nlît mère de ceu'll:qtd souffrent. Les noirs é.vfoements qui da.ns la 11111s'1etngoufii-ent, Les ,flux et les reflux, les abîmrs béants, Les nains, sapant snns bruï't l'ouvrage des g.éants, Rt tons nos malfaiteurs inconnus on célèbres, Ne l'épouvantaient point; derrière ers ténèlu·es, Elle apercevait Dieu construisant l'a Tenir. Elle sentait sa foi sans cesse r11jeunir; De la liberté sainte elle attisait les flammes; Elle s'iuquiétait des enfant6 et -des femmes; Elle .disait, ten.dant la mai.n aux travailleurs~ La vie est dure ici, mais sera bonne ailleurs. Avançons! - 1':llc allait. port:rnt de l'un à l'autre L'espérance; c'était une espèce d'âpôtre Que Dieu, snr cette terre où nous gémissons tou~, A.vai.tfait mère et fomrue afiu qu'il füt plus doux. L'esprit !e plus farouche aimait sa voix sincère: 'fendre, elle visitait, sous leur toit de misère, Tous ceux que la famine ou la douleur abat, Les malades pen6ifs, gi~ant sur leur gcabat, La mansarde où languit t' incligcnee morose ; Qu:uul, par hasard moins pauvre, elle avait quelque chose, Elle le partageait à tous comme une sœur; Quand elle n'avait rien, elle donnait son cœur. Calme, et gz-ando,elle aimait comme le soleil brille. Le genre humain pour elle i5tait une famille Comme ses trois enfants étaient l'h1m1anité. Bile eriait : progrès ! amour! fratemité ! Elle ouvrait aux soufii-alntsdes horizons sublimes. Quancl Pauline Roland eut commis tous ces crintes, Le sauveur de l'église et de l'ordre la prit 'Et la mil en prison. Trnnquille, el le sourit, Car l'éponge de fiel plaît à ces lèvres pures. Cinq mois elle s1tbit le contact des souillures, L'oubli, le rire affreux du vice, les bourreaux; Et le pain noir qu'on jette à travers les barreaux, Édifiant la geôle au mal habituée, Enseignant la voleuse et la prostituée. Ces cinq mois (?coulés,un soldat, un bandit, Dont le nom souillerait ces vers, vient et lui dit : - Soumettez-vous sur l'heure au règne qui commence, Reniez votre foi; sinon 1>asde clémence, Lambcssa ! choisissez. - Elle dit : Lambessa. Le lendemain la grille on frémissant grinça, Et :'on vit arriver un fourgon cellulaire. - Ah ! voici Lambessa, dit-elle sans colère. Elles étaient plusieurs qui souffraient pour le droit Dans lo même prison. Le fourgon trop étroit Ne put les recevoir dans ses cloisons infames; Et l'on fit traverser tout P;,.ris à ces femmes, liras dessus, bras dessous avec les argousins. Ainsi que des voleurs et que des assassins, Les sbires les frappaient de paroles bourrues. S'il arrivait parfois que les passants des rues, Surpris de voir mener ces femmes en troupeau, S'approchaient et mettaient la main à leur chapeau, L'argousin leur jetait des sourires obliques, Et les passants fuyaient, disant : filles publiques! Et Pauline Roland disait: courage, sœurs ! L'Océan au bruit rauque, aux sombres épaisseurs, Les emporta. Durant la rude traversée, L'horizon était noir, la bise était glacée, Sans l'ami qui soutient, sans la. voix qui répond, Elles tremblaient. La nuit il pleuvait sur le poat, Pas de lit pour dormir, pas d'abri sous l'orage, Et Pauline Roland criait : mes sœurs, courage! Et les durs matelots pleuraient en les voyant. On atteignit l'Afrique a11rivage effrayant, Les sables, les déserts qu'un ciel d'airain calcine, Les rocs sans une source et sans une racine ; L'Afrique, lieu d'horreur pour les plus résolus; Terre au visage étrange où l'on ne se sent plus Regardé par les yeux de la donce patrie. Et Pauline Roland, souriante et meurtrie, L'HO}l~IE. Dit aux femmes en pleurs : courage, c'est ici. Et, quand elle était seule, elle pleurait aussi. Ses trois enfants! loin d'elle I Oh! quelle angoisse amère! Un jour un des ge81iers dit il la pauvre mère ' Dans la casbah de B6ne aux cachots étouffants : - Voulez-vous être libre et revoir vos enfants? Demandez grâce au prince. - Et cette femme forte Dit : - J'irai lei revoir lorsque je serai morte. - Alors sur la martyre, humble cœur indompté, On épuisa la haine et la férocité. Bagne• d'Afrique! enfers qu'a sondés Ribeyrollcs ! Oh! la pitié sanglotte et manque de paroles, Une femme, une mère, un esprit! ce fnt là Que malade, accablée et seule, on l'exila. Le lit de camp, le froid et le chaud, la famine, Le jour, l'affreux soleil, et la nuit, la vermine, Les verroux, le travail sans repos, les affronts, Rien ne plia son âme ; elle disait: - Souffrons; Souffrons comme Jésus, souffrons comme Socrate. - Captive, on la traîna sur cette terre ingrate ; Et, lasse, et quoiqu'un ciel torride l'écrasât, On la faiaait marcher à pied comme un forçat. La fièvre la rongeait; sombre pâle, amaigrie, Le soir elle tombait sur la paille pourrie, . Et de la France aux fers murmurait le doux nom. On jeta cette femme au fond d'un cabanon. Le mal brisait sa vie et grandissait son âme. Grave, elle répétait: - il est bon qu'une femme, Dans cette servitude et cette lâcheté, Meure pour la justice et pour la liberté. - Voyant qu'elle rillait, sachant qu'ils rendront compte, Les bourreaux eurent peur ne pouvant avoir honte ; Et l'homme de décembre abrégea son exil. - Puisque c'est pour mourir, qu'elle rentre, dit-il. - Elle ne savait phis ce que l'on faisait d'elle. L'agonie à Lyon la saisit. Sa prunelle, Comme la nuit se fait quand baisse le llambeau Devint obscure et vague, et l'ombre clu tombeau, Se lev& lentement sur son visage blême. Son fils, pour recueillir, à cette heure suprême, Du moins son dernier souffle et son dernier regard, Accournt. Pauvre mère ! Il arriva trop tard. Elle était morte. Morte à force de souffrance, Morte sans avoir su qu'elle voyait la :France, Bt le doux ciel natal aux rayons réchauffants. Morte dans le délire en criant : mes enfants ! On n'a pas même osé pleurer à ses obsèques; Elle dort, sous la terre.-Et maintenant évêques, Debout, la mître au front, dans l'ombre clu 1,aint lieu, Crachez vos Te Deum à la face de Dieu! VICTOR Huoo. .T ersey, décembre 1853. BIOGRAPHIEBSONArARTISTES. M. DE MORNY. (Suite.) Ne pouvant sans se trahir sigrier les articles qu'il écri. vait ou faisait écrire dans le Constitutionnel, dont il partageait la gérance, :M:. de Morny résolut de se rapprocher du parti réformiste et de montrer les dents au ministère sans perdre le bénéfice des votes que sa complaisance coûteuse mais docile n'avait jamais refusés aux mesures les plus illibérales cl11 gouvernement de Louis.Philippe. Son nom lui ouvrit facilement les colonnes de la Revue des Deeex Mondes, où il publia, en janvier 1848, un article comminatoire intitulé : " Quelques réflexiot;is sur la politique " actuelle. " Lhomme de parti assez peu délicat pour tendre une main dans le camp ministériel, en gardant un pied dans les rangs de l'opposition, disait aux nouveaux venus à la Chambre : " Les projets d'indépendance et d'impar- " tialité sont des illusions impraticables : avant tout, il " faut être clcson parti ! "Le futur ministre du Bas.Empire écrivait pl11sbas, à propos des traités de !815 : " Nous " avons, en 1830, reconnu formellement les traités qui " lient les nations entre elles ; nous sommes entrés dans " le pacte européen, pacte odieux pour nous quant aux " circonstances qui lui ont donné naissance, mais dont " trente-sept années de paix et de tranquillité ont fait un " pacte de progrès et de civi)isation." Il disait un peu plus loin: " N'imitons pas ces parvenus qui, rougissant de leur " origine, finissent par être odieux à leurs familles plé- " béiennes et méprisés par le monde nouveau où ils ten- " tent de s'introduire." "Rappelons-nous, ajoute-t-il, que " notre mission dans le monde est de concourir à la liberté '· et à l'indépendance des peuples, et persuadons-nous " bien que le jour où nous suivrions une autre voie, le " terrain nous manquerait sous les pieds." Réfléxion bien placée, en vérité, dans la bouche d'un conservateur borne de 1847, d'un homme qui devait voter l'expédition de Rome en 1849 et s'associer en 1851 à l''lttentat le plus odieux qui ait jamais été commis contre l'indépendance et la liberté du Peuple français. Aux approches de la Révolution de Février, M. de Morny avait réussi à se glisser dans les intrigues réformistes du centre gauche, et poussait sous main,· de toutes ses forces la lourde charrette à laquelle s'était attelé le vaniteux et impuissant Odilon Barrot. " Il trouvait moyen, " suivant le jo\lrnal Buloz, '' d'exprimer avec tact et élé- " gance à la tribune ses sympathies réformistes sans se " séparer de la majorité conservatrice." Il fut l'un des signataires de ée mémorable procès-verbal du 19 février où, suivant M. Granier de Cassagnac, s'étalent, " avec les " incroyables et perpétuelles illusions des ambitieYx, le " mépris de ce peuple imbécille, dupe constante de leur " vanité et bouc émissaire de leurs fautes. " C'est à M. de Morny, comme à M. Berryer, comme à M. Léon de Malleville, comme à M. Odilon Barrot lui.même, que s'adresse le fougeux pamphlétaire aux gages de l'Elysée, quand il s'écrie : " Non, vous n'étiez pas de bonne foi quand vous faisiez "le programme de cette parade du banquet de Paris; car, " depuis lors, vous avez été ministres et vous avez inter- " dit les banquets; vous n'avez plus parlé ni ne procès- " verbaux à faire dresser, ni d'arrêts de la Cour suprême " à obtenir ; et les mêmes lois qui vous paraissaient " obscures dans les mains de M. Duchâtel, vous les avez " trouvées parfaitement claires dans les vôtres. Vous ap- " portiez la duplicité et la trahison jusque dans ses accords " ridicules où vous répondiez de l'émeute; car vous avez " été à ce point abandonnés de Dieu et de votre conscicnc, " que de signer, le 23, l'acte d'accusation d'un ministère " dont vous déclariez le 19 que la politique était sage, " ferme et honorable ! " Pur quelle singulière aberration, M. ne Morny se faisait-il ainsi flétrir lui-même, dans son propre journal, de la main d'un écrivain mercenaire à sa solde? Pourquoi bissait-il porter ainsi contre lui cette accusation de dupiicit~ et de trahison qui carectérise parfaitement sa conduite politique avant et depuis Février? Pourquoi! Par:e qu'il s'agissait d'euglober dans cette flétrissure, dans cette accusation de duplicité et de trahison la majestueuse personnalité de M. Odilon Barrot, qui s'avisait de faire le délicat à l'endroit des énormités de la bande bonapart~ste, et se montrait trop soucieux des manifestations de l'opiuion publique pour rester dans cette galère où sa vanit6 puérile et l'envie d'être ministre l'avaient trop longtemps fourvoyé. II. SOMMAIRE : Le Constilutionnel et l'insurrection de Juin -i8.- M. de Morny, représentant du peuple. - Pillage des journaux républicaius au 13 juin. - M. Vieyra. - La justice bonapartiste. - Le complot de Décembre. - Les bandos nocturnes. - La plèbe ministérielle. - La liste de la commission consultative. - M M. Suchet, Perrier et Beugnot. -L'indépendance du vote. -- L'épitaphe de la garde bourgeoise. ·- Les armes données. - Les proconsuls bonapartistes. -La censure. - M. de Morny spéculateur et fabricants de pujfs à l'anglaise. 184-8- 1851 Pendant la crise r<:volutionnaire de Février, le frère adultérin de Bonaparte se dissimule et se fait tout petit. Son jonrnal, le Constittttionnel, dépose d'une main une magnifique offrande de 15,000 francs dans le tronc des blessés de Février, et de l'autre calomnie sourdement les hommes et les choses de la Révolutio11. Il affirme que les ateliers nationaux, sous la direction de M. Emile Thomas (entré depuis dans la domesticité rurale <lel'Elysée), renferment 22,000 forçats, et le Constitutionnel n'est sauvé de la juste colère des travailleurs calomniés que par l'intervention des rédacteurs d'un journal républicain, qui empêchent les délégués de s'accager la boutique littéraire de la rue de Valois. L'insurrection de Juin exalte l'audace croissante nes renégats de la presse libérale, et le bossu Cauvain, dignement secondé par le père Boniface, entassent, par les ordres de M. de Morny et de son acolHe Véron, les plus odieux mensonges, les plus dégolÎtantes calomnies, les dénonciations les plus perfides et les plus lâches contre les insurgés et les républicains qu'ils supposent avoir pris part au mouvement. Ces excitations calculées poussent la garde nationale et la troupe de ligne à de sauvages exécutions, et donnent à la police prétexte à d'innombrables arrestations. Aussitôt que le fils reconnu d'Hortence Beauharnais eut été nommé à la Présidence de la République françai~c, son frère adultérin s'empressa de reparaitre sur la scène politique et de prendre part à la curée réactionnaire. Aux élections de mai 1849, il se présenta de nouveau à son ancien collége de Clermont-Ferrand, et le chef des satisfaits de 1847 fut élu sans difficulté représentant du peuple. Le nouvel élu ne se montra ni plus assidu ui plus actif à l'Assemblée Législative qu'à l'ancienne Chambre des Députés. Un peu moins occupé des bagatelles d11dandysme, il travaillait uniquement à refaire, pour la cinquième ou sixième fois, une fortune toujours compromise par le jeu ou les revriements de la Bourse. La position ne Louis Bonaparte permit à M. de Morny de s'intéresser d'autorité dans une foule de spéculations fruct11euses, et dont la seule chance aléatoire était d'être attachées au char du prétendant impérialiste. Son in~érêt dans le Constitutionnel n'était pas non plus une petite affaire, et il désirait ardemment. la suppression et la ruine des publications républicaines qui s'étaient élevées depuis Février, et dont le succès croissant frappait de mort sa spéculation de compte à demi avec ]1. Véron. Une heureuse occasion combla bientôt, à cet égard, tous les vœux des deux associés. Dans la journée du 13 juin 1849, quand la manifestati~n constitutionnelle eut été brutalement refoulée par le général Changarnier, qui ne croyait pas alors travaille,· pour des ingrats, il clevint manifest& que la vengeance de la réaction allait atteindre les journaux qui s'étaient aS:sociés à l_amanifestation, et tout le monde prévit qu'ils allaient être suspendus. C'était là une grande victoirr E't un grand avantage commercial pour les gérants du Cons. titutionnel. Mais cela ne lem suffisait pas ; ils deman-
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