Homme - anno I - n.03 - 14 dicembre1853

-SCIENCE.- ' -SOLIDARITÉ- . ' JO-URNADLELADEMOCRATIUENIVERSELLE.- N8 3. - MERCREDI, 14 DÉCEMBRE 1853. Ce .Journal parait une t'ois 1•ar se111ai11e. Toates lettres et correspondances doivent être affranchies et adressées au bureau de }'Imprimerie Universelle à St-Hélier Les personnesqni ne renverront pas ùnmédiate,nen t ce numéro au bureau de l'Imprimerie Universelle, 19, Dorset Street, où l'on reçoit les abonnements, seront considérées comme abonnéès. LIBERTÉ. I. Ce mot, chant divin, a couru toute la terre et toute l'histoire: comme un parfum tombé des urnes du ciel, il a consolé toutes les misères, charmé toutes les douleurs et rafraîchi bien des lèvres : c'est le verbe éternel de l'espérance humaine : il est dans toutes les langues. Cherchez, à travers les temps, une voix puissante qui ait remué le monde et qui ne l'ait pas jeté dans son hymne, sa harangue ou sa loi : .les prophéties captives de Babylone en sont plemes; les chœurs de la tragédie grecque le chantent, comme un oracle, entre les dieux et les rois : il fut la force des Gracques à Rome, de Spartacus aux champs campaniens, des Druides en Gaule, quand déborda César, et tout le monde ancien en a retenti. Mais quelle était cette liberté, muse des poètes, Egérie <les législateurs et conscience des philosophes ? Quelle était cette liberté que bégayaient les esclaves, qu'acclamaient les tribuns et que défonùaient les républiques ?-La liberté personnelle, particulière, engagée dans les castes ou les fortunes, la liberté-privilège, la liberté- domination. La gagner ou la perdre n'était guère qu'une question de force, une chance, un jeu des révolutions, un hasard des guerres : aussi pas une de c~s républiques, même la plus grande, n'a pu mourir debout; et, lorsque après Julien, son dernier soldat, le monde ancien finit, il laissa la famille humaine en deux servitudes : l'âme et le corps étaient inféodés : 'ferrible hymen ! Le dogme et l'épée s'étaient unis : le pape avait les âmes, l'empereur les corps, et, puur que la vie ne pùt de nouveau jaillir, ne pût éclater en aucune espèce de révolte, voulant tuer l'esprit qui peut échapper, les denx triumvirs sacrés s'adjoignirent un philosophe pétrifié, le grand Aristote, comme Octave et MarcAntoine avait pris Lépidus ! Voilà tout le moyen-âge : trois têtes,. trois tyrannies : la trinité de Cerbère ! -et les travaux anciens, et les trésors acquis ~ la connaissance humaine, et les luttes vaillantes des citoyens, des orateurs, des républiques pour la liberté patricienne? perdu, tout cela perdu pour long-temps; grand exemple, triste mais invincible témoignage qui s' élève du fond des temps et nous dit : la loi s.ainte de la vie sociale, sa nécessité, sa règle de salut s'appelle : solidarité ! Il. L'humanité, pourtant, ne peut mourir, et bientôt la liberté chanta de nouveau sur quelques lèvres. Tandis-que les trois Césars festoyaieut au-dessus des foules vassales, on travaillait en bas, on étudiait, on copiait, -les clercs, les lettres anciennes,-les moines, les livres saints, et, tout-à coup parmi ces -derniers, quelques-uns se levèrent, Wicléff, Jean Hus, Zvingle, Luther, Calvin, espritsindomptables, âmes vaillantes jusqu'à l'exil, jusqu'à la torture, jusqu'à l'échafaud. Au front du pape la tiare chancela: l'empereur y mit la main, et, les conciles allumèrent les bûchers : mais vains efforts ! la flamme ne dévora que des os; l'idée nouvelle, c'était le réveil de la conscience humaiue ! elle entraîna des princes et <lesmultitudes ; elle eut des épées, des victoireset, bientôt, <lesroyaumes : aujourd'hµi, le tiers du globe a pour livre la Bible ! Mais quelle était donc cette liberté si fière en ses élans, si vaillante en ses premiers combats, et <Jllisemblait devoir env~hir la terre ?-Une liberté • (Jersey), 19, Dorset Street.-Les manuscrits déposés ne seront pas rendus. - ÜN s'ABONNE: A Jersey, 19, Dorset street. - A Londres, 50½, Great Queen strect, Lincoln's-Inn-Fields. - A Genève (Suisse), chez M. Corsat, libraire, rue Guillaume-Tell. - Belgiqjte, chez M. Leconte, rue de la Rivière, 16, faubourg de Cologne à Bruxelles. - A Madrid, chez C. Monnier, libraire. partielle, ·relative, limitée; la faculté d'interprétation, le. contr6le ouvert sur des textes ~orts : aussi,· 1a voyons-nous bientôt par Luther s'épauler aux trônes, par Calvin briller Servet à Genève, et s'étendre, sous la pourpre, avec les rois qui lui font plar;e, n'en ayant plus tourment! Devenue, à son tom·, autorité, loi, tradition, elle s'est immobilisée comme un dogme dans les pays conquis, ou dispersée, divisée, comme la poussière du chemin, en mille sectes sans racine, sève ni vie. C'est une anarchie, enfin, quand ce n'est pas une intolérance. une discipline farouche, un despotisme! Vivant côte à côte avec Rqme qu'elle appelle la grande prostituée et qu'elle jalouse, elle lui fait la concurrence acharnée des petits livres sur le marché des prop~gandes; mais ses peuples ne sont pas plus à l'abri de l'ignorance, de la misère et de la force, que ceux-là qui végètent, crétins-béats, à l'ombre du catholicisme, cet arbre de mort : la Réfi)rme, en un mot, n'engendra qu'une liberté-fœtus comme l'idée qui fut sa mère. Elle suivra de près le vieux dogme ro:nain dans la tombe ! Ef·, pourquoi cet avortement'? N'a-t-elle pas eu, par milliers, des soldats et des martyrs, des poètes enthousiastes et sombres comme Milton , des prêcheurs ardents et passionnés comme Knox d'Ecosse'? tous ne se sont-ils pas levés sous sa bannière, sans compter les hommes d'état et les orateurs puissants qui menaient ses affaires ou tenaient ses tribunes ? n'était-elle pas, enfin, la prophetesse sacrée, aux camps de Cromwell et de Gustave-Adolphe, ses deux grands capitaines ? 'fout cela n'est rien: la loi logique, la loi fatale intervient toujours. r:route liberté partielle nu relative est, comme toute ljberté particulière ou locale, impuissante à se défendre, à vivre, à durer. Tant que l'homme n'est pas affranchi dans toutes ses facultés et dans l'espèce, il y a trouble, il y a solution, et, quoiqu'on ne voie pas le sang couler, pour les religions comme pour les sociétés, la mort doit suivre en un temps prochain! Luther ne sera donc pas plus heureux que Brutus : l'un et l'autre av.aient mutilé la vie!-N ouvel et profond enseignement qui nous dit, comme la voix des Républiques mortes: entier épanouissement humain, Solidarité! III. Mais voici la Révolution qui se lève : son tocsin ébranle les monarchies : les dieux s'enfuient à tire d'aile devant l'orage et vont se cacher dans l'ombre, comme les hiboux dans le creux des chênes. Une assemblée enthousiaste et sombre siège au milieu des ruines, Sinaï plus haut que les trônes : elle a la puissance, elle a ·l'audace, elle 'a le génie des luttes, et dans sa probité vaillantP, elle a <lit : Droits de l'homme et du citoyen, Liberté, Egalité, Fraternité ! . C'est pour la première fois que ces paroles sont entrées dans une langue humaine et les rois prennent l'épouvante : mais qui l'arrêtera, cette terrible assemblée, dont l'énergie fatigue la victoire, et qui trouve le temps, entre deux guerres, d'ébaucher un monde nouveau ? L'Europe a jeté sur elle ses armées,-elle les a noyées dans leur sang : les conspirations à l'intérieur l'ont assaillie d'heure en heure, et sur tous les points de la République, - elle les a supprimées : sans trésor, sans crédit, sans pain, isolée dans sa misère et son orgueil comme le héros, elle a tout su trouver, la poudre, le bronze, le blé, les légions iuvincibles et les grands capitaines : qui donc l'ar- ·rêtera quand elle dit : Libe,-té ! Hélas! en proclamant ces principes sacrés dont la formule restera comme l'éternelle devise des guerres saintes, la Convent~on ava~t le sentimen~, un sentiment profond du droit humain : elle voulatt l'organiser, le pratiquer dans toute son étendue : elle avait l'implacable probité du fanatisme, et sa vertu n'aurait, certes, point faibli devant le devoir: mais on ne décrète pas la science comme la victoire, et la Convention ne savait pas ! ANGJ,ETERREET CoLONTES: Un an, 8 shillings ou 10 fran es. Six mois, 4•sh. ou 5 fr. Trois mois, 2 sh. ou 2 fr. 50 c. CHAQUENUMÉRO: 3 pence ou (i sous. POUR L'ÉTRANGER:' Un an, 12 fr. 50. Six mois, 6 fr. 25. Trois mois, 3 fr. 50 c. 'ft'@ns.Resal1on11e1nens §te paient d',nrauce. Sa phahrnge modérée, fille de Voltaire et de l'ErJcyclopédie, reflétait, dans ses idées, la Grèce et Rome, deux soleils éteints: l'autre, plus ar- <len1e, plus sévère dans sa logiqne somhre, avait suivi la forte éc<?lede Jean-Jacques, et sncé le lait de la louve. Les deux tendances allait clone au passé, prenant, celle-ci la houlette de Saint-Just et ceUe-Ià la toge de Vergniaux: or la too-eet la houlette avaient fait leur temps. 0 Il venait de naître un mo,1de nouveau qu'il fallait organiser pour que la liberté pût s'asseoir, semer partout ses germes fëconds, et devenir la loi de la vie, comme elle en est le sel et la tleur. L'abolition des maîtrises et des jnrandes, l'extinction des taxes, corvées et prviléges, la vente des biens de la uoblesse et du clergé, le commerce affrauchi, l'industrie naissante, la scieucc en progrès dans toutes ses cultures, tout cela n'annonçait-il pas l'avènement <lu tnwnil et le devoir <lesono·er au chantier? Etait-ce l'heure des ac.adémies gricques ou des pastorales que ce moment 1,rngique, cette crise suprême d'un monde qui se déchire en deux parts et qui laisse voir les fruits d'or au fond de sa mine éventrée? Non, certes; et c'est en cela que la Convrution s'est trompée; dans son instinct puissant, elle avait deviné, saisi l'idéal du droit; elle l'avait aimé comme une religion; elle en avait écrit la formule avec son sang sur les tables d0 la loi; mais les solutions échappèrent à cette grande âme: à peine éclose aujourd'hui dans les intellig·eoces les plus élevées, l'organisation n'était pas d_e·ce temps! Qu'ils dorment en paix, d'ailleurs, ces Titans de la guerre, dont les grands cadavres ferment le siècle dernier comme des tombeaux-monuments: leur gloire ne sera pas vaincue ! . Savent-ils, en effet, comment leurs pâl~s héritiers, après cinquante ans d'études, ont résolu le problême ? Ils ont défini la liberté : le droit d'aller et de venir! L'homme est u.n animal à deux pieds , et sans plumes, disait un philosophe grec, il y a deux mille ans: laquelle vaut le mieux de ces deux sagesses. de ces deux. philosophies-~ Hélas! 'quand on songe que l'histoire charrie dans son cours des millions de martyrs, . . . . . . et que .~out cela descend par les cent fleuves du sang humain, pour arriver à ce poteau : - la liberté, c'est le droit d'alle1· et de venir ! IV. Dans le monde matériel, il faut creuser, creuser· long-temps pour descendre jusqu'aux riches veines et voir jaillir les sources vives : la nature, qui ne peut pourtant se déroher, ne livre qu'aux patiens labeurs le se0ret de ses forces et de ses ·richesses : Isis reste toujours un peu voilée. Mais combien , d , dans 1or re moral, le mystère est plus grand et plus profond!- CombiP.nceux-là même qui savent le foud des mers et le fond <luciel, savent peu le fond de l'homme ! C'est là le sphinx éternel, la terrible étude : elle a déjà dévoré les pius hautes intelligences de l'espèce et pourtant elle est à peine entamée ! Voilà pom:quoi, simple .glaneur au vaste champ de la connaissance humame, quand un écrivain vous dit, incliné devant l'inconnu - voici le droit, la solution, la loi - ce n'est qu'une consience qui parle dans le concert infini des pensées; et, s'il éveille un écho dans les âmes, s'il provoque une méditation sérieuse, son ambition doit être heureuse; sa tâche est remplie! A-votre tour, élargisiez le point de vue : fortifiez ou réfutez l'étude première, la proposition ébauchée dont vous ètes saisis; c'est Je droit de votre liberté, c'est le devoir de votre intellig·e11ce: car vous, esprit responsable et libre, vous êtes comme !'écrivain, le poète ou le philosophe, un membre de l'universelle Eglise, et vous devez à la recherche collective votre part d'étude, votre rayon! C'est le besoin absolu, c'est la loi par exellence •

de la vie sociale, que cet échange actif, universel, permanent, ce commerce des idées, ce mutuellisme des intelligences allant ensemble à la vérité, Vénus jalouse qui se cache derrière les problêmes, comme le soleil der.rière les nuées. Il est une autre raison toute morale-et profondément humaine, qui fait un devoir social du respect de la liberté dans chacun et chez tous. Qu'est-ce qu'un homme qui subit la connaissance ou la volonté d'autrui, sans débattre? C'est un être passif, un instrument, un cadavre : La nature intelligente et responsable est en lui violemment outragée; il y a là meurtre d'une âme, et le coup:viendrait-il de la science ou de la vertu, la justice n'en serait pas moins violée : une vérité qn'on impose, ce sont des Consciences assassinées : or sans la conscience qu'est-ce que l'homme? Voilà comment nous comprenons la liberté qui fait toute la grandeur morale de l'être humain, et toute la dignité de la vie. Nous ne sommes plus à Rome défendant, derrière Caton, le privilége patricien de la souverainté : nous ne sommes plus à la diète de Worms défendant avec Luther le droit d'interprétation relig·ieuse, ou la liberté relative : nous sommes avec la Convention gui proclama les principes, et la révolution prochaine qui, sur les décrets de la science, les appliquera. Travail mutuelliste et libre, cormnunion des idées mutuelliste et libre, afin que lo bien-êtrn pour tous s'accroisse et monte, comme la connaissance; voilà notre idéal, nos deux tendances, nos Jeux sentimcns : nous voulons, qu'esprit et corps, l'humanité soit affranchie. Le rêve est loin dira-t-on; car voilà les religions qui psalmodient, comme autrefois, les récitatifs sacrés sur les foules abruties; voilà les g-onvernements qui suppriment la conscicnee humaine et ne sont plus que l'orgueil, la volonté, la folie d'un seul·; voilà les académies, les index, les censures qui, polices actives, relèvent leurs tribunaux, et font la chasse aux idées, comme au temps de Savonarole .... Oui : l'autorité nous donne ce dernier specfacle <le ses fureurs : mais c'est la danse des morts à !:heure de minuit, et l'aube n'est pas loin! 1,ravail Ions, travail Ions toujours, - à la révolution pour demain, - à b science pour l'avenir, et qu'à jamais l'esprit de liberté fraternelle habite nos ftmes ! ÜHARLES RIBEYROLLRS. •Les pros ~rits de toutes les Hatious, réfugiés à Londres, ont célébré, comme nous à Je, sey, la date du 29 novembre, anniversaire de la révolution polonaise. Entre les discours prononcés rlans cette réunion de l'exil, il en est plusieurs <l'une graude élévation, et dont la pensée ira loin ; l'un, entr'autres, du citoyen Hcrtzcn, réfugié russe, et qui travaille à l'une des plus belles propagandes ùe Cf: temps. Ledru-Rollin a pris aussi la parole, et nous donnons son discours en entier. C'est une belle page politique à méditer, et dont les vues ne seront _pas démenties par les évènements. • Nous ne dirons rien ùe cette éloquence mâle ot vigoureuse qui va droit aux choses, il y a longtemps que nous la connaissons ; mais à ce dernier éclat nous avons vu que les longs exils élèvent et fortifient! Voici le discours du citoyen Ledru-Rollin Citoyens, A considérer, depuis deux ans, les affaires d'ici-lias, on dirait vraiment qu'elles sont gouvernées par la folie et qu'une main mystérieuse se plait à déjouer les prévisions humaines. Tout paraît livré flU hasard, à l'imprévu, à l'extravagance, et cependant, pour quiconque ne s'attache qu'aux grandes lignes du drame, il est évident qu'il aura pour dénoûment prochain le triomphe de la liberté, l'avènement de la démocratie. Je dis qu'à première vue, les affaires de ce temps semblent dirigées par la folie. Et quoi de plus étrange, <'Il effet, que le spectacle offert sur le continent? D'un b-Outde l'Europe à'l'autre tout était ~ilence; la Pologne épuisée par des raffinements d'astuce et de barbarie, la Hongrie livrée par la trahison, l'Jtalie étouffée sous les bayonnettes étrangères, la France elle-même, cette grande France· de la révolution mise an haillon et à fa ·chaîne, on aurait <1itque les tyrans n'avaient plus qu'à se réjouir sur le caclavre des peuples, lorsque, soudainement et par un brus.que coup de tête, voilà qu'un de ces tyrans mêle tout de nouveau, remet tout en question et rend la vie à-ce vaste champ de mort. Et cet homme, q11elest-il'? la plus haute expression du despotisme sauvage, celui que, depuis 20 ans, les Tyrans s'étaient habitué3 à considérer comme lenrrégulateur .,et leur Nestor. Que ,lis-je, un homme! c'était un Dieu: èlans son incommens\lrable orgueil, il s'était fait déclarer Dieu. Vous le croiriez à peine, si je ne vous citais un pa56age du catéchisme répandu dans son vaste empire et destiné à former le cœur et l'esprit des jeunes Moscovites. Il y est dit textuellement : "Tout sujet russe doit au czar son corps et son âme. L'empereur est le lieutenant et le ministre de Dieu pour exécuter ses commandements. La désobéissance à l'empereur s'identifie par conséquent avec la. désobéissance envers .. Dieu lui-même qui récompensera dans l'autre monde notre culte envers l'empereur, comme il punira sévèrement et pendant l'étcr- , nité ceux qui pourraient y manquer. Dieu nous ordonne d'obéir à ]'empereur, non par des considérations temporelles, mais par crainte d'un jugement dernier, e~ il l'ordonne par l'Ancien et le cuveau-Testament et en particulier par les psaumes, les évanL'IIOM ME. gilcs et les épîtres apostoliques." (R-ires bntyans et p,·olongés.) Vous riez avec raison, car c'est le comble <lela démence; c'est Héliogabale se proclamant fils clu soleil, c'est Alexandre se faisant adorer dans Babylone, Alexandre moins le génie et la grandeur, Alexandre devenu fou. - Nicolas, prenez garde à l'histoire ; les infirmités hmnaines ont leur hérédité : Paul, votre père, est mort fou, Constantin, votre frère, fou, et Alexandre votre frère, touchait à la folie dans ses dernières années si solitaires, si mystérieuses et si sombres. 0 loi inépuisable du progrès, que je te reconnais bien là! Tu te ris des obstacle,i; semés sur ta route, il te suffit pour les vaincre de les transformer. Ton théâtre est si varié que peu t'importe les acteurs : peuples sublimes d'enthousiasme, saints martyrs, ou rois bouffons, tout est bon sous ta main, pourvu que tu marche~ à ton invariable but. A nos c.hances qui languissaient, tu substitues des chances 11onvclles. Il te fallait, pour réveiller les peuples endormis et leur rendre la mâle virilité des combats, que le bruit du canon vînt ébranler la terre. Eh bien, il sera tiré! par qui? Non par les peuples, ils sommeillent, mais par les rois qui les oppriment. 0 lot féconde, je pénètre maintenant tes secrets, l'ordre même de tes desseins. Tu as voulu d'abord l'expansion pacifique de l'idée nouvelle qui s'est créée partout d'innombrables apôtres; puis, après, la persécution implacable qui a mûri, trempé, bronzé les caractères, puis enfin, tout ainsi préparé, tu veux une dernière mêlée des peuples et des rois, laissant à nos courages la t/tche d'en faire sortir la liberté. Oui, tu nous dis : La carrière est rouverte : à vous la liberté, si vous savez la .payer de votre sang! Frères, le saurons-nous? ( Oui, oui, otû ! bravos enthousiastes . ) Tel est à mes ye•1x, citoyens, la perspective possible de la guerre; le sort de la démocratie Vd donc être plus .que jamais placé entre ses propres mains. Mais, avant tout, aurons-nous la guerre? Je réponds,: Oni, nous l':iurons, inévitable, poussée jusqu'à ses dernières conséquenceg. To.ntes les diplomaties, tous les congrès ne peuvent plu$ rien pour la conjurer. Pourquoi? parce qu'il la faut fatalement à deux hommes qui disposent ile gros bataillons. li la faut à Nicolas comme chef de peuples, comme chef de religion. Comme chef de peuples, son prestige en Occident ne reposait que sur la réputation de sa gigantesque et formidable armée. Or, si après ses premiers échecs il recule d'un pas, la fantasmagorie disparaît, le prestige s'évanouit. Comme chef de religion, il a derrière lui un _parti ultrà-russe, fanatique, farouche, impatient, qni se personifie déjà dans son second fils et s'apprête, en cas de revers prolongés, à lui réserver le sort de beaucoup de ses prédécesseurs. Le grand empereur, le Dieu que nous avons vu tout à l'heure est simplement placé entre le trône et le c..>nlon.Donc, nous aurons la guerre sans répit ni pitié. Mais, elle est non moins indispensable à un antre tyran. Celui qui pèse sur la France, qui en a épuisé tons les trésors, et pillé les • dépôts les plus sacrés. Ce mot fatal se fait entendre: il n'y a plus d'argent; la guerre ~ervira de prétexte pour battre monnaie, pour décréter un emprunt forcé sur les riches, une augmentation d'impôts sur tous. De même que le 2 décembre a couvert les vols qui ont préparé l'empire, on espère que la guerre liquidera les vols qui aident à le soutenir. Puis, comment contenir autrement que par la gueuc une année qui devient cxigcntc, veut des gardes, de l'av:mcement, et que l'inaction pousse à murmurer, à conspirer déjà? D'ailleur$, n'avez-vous pas vu depuis deux ans le traître penché sur son abîme, épiant la guerre à tous les points de 1~110rison?Ne l'avez-vous pas vu convoiter successivement l'Angleterre, puis la llelgique, puis la "Savoie, puis. les bords du Rhin, que sais-je! Cette fois, il n'attend que les coups de canon tirés sérieusement sur le Danube, pour entrer en Italie. Ah! n'allez pas croire quïl y entre c11vainqueur par la fortune des batailles - cc qui serait dangereux, du reste, pour la <lémocratic. Non, il n'a pas de ces façons de héros, il s'y faufilera, passez-moi l'expression, il s'y faufilera comme un voleur, disant à l'Autriche: Je ne fais que ren. forcer mon armée de Rome, menacée par l'insurrection; des deux épines que vous avez dans le flanc, la Hougrie d'un côté, l'Italie de l'autre, j'en détourne une: je veille enfin pour vons, afin que vous puissiez porter sur d'autres points toutes vos forces disponibles. Donc, de par Nicolas, de par Napoléon, nous aurons la guerre; voilà le premier pas. Citoyens, il me reste à vous montrer maintcn:mt comment cle b guerre doit sortir la liberté. Et d'abord je dis : de deux choses l'une, que les Turcs soient victorieux ou vaincus, le cercle ne s'en élargira pas moins et l'épée ne peut pins rentrer an fourreau. Supposons-les victorieux, car leur cause est nationale; elle est sainte, c'est là que sont nos vœux : bravos pour eux. (La salle toz,t e11ti~reapplaudit avec enthousiasme.) Qu'ils soient donc victorieux, l'Autriche i11tcrvicnt, si el!G n'a été dévancéc cléjàpar ces jeunes généraux polonais, hongrois, ivres de la victoire, et qui pousseront avec leurs phalanges triomphantes jusqu'au pays natal où il y a des crimes à châtier, une patrie à reconquérir. Sous cet élan héroïque la terre s'émeut, l'ébranlement est général, les peuples sont debout! 0 France, ma patrie bien aimée, à la fibre électrique, au génie si enthousiaste et si martial, toi, renommée dans le monde pour avoir su défaire des rois, c'est là que je t'attends! (Bravos prolo,~gés.) Assez de démonstration. Les Turcs _victorieux,c'est la liberté. ( Bravo, bravo,) Au contraire, ·supposons-les ..vaincus. Alors volte-face subite ; croyez-moi, vous entendrez ce langage. N1!poléon dira à Nicolas: Réprésentants du même principe, l'absolutisme, pourquoi nous quereller'? Gardez de l'empire ottoman ce qui vous convient. Pour moi, je garde l'Italie. La logique exige que nous détruisions les Etats constitutionnels, soupiraux à moitié fermés d'où s'échappent encore quelques étincelles. Que l'Autriche prenne le Piémont, et moi la. Belgique, et tout sera fini, et l'ordre régnera sur le continent. Quant à l'Angleterre, .dont.nous avons à nous venger tous deux, enfermons-la dans un rayon douanier qui la fasse périr en son île. Mais l'Angleterre, dira-t-on ! Ah! l'Angleterre, dans cette extrémité, aura deux alternatives : se jeter dans leg bras des peuples et contribuer avec eux à renverser les tyrans, ou bien essayer de renouveler contre la France une septième coalition. Mais nous ne sommes plus ni en 1792, ni en 1815. Ce n'est pas -vainement que la France a fait trois révolutions, que l'esprit républicain de 1818 a. secoué les nations dans leurs fondemens et trouvé partout des échos, à Rome, comme à Vienne, comme à Berlin. Les peuples ne peuvent plus être trompés, et l'embrâsement universel d'une coalition, c'est encore la liberté. (Bravos unanimes et prolongés.) Voilà, citoyens, la seule péripétie q1tepuisse amener la guerre. Encore une fois, la démocratie unie, résolue, courageuse, a son sort entre les mains. ( Oui, oui.) Imprudents, diront de nous les journaux de demain, imprudents qui montre.z ainsi derrière la question d'Orient le fantôme de la révolution prêt à se lever; yous nuisez à la cause sacrée des Turcs. Non, mille-fois non, répondrons-nous, c'est la servir que de proclamer la vérité. Il faut qu'elle sache bien qu'elle n'a rien à attendre de ses alliés douteux qui s'observent et se jalousent plus qu'il ne sont disposés à la défendre. Qu•elle n'ait foi que dans son indomptable énergie et dans l'insurrection des natio11alités qui l'cnvirouncnt. Là est sa force. Mais, du reste, elle le compre1Hldéjà; témoins ces valeureux étrangers appelés sous son drapeau, ces légions franches qui s'organisent, ces armes envoyées au Cauease, à la Valachie, p:ntout enfin où se lève un bras pour la servir. S'associer tous les peuples, comme elle le fait, ce n'est déjà plus combattre pour sa liberté seulement, c'est combattre· pour la liberté de ton$. (Bravo! bravo!) D'ailleurs, pourquoi des réticences, pourquoi des voile~? N'est-il pas dans l'histoire du monde de ces moments suprêmes où le succès entre deux principes contraires n'est plus douteux, et ne sommesnous pas à un de ces moments ? Vainement le spectacle hideux du crime triomphant, de la. force maîtresse du droit a-t-il jeté le trouble dans quelq11esconsciences défaillantes qui se sont écrié : Il n'y a plus; rien de vrai, ni droit éternel, ni morale, ni vertu; le monde n'est q 11 'un cercle vicieux où les peuples successivement montent et s'abaissent, grandissent et tombent sans avan~er. La civilisation, comme un pendule, est destiné à osciller invariablement entre deux pôles qu'elle ne peut jamais franchir. Blasphème, détestables pensées démenties par les faits ! Loin de reculer, le monde moral gradit et marche. Et pour ne parler que des scieitces naturelles, depuis 50 ans seulement, que de progrès que l'antiquité même la plus civilisée n' aurait pu supçonner ! Ne calomnions pas notre siècle : jamais le génie humain n'a pénétré plus avant, ne s'est élancé plus h1mt. La perfectibilité, voilà la loi, non la loi des livres rej ctés, mais la loi de la nature. Deux liens seuls l'ont enchaînée jusqu'ici, les prêtres et lès rois. Eh bien, qu'ils disparaissent. (Bravos entlumûastes.) En attendant, honneur à ceux cl'catre nous, Polonais, Valaques, Hongrois, qui pour servir notre sainte cause sont déjà sur le théâtre· des éyénemen.ts ! Et quant à nous, concitoyens, fasse le génie de la France que dans les ardeurs de cette lutta dernière on nous reconnaisse à notre cri mille fois répété de : Vive la République démocratique et soci:de ! ( Ce discours est suivi de longs applaudissemens ..) UNION .. Il est sa-ge de ne pa-s récriminer entre nous; tons, gouvcrnans, .parti, et peuple, nous a,vons commis <les fautes que l'histoire impartiale jugera. Examinons-les pour ne pas y 1:etomber; mais ne nous .croyons pas le <lroit de nous les reprocher comme Iles crimes. Tous, nous. y .avons pins ou moins participé, soit que nous les ayons provoquées, soit que nous y ayons concouru. Tous, nous en rort.ons la solidarité. Que le malheur commun, conséquence de nos fautes communes, nous rapproche Jonc eufin. Divisés, nous avons succombés ; essayons donc, une fois, de mettre en pratique notre devise fraternelle. Comprenons et appliquons notre doctrine de solidarité; ne nous scindons plus en sectes, en partis, en classes ennemies, après avoir prêché la Fraternité des peuples, la Solidarité humaine. Tous unis, serons-nous assez forts pour vaincre les égoïsmes, les p1;ivilèges, Jes préjugés coalisés et armant contre nous l'ignorance et la -misère de ceux-là même que nous cléfendo11s ?.. H N oblcs, .banquiers et prêtres de tous les cultes, ils ont su rallier. toute5 leurs forces, grouper toutes leurs influences contre nous. Ils ont indifféremment acclamé la dictature du soldat républicain ou de l'impérial parjure; ils ont béni les arbres de liberté tout comme les aigles du Coup il' F.tat. 11s ont fait taire leurs ambitions, leurs jalousies, et cc qui leur restait de conscience; ils eussent sacrifié fo moitié de leur fortune pour conserver le reste. Pour retarder la Révolution, qu'ils savent bien ne pouvoir éviter, ils laisseut le Czar menacer, dans Constantinople, de couper aux Anglais la route des Indes, et de prendre pour lui la :M:éditerranée, le lac français .... Pendant ce temps, qu'a fait la nation, bourgeois ou prolétaires? Le 1nolétaire a plus cherché l'augmentation immédiate de son bien-être, par la hausse partielle des salaires, qu'il n'a étudié le but plus lointain et plus 1>]evéde la Révolution sociale: l'abolition du prolétariat, De là cette apathie ,le l'ouvrier qui se résigne au règne cle la corruption soldatesque et bancocratique, ln disant: nous avons de /ouvrage .... Le bourgeois a redouté, pom ses intérêts, les conséquences certaines du progrès démocratique, le terme des r spéculations, l'annihilatio_n du privilège capitaliste. Ne voulant pas voir qnc l'intelligence et !"activité n'avaient qu'à gagner à l'avènement du T-ravail, ,Je bourgeois a traité en ennemi la République. Peur nous échapper, par peur et par égoïsme, il a laissé s'in.troniser le despotisme jésuitique et br11tal du Deux Décembre. Tous, pourtant, bourgeois, prolétaires, paysans, un instant levés à l'appel de la Révolution sociale, et rejetés par la Terreur bonapartiste dans leur mystérieuse inertie ; tous sont appelés à secouer l'opprobre nationale, à rentrer dans la voie providentielle ouverte à. la France pour y guider le monde. Mais c'est en faisant abnégation de leurs intérêts immédiats, en acceptant, s'il le faut, les dures nécessités de la crise révolutionnaire,· qu'allégera d'ailleurs le mutuel dévouement; c'est en faisant taire l'égoïsme et l'exclusivisme dans le11r âme, que bourgeois et prolétaires, retrouvant leur digité d'homme trop engourdis par le culte des intérêts matériels, se retremperont dans le courant révolutionnaire et rendront à notre patrie son honneur et son initiative. Sachons doue nous unir ; nos consciences, nos convictions, nous n'avons pas, comme nos ennemis, à les sacrifier; car, alors, mieux vaudrait renoncer à jamais à réssusciter la République française! nos idées? mais elhis sont la Révolution m~me; tous, nous voulons l'émanci1mtio11sociale, politique et religieuse de l'homme. Qui donc détachera son drapeau clu faisceau commun? D'où sortirait_ -uuc résistance à l'union révolutionnaire?

\ D'antipathies personnelles, d'idées systématiques, de défiances injustes, d'enthousiasmes exagérés? - Le dévouement commun à la cause commune ne doit-il pas seul éveiller un écho dans cette autre tombe qu'on appelle l'exil. - C'est l'amour fraternel, le dévouement, la foi au devoir qui peuvent ressusciter le Lazare populaire; oublions donc un moment nos sectes, nos préférences individuelles; ne pensons qu'à nos aspirations communes vers la délivrance de l'humanité ; et prouvons au monde, par nos actes plus que par nos paroles, que notre doctrine de Solidarité n'est pas un texte mort pour les démocrates, pour les proscrits ! Pu. FAURE. CHATIMENTS. Cc livre ( Châtimens) est tout un supplice; chaque page 3 son poteau, ses }1ontesflagellées, ses lâchetés pendues : c'est la plus terrible représaille que la muse amante du droit et sœur des idées ait jamais exercée contre la force et le crime. La conscience humaine sera vengée ! Juges prévaricateurs, magistrats félons, prêtres sacrilèges, délateurs mendians, plumes vénales, sièges souillés, ,épées sanglantes .et déshonorées , tout est là , marqué, iflétri, flétri pour l'éternité ; car il n'est pas de ceux qui meurent, le verc justicier et vengeur de Victor Hugo! Le troisième Napoléon, surtout, lui devra de vivre, de ,;ivre longtemps, aux foUTchesde l'histoire: il est là, sous toutes ses faces, dans toutes ses hypocrisies, dans toutes ses laideurs , supplicié qui se balance à tous les vers, et qui ferait peur à sa mère elle-même! Nous n'avons pas h1 le volu.me tout entitr, et ne pou- ,;ons en{:oreaujourcl'hui -suivre le grand poète en ses repos charmans et ses exécutions tragiques; mais nous publions une pièce nouvelle, élégie vengeresse d'une grande vie et d'une saime mort; PAULINE ROLAND. I'i..llcne ,connai~sait ni l'orgueil ni la haine; Eli~ aimait; elle était pauv.re, simple et sereine; ~ouvent 1c pain qui ml\nquc abrégeait son repas. Elle avait trois enfants, ce qui n'empêchait pas {,lu'cllc ne se sc,nlît mère de ceu'll:qtd souffrent. Les noirs é.vfoements qui da.ns la 11111s'1etngoufii-ent, Les ,flux et les reflux, les abîmrs béants, Les nains, sapant snns bruï't l'ouvrage des g.éants, Rt tons nos malfaiteurs inconnus on célèbres, Ne l'épouvantaient point; derrière ers ténèlu·es, Elle apercevait Dieu construisant l'a Tenir. Elle sentait sa foi sans cesse r11jeunir; De la liberté sainte elle attisait les flammes; Elle s'iuquiétait des enfant6 et -des femmes; Elle .disait, ten.dant la mai.n aux travailleurs~ La vie est dure ici, mais sera bonne ailleurs. Avançons! - 1':llc allait. port:rnt de l'un à l'autre L'espérance; c'était une espèce d'âpôtre Que Dieu, snr cette terre où nous gémissons tou~, A.vai.tfait mère et fomrue afiu qu'il füt plus doux. L'esprit !e plus farouche aimait sa voix sincère: 'fendre, elle visitait, sous leur toit de misère, Tous ceux que la famine ou la douleur abat, Les malades pen6ifs, gi~ant sur leur gcabat, La mansarde où languit t' incligcnee morose ; Qu:uul, par hasard moins pauvre, elle avait quelque chose, Elle le partageait à tous comme une sœur; Quand elle n'avait rien, elle donnait son cœur. Calme, et gz-ando,elle aimait comme le soleil brille. Le genre humain pour elle i5tait une famille Comme ses trois enfants étaient l'h1m1anité. Bile eriait : progrès ! amour! fratemité ! Elle ouvrait aux soufii-alntsdes horizons sublimes. Quancl Pauline Roland eut commis tous ces crintes, Le sauveur de l'église et de l'ordre la prit 'Et la mil en prison. Trnnquille, el le sourit, Car l'éponge de fiel plaît à ces lèvres pures. Cinq mois elle s1tbit le contact des souillures, L'oubli, le rire affreux du vice, les bourreaux; Et le pain noir qu'on jette à travers les barreaux, Édifiant la geôle au mal habituée, Enseignant la voleuse et la prostituée. Ces cinq mois (?coulés,un soldat, un bandit, Dont le nom souillerait ces vers, vient et lui dit : - Soumettez-vous sur l'heure au règne qui commence, Reniez votre foi; sinon 1>asde clémence, Lambcssa ! choisissez. - Elle dit : Lambessa. Le lendemain la grille on frémissant grinça, Et :'on vit arriver un fourgon cellulaire. - Ah ! voici Lambessa, dit-elle sans colère. Elles étaient plusieurs qui souffraient pour le droit Dans lo même prison. Le fourgon trop étroit Ne put les recevoir dans ses cloisons infames; Et l'on fit traverser tout P;,.ris à ces femmes, liras dessus, bras dessous avec les argousins. Ainsi que des voleurs et que des assassins, Les sbires les frappaient de paroles bourrues. S'il arrivait parfois que les passants des rues, Surpris de voir mener ces femmes en troupeau, S'approchaient et mettaient la main à leur chapeau, L'argousin leur jetait des sourires obliques, Et les passants fuyaient, disant : filles publiques! Et Pauline Roland disait: courage, sœurs ! L'Océan au bruit rauque, aux sombres épaisseurs, Les emporta. Durant la rude traversée, L'horizon était noir, la bise était glacée, Sans l'ami qui soutient, sans la. voix qui répond, Elles tremblaient. La nuit il pleuvait sur le poat, Pas de lit pour dormir, pas d'abri sous l'orage, Et Pauline Roland criait : mes sœurs, courage! Et les durs matelots pleuraient en les voyant. On atteignit l'Afrique a11rivage effrayant, Les sables, les déserts qu'un ciel d'airain calcine, Les rocs sans une source et sans une racine ; L'Afrique, lieu d'horreur pour les plus résolus; Terre au visage étrange où l'on ne se sent plus Regardé par les yeux de la donce patrie. Et Pauline Roland, souriante et meurtrie, L'HO}l~IE. Dit aux femmes en pleurs : courage, c'est ici. Et, quand elle était seule, elle pleurait aussi. Ses trois enfants! loin d'elle I Oh! quelle angoisse amère! Un jour un des ge81iers dit il la pauvre mère ' Dans la casbah de B6ne aux cachots étouffants : - Voulez-vous être libre et revoir vos enfants? Demandez grâce au prince. - Et cette femme forte Dit : - J'irai lei revoir lorsque je serai morte. - Alors sur la martyre, humble cœur indompté, On épuisa la haine et la férocité. Bagne• d'Afrique! enfers qu'a sondés Ribeyrollcs ! Oh! la pitié sanglotte et manque de paroles, Une femme, une mère, un esprit! ce fnt là Que malade, accablée et seule, on l'exila. Le lit de camp, le froid et le chaud, la famine, Le jour, l'affreux soleil, et la nuit, la vermine, Les verroux, le travail sans repos, les affronts, Rien ne plia son âme ; elle disait: - Souffrons; Souffrons comme Jésus, souffrons comme Socrate. - Captive, on la traîna sur cette terre ingrate ; Et, lasse, et quoiqu'un ciel torride l'écrasât, On la faiaait marcher à pied comme un forçat. La fièvre la rongeait; sombre pâle, amaigrie, Le soir elle tombait sur la paille pourrie, . Et de la France aux fers murmurait le doux nom. On jeta cette femme au fond d'un cabanon. Le mal brisait sa vie et grandissait son âme. Grave, elle répétait: - il est bon qu'une femme, Dans cette servitude et cette lâcheté, Meure pour la justice et pour la liberté. - Voyant qu'elle rillait, sachant qu'ils rendront compte, Les bourreaux eurent peur ne pouvant avoir honte ; Et l'homme de décembre abrégea son exil. - Puisque c'est pour mourir, qu'elle rentre, dit-il. - Elle ne savait phis ce que l'on faisait d'elle. L'agonie à Lyon la saisit. Sa prunelle, Comme la nuit se fait quand baisse le llambeau Devint obscure et vague, et l'ombre clu tombeau, Se lev& lentement sur son visage blême. Son fils, pour recueillir, à cette heure suprême, Du moins son dernier souffle et son dernier regard, Accournt. Pauvre mère ! Il arriva trop tard. Elle était morte. Morte à force de souffrance, Morte sans avoir su qu'elle voyait la :France, Bt le doux ciel natal aux rayons réchauffants. Morte dans le délire en criant : mes enfants ! On n'a pas même osé pleurer à ses obsèques; Elle dort, sous la terre.-Et maintenant évêques, Debout, la mître au front, dans l'ombre clu 1,aint lieu, Crachez vos Te Deum à la face de Dieu! VICTOR Huoo. .T ersey, décembre 1853. BIOGRAPHIEBSONArARTISTES. M. DE MORNY. (Suite.) Ne pouvant sans se trahir sigrier les articles qu'il écri. vait ou faisait écrire dans le Constitutionnel, dont il partageait la gérance, :M:. de Morny résolut de se rapprocher du parti réformiste et de montrer les dents au ministère sans perdre le bénéfice des votes que sa complaisance coûteuse mais docile n'avait jamais refusés aux mesures les plus illibérales cl11 gouvernement de Louis.Philippe. Son nom lui ouvrit facilement les colonnes de la Revue des Deeex Mondes, où il publia, en janvier 1848, un article comminatoire intitulé : " Quelques réflexiot;is sur la politique " actuelle. " Lhomme de parti assez peu délicat pour tendre une main dans le camp ministériel, en gardant un pied dans les rangs de l'opposition, disait aux nouveaux venus à la Chambre : " Les projets d'indépendance et d'impar- " tialité sont des illusions impraticables : avant tout, il " faut être clcson parti ! "Le futur ministre du Bas.Empire écrivait pl11sbas, à propos des traités de !815 : " Nous " avons, en 1830, reconnu formellement les traités qui " lient les nations entre elles ; nous sommes entrés dans " le pacte européen, pacte odieux pour nous quant aux " circonstances qui lui ont donné naissance, mais dont " trente-sept années de paix et de tranquillité ont fait un " pacte de progrès et de civi)isation." Il disait un peu plus loin: " N'imitons pas ces parvenus qui, rougissant de leur " origine, finissent par être odieux à leurs familles plé- " béiennes et méprisés par le monde nouveau où ils ten- " tent de s'introduire." "Rappelons-nous, ajoute-t-il, que " notre mission dans le monde est de concourir à la liberté '· et à l'indépendance des peuples, et persuadons-nous " bien que le jour où nous suivrions une autre voie, le " terrain nous manquerait sous les pieds." Réfléxion bien placée, en vérité, dans la bouche d'un conservateur borne de 1847, d'un homme qui devait voter l'expédition de Rome en 1849 et s'associer en 1851 à l''lttentat le plus odieux qui ait jamais été commis contre l'indépendance et la liberté du Peuple français. Aux approches de la Révolution de Février, M. de Morny avait réussi à se glisser dans les intrigues réformistes du centre gauche, et poussait sous main,· de toutes ses forces la lourde charrette à laquelle s'était attelé le vaniteux et impuissant Odilon Barrot. " Il trouvait moyen, " suivant le jo\lrnal Buloz, '' d'exprimer avec tact et élé- " gance à la tribune ses sympathies réformistes sans se " séparer de la majorité conservatrice." Il fut l'un des signataires de ée mémorable procès-verbal du 19 février où, suivant M. Granier de Cassagnac, s'étalent, " avec les " incroyables et perpétuelles illusions des ambitieYx, le " mépris de ce peuple imbécille, dupe constante de leur " vanité et bouc émissaire de leurs fautes. " C'est à M. de Morny, comme à M. Berryer, comme à M. Léon de Malleville, comme à M. Odilon Barrot lui.même, que s'adresse le fougeux pamphlétaire aux gages de l'Elysée, quand il s'écrie : " Non, vous n'étiez pas de bonne foi quand vous faisiez "le programme de cette parade du banquet de Paris; car, " depuis lors, vous avez été ministres et vous avez inter- " dit les banquets; vous n'avez plus parlé ni ne procès- " verbaux à faire dresser, ni d'arrêts de la Cour suprême " à obtenir ; et les mêmes lois qui vous paraissaient " obscures dans les mains de M. Duchâtel, vous les avez " trouvées parfaitement claires dans les vôtres. Vous ap- " portiez la duplicité et la trahison jusque dans ses accords " ridicules où vous répondiez de l'émeute; car vous avez " été à ce point abandonnés de Dieu et de votre conscicnc, " que de signer, le 23, l'acte d'accusation d'un ministère " dont vous déclariez le 19 que la politique était sage, " ferme et honorable ! " Pur quelle singulière aberration, M. ne Morny se faisait-il ainsi flétrir lui-même, dans son propre journal, de la main d'un écrivain mercenaire à sa solde? Pourquoi bissait-il porter ainsi contre lui cette accusation de dupiicit~ et de trahison qui carectérise parfaitement sa conduite politique avant et depuis Février? Pourquoi! Par:e qu'il s'agissait d'euglober dans cette flétrissure, dans cette accusation de duplicité et de trahison la majestueuse personnalité de M. Odilon Barrot, qui s'avisait de faire le délicat à l'endroit des énormités de la bande bonapart~ste, et se montrait trop soucieux des manifestations de l'opiuion publique pour rester dans cette galère où sa vanit6 puérile et l'envie d'être ministre l'avaient trop longtemps fourvoyé. II. SOMMAIRE : Le Constilutionnel et l'insurrection de Juin -i8.- M. de Morny, représentant du peuple. - Pillage des journaux républicaius au 13 juin. - M. Vieyra. - La justice bonapartiste. - Le complot de Décembre. - Les bandos nocturnes. - La plèbe ministérielle. - La liste de la commission consultative. - M M. Suchet, Perrier et Beugnot. -L'indépendance du vote. -- L'épitaphe de la garde bourgeoise. ·- Les armes données. - Les proconsuls bonapartistes. -La censure. - M. de Morny spéculateur et fabricants de pujfs à l'anglaise. 184-8- 1851 Pendant la crise r<:volutionnaire de Février, le frère adultérin de Bonaparte se dissimule et se fait tout petit. Son jonrnal, le Constittttionnel, dépose d'une main une magnifique offrande de 15,000 francs dans le tronc des blessés de Février, et de l'autre calomnie sourdement les hommes et les choses de la Révolutio11. Il affirme que les ateliers nationaux, sous la direction de M. Emile Thomas (entré depuis dans la domesticité rurale <lel'Elysée), renferment 22,000 forçats, et le Constitutionnel n'est sauvé de la juste colère des travailleurs calomniés que par l'intervention des rédacteurs d'un journal républicain, qui empêchent les délégués de s'accager la boutique littéraire de la rue de Valois. L'insurrection de Juin exalte l'audace croissante nes renégats de la presse libérale, et le bossu Cauvain, dignement secondé par le père Boniface, entassent, par les ordres de M. de Morny et de son acolHe Véron, les plus odieux mensonges, les plus dégolÎtantes calomnies, les dénonciations les plus perfides et les plus lâches contre les insurgés et les républicains qu'ils supposent avoir pris part au mouvement. Ces excitations calculées poussent la garde nationale et la troupe de ligne à de sauvages exécutions, et donnent à la police prétexte à d'innombrables arrestations. Aussitôt que le fils reconnu d'Hortence Beauharnais eut été nommé à la Présidence de la République françai~c, son frère adultérin s'empressa de reparaitre sur la scène politique et de prendre part à la curée réactionnaire. Aux élections de mai 1849, il se présenta de nouveau à son ancien collége de Clermont-Ferrand, et le chef des satisfaits de 1847 fut élu sans difficulté représentant du peuple. Le nouvel élu ne se montra ni plus assidu ui plus actif à l'Assemblée Législative qu'à l'ancienne Chambre des Députés. Un peu moins occupé des bagatelles d11dandysme, il travaillait uniquement à refaire, pour la cinquième ou sixième fois, une fortune toujours compromise par le jeu ou les revriements de la Bourse. La position ne Louis Bonaparte permit à M. de Morny de s'intéresser d'autorité dans une foule de spéculations fruct11euses, et dont la seule chance aléatoire était d'être attachées au char du prétendant impérialiste. Son in~érêt dans le Constitutionnel n'était pas non plus une petite affaire, et il désirait ardemment. la suppression et la ruine des publications républicaines qui s'étaient élevées depuis Février, et dont le succès croissant frappait de mort sa spéculation de compte à demi avec ]1. Véron. Une heureuse occasion combla bientôt, à cet égard, tous les vœux des deux associés. Dans la journée du 13 juin 1849, quand la manifestati~n constitutionnelle eut été brutalement refoulée par le général Changarnier, qui ne croyait pas alors travaille,· pour des ingrats, il clevint manifest& que la vengeance de la réaction allait atteindre les journaux qui s'étaient aS:sociés à l_amanifestation, et tout le monde prévit qu'ils allaient être suspendus. C'était là une grande victoirr E't un grand avantage commercial pour les gérants du Cons. titutionnel. Mais cela ne lem suffisait pas ; ils deman-

ùèrent que les journaux républicains fussent mis dans l'impossibilité matérielle de continuer leur publication. Bonaparte, qui n'avait rien à refuser à son frère, et le général Changarnier, possédé de la haine inintelligente que tous les sabreurs ont pour la presse libre, v.ccordèreut avec empressement le sac des journaux républicains. Deux amis particuliers de M. de Morny furent chargés spécialement de diriger cette opération. L'un rl'eux, M. Vieyra, juif portugais naturalisé, fut dirigé sur les bureaux du Peuple et de .l'imprimerie Boulé ; l'autre, M. Odiot, l'un des principaux actionnaires du Constitutionnel, fut chargé du sac de l'imprimerie Proux et du journal la Vraie République, à quelques pas de la boutique Véron-Morny. , Le premier de ses honnêtes pillards, M. Vieyra, était chef de bataillon de la 2e légion. C'était un rude champion de l'ordre, de la famille et de la propriété. De J 823 à 1827, il avait tenu, rue Rambuteau, un lupanar où les viveurs d'alors respectaient et honoraient la famille et la propriété ; et c'est à ce titre, sans doute, qu'on ltur confiait l'honorable mission de ruiner deux imprimeurs, trois ou quatre journaux et deux cents travailleurs. Cette œuvre de Vandales fut accomplie à la satisfaction ,de Morny, à qui elle faisait gagner d'un coup quatre à cinq cent mille francs, comme nous le verrons tout ~t l'heure. Les soutiens de l'ordre,' conduits par un officier de police, nommé J euneson, et un aide-de-camp du géné, al Changarnier, M. de Sercy, brisèrent à l'imprimerie Proux pour 45,000 francs, à l'imprimerüi Boulé, pour 75,000 francs de caractères, de machines, de matériels et de meubles. Total l 20 mille francs de dégâts qui n'ont jamais été ré11arés. Les honnêtes magistrats qui administrent la justice de Bonaparte déclarèrent que les auteurs 1Je ce pillage étant inconnus, il n'y avait pas lieu d'en poursuivre la réparation. Tout le monde avait cependant sous les yeux le rapport que le chef de bataillon Vieyra avait eu l'audace de publier dans le Moniteur du 19 juin; et les journaux républicains qui avaient survécu s'étaient empr~ssés de donner les noms des hommes que la justice s'obstinait à ne pas trouver. Mais la magistrature qui a mis Bonaparte hors la loi le 2 Décembre et qui lui a prêté serment quinze jours après, a trop d'autres méfaits sur la conscience pour que nous nous arrêtions davantage sur ce petit grief personnel. De cette époque à Décembre 1851, en dehors de ses spéculations industrielles et des coups de Bourse dont M. Fould avait la direction suprême, l\L de Morny ne s'occupe plus que des trames secrètes de la conspiration dont il est, pour ainsi dire, le seul confident. 11a supplant~ dans la confiance absolue de Bonaparte M. Fialin, dont l'intelligence et le courage sont plus que jamais problêmatiques. Le prétendant trouve en son frère une audace réfléc)lie, un sang-froid diabolique que l'ancien confident des complots de Boulogne et de Stra~bourg est loin de posséder. D'ailleurs, les relations de M. de Morny dans le monde intrigant des salons et la finance sont bien autrement étendues que celles d'un pauvre diable de sousofficier qui n'a quitté quelques années la caserne que pour aller rêver en prison aux pyramides d'Egypte et au mythe d'Osiris. Avec un directeur tel que l\fonJy, familier depuis longues années a-,cc tout ce qu'il y a Ùrl vénal et de corrompu dans les rnlons de Paris; avec un exécuteur tel que SaintArnaud, lié par une étroite communauté <l'intérP-tset de position avec ce qu'il y a de pis dans les conil.ottiers africains; avec un auxiliaire occulte tel que Carlier, dont le petit Maupas n'est que la pâle marionnette, le· prétendant peut tenter avec quçlque chance de succès le coup de main préparé contre la bourse, la dignité, l'hounéur et la conscience du Pe11plefrançais. Les historiens du coup d'Etat ont tous vanté la résolution <le M. de Morny pendant la crise. Se8 complic;es, pour la plupart, et surtout le prétendant, étrangers à Paris et à la France, perdirent plus ou moins la tête et , crureµt un moment que tout était p~rdu. Ainsi Maupas, tremblait de tons ses membres au milieu de ses mouchards; Magnan faiblissait et, contrairement à sa consigne et au plan convenu, laissait la majorité de l'Assemblée se réunir à la mairie du l0e arrondü;sement et proclamer la déchéance du tyran; Saint-Arnaud et Louis Bonaparte, malgré des récentes bravades devant les soldats, n'osaient monter à cheval et ne se montrèrent nul1c part pendant les évènemens. Que M. de Morny ait su commander à son visage et faire parade de résolution, cela se peut, mais ces actes politiques, rovoqués pr~squ'aussitût qn'affichés, ses concessions 11endant le péril, celte liste d'une commission consultative qu'il faut refaire trois fois en quelques jours, trahissent un désordre d'esprit au moins aussi grand qu,e celui de ses collègues en conspiragon. Ce fnt lui cependant qui eut le courag~ de contre-signer les premiers bandos nocturnes du coup d'Etat comme ministre de l'intérieur. La plèbe ministfrielle, les Fould, ]es Rouher, les Magne, les Lacrosse, les CasRbianca, ]es Fortoul et les Turgot ne comptaient que pour mémoire et • AVIISMPORTANTa Dans l'i11térêt du Commerce, de l'I nclustrie et de la Scie:1ce, les Annonces de tous les pays seront acceptées l à la condition d'être écrites en français, conformément au ne se co:npromircnt d'abord par aucun acte ostensible. D'ailleurs, l'affiche. qui les nommait ne portait pas de date et ne fut placardée qu'à midi, le 2 Décembre. En cas d'échec, il n'est pas douteux qu'ils n'eussent tous <lésavoué leur nomination comme M. Odillon Barrot renia la sienne au 24 Février, après la chute et l'expulsion de Louis-Philippe. MM. Lacrosse et Casabianca protestèrent seuls, on ne sait pourquoi, contre l'usage qu'on avait fait de leurs noms sans les consulter et furent remplacés , le lendemain par M. Ducos, le bigame, et M. Lefèvre Duruflé, con11upar une broc1mre, intitulée l'Art de mettre sa cravatte. . L'espèce de sanction légale dont les conjurés cherchèrent à couvrir l'attentat, en formant une commission consultative d'hommes politiques choisis dans la réaction anti-républicaine, fut une conception malheureuse et qui ne fait pas honneur à !'habilité vantée de M. de Morny. La liste affichée le 3 Décembre dut être rectifiée le. lendemain et refondue pour la troisième fois le 13 Décembre, par suite des réclamations énergiques qui s'élevèrent de toutes parts. On connaît la lettre insolente qu'écrivit à cet égard le vertueux. Caton-Faucher, que des préjugé3 parlementaires empêchaient de profiter du coup d'Etat après l'avoir préparé par ses attaques furibondes contre le mouvement républicain. M. Suchet d' AllJ~féra vint se plaindre à M. de Morny d'avoir été mis en si mauvaise société. Celui-ci lui répondit simplement : " Monsieur, " nous avons eu besoin de votre nom, nous l'avons pris, " t' ' ~- l quan a votre personne, nous n en avons que 1a1re: sen e- •" ment, je vous invite à vous tenir tranquille." Et M. Suchet fut écond11it avec la plus superbe impudence. l\L J oseph Perrier, dont la protestation reçut le même accueil, s'en alla dans les rues effacer son nom sur les affiches et on n'osa }'_arrêter·; enfin, on cite M. Beugnot comme ayant fait distribuer partout des cartes de visite sur lesquelles on lisait : " M. Beugnot ex:-rep1ésentant, mais " lion membre de la commission consultative." Les tâtonnemens, l'irrésolution et la faiblesse des conjurés au milieu du péril ne se trahissent-ils pas à chaque ligne dans cette proclamation, dûe à la plume du frère adultérin de Bonaparte : • MINISTÈRE DE L'INTÉRIEUR. I REPUBLIQUEFRANÇAISE, Procla~ation. " Le président de la République et son gouvernement ne reculeront devant aucune mesure pour maintenir l'ordre et sauver la société, mais ils sauront toujours entendre la voix de l'opinion publique et les vœux des honnêtes gens. "Ils n'o11t pas hésité à changer un mode de votation qu'ils avaient emprunté à des précédents historiques, mais qui, dans l'état actuel de nos mœurs et de nos habitudes électorales, n'a pas paru assurer suffisamment l'indépendance des suffrages. . " Le président de la République entend que tous les électeurs soient complètement libres dans l'expression de leur vote, qu'ils exercent ou non des fonctions publiques, qu'ils appartiennent aux carrières civiles ou à l'armée. " Indépendance absolue, complète liberté des votes, voilà ce que veut Louis-Napoléon Bonaparte. "Paris, 5 Décembre 1851.- " Le ministre de l'intérieur, "DE MoRNY." Tandis que M. de Morny mentait avec une hypocrisie toute bonapartiste en promettant l'indépendance et l<Lliberté du vote, qui n'eut lieu, bien entendu, que sous la pression de la police et des bayonnettes, le commandant supérieur des gardes nationales et son honorable chef d'Etat-Major, l'ex-directeur du lupan:i.r de la rue Rameau, placés tous deux sous les ordres du ministre de l'intérieur et obéissant à ses instructions, faisaient afficher cet ordre du jour, épitaphe ironique de la garde bourgeoise : GARDES NATIONALES DU DÉPARTEMENT DE LA SEINE. "Paris, 5 Décembre 1851. " Soldats de la garde nationale, "Je ne vous ai point appelés à pnndre part à la lutte nouvelle entreprise par les fauteurs de l'anarchie contre la société et si vaillamment soutenue et terminée par notre brave armée; je sais que si votre concours leur eût été nécessaire, le pay"> et votre général pouvait compter sur lui; mais vous avez fait céder l'élan de votre patriotisme à l'obéissance que je vous avais demandée; je l'attends toujours de v:JUs et je vous en remercie. "Le général commandant supérieur, "Signé: LAVŒSTINE. " Pour copie cor1forme, " Le colonel, chef d'Etat-Major général, " V lEYRA." . Deux jours après, lorsque la victoire eut cessé d'être douteuse, lorsque les féroces lieutenants de Saint-Arnaud, les Pellion, les Eynard, eurent assuré dans les départements le succès du crime, le ton du ministre Morny devint spécimen ci-après. Les Avis et Annonces sont reçus à l'Office de l'lmprimerie Universelle, 19, Dorset Street, à Jersey, S-Hélier, jusqu'à l'arriYée du courrier du mai di. Toute correspondances doit être affranchie et contenir 1111 bon, soit sur la 11oste anglaise, au nom de M. Zéno SwrnT03LAwsKr, soit sur uu des banquiers de Jersey ou arrogant et provocateur, comme il convient ù. un l1ommequi a été presque humble dans le danger. Il adressa la lettre suivante à M. Lavœstine, ce singulier général qui loue ses soldats de ne s'être pas battus, et ne leur demande l'obéissance que pour les empêcher de se battre. A M. le général commandant supérieur des ,r;arde.~ nationales de la Seine. " Paris, le 7 décembre 1851. "Général, ."Dans p~~sieurs quartiers de Paris, quelques propriétaires, ont l 1mpudeur de mettre sur leur porte : Armes donnees. On concevrait qu'un garde national écrivit : Armes a1-rachées de force, afin de mettre à convert sa responsabilité vis-à-vis de l'état et son honneur vis-à-vis de ses concitoyens. Mais inscrire sa honte sur le front de sa propre maison révolte le caractère français. " J'ai donné l'ordre au préfet de police de faire effacer ces inscri_Ptions, et je vou~ prie de me désigner les légions où c~s faits se sont pro~mts, afin que je _propose à M. le Président de la République_ de décréter leur dissolution. " Agréez, général, l'expression rlé ma considération la plus distinguée, "Le ministre de l'intérieur, "A. DE MORNY," . Il serait curieux de savoir ce que M. de Morny a fait de ses armes le 24 Février, et comment il a défendu la monarchie de Juillet, dont il affectait d'être un des vaillants appuis •. D'ailleurs, tout conspiratenr qu'il a été, ~- de _Morny ignore, à ce qu'il paraît, la pratique révolutwnnaire da désarmement à domicile, autrement il aurait s:1_q 11e les bourgeois armés n'eussent pas été sauvés d'une v1s1te à domicile en écrivant de leur propre main, sur les volets de leur boutique, les mots : Armes données ! Mais• q!rn to~ltes ses i_nsc:iptions de la même main, et marquée_s d un signe particulier, sont le fait il.'un chef de barricade chargé de procurer des armes à l'insurrection. .Aussi n'est-il pas bien sûr que, le 25 ou le 26 Février, les passants n'aient pas lu cette inscription sur la porte de la Niche à Fidèle. Le, grand parti _de ~'ordre a crié contre les pouvoirs confies aux comm1ssaues du Gouvernement Provisoire dans les départements; il a naturellement applaudi à ceux que l'un des conspirateurs de Décembre conférait en ces term,:s à ses agents : "Paris, 7 décembre 1851. " Par ma circulaire du 2 il.écembre, vous avez été inv~sti dn rlroit de suspendre, !:!tmême de révoquer imméd1at~ment, tons . les fonctionnaires dont la coopération ne serait pas certarne. Ces pouvoirs extraordinaires il était nécessaire _de_Yous,les co1~férer, quand il était ü;dispensable cle reprnner a la fois toutes les tentatives de résistance q11i auraient pu être de nature à compromettre Je suce~ des gr~ude_smesures de salut public décrétées par le pn_nce Loms N a_poléon. Ces pouvoirs qui vous permettaient de sùrve1ller même les juges-de-paix, doivent ce!',ser maintenant que le gouvernement est maître de la situation ...... "D,E MORNY." Le 20 Décembre, l\L de llfotny faisait appeler dans son cabinet les syndics de la corporation des imprimeurs dé Paris, et leur déclarait que, dorénavant, aucun livre ou brochure de moins de dix feuilles d'impression ne pourrait être. imprimeé clans leurs ateliers avant d'avoir été soumis à la' censure et approuvé par le miuistre de l'intérieur. La carrière rn~nistérielle du spoliateur de tant de fa- ~illes _ruinées par le coup d'Eta~ devait se terminer par un smguher scrupule. La confiscation des biens de la famille d'?rléans, en vertu du décret autocratique du 22 janvier, lui sembla une attaque beaucoup plus directe à la propriété que la ruine systématique des paysans et des bourgeois, qu'il aYait lui-même chassés de leurs maisons, ou privés d'offices achetées sous la tolérance ou avec la garantie ile la loi. Le sens moral du fils d'Hortense de Beauharnais n'avait pas été blessé par la confiscation et la fermeture violente des cabaret&, des librairies, des magasins , des études d'h,uissiers , d'avoués et de notaires, que ses agents subalternes avaient opérées par ses •ordres ; mais il se révoltait à l'idée que les biens des princes d'Orléans pussent être arracllés à leurs possesseurs , et jetés en pâture à l'avidité de la soldatesque prétorienne et de la prêtraille catholique. (La suite au prochain numéro.) PH. BERJE:AU (1). (1) Exfrait des Biographies bonapartistes, par Ph. Berjeau, exrédacteur-gérant de la Vraie République. de Lond1·es. Le prix dés Annonces est uniformément cle six sous (trois pence) la ligne, pour les trois s-ortes de caractères courants employés dans ce journal. Les lignes en capitales et en lettres de fantaisie, seront payées en proportic,n de la hauteur qu'elles occuperont~ calculée snr le plus petit texte.

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