était déjà à sa deuxième ou troisième déception révolutionnaire ; . !nr son cœur généreux, le lourd soulier ferré cle l'aristocratie bourgeoise ne pesait pas moins qu'autrefois le talon rouge des ducs et pairs. En 1846, encore un effort titanique, et, cette fois, le dernier attentat à sa nationalité, -le ,dernier coup, le coup suprême, comme pensaient et disaient les puissances ...... Mais non, non, les puissances ont menti!! La Pologne vit toujours; le czar de Russie, l'empereur apo'Stoli<juet leur comparse de Prusse ont beau la poursuivre dans ses institutions, dans ses mœurs, dans sa langue, dans !es tr:iditions les plus chères, dans ses appellations les plus douces: 1·ienn'y fait, ni la Sibérie, ni le Spielberg, ni les confiscations, ni les tit1pplices! rien, ni les espions et les empereurs! ni les bourreaux et les prêtres! La Pologne vit toujours dans l'héroïsme de ses populations indomptables; elle vit dans les ardentes sympathies de l'Europe: j'en appelle aux écrivains qui m'écoutent! avec quelle émotion nous le prononcions tous, ce saint nom de Pologne! avec quelle émotion il était accueilli! Banquo, le Banquo de Varsovie et de Praga, se convie lui-même à toutes les orgies impérbles, et, comme dans le drame immortel du plus grand de poètes anglais, l'avenir est promis à ses enfants. La tache de sang 1'élargit chaque jour davantage aux mains des Macbeth, et rien ne l',m pourra faire disparaître, car elle marque la place où doit tomber le châtiment. Et ce châtiment, citoyens, qui oserait dire qu'il n'a pas commencé déjà? Vous avez entendu les premiers coup~ de canon de la guerre sacrée des Ttircs contre les Russes i regardez à ces rives du Danube, 011 le colosse a montré enfin ses pieds d'argile! pour le Czar de Russie, comme pour ces rois de l'ancienne Asie dont le nom se retrouve dans le titre abhorré qu'il porte, la terre a toujours des déserts qui dévorent les légions, des mers qui les engloutissent, de formidables contagions qui lt-s emportent, des plaines fatales qui boivent leur sang. ~ncore quelques mois, - quelque1o jours peut-être, - et tu pourras reprendre ton épée, ô Pologne ! Tu pourras reprendre la tienne, fière et vaillante Hongrie! Voui. vous relevcrez aussi, vieille et noble Italie, vigoureuses populations d'Espagne et d'Allemagne! Vous serez !outes vengées comme la France! C.omme la France ...... mais, puisque le nom de la Franee arrive sur mes lèvres, permettez- moi de m'y arrêter un moment. Certes, la France est ma-intenant bien humili~e, bien abaissée. La France de .Marat et de Robespierre souillée par ce Bonaparte! La Fraüce de Couthon et de Saint-Just livrée comme une proie aux Baroche et aux Persigny! A la place de la Convention nationale, ce vil corps législatif; cet imbécile sénat, tout bariolé de soie, d'or et de honte! A la place des volontaires de 1792, de hideux soudards, qui foulent sous leurs pieds la Patrie, dans la boue et le sang, des soudards ivres qu'on a injustement comparés. aux prétoriens et aux janissaires, car, vraiment, c'était calomnier les janissaires et les prétoriens! A la place de la loi, de la pudeur publique, de la religion, d'infâmes magistrats, des courtisanes effrontées, d'exécrables prêtres qui se vautrent dans une longue SaintBarthélemy d'idées et de principes! Quel spectacle! mais qu'importe? c'est toujours la France! Citoyens, il y a une voix qui domine tous les mensonges officiels, la voix de l'histoire pour laquelle il n'est pas de baillo_n. Qui pourrait ,ne pas l'entendre, quand elle dit: Je m'appelle 1789, 1793, et j'ai brisé d'un seul coup <jUatorze siècle~ de tyrannie royale, d'intquités sacerdotales et d'insolence aristocratique ! Je m'appelle 1830 et j'ai jeté à l'égoût la dernière goutte de la Sainte-Ampoule, le dernier oripeau du droit divin ! Je m'appelle 1848, et je n'ai eu qu'il souffler sur la fiction cle la monarchie constitutionelle pour qu'elle s'évanouît aussitôt et fît place à la seule rêalité vivante, la République démocratique et social~. Je m'appell~ 1848,j'ai promis au monde la Liberté, !'Egalité, le règne de la Fraternité. Et je tiendrai ma parole, car, demain encore, je serai la France, la France de la complète régénération sociale, par l'idée, par !'amour, par le travail, la France de l'Europe, la France de l'Humanité! Je ne serai plus seulement ce que j'ai été jusqu'ici, aux enthousiastes acclamations de la terre, je ne serai plus seulement le Peuple initiateur, mais bien encore l' infatigable ouvrier du progrès incessant, l'ouvrier toujours debout et toujoms agissant jusqu'au triomphe de la République universelle! Citoyens, nous n'avons pas comme les rois condamnés des civilisations antiques, à regarder aux murs de la salle, pour y lire des paroles fatidiques. Non, car Dieu et l'humanité sont pour nous: c'est dans notre cœur que nous entendons les prophétique~ promesses, avec les encouragemens de nos héros et de nos martyrs, Kosciuszko, Bathyani, Bandiera, Robert Blum, Robespierre, Marat, Saint-Just, Dussoubs, Charles Baudin! N'en doutez pas, ils assistent comme nous à cette comm_émorationpieuse, mais ils sont complètement rassurés, eux, car les immenses perspectives de l'avenir leur sont ouvertes, dans l'ordre infini de la justice satisfaite et de la morale vengée. Citoyens, nous communions aujourd'hui dans l'affliction et l'espérance: nos Patries, elles,-et nous serons de la fête, car elle est prochaine,-communieront dans les joies du triomphe définitif: A la persévé-rance dans l'exil et dans la lutte! Al'éternelle union des Peuples clans la Républiqne démocratique et sociale, universelle! • L'éloquent exposé qu'on vient de lire est, à la fois, une page, une· belle page de l'histoire de Pologne, et, le saint appel à tous les proscrits, pour l'implacable persévérnnce des martyrs contre le crime, quelles que soient les douleurs. La parole du citoyen Xavier Durrieu a fait une grande impression sur l'assemblée. Voici, maintenant, un autre côté de la grande question révolutionnaire : c'est le citoyen Colfavru qui parle C11·0YCNS, A travers ces dates funèbres et glorieuses (l'orateur indique du geste les inscriptions des grands mouvements révolutionnaires européens), drapeau de la révolutionhumaine dans ses énergiqnes étapes vers la liberté, je salue l'inévitable avenir, et le saint héritage, par nous défendu, des grandes guerres et des fécondes traclitions du progrès. Dans ces dates, il nous faut lire la protestation univer~elle des martyrs de la civilisation contre toutes les formes qui out incarné Je despotisme dans ce monde, contre les formes politiques, symbole de la force dan~ son œuvrn de négation et de mort, contre les formes religieuses, symbole d'ignorance et rempart d'immobilité, opposé par le génie du mal aux €!ans de la conscience, aux conquêtes de la science, à la suprématie dti"travail dans l'égalité. Oui, quand ces générations qui ont passé sur la terre, en nous léguant l'immortel exemple de lu lutte inégale du droit contre le privilège, quand ces générations, dis-je, se levaient en armes dans tel ou tel coin obscm de cette vieille Europe, patrie décrépite de l'autoritê catholique, elles attestaient pour l'avenir que le dn,it, dégagé dans l'intelligence de l'homme et clans son cœur, n'attend pas le signal des opportunités, et .que sa légitimité éclate comma la foudre,réservant à l'histoire la vengeance et le succès. Les bouneaux, elles les ont signalées : Despote et Prttre, autorité politique, autorité religieuse, et toutes s'en ~ont allées à à travers le sang et la mort, formulant la pensée, et la pratique relative de la pe,nséerévolutionnaire, selon qu'il avait été donné leurs époques respectives de lire plus nettement dans le livre des droits impérissables de l'humanité. Aussi, quand nous sommes réunis pour célébrer l'anniversaire de la lutte héroïque de la Pologne, combattant il y a ving·t-deux ans, pour cette chose devenue aujourd'hui si étroite, pour l'indépendance de sa nationalité, nous sentons bien qu'elle s'est jetée, cette nationalité mutilée et sanglante, dans le sein de ce grand être qui sent la pent consoler et reconstituer, l'humanité, qui ne connaît pas les nations et les peuples, parce qu'elle ne connaît ni frontières, ni roi. La Pologne, clans son exil sur le sol révolutionnaire de France, a appris par notre solennelle abdication de ce privilège qui sera le dernier, je veux parler de ce titre de 11atio11 française, que nous ne reconnaissons plus ni castes, ni ra·ces, ·ni gouvernement politique, ni rien qui soit autre chose que l'ltommP, membre libre, indépendant, égal et solidaire de la grande collectivité, le genre humain. Mais pour que dans cette suprême guerre de notre époque le grand appel aux armes éveille tous. les cœurs engourdi!i, toutes les énergies silencieuses et mornes, i1 ·faut que les peuples ne soient plus trompés par ces programmes d'indépendance du passé qui ne masquaient pom eux que même misère, même ig11orance, même ab_andon,même tyrannie, même exclusi_ondu grand banquet_ des êtres lilires et hemeux. - L'indépendahcé des peuples, ce n'est plus telle ou telle forme politique, telle ou telle philosophie ·spéculative; ce n'est plus telle ou telle mesure hypocrite de l'exerçice des droits expliqués et indéterminés; l'indépendance, cc n'est plus la substitution de tels hommes à tels autres, à ce gouvernail implacable et fatalement liberticide qu'on appelle le gouvernement; l'indépendance, ce n'est. plus ce v:unpire officiel qu'on appelle la religion, et qui, dans un blasphême infâme, fait river sa chaîne aux pieds et aux mains de l'invi?labilité humaine par je ne sais quel Dieu féroce, instrument de fortune et d'oppression, qui ne manque jamais à la dis~rétion de ce grand affamé de consciences et de richesses, le clergé. . _ L'indépeRclance des peuples, cellè que nous devons conquérir, .si nous ne voulons point tomber misérablement clans la malédiction du sang versé et non satisfait, si nous ne voulons point porter le remords de l'âme révolutionnaire ile l'humanité outragée et trahie, cette indépendance, c'est celle qui a pour base et pour loi le droit il la fois personnel et imper$onnel, le Travail. - Le travail qui, appuyé sur l'intelligence, la morale et le bras, se mesuré désormais non plus par la main du privilège politique, usnrier et religieux, mais par cette féconde justice, !'Egalité; - le travail qui rapporte fidèlement à sa source toute richesse, P.tqui restitue à chacun de ses fonctionnaires· cette vie due à tous, bienêtre matériel, instruction, sciences, arts, dans une répartition qui ne sera inépuisable que du jour où la solidarité sera son principe. Richesse privilégiée de quelques-uns, misère fatale du plus grand nombre par suite de la violation de la sainte loi du travail et de de l'égalité, voilà l'ennemi, voilà le despotisme. - Vous savez quelle est l'arme invincible que prépare contre lui l'immense développement de l'industrie de notre époque; la force des choses vient à no us et chaque jour nous investit de la puissance nécessaire à l'accomplissement d'une tâche que nulle autre n'a dépassé en grandeur, la liberté humaine, la destinée vraie' de l'homme à fonder par h révolution universelle. Révolution universelle! je te salue, mais que tes soldats soient nouve:rnx comme la conquête que nous avons à faire est chose nouvelle ! C'est le travail qui va faire la grande guerre, à lui, coqtre tout ce qui ne porte point le caractère de sa légitimité et de _saforce. -:- Que tous ces soldats du droit qui vont, de patries diverses, se rencontrer sur le champ de bataille universel, se reconnaissent au signe qui révèle aujourd'hui encore leur immense fraternité de souffrance et de misère, qui révèlera demain leur fraternité de triomphe, de richesse et de gloire. - Quand chaque main cherchera pour la serrer une autre main, clans la dernière veille des armes, qu'elle dise, dans son étreinte dure et calleuse, que c'est le vrai foyer, la vraie famille~ l'incontestable richesse, c'est-à~dire, le foyer, la famille, la richesse du travailleur devenu J.omme enfin, que va conquérir et sceller le sang offert au progrès clans ce combat pieux cle la revendication. Le travail seul pèut sauver cette société qui agonise sous lepied des despotes et sous l'abrutissant mensonge du prêtre. Il a tué, dans la gigantesque société polythéistique, l'empire romain: il a tué ceux qui l'avaient déshonoré et dévoré jusqu'au dernier foyer de sa vie.-Le travailleur de ce temps, l'esclave épuisé a refusé de vivre après avoir témoigné, protesté par tant de richesse, et dans cett.~ immense mortalité de l'e~clavage, dernière et sinistre lueur du règne de la force et de l'abus, le travail a entraîné ses ravisseurs et ses bourreaux, laissant comme malédiction et comme vengeance, la mort aux privilégiés du monde romain, et l'histoire aux générations qu'attendait la vie. A nous ces· titres, à nous qui voulons venger le droit, non plus en nous couchant pour mourir snr nos chaînes, mais en les brisant et en les agitant par le travail sur le monde, comme un témoignage immortel de justice et de lihertf ! Oui, la Révoll!tion universelle, la Révolution clespeuples, la Révolution sociale, la République humaine est avec nous; oui, sa tradition est là, devant mes yeux, dans cette histoire de cent combats, d'innombrables mart,trs, de vaillants efforts. Mais elle est là, parce que nous avons conscienca de sa loi, parce que nous aussi, nous avons notre foi, parce que nous aussi nous avons notre lien sacré et invincible, la Liberté et !'Egalité, filles du Travail, filles de l'âme humaine dans le développement protégé, aidé, par la solidarité effêctive de tous les droits, de tous les intérêts, parce, que nous avons répudié les erreurs désastreuses dont l'ombre seule, croyez-le, pèse encore sur le mol1de, parce qu'à l'autorité nous avons trouvé son remède, la Liberté; au privilège, !'Egalité; à la division des intérêts, la Solidarité, 1 toutes ces conséquences enfin que le déshérité de la société actuelle appelle dans sa conscience sombre et inquiète, le Travail clans le Droit ! Cette parole, comme on le voit, revendique la plus grande légitimité sociale de ce temps et de tous les temps, la constitution du travail daus ses droits : c'est un grave problème sur leqùel beaucoup de têtes sont penchées et qu'il faudra résoudre, comme l'indépendance des patries qui restP,ront saintes jusqu'au dernier et grand affranchissemenL Après le citoyen Co1favru, Victor Hugo, dont la parole ne déserte jamais le devoir, se lève et dit : CITOYENS, PROSCRITS, MES FRÈRES! <Fout marche, tout avarice, tout approche, et, je vous le dis avec une joie profonde, déjà se font jour et deviennent visibles les symptômes précurseurs du grand avénement. Oui, réjouissez-vous, proscrits de toutes les nations, 01i, pour mieux dire, proscrits de la o-rande nation unique, de cette nation qui sera le genre humain et tui s'appelera République universelle! - Réjouissez- vous; l'an dernier, J}OUS ne pouvions qu'invoquer l'espérance: cette année, nous pouvons presque attester la réalité. L'an dernier, à pareille époque, à vareil jour, nous nous bornions à dire: J• Idée resfüscitera. Cette année nous pouvons dire: I' fdée ressuscite,! . Et comment ressuscite-t-elle? de quelle façon? par qui/ c'est là ce qu'il faut admirer. Citoyens, il y a en Europe un homme qui pèse sur l'Europe-; • qui est tout ensemble prince spirituel, seigneur temporel, despote·-,• autocrate, obéi dans la caserne, adoré dans le monastère, chef de la consigne et du dogme, et qui met en mouvement pour l'écrasement des libertés du continent, un empire de la force de soixante millions d'hommes. Ces soixante millions d'hommes, il les tient dans sa main, non comme des hommes, mais comme des brutes ; non comme des esprits, mais comme des outils. En sa double qualité ecclésiastique et militaire, il met un uniforme à leurs âme1o1 comme à leurs corps ; il dit: marchez! et il faut marcher ; il dit: croyez! et il faut croire. Cet homme s'appelle en politique l' Absolu et en religion !'Orthodoxe; il est l'expression suprf-me de la toute puissance humaine; il torture, comme bon lui semble, des peuples entiers ; il n'a qu'à faire un signe, et il Je fait, pour vider la Pologne dans la Sibérie ; il croise, mêle, et noue tous les fils de la grande conspiration des princes contre les hommes ; il a étl: à Rome, et, lui pape grec, il a donné le baiser d'alliance au pape latin ; il règne à Vienne, à Munich, à Dresde, à- Stutgardt, ~ Vienne; comme à St.-Pétersbourg ; il est l'âme de !~empereur d'Autriche et la volonté du roi de Prusse ; la vieille Allemagne n'est plus que sa remorque. Cet homme est quelque chose qui ressemble à l'ancien roi des rois, c'est l' Agamemnon de cette guerre de Troie que les hommes du passé font aux hommes de l'avenir; c'est la menace sauvage de l'ombre à la lumière, du Nord au Midi. Je viens de vous le dire, et je résume d'un mot ce monstre de l'omnipotence: empereur comme Charles-Quint, pape _comme Grégoire vu, il tient dans ses mains une croixqui ;.e termine en glaive, et 1111 sceptre qui se termine en knout. Ce prince, ce souverain, puisque les peuples permettent à dee hommes de prendre ce nom, ce Nicolas de Russie est à cette heure l'homme véritable dn despotisme. Il en est la tête ; Loui~ Bonaparte n'en n'est que le masque. Dans ce ~ilemme qui a toute la rigueur d'un décret du de~tin : Europe républicaine ou Europe Cosaque, c'est Nicolas de Russie qtù incarne l'Europe cosaque. Nicolas de Russie est le vis-à-vis de la Révolution. • Citoyens, c'est ici qu'il faut se recueillir. Les choses nécessaire& arrivent toujours ; mais par quelle voie? c'est là ce qui est admirable, et j'appelle sur ceci votre attention. Nicolas de Russie semblait avoir triomphé; le despotisme, -vieil édifice restauré, dominait de nouveau l'Europe, plus solide -en apparence que jamais, avec le meurtre de dix nations pour hase et le crime de Bonaparte pour couronnement. La France que le grand poète anglaîs, Shahpeare, appelle le soldat de Disu, la France était i terre, désarmée, garrottée, vaincue. Il paraissait ,qu'il n'y avait plus qu'à jouir de la victoire. Mais depuis Pierre, les Czars ont deux pensées: l'absolutisme et la conquête. La première s:itisfaite, Nicolas a songé à la seconde. Il avait à côté de lui, à ·son ombre, j'ai presqu1; dit à ses pieds, un prince amoindri, un empire vieillissant, un peuple affaibli par son peu d'adhfrence à la civilisation europl!enne. Il s'est dit: c'est le moment ; et il a étendu son bras vers Constantinople, et il a. allongé sa serre vers cette proie. Oubliant toute dignité, to1,1te pudeur, tout respect de lui-même et d'autrui, il a montré brusquement à l'Europe les plus cyniques nudités de l'ambition. Lui, colosse, il s'est acharné sur une ruine, il s'est rué sur ce qui tombait, et il s'est dit avec joie : prenons Constantinople; c'est -facile, injuste et utile. Citoyens, qu'est-il arrivé? Le sultan s'est dressé. Nicolas, par sa ruse et sa violence, s'est donné po'ur adversaire le désespoir, cette grande force. La révolution, foudre endormie, était là. Or, - écoutez ceci, car c'est grand: -il s'est trouvé que froissé, humilié, navré, poussé à bout, ce Turc, ce prince chétif, ce prince débile, ce moribond, ce fantôme sur lequel le czar n'avait qu'à souffler, ce petit- sultan, so11ffleté par Mentschitkoff et cravaché par Gortzchakotf, s'est jeté sur la foudre et l'a saisie. Et maintenant il la tient, il la secoue au-dessus de sa tllte, et les rôles sont changés, et voici Nicolas qui tremble! - et voici les trônes qui s'émeuvent, et voici les ambassadeurs d'Autriche et de Prusse qui s'en vont de Constantinople, et voici les légions polonaise, hongroise et italienne qui se forment, et voici la Roumanie, la Transylvanie, la Hongrie qui frémissent, voici la Circassie qui se lève, voici la Pologne <jUifrissonne, car tous, peuples et rois, ont reconnu cette chose éclatimte <jui flamboie et qui rayonne à l'Orient, et ils savent bien que -~equi brille en ce moment dans la main désespérée de la Turquie, ce n'est pas le vieux sabre ébrèché d'Othman, c'est l'éclair splendide des révolutions! Oui, citoyens, c'est la révolution qui vient de passer le -Danube ! Le Rhin, le Tibre, la Vistule et la Seine en ont tressailli. Proscrits, combattants de toutes les dates, martyrs de toute& les luttes, battez des mains à cet ébranlement immense qui commence à peine et que rien maintenant n'arrêtera. Toutes les nations qu'on croyait mortes dressent la tête en ce moment. Réveil des peuples, réveil de lions. Cette guerre a éclaté au sujet d'un sépulcrn dont tout le monde voulait les clefs! Quel sépulcre et quelles clefs? C'est là ce que les rois ignorent. Citoyens, ce sépulcre, c'est la grande tombe où est enfermée la République, déjà debout dans les ténèbres et toute prête à sortir. Et ces clefs, qui ouvriront ce sépulcre, daus quelle.!! mains tomber01,t-elles? Amis, ce sont les rois qui se les disputent, mais c'est le peuple qui les aura. C'est fini. J'y insiste, désormais les négociations, les notes, les protocoles, les ultimatum, les armistices, les plâtrages de paix eux-mêmes, n'y peuvent rien. Ce qui est fait est fait. Ce qui est entamé s'achèvera. Le sultan, dans son désespoir, a saisi la révolution, et la révolution le tient. Il ne dépend pas de lui-même à présent de se délivrer de l'aide redoutable qu'il s'est donnée. Il le voudrait qu'il ne le pourrait. Quand un homme prend nn archange pour auxiliaire, l'archange l'empone sur ses ailes. Chose frappante! il est peut être dans la destinée du sultan de faire crouler tous les trônes. (Une voix: y compris le sien). Et cette œuvre à lariuelle on contraint le sultan, ce sera le czar qui l'aura provoquée! Cet écroulement des trônes, d'où sortira la confédération des Peuples-Unis, ce sera le czar, je ne dirai pas qui l'aura voulu, mais qui l'aura causé. L'Europe cosaque aura fait surgir l'Europe répnblicaine. A l'heure qn,I est, citoyens, le grand révoJ-utionnaire de l'Europe, c'est Nicolas de Russie. N'avais-je pas raison de vous dire : admirez de quelle façon la Provid1mce s'y prend ! Oui, la Providence nous emporte vers l'avenir à travers l'ombre. Regardez, écoutez, est-ce que vraiment vous ne voyez pas q~e le mouvement de tout commence à devenir formidable? Le sinistre sabbat de l'absolutisme passe comme une vision de nuit. Les rangées de gibets chancellent à l'horizon, les cimetières entrevus paraissent et disparaissent, les fosses où sont les martyrs se soulèvent, tout se hâte dans ce tourbillon de ténèbres. Il sem.. hie qu'on entend ce cri mystérieux : Hourrah ! hourrah l les roi11 ,·ont vite! Proscrits, attendons l'heure, elle va bientôt sonner, préparonsnous. Elle va sonner pour les nations, elle va sonner pour nousmêmes. Alors, pas un cœur ne faiblira. Alors nous sortiron&, nous aussi, de cette tombe qu'on appelle l'exil; nous agiterons tous les s:inglants et sacrés souvenirs, et, dans les dernières profondeurs, les masses se lèveront contre les· despotes, et le droit et la justice et le progrès vaincront; car le plus auguste et le plus
RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==