Homme - anno I - n.02 - 7dicembre 1853

-SCIENCE.- -SOLIDARIT~- JOURNADLELADEMOCRATUIENIVE:RSELLE. N° 2. - MERCREDI, 7 DÉCEMBRE1~53. 29 N0VEMBRE.--2DECEMBRE. rroutes les politiques, aujourd'hui, sont mas-. qnées : la France impériale -se tait et n'ose même célébrer sa grande date, le Deux Décernbre ! - devant son nid le serpent recu,le : l'Angleterre, de son côté, proroge son parlement, et sauf la petite tribune de Belgique, il y a profond silence par toute la terre. . Les évènémens passent iudécis, flottans, vagues comme la parole ; la guerre elle-même, enfin, hésite. - Pourquoi cela'? Demandez au crime qui a tué ·la foi publique, et qui règne au milieu de rEurope? sphinx .dont le regard éteint porte toutes les tr~h1sons : voilà pourquoi l'on a peur, partout, depms. ce g-randmeurtre; voilà pourquoi l',onne peut, l'on n'ose agir, ni parler : c'est la conscience assassinée qui proteite et qui veut tâter J'ombre, avant de s'engager. Seuls, quelques-uns disent tout ha~t la. pe~sée libre, et, ceux-là, ce sont les proscrit~ : ils n ont rien, eux, d'engagé dans le grand meurtre, ni le cœnr, ni la main, ni l'honneur, et, ils ··vont comme des confesseurs, semant et proclamant ou les implacables vérités, ou les idées saintes. Aussi, laissant de côté les stériles discussions du jour, et les grands Tacitm·nes de la politique, nous ·\ ouvrons et livrons de grand cœur toutes nos colonnes à la seule conscience qui parle aujourd'hui, à J'Exil ! ANNIVERSAIREDE LÂ'REVOLUTION , DE POLOGNE,2. 9 NOVEMBRE. 'Les pr·oscrits polonais, ces v~térans èhev;onn~s. de l'e~i! et llu malheur, gardent avec religion non seuleme~t la foi nationale et politique, mais fous les grands souyemrs,_ t<>us les cultes sacrés de la patrie : sm quelque c~in de terre que le vent des proscriptions les ait jetés, ils cflèbrent t-0ujours leurs dates illustres, comme s'ils étaient encore aux autels de famille, et la grande Pâqùes de leur chère Pologne, le 29 N ovembré, surtout, n' e·st.jamais' oubliée. Ceux de Jersey. mardi dernier, se réunirent e1~un banquet fraternel, où le!l proscrits de toutes les nations, Italiéns, Frânçais, Hongrois vinrent prendre place à , le':r appel, et là, dans une vaste salle·, hôtel de ville de l exil, il$ dinèrent en commun, comme des frères. Point de velours, point de chiffres orgueilleux, poir1t d'astragales, mais la simplicité modeste du repas '1e famille, et les saintes aevises de la religion· commm1e - Liberté, Egalité, Frll!ernité, SoHdarité des Pe1Jples-: se mariant aux grandes· dates révolutionnaires de chaque patrie. Le pain rompu et la coupé des pe·uples échangée, la commission ùu banquet se leva pour inscrire les noms des orateurs• elle était formée des citoyens Mazzoleni, proscrit italien, 'zeno Swi~toslawski, proscrit •polonais, Tele~i, p~oscrit 110ngrois, Martin Fulbert et Bianchi, proscnts français, et son président Martin ·ouvrit ainsi la séance : CITOYENS, Votre commission m'mpose le devoir de vous parler en son nom. Que vous <lirais-je, cependant, que ne vous ai1;mtmieux dit que moi les devises qui entourent cette enceinte î Liberté, Egalité, Fraternité- Solidarité des Peuples- République universelle. - Ces mots n'ont-ils pas déjà réveillê dans vos cœurs des irlêes gfa1éreusesdont je ne pourrais être que l'infidèle interprète'/ Quelque glorieuse que soit ùans l'histoire de la Pologne cette date du 29 Nov. qui nous réunit aujourd'hui, nous serions, certes, moins nombreux: à célébrer cet anniversaire, si une pensée pl\1s large, plus féconde ne nous animait, si à la glorification du passé ne venaient se joindre Jes espérances de l'avenir. - Proscrits de toutes les nations, soldats de la cause démocratique, il n'y a, il ne doit y avoir entre nous qu'une communion, qu'un amqur, celui de la dêlivrance universelle. Confondus dans un même sentiment de fraternité, nous oublions toutes les distinctions de race • et d'origine pou1· ne nous souvenir que du devo.ir qui nous incombe, celui de continuer par des efforts comm1ms l'unité de la "rande famille humaine. Bien des martyrs soint tombés déjà pour ~ette sainte eause, il y en a par toute la terre; bien des révolutions ont eu lieu, ·il y èn •aura eneore, car le but n'est pa;; atteint, et jusqu'à ce qu'il le soit nous devons rester debout, pl'êts à combattre, prêts à mourir s'il le faut. Aussi les dates que nous avons inscrites ici, dates à jamais glorieuses, nous les célébrons en frères, car elles appartienneJ1t à tous ; nous les célébrons, non comme le triomphe d'un principe Toutes lettres et conespondances doivent être affranchies et adressées au bureau de !'Imprimerie Universelle à SaintHélier (Jersey), 19, Dorset Street. - Les manuscrits déposés ne seront pas rendus. encore souffrant, mais comme les grandes étapes clela civilisation et de l'humanité dans la marche vers le but auquel nous aspirons tous, le triomphe prochain de la République universelle, démocratique et sociale. Tel est l'objet de notre réunion aujourd'hui, telle est la pensée qui doit y présider. Citoyens, quelques-uns de nos~frères vont p:irler ici ; nous les écouterons religieusement et avec tout le respect dû à l'idée consciencieusement émise dans l'intérêt de notre sainte cause. Personne ne parlera au nom de tous, vous ne l'avez pas voulu, car vous avez pensé avec raison que chacun de nous avait le droit d'apporter· sa pierre à l'édifice que nous voulons élever. Chacun sera donc responsable de ses paroles comme de ses actes. Aussi, quelque nuance qui puisse exister entre nous et ceux dont la 1 parole se fera en,tendre, tous seront écoutés avec la même attention, car nous ne )'oublierons point, c'est de la discussion que jaillit la lm11ière,:·et l'une des libertés les pins précieuses que nous réclamons, c'est celle de la libre émission clela pensée. • Nous sommes d'accord, je .Je crois, sur le but et la marc~e à suivre pour y arriver. Permettez-moi donc d'ouvrir la séanci: par ce cri ·qui nous réunit tous : Vive la République universelle, démocratique et sociale! Ces- ..paroles int~Üigentes, qui fondaieat l'ordre sur la liberté des opinions et la responsabilité de chacun, étaient trop républicaines pour ne pa~ être cqmprises en pareille communion : elles ont été chaleureuseÎhent, accueillies, ~t le général polonais Bulliaryn, vieux soldat lithuanien, a prononcé le discours suivant : __ CITOYENS! La conformité de sentiments, de pensGe, et de souffranees vient nous rfamir dans cette enceinte. Nous proscrits .de d_ifférentes nations, nous nous sommes rassemblés iai pour célébrer l'anniversaire de la révolution de la Pologne, dn 29 novembre 1330. Citoyens! Cette époque, à jamais mémorable et solennelle_, en nous rénnissant tous ensemble, nous rappelle en même temps beaucoup de souvenirs et représente des idées granclio~es, dqnt les cœurs seulement purs et dévoués peuvent être pfoétrés. - Notre assemblée d'aujourd'hui n'est point un·e réunion d'ho[)')111esmalheureux, souffrants, qui d~sireraient s'entre-consoler mutuellement. - Non, citoyens, nous sommes venu~ ici pour nous rappeler nos devoirs et notre mission, p,our acçomplîr ce qui nous est rigoureusement demandé par nos frères infortnnés, c'est-à-dire, pour atteindre par notre persévérance et notre courage le but dfairé de notre commune émancipation. Peut-il exi~ter une plus digne et plus sublime mission il remplir que celle dont nous sommes chargés! Citoyens I Nous vivons dans l'époque des persécutions les plus acharnées, nous vivons dans un temps où la nouvelle doctrine sociale i1'est élaborée et marche à pas de géant. -Je le répète, norn, vivons dans un moment où l'oppression et l'esclavage s'efforcent d'anéantir l'idée, où la vérité, la vertu, l'équité et la justice sont foulées aux pieds, où les sbires des despotes sanguinaires et leurs bourreaux remplissent fidèlement leur inique service, où une mère désolée et attristée, pressant ses enfants contre son cœur, cléplore la perte de son mari assassiné par les tyrans, ou étranglé d:111lses prisons pour avoir voulu dé~'endre la cause de la liberté. Une autre éplorée et inquiète, errant autour des bastilles, cherche avidement, de son œil hagard, octlui.qui par son travail gagnait le pain quotidien de ses faibles et petits enfants; une pareille femme, dis-je, dès qu'elle est traquée dans sa douleur par les sbires, d'abord maltr_aitée, mutilée et fouettée, e~t jettée ensuite dans une fosse. Nous vivons dans 1111 temps de nusère, d'oppression et <lepersécution inouie ! -Pologne! Oh! ma patrie bien aimée, pourquoi es-tu condamnée à supporter tant <lesouffrances et tant de dotileurs? Toi qui fus pendant tant de siècles le bouclier et le boulevard de l'Europe, ,n'as-tu pas repoussé toujours les ,hordes barbares des ~osc~vites et des Tartares? L'Occident del Europe, sous ton l!g1de,repandait librement la lumière, développai~ les sciences, les arts, le •commerce, et agglomérait le~ richesses. Sous les anspices de tes enfants, la chrétienté et les idées de progrès pour l'humanité qu'elle renferme, furent prliservées. Enfin, tes champs jonchés des os blanchis des cadavl'es et les fosses nombreuses disséminées sur ton sol, sont des preuves incontestables de tes luttes incessantes pour le maintien, non seulement de ta propre liberté et de ton indépendance, mais aussi de celles des autres. Quelle recompense en as-tn reçue? La voici.-Les tyrans tes vo1sms ne pouvant supporter ta lumière, au :noyen ~\me trahiso~ inoui; et sans exemple dans les annales de l huma111té,après avo1r verse des torrents <le ton sang, sans pitié ni pour l'enfwt, ni pour la femme, t'ont déchirée ep pièces, en les incorporant à leurs provinces respectives, differentes <lelangage,_~e i:nœurs et_de tenda!1c,es. On. te forca à renoncer à tout ce qm eta1t Polonais, ce qui t annobltssait, c'est-à-dire il tes vertus de famille, à la probité et à l'attachement à la patl'Ïe, et on punit de mort ou de prison ces qualités essentielles du citoyen. Après avoir essuyé de si tenibles vicissitudes, la Pologne, quoique démembrée et torturée, n'a jamais cessé de remplir coura, O'eusement sa grande mission. La Confédération de Bar, la ré- ~olution de Kosciusko et de Kilinski, le cordonnier, les légions polonaises en Italie attestent amplement cette vérité. Enfin en se jetant dans les bras de la France révolutionnaire, les Polonais l'ont secondée bien fidèlement dans ses expéditions en Egypte, en Espagne, en Itali~, en Allemagne, en Autri?he, en Prusse, et ont pris une part active dans cette camp!g~e mfortunée d~ 1812 en Russie• de sorte que la 1~olognea sacrifie plus de 200 mille de ses plus v;illants enf,111ts. Et, je vous le demande, citoyens, quels avantages en a-t-elle tirés 1 Le traité de Tilsitz, comme par dérision lui a restitué le duché de Varsovie, cinquième partie à peine de c~ qu'on lui avait enlevé. Reconnaissante, même pour cette insignifiante faveur, elle n'abandonna pas les rangs fraternels de la France et resta jusqu'à la fin sons son drapeau, même au moment où toutes les nations la trahissaient. Enfin, après la destruction du trône de Charles X, et quand la Russie se disposait à fondre avec toutes ses forces sur la France révolutionnaire pour rétablir cette 1oyauté démolie, alors l'insurrection polonaise arrêta et culPiux DE 1.' ABONNEMEN:T8 Shillings par alil. ' PRIX DU NUMÉRO: G SOUS, • ,,. ,.,,\1\>il~",,111f. buta les mfâmes desseins du czar, et c'est .aujourd'hui que nous venons célébl'er l'anniversaire de ,cette mémorable révolution. Je ne.désire point m'étendre sur les résultats qu'elle aurait pu prod~1re étant rf;volutionnairement dirigée, je vons dirai seulement ?1toyens, 'que l'idl!e de la liberté progressive en Europe, se faisanf JOUren 1846 à Cracovie, a allumé en 1848 une révolution universelle, commencée en Italie et en France. ·La Pologne, malgré les étreintes qu'elle subissait entre les griflès de monstres implacables, <lesaigles à double tête, a lutté partout avec l'ennemi du progrès; ses enfants se sont montrés sur les bari:icades de Paris de Rome,. de Sic!le, de Vie~ne, de Bade, de Berlin, _dePrag\le e; de Hongrie. Voilà les services que la Pologne a rendus à la liber.té lit il !•humanité! • ; ~i la providence lui a destiné, d'un~lpa~t, des ·amertumes, des souffrances et. des tortures 'sans· nombre ;[d'autre part, elle est re- • compensée par }a sympathie de tous les ·peuples. Enfin, je puis vousaffirmer, citoyens, que ce sont les derniers moments de la vieille Europe et de la domination de!' cruels. Césars, car c'est b lutte décisive des principes sociaux contre les préjugés favétérés et l'esclavage. Citoyens, la lumière de l'idée qui grandit en se développant de l'idée conduisant à la vfaitable, )iberté, est semblable- a1.1s~leil qu'aucune force humaine ne saurait retenir dans sa course. Il nolis faut donc encore un peu de résignation et de persévérance; redoublons d'énergie, et, pleins de confiance dans l'es;poir de mettre ~n ten~e à uos souffrances, poussons un cl'i una!lime de·: Vive LI· !ratenuté des p•uples ! car cette victoire est la seule qui puisse courenner leurs efforts. La sainte date du 29 novembre, ainsi glpri.fiée-et mar- .quée _par un de$ yét_érans de la,.grande guerre polonai~e, le _è:ï~oy'enCoUin~ proscrit français dLl 2 Mèernbre, prend la parole et dit : CITOYENS, Les peuples comme les individus ont l_eursmoi:nents de·sommeil et de défaillance; mais nous ne devons=pas enêtresurpr_is, c'est la loi de la natm:e même. Ce qui semble etre un sympt8me de·mort à l'œil superficiel n'est en réalité qu'un r_epQsréparateur, dans lequel la vie épuisée par les fatigues de la luJte se retrempe, pour reparaître avec une énergie nouvelle. Nous assistons attjourd'hui à l'une de ces phases de l'humanité. . Én effet, que voyons-nous dans toute 1'Europe ?-Partout des peuples _quidorm~nt e.t des bourreaux qui Vflilleut.. R~is et pape, empereurs et mouchàrds, avec leurs bandes de sbires et de prétoriens, SQntaccroupis sur leur proie dent ils déchirent les entrailles. Ces honnêtes gens, ces modérés comme ils s'appelaient, uous le-s avons vus à l'œuvre; mais quelle modératiou, grand Dieu! la modération des sauvagws et des cannibales. Partout leur mot d'ordre a été le même : point de quartier pour les vaincus. Et ceux qui, vainqueurs la veille, n'avaient point touchê à un coin de leurs champs, à un cheveu de leurs têtes, ils les. ont lâchement torturés et assassinés. Ils ont incendié et pillG les maisons, fusillé et transporté les hommes, égorgé des femmes, des enfans, des vieillards. Si ces bandits et ces scélérats étaient abandonné,s à leurs propres forces, il y a long-temps qu'ils auraient disparu de la terre qu'ils souillent. Mais possédant à eux seuls les l'ÏcheslleS et le pQuvoir, ils ont eu l'art infernal d'égarer les enfans_du peuple qu'ils ont armés contre le peuple mê!lle. Tout démocr!lte à été traqué' par eux comme une bête fauve. A ceux· qui rlic-lamaientl'affranchisseme.»t, ils out répondu par une plus dure servitude; à ceux qui ont demandé du pain, ils ont donné du plomb. , ' Contemplez .ces.brigands couronnés, comme lis se'cr11mponnent avec fréné~ie aux lambeaux d'autorité qui leur échappent. Dans leur am_ourpour les ténèbres, il~ placent- leurs corps débiles~ ca~ ducs entre le soleil de l'avenir et le genre humain, s'imaginant que lenr petite ombre va se projeter à jamais par toute la ~rr~. Ils croient qu'en se barricadant dans le passé, ils arrêteront la marche dn progrès. Insènsés, l'histoire est là pour leur répondre. Il y a dix-huit siècles le viet~xmonde du paganisme et du judaïsme allait <lispara\'tre pour faire place à un monde nouveau. Alors les réactionnaires de la loi de Moïse, les scribes et les pharisiens, fe grandprêtre Caiphe et le roi Hérode livrèrent à la soldatesque et firent mourir sur une croix, connne un impie et un séducteur de la foule, comme un ennemi de Dieu. et des hommes, le révolutionnaire pai: excellence, celui qui avait dit qu'il détruirait le temple de la vieille société et qu'il le rétablirait en trois jours. Eh bien! N'est-ce pas le crucifié qui a vaincu, et les enfans de ceux qui l'ont condamné ne sont.-ils pas errants par toute la terre où les nations sont obligées de se-baisser pour les voir? Et les réactionnaires .du paganisme n'ont-ils pas employé tous les moyens suggfaés par le fanatisme et la fureur, pour conserver nn peu d'encens à leurs Dieux et un reste d'obéissance à leurs Césars? N'ont-ils pas fait servir le fer, le feu, les bêtes du Cirque pour mettre à la raison ces novateurs qui sous le nom de chrétiens venaient détruire la religion, la propriété et la famille ; la religion en brisant les idoles, la proprjété en prêchant que l'flsclave n'est pas un instrument de richesse, maie l'égal du maître auquel il avait jusque-là appartenu comme une b~te de sommé, la famille en émancipant la femme et l'enfant sur qui le p~re avait droit de vie et demort. Eh bien, qui a fini par triompher 2 Les Dieux de bois ont sen·i de bûches dans les foyers de leurs anciens adorateurs et la croix., objet d'ignominie, est devenue un signe de gloire. Citoyens, ce qui a eu lieu il y a 1800 ans, doit encore se réaliser de nos jours, Comme les premiers Chrétiens, nous souffrons la persécution pourJajustice. Comme eux nous sommes voués par les tyrans à l'exil, à la prison, à la mort. • ' Mais patience, nous vaincrons.L'œuvre. de la régénération sociale à laquelle nous travaillons n'est pas un œuvre d'un jour. La terre est aujourd'hui ilans les douleurs de l'enfantement; elle souffre et se lamente sur son lit d'angoisse. Le travail est pfoib.le; il y a des pleurs et du sang. • Encore un peu de temps et la délivrance viendra. Oui, nous assistons à la naissance .d'un monde nouveau. Let p8Jes sur lesquels tournait le vieux monde du despotisme se sosn usés au frottement de la liberté, et le voilà qui roule dans le vide pour aller se perdre à l'abîme.

Symboles, lois, institutions, tout croule, tout tombe. Dites: conn:i.issez-vous un gouvernement qui soit sfir de son existence, un trône qui demain peut-être n'aura point jonché le sol de ses débris? 11suffit d'une étincelle pour allumer le volcan dont la lave doit engloutir les iniquités du passé. Les cxp)oiteurs de toutes espèces ont .beau se coaliser dans une alliance sans nom pour le maintien de leurs rapines et de leurs brigandages, c'en est fait de leur règne. L'eau bénite ne sauvera pas Je trône des Césars, ni le sabre brutal la tiare des pontifes prév::1ricateurs. Leur prestige est détruit aux yeux des masses et la force matérielle sur laqo,elie seule ils comptent ne tardera pas à les abandonner. Lorsque cette heure solemuelle aura sonné au tocsin des peuples, lt!s Napoléon sortis de la fortt de Bondi, et les Pie IX mitrailleurs tomberont du faite de leur ambition criminelle et se frapperont la poitrine, sans pouvoir échapper à la sentence tei-- ·rible qui les attend. ·Tl n'y aur::1plus de ces Seigneurs et maîtres qui traitaient les )1ations comme un troupeau de bétail et les tondaient jusqu'au seng, qui faisaient passer leur or dans leu-r cofl.'res et lenr moëlle dâns leurs os. Plus de pape, plns de rois, plus d'empereurs trônant sur l'abrutissemeut et la misère: plus de hauts barons de la finance s'en~ graissant de vol et d'usure, plus de ces dignitaires de l'église. princes de Sodome et Gomorrhe, couverts d'or et de pourpre, prê- • chant l'abstinence ou l'escbv:ige au nom de Dieu, plus de généraux coupe-bourses et de janissaires coupe-jarrets, à qui l'on dit TUE et qui tuent; plus de magistrats iniques, ni de juges vendus à dei pouvoirs parjures. • Tout cela aura été jeté à la voirie. Au souffle de l'esprit nouveau, les opprimés et les déshérités de ce monde renaîtront à la vie; tous les peuples seront frères, et frères dans la liberté et l'égalité. Alors Citoyens, aura lieu l'avènement que nous appelons de tous no~ désirs _etpour lequel nous souffrons tout, l'avènement DE LA iU'.;l'llBLIQUE UNIVERSELLE, Dt:MOCRATIQUE ET SOCIALE. Après ce discours s'.'lgee,t bien pensé, nous avons cru que la nationalité dont nous fêtions la gloire et ]es malheurs qui sont encore de la gloirë, ferait entendre une 11ouvelle parole; mais. les soldats .polonais· sont restés calmes, .silencieux, comme autrefois dans les rangs ; ils ont voulu pratiquer 1'hospita1ité toute entière, en laissant aux proscriptions amies l'honneur de ]a journée, et c'est un Jersais,,M. ,vellman, qui s'e,st·levé pour la cause: voici son discours : CiToYENi, • Un nouve! ~nniversaire _de la ~é~elution de la Poldgne réunit enc_orew1c lois; sous ce· toit hospitalier, les proscrits de toutes les nations. .• Le 29 ~1~v~mbre1853 n_ousdo~me, à nous Jersiais, le privilège de_nous ~eli_c(~eqr ,u'a~1m_o~ns h liberté de penser n'est p:i.s ici un cnme, ams1 qu_e1a dit s1 eloquemment • le journal I' 1-lomme, dont 1a. première apparition aujourd'hui est une admirable coïnci- <Jenceet un heureux p,ronostic. . AOui,c_itoyens, de~ant cette auguste vérité, il est bon que les trones, les monarchies et les républiques s'inclinent se voilent et clispa)·aisse!1t,il est bon. que dans des fête~ telles ci~e ceiles-ci, les habitants de tous les pays s'unissent pour renouveler ensemble, devant le ciel et les hommes, leur serment de fidélité à la libe.-t,f politit1ue, ·parfaite èt illimitée. • _Oitoy~ns, c;est_votre dévoueme~1tà ce grand priricipe qui ,•oüs pr!ve ~ll.JOu!·hdm _et. de vos droits et de votre patrie, c'est ce meme dévouement qui no~ts ·port(! à partager avec vous les donle~11·sde !'_exil, et -~ vous offrir un asile contre la tyrannie des troncs. • ~u'il est beau le-rôle que Jersey est appelé à jouer dans l'his- . foire de l'humanité! Il semblerait qu'une Providence, douée d'omniscience, prévoyan~ la -chute_•)ct~1elledes i~1térêts des masses, ait voulu que cc p~~1tpaY}i_si mt1mement h~ par ses vieilles gloires, par ses tr~~1t1?ns venerabl_es à la France et à l'Eµrope, échappe il l'hum1l!a~10nd_u Contment, élève sa voix énergique et sincère contre les mJnst1ces des monai;ques, et invite les opprimés de tontes les nat_ions à se réfugier dans son sein. Compatriotes jersiais, il est vrai que nous ne pouvons nous vanter de !los trophées d'Austerlitz, de Tr;tfalgar ou cle Waterloo ;. 11'.a1sces victoires je les méprise, lorsque je me rappel le Î'ms1gne honneur réservé à l'île _ql.\im'a '{U naître. Et vous, nobles proscrits,.vivez en toute paix dans cette île qui vous était déjà bi~u ehèrc il y a un an, mais qui doit vous l'être ènccire bien plus aujourd'hui, puisque penclant la dernière année vous lui avez confié le$ cl4pouilles mortelles de trois de vos mar~yrs. Qu'ils dorment en paix, ces nobles soldats de la d~1110crat1e; au p~ys ~c l'étranger! fis n'ont pu survivre à l'humiliation de leur patrie : ils ont v6cu pour l'Humanité. Ils étaient rlignes d'être confiés à un sol de liberté, .et nous, Jersiais, nous jurons solennellement de surveiller, avec le soin le plus religieux, leurs toi_nbessacrée~! Quant à moi, je n'hésite pas à le déclarer, je sms ~er d'avoir été le premier Jersiais choisi pour porter à sa dern1~re demeure ~n de ces trois témoins de l'indépendance humarnc, et cc sentunent, je le conserverai jusqu'à l'heure de ma mort. J~~sjours les_plus l1eureux de ma vie, je les ai _passésau milieu des epa11chemen_tsde la proscription, et je ne me rends que·l'écho de mes cornpatnotes jersiais en remerciant la Providence de vous a~o_iip· o-i-_té ~ passer _p:irini nous les ann6es de votre exil, Jmisque la proscnpt10n vous était réservée. Et quoique nous désirions t~u~, du fo~d de notre cœur, qu'un Dieu propice vous rende bientot .et )ps foyers de vos pères et le ciel de votre patrie chérie, vot_~ed~part, nous n'osons vous le cacher, nom; plongera dans un demi bien profond. Il ne nous restera· alors qu'à aller méditer sm: les tombeaux ,de vos compatriotes, en nous rappelant· qu'il existe un monument de votre séjour tlans cette île, non certes une col?nne de bronze ou de pierres taillées par la main des mortels, mais un monument dont le Tout-Puissant a été le sublime fonds.- teur. et le divin architecte; oui, citoyens, nous nous transporterons ve1:scc rocher, type si beau, si fidèle de l'fi1ergie avec laquelle vous combattez les vagues du despotisme, et des principes ~ternels que vous_représentez et <lu triomphe <!omplet qui ·vous attend, rocher qui portera pour tonjonrs le uom si touchant de Ra.cher des Proscrits; et pent-~tre, assises au pied de ce rocher, des. générations encore il naître, réfléchissant sur l'histoire du P.as~~, s~ rappelleront que ~'il y a divers pays, s'il y a cliflërents nv~ges, 111. ~'?'a ~pr~s tout ~u'une seule mer, qu'un seul océan et que cette mer ne doit plus etre la Baltique tumultueuse des nation_,~lith oppo~ées. ni même l'Atlantique agité de rivalités de co1~)ments, mais bien !'Océan pacifique, paisible, calme, tranqmlle, d'une liberté universelle, <l'une égalité pai:faite d'une fraternité immortelle! ' Il y a .du cœur, de l'élévatiou ùans ces paroles et surtout un grand sentiment de l'humanité: un m,ot seulement-: nous prosc.r.its de la République, nous croyons que· les formes sont absolues comme les idées, et que la liberté L' HOM11 E"; humaine; pour rayonner et s'épandre entière, a besoin de la souverainetê vivante constituée républicàiuement, comme le soleil a besoin du c_iel: mais si la rigueur du droit nous oblige à marquer ici une différence, notre reconnaissance n'en est pas moins profonde pour les inspirations élevées, et les sympathies ardentes qui viennent librement, spontanément saluer le malheur ! .. L'assemblée O.esproscrits a couvert de ses acclamations le discours de l\'.I. Wellman, et l'un des plus grands esprifs et des plus religieux de ce temps, Pierre Leroux, lui-a ré~ pondu. ; nous ne pouvons donner ici cette réponse improvisée, courte harangue du cœur : mais tous ceux qui con: naissent la parole cordiale et pleine de tendresse élevée du philosophe proscrit seront convaincus que ses remercîmens à Jersey_sont dignes ét de C:etteîle hospitalière et de l'excellent citoyen qui a bien voulu la représenter au milieu de nous. Après le citoyen Pierre. Leroux, le citoyen Cahaigne a pris la parole et dit CITOY~NS, Brutalement jetés !tors ae la p:itrie, livrés par le despotisme à l'inspection infâme des policiers de tous les étages et de tous les pays, accolés à la vie forcément errante et incertaine des bannis, à l'abandon, aux misères. aux tortures cle l'exil ; arrachés violemment, par une embuscade de voleiu-s nocturnes, de la tcn:e sacrée où reposent, ô profanation de l'âme! où reposent la m~re, l'amante, l'épouse, l'enfailt; traqués, poursuivis sans relâche, espionnés, calomniés, outragés comme ne le sont pas les courtisanes par la voix éraillée• des sénateurs impériaux, blessés ainsi dans tout ce que l'homme a de plus cher, de plus digne et de plus pur, mais luttant toujours avec une invincible énergie ; luttant iu_flexibles, <le toute la puissance de la force morale, de toute la grande11r du sentiment, les proscrits de toutes nations, quand ils touchent enfin une terre hospitalière, la saluent avec un respect religieux. Et c'est là un devoir, en vérité, 11ndevoir haut et noble comme l'e~t toujours le devpir humain : un devoir à la fois doux et digne, car l'homme, le proscrit, retrouve des hommes comme lui, des hommes fiers et jus tes, bienveillans aussi,. généreux et tendant une main fraternelle, faisant entendre une voix amie à tous les soldats blessés, mais non détruits, q11ise présentent tenant d'une main la plume et l'épée ; de l'autre, le fus·il et le clr:i.peau de l'humanité. • Jersey est une tonte petite île, diront les sénateurs de VerhuelBonaparte, un petit 1;ocperdu au milieu de l'océan. Qu'importe? Depuis q11a11da-t-on pris la coutume de·mesurer le courage et le sentiment selon la taille ·mét-rique cle l'homme et l'étei'1due de la terre qui l'encadre. -Non, non ; cela n'est pas, cela ne peut être ; la vertu brille partout, le courage aussi et le sentiment fraternel ; ou1, partout où l'on rencontre l'homme vr11iment digne de son titre .. Trouve-t-on cela dans le Sénat de Bonaparte? non! • Citoyens, tout à )'heure je parlais du devoir ; non pas de celui selon l'arithmétique et la banque, mais du devoir social et moral, clu grand devoir. C'est -pourquoi, citoyens, je ne trouverai jamais trop de remercimerts pour les sentiments sympathiq11es si clignement exprimés par le citoyen Wellman. Il a saisi la phis précieuse note, il a touclié la plus sensible corde du• clavier humain, la vraie : il faut du èœur ! , Oui, citoyens, il faut du .c·œurHà est le foyer des hautes inspirations, du sentiment éleyé, de l'héroïsme, d11grand devoir. La pl1ysiologie de l'homme .nous l'enseigne : ce qui, tout d'abord, apparaît chez l'embryon commençant à se constituer. da11sle sein de sa mère, c'est le point rouge à la poitrine, le cœur; dru1s la mort naturelle, quanti la .<).écr~pituclea refroidi les extrémités, le cœur s'éteint le der11ier.Vous le voyez, citoyens, le cœur-annonce le commencement de la vie physique; il la développe, l'entretient iltravers les phases diverses, puis il l'emporte en s'éteignaiii .•Mais c'est le côté physique. - JI est nue autre vie du cœur, bfoü plus large et plus haute, presque divine ; elle se mêle, elle aide cette sublimité éthérée qu'on appelle l'âme : c'est de cette union admi- . rable de la vie du cœur et de l'âme, <1ueJ. J. Rousseau tirait cette magnifique prosopopéé ·: 0 Fabricius ! qu'eût pensé ta g1·ande âme ... etc. C'est à la même source que puisait le véritable vainqtiet~·. de Marengo, non pas Boi:iaparte, entendez bien, mais Je grand Desaix qui, à trois. heures de relevée, le vieux Mélas ayant expédié tous ses courriers pour annoncer la défaite de Bonaparte à l\farengo, reprenait, lui, Desaix, la bataille perdue, la changeait en _victoireau prix de son sang de héros, et mourait en exprimaut le regret de n'avoir pas assez fait pour ht République, et l'âme remontait vers le ciel, ne soupçonnant pas, ne pouvant pas soupe çonner, elle si grande et si pure, qu'un héros en herbe allait lui· voler b:i.ssement l'honneur de la victoire. C'est encore au moyen de ce saint mariage de la vie du cœur et de l'âme, que le digne compagnon d'armes de Desaix, le valeureux Kléber, assez fort et assez noble pour donner sa vie comme l'avait fait le vrai vainqueur de Marengo, n'hésitait pas, lui, âme de héros aussi, à demander ce noble sacrifice a11chef du bataillon de Saône-et-Loire : "Corn- " mandant, lui disait Klébér, vous défendrez ce pont à toute ex- " trémité ; vous vous y f~r.e:i:t;uer avec tout votre monde ; pendant " ce temps je sauverai 1.'a.rmée."- Et l'autre, trempé en héros comme son chef, répondait ~aconiquernentet patriotiquement :"Oui, "général.''- Il faisait bj,e_umieux, en vérité, il tenait parole, il mour:iit, le brave Chevardip _! . Ah ! vraiment, les grandes âmes se comprennent et s'entendent vîte, ]'intrépide Klé_beravait _pressenti, deviné le modeste et non moins intrépide Chevardin-cornment cela ?-comment '? demande-t-on: c'est que ce grand courant de la vie, du cœur et de l'îlme, cette électricité de -s.e11timentraverse les plus pesantes atmosphères, les plus dures. poitrines humaines; c'est bien mieux que la foudre; c'est le soufüe de Dieu! Eh! qu'eûssent donc tait ilèispères, saints aujourd'hui du calendrier de la république, salis cette appétence subiime? auraient-ils brisé la féodalité, prociam§ -les Droits de l'Homme? auraient-ils fait des lois, la parole tril,~i11itienne éclatant plus fort et portant. plus loin que la voix dti ï:::i:ion? auraient-ils pu lever 11uatorze armées et comm:mder h n,tr:1ite au despotisme envahisseur? qui donc poussait leurs héroïques légions, sans souliers et sans pain? -l'esprit de Dieu, citoyens, b voix du cœur et de l'âme, voix incessante, voix divine, répondant à ces bataillons toujour%garnis de héros affamés et meurtris; il fiutt clu rœur 1 / Et vraiment, nous ponvons le dite ici, sans fausse modestie comme sans orgueil, la noble traditior\ n'a paB été pefèlue.-/1 faut du cœur ! avaient crié de leur voix d'airai_n les grands érnancipatemii en. 93; il faut du cœur ! "citoyen du mèm.cl.e_,...kommep,our tout "dire, fais ce que dois, adviem1e que pourra, •'-enfans clela grande école, nous avons suivi la loi: nous sommes à Jersey. . Mais du sommet de ce rocher, si infime eu égard aux territoires du continent, nous crions en plein porte-voix: droit de l'Homme, Justice, Liberté, Egalité,)haternité des peuples, des peuples, ai-jedit~. oui, citoyens, regardez : Hongrois, Polonais, Italiens, Français, Allemands, Anglais et Jersiais, (l'Humanité ne connait que les hommes; elle passe, tranquille et bienveillante, sur les nations et sur les sectes,) regardez, citoyens, regardez et dites s'il n'est pa_sv_raique des_quatre points cardinaux de l'Europe, l'idée répubhcame, le sentiment fraternel, sont venus rayonner sur cet asile sacré, sur cet î16t, tant petit soit-il, q11ilaisse l'idée républicaine, le seus moral, le sentiment, se dégager à l'aise, selon la devise de nos pères : vivre libre ou mourir! Pourquoi somm~s-nous à J.ersey ?-Pourquoi? parce que nous a_vonsdéfendu la raison, le droit sacré de l'homme, la liberté, la justice, }e cuit~ <:lubien et du beau; nous sommes à Jersey, parce que nos ames hbres et fières n'ont pas fléchi, ne fléchiront jamais. Nous sommes aujourd'hui à Jersey, demain ailleurs, peut-être, parceque nous avons combattu pour la dignité de l'homme; parcequ~Anous avons fidèlement gardé, loyalement smctionné cet ax10n:iede morale publique : jètis ce que dois, advienne quepourra f nous sommes à Jersey, citoyens de l'Europe pàrce nue nous avons cl, 1 1· , ' •1 gar ; e en sac1:e,parce q~e nous avo11stoujours suivi cette voix supreme nous criant en meme temps que le soleil nous chauffe: il faut du cœur ! Tous ont-ils écouté la grau de voix? ont-ils suivi la belle route? un moment d'attention, citoyens, assistez au défilé de ces mar- ~ha~ds, faux et immondes comme des prêtres, de ces bateleurs Joram~ ve~~an: aux rois, pour opprimer les peuples, cette marc!1and1selrelatee, nausfabonde et funeste, cachée par eux sous l'étiquette d'un mot sacré, Justice! regardez passer les Troplo11g, les Persil, les B::1roche,les Roulland, les Zangiacomi, et surtout, oh! surtout, la cour de Cassation, l:i cour Suprême, comme on avait coutu~~ ~lela no?1mer, effaçant d'un trait de plume.sa réputation, usurpee Je le sais, et pourtant séculaire cle probité d'inflexible l 1 1 • ' 10nneur. a cour de cassation, la cour suprême la o-ardienne de la loi, Je la m_orale, (on disait cela et beaucoup le ~royaient) la cour de cassat10~ consacran~ par ~n·arr~t motivé l'acte le plus rév?lta1~t, le plus !ache <les,cnmes mventes par le .despotisme, la v10lat10ndu secret des lettres ! : Citoyens, en face de ces énormités devant lesquelles reculeraient des sauvages, n'est-il. pas bon de crier plus haut ·que jamais: il , faut du cœur ! ... C!es~ H notre foi,_citoyens, notre fl:>i.. il nous reprêsentans vrais du Dro1f, de la Justice, de la Morale;. c'est là notre déclaration r;Iigieuse· à nous, pauvres pro~cri~s, ve·nus de toutes les régions de 1 Europe, pour affirmer le droit naturel, jnébranlable de l'homme sa dignité,. sa Liberté! ' . Et de J?île d~ Jersey qui nous offre sa-côte hospitalière, nousjetôns ~u despotisme toujours bas, hideiix et lâche, nous lui jeterons du sem des morts, le défi solennel tle ··la-conscience humaine aujourd'l~nî si :violemm~nt outragée. ; .•, Esperance ~one, c1to7ens, esperan~~ et foi toujours! les temps ne sont_pas 1~m, peut~c~re, où chacun ·c1enous pourra enfin revoir s:i patrie. Mais _reconna1s~ans, nous_·.J'\eperdrons pas le souvenir de. ce rocher qui fut le refuge des e.~1~~s; nous garderons au fond . du cœur, comme. le. d_oiventles 'homrjte~ ?ignes, la gratitude que nous devons a11xJ_ers1a1se; t quand_J_taradition aura repris son cours, lorsque·, dept!IS bien longtemps deJil, la: tombe nous aura donné ce repos impossible .pour nous sur terre, tant que le despotisme empoison!le 1'air; alors, peut:être, ·au coin du Jbycr, clans la douce ~ausene de famille, un bon pè~e, quelqtre Wellman, par exemple, t!duquant ses enfans leur dira: -<•·Un jour nous avo"ns fait une . "bonne action, nous Jersiais; quand le crime sous sa forme la , " plus hideuse,·-qujnd le despotis1n~ dans toute sa brutalité dat!s "toute son infamie, menaçaient--1e···monde, notre terre de jersey _"_f11tle champ d'asile des énergiques soldats du droit, de la liberté, "de ·la dignité hui:naine; oni, mes é1~fans, c'étaient de bons h6tes :'. fermes, loyaux-et francs; ils ont•pl'is droit rie cité parmi nou~ : quelques-uns des :leurs reposent chez nous, lé gazon de Jersey "recouvre leurs·tombes; oui, rrtes e11fans,c'étaient de bons hôtes, "vivanrav.ec dignité et sachant mourir de même. Avant de quitter "la terre, ces martyrs, aéfenseurs du ·droit·de l'homme et- de la " grande idée sociale; s'enroulaient noblement dans le\lr ùrapeo.n et " dis_a_ienptour derni~re parole: Ufaut du cœ11r ! Ces paroles du citoyen Cal~àigneont eu p·our dernier coro1laire ~n chant dont le refrain vengeur châtie les lâche.:. tés contemporaines, et. ce ré'frain :est le beau motif.de son discours - il faut il;ucœur;· Le citoyen X; Durrieu prend· ensuite la parole et commence ainsi : • • C1TOYFNS, Vous m'excu~erez si j'ajoute _qµelques mots aux éne~·giques discours que vous venez d'entendre, et dont l'Gmotion dure encore• vous m'excuse\éz, je !'.espère,. si, _pris à l'improviste, je n'élèv; pas ma parole a la hauteur du ·sentunent qui nous réunit. Je veux parler ~e 1~per;-~v~r_ancedans.l'exil et dans la lutte, jusqu'au jour .de_la v~cto,1r~de .fi~11t1vdeu dro~t,_con,tre le crime, des principes de Liberté,_ d Égahte, de Fraterll)te contre tous les despotismes! . J'ai à_oxpr!mer, citoy~ns, _d:s senti~1ens Lien vrais, bien prof-Onds,b1e11vivaces·, caT ils res1stent vaillamment à toutes les colères de la persécution; ils bravent et dominent toutes ·les douleurs de l'exil. L'indispensable conditi.on des victoires définitives c'est .de savoir souffrir,_-. souffrir beaucoup~ -----s-o:uffrir longtemp~, s'il le fa_ut,- souffrir Jusqu'a_u ?out. •Quiconqu~ en douterait un seul mstant ne comprendrali rien il cette admirable Pologne~ dont nous .sommes aujourd'hui les conv.iés sympathiques : comment, en ..P,:é:ence de ce colo_ss~lmartyre, déjà_ séculaire, s'expliquerait-il t mebranlable conv1ct10nfde ses enfant.s, leur résplution constante, leur foi invincible? Ah! ne craignons pas de regarder au •fond de ce passé, si horrible et si glOTieux : ce sont surtout les· , _tribulations du passé, ce sont aussi les tribulations du présent qui: ·promettent l'avenir. Je n':ii pas l'intention de reproduire ici la brillante et douloureuse histoire de la Pologne, éloquemmént e!- ·quissée déjà par un précédent orateur; qu'il me soit permis; cependant, pour notre encourai;ement à tous, d'en, rappeler briève-. ment les principaux traits. . En 1772, h Pologne est violemment démembrée, <lépécée,~t ·toute saignante encore, dévorée par trois ·goules royales, àJa hontè: ineflitçable des autres gouvernemens européens qui s'étaient lavé les lllai11s,comme Pilate, des tortures de cette passion. Plus tard, sous l'empire, la Pologne, déçue comme la France elle-même, éblouie aussi par une gloire fausse, la Pologne met svn dévouement au service du premier Bonaparte. Bonaparte accepte ce dévouement; il le harasse, il l'épuise, et, pour toute reconnaissance, à Erfuth, il donne d'ignobles- accolades d'empereur au czar Alexandre. Le czar les lui a fait rendre, à Paris, par les cosaques et les amis des cosaques, qui traînèrent sa statue aux gémonies. Voilà toute la politique du premier Bonaparte! Voilà tout son cœnr, toute son intelligence ! Je conseille à l'ancien monde d'exalter ses grands hommes : le grand Fré~éric qui a si gloutonnement.et si mal avalé son lambeau de Pologne qu'il l'a bissé dans la gorge de ses successeurs, au risque de les étouf~ fer! Le grand Napoléon qui n'a pas même compris combien il importait de replacer, armé de toutes pièces, aux avant-postes de la civilisation européenne, ce noble Peuple-chevalier! Ils se valent tous, vous le .voyez, ces coupe-jarrets parvenus et ces brigands de vieille race, - Brandebourg et Lorraine, Bonaparte et Romanolf! En 1830 et en 1831, la Pologne subit l'acte le plus effroyable peut-être et, à coup.sûr, le plus éclatant de son martyre. Seule, toujours seule ! toujours abandonnée à elle-même ! La France en •

était déjà à sa deuxième ou troisième déception révolutionnaire ; . !nr son cœur généreux, le lourd soulier ferré cle l'aristocratie bourgeoise ne pesait pas moins qu'autrefois le talon rouge des ducs et pairs. En 1846, encore un effort titanique, et, cette fois, le dernier attentat à sa nationalité, -le ,dernier coup, le coup suprême, comme pensaient et disaient les puissances ...... Mais non, non, les puissances ont menti!! La Pologne vit toujours; le czar de Russie, l'empereur apo'Stoli<juet leur comparse de Prusse ont beau la poursuivre dans ses institutions, dans ses mœurs, dans sa langue, dans !es tr:iditions les plus chères, dans ses appellations les plus douces: 1·ienn'y fait, ni la Sibérie, ni le Spielberg, ni les confiscations, ni les tit1pplices! rien, ni les espions et les empereurs! ni les bourreaux et les prêtres! La Pologne vit toujours dans l'héroïsme de ses populations indomptables; elle vit dans les ardentes sympathies de l'Europe: j'en appelle aux écrivains qui m'écoutent! avec quelle émotion nous le prononcions tous, ce saint nom de Pologne! avec quelle émotion il était accueilli! Banquo, le Banquo de Varsovie et de Praga, se convie lui-même à toutes les orgies impérbles, et, comme dans le drame immortel du plus grand de poètes anglais, l'avenir est promis à ses enfants. La tache de sang 1'élargit chaque jour davantage aux mains des Macbeth, et rien ne l',m pourra faire disparaître, car elle marque la place où doit tomber le châtiment. Et ce châtiment, citoyens, qui oserait dire qu'il n'a pas commencé déjà? Vous avez entendu les premiers coup~ de canon de la guerre sacrée des Ttircs contre les Russes i regardez à ces rives du Danube, 011 le colosse a montré enfin ses pieds d'argile! pour le Czar de Russie, comme pour ces rois de l'ancienne Asie dont le nom se retrouve dans le titre abhorré qu'il porte, la terre a toujours des déserts qui dévorent les légions, des mers qui les engloutissent, de formidables contagions qui lt-s emportent, des plaines fatales qui boivent leur sang. ~ncore quelques mois, - quelque1o jours peut-être, - et tu pourras reprendre ton épée, ô Pologne ! Tu pourras reprendre la tienne, fière et vaillante Hongrie! Voui. vous relevcrez aussi, vieille et noble Italie, vigoureuses populations d'Espagne et d'Allemagne! Vous serez !outes vengées comme la France! C.omme la France ...... mais, puisque le nom de la Franee arrive sur mes lèvres, permettez- moi de m'y arrêter un moment. Certes, la France est ma-intenant bien humili~e, bien abaissée. La France de .Marat et de Robespierre souillée par ce Bonaparte! La Fraüce de Couthon et de Saint-Just livrée comme une proie aux Baroche et aux Persigny! A la place de la Convention nationale, ce vil corps législatif; cet imbécile sénat, tout bariolé de soie, d'or et de honte! A la place des volontaires de 1792, de hideux soudards, qui foulent sous leurs pieds la Patrie, dans la boue et le sang, des soudards ivres qu'on a injustement comparés. aux prétoriens et aux janissaires, car, vraiment, c'était calomnier les janissaires et les prétoriens! A la place de la loi, de la pudeur publique, de la religion, d'infâmes magistrats, des courtisanes effrontées, d'exécrables prêtres qui se vautrent dans une longue SaintBarthélemy d'idées et de principes! Quel spectacle! mais qu'importe? c'est toujours la France! Citoyens, il y a une voix qui domine tous les mensonges officiels, la voix de l'histoire pour laquelle il n'est pas de baillo_n. Qui pourrait ,ne pas l'entendre, quand elle dit: Je m'appelle 1789, 1793, et j'ai brisé d'un seul coup <jUatorze siècle~ de tyrannie royale, d'intquités sacerdotales et d'insolence aristocratique ! Je m'appelle 1830 et j'ai jeté à l'égoût la dernière goutte de la Sainte-Ampoule, le dernier oripeau du droit divin ! Je m'appelle 1848, et je n'ai eu qu'il souffler sur la fiction cle la monarchie constitutionelle pour qu'elle s'évanouît aussitôt et fît place à la seule rêalité vivante, la République démocratique et social~. Je m'appell~ 1848,j'ai promis au monde la Liberté, !'Egalité, le règne de la Fraternité. Et je tiendrai ma parole, car, demain encore, je serai la France, la France de la complète régénération sociale, par l'idée, par !'amour, par le travail, la France de l'Europe, la France de l'Humanité! Je ne serai plus seulement ce que j'ai été jusqu'ici, aux enthousiastes acclamations de la terre, je ne serai plus seulement le Peuple initiateur, mais bien encore l' infatigable ouvrier du progrès incessant, l'ouvrier toujours debout et toujoms agissant jusqu'au triomphe de la République universelle! Citoyens, nous n'avons pas comme les rois condamnés des civilisations antiques, à regarder aux murs de la salle, pour y lire des paroles fatidiques. Non, car Dieu et l'humanité sont pour nous: c'est dans notre cœur que nous entendons les prophétique~ promesses, avec les encouragemens de nos héros et de nos martyrs, Kosciuszko, Bathyani, Bandiera, Robert Blum, Robespierre, Marat, Saint-Just, Dussoubs, Charles Baudin! N'en doutez pas, ils assistent comme nous à cette comm_émorationpieuse, mais ils sont complètement rassurés, eux, car les immenses perspectives de l'avenir leur sont ouvertes, dans l'ordre infini de la justice satisfaite et de la morale vengée. Citoyens, nous communions aujourd'hui dans l'affliction et l'espérance: nos Patries, elles,-et nous serons de la fête, car elle est prochaine,-communieront dans les joies du triomphe définitif: A la persévé-rance dans l'exil et dans la lutte! Al'éternelle union des Peuples clans la Républiqne démocratique et sociale, universelle! • L'éloquent exposé qu'on vient de lire est, à la fois, une page, une· belle page de l'histoire de Pologne, et, le saint appel à tous les proscrits, pour l'implacable persévérnnce des martyrs contre le crime, quelles que soient les douleurs. La parole du citoyen Xavier Durrieu a fait une grande impression sur l'assemblée. Voici, maintenant, un autre côté de la grande question révolutionnaire : c'est le citoyen Colfavru qui parle C11·0YCNS, A travers ces dates funèbres et glorieuses (l'orateur indique du geste les inscriptions des grands mouvements révolutionnaires européens), drapeau de la révolutionhumaine dans ses énergiqnes étapes vers la liberté, je salue l'inévitable avenir, et le saint héritage, par nous défendu, des grandes guerres et des fécondes traclitions du progrès. Dans ces dates, il nous faut lire la protestation univer~elle des martyrs de la civilisation contre toutes les formes qui out incarné Je despotisme dans ce monde, contre les formes politiques, symbole de la force dan~ son œuvrn de négation et de mort, contre les formes religieuses, symbole d'ignorance et rempart d'immobilité, opposé par le génie du mal aux €!ans de la conscience, aux conquêtes de la science, à la suprématie dti"travail dans l'égalité. Oui, quand ces générations qui ont passé sur la terre, en nous léguant l'immortel exemple de lu lutte inégale du droit contre le privilège, quand ces générations, dis-je, se levaient en armes dans tel ou tel coin obscm de cette vieille Europe, patrie décrépite de l'autoritê catholique, elles attestaient pour l'avenir que le dn,it, dégagé dans l'intelligence de l'homme et clans son cœur, n'attend pas le signal des opportunités, et .que sa légitimité éclate comma la foudre,réservant à l'histoire la vengeance et le succès. Les bouneaux, elles les ont signalées : Despote et Prttre, autorité politique, autorité religieuse, et toutes s'en ~ont allées à à travers le sang et la mort, formulant la pensée, et la pratique relative de la pe,nséerévolutionnaire, selon qu'il avait été donné leurs époques respectives de lire plus nettement dans le livre des droits impérissables de l'humanité. Aussi, quand nous sommes réunis pour célébrer l'anniversaire de la lutte héroïque de la Pologne, combattant il y a ving·t-deux ans, pour cette chose devenue aujourd'hui si étroite, pour l'indépendance de sa nationalité, nous sentons bien qu'elle s'est jetée, cette nationalité mutilée et sanglante, dans le sein de ce grand être qui sent la pent consoler et reconstituer, l'humanité, qui ne connaît pas les nations et les peuples, parce qu'elle ne connaît ni frontières, ni roi. La Pologne, clans son exil sur le sol révolutionnaire de France, a appris par notre solennelle abdication de ce privilège qui sera le dernier, je veux parler de ce titre de 11atio11 française, que nous ne reconnaissons plus ni castes, ni ra·ces, ·ni gouvernement politique, ni rien qui soit autre chose que l'ltommP, membre libre, indépendant, égal et solidaire de la grande collectivité, le genre humain. Mais pour que dans cette suprême guerre de notre époque le grand appel aux armes éveille tous. les cœurs engourdi!i, toutes les énergies silencieuses et mornes, i1 ·faut que les peuples ne soient plus trompés par ces programmes d'indépendance du passé qui ne masquaient pom eux que même misère, même ig11orance, même ab_andon,même tyrannie, même exclusi_ondu grand banquet_ des êtres lilires et hemeux. - L'indépendahcé des peuples, ce n'est plus telle ou telle forme politique, telle ou telle philosophie ·spéculative; ce n'est plus telle ou telle mesure hypocrite de l'exerçice des droits expliqués et indéterminés; l'indépendance, cc n'est plus la substitution de tels hommes à tels autres, à ce gouvernail implacable et fatalement liberticide qu'on appelle le gouvernement; l'indépendance, ce n'est. plus ce v:unpire officiel qu'on appelle la religion, et qui, dans un blasphême infâme, fait river sa chaîne aux pieds et aux mains de l'invi?labilité humaine par je ne sais quel Dieu féroce, instrument de fortune et d'oppression, qui ne manque jamais à la dis~rétion de ce grand affamé de consciences et de richesses, le clergé. . _ L'indépeRclance des peuples, cellè que nous devons conquérir, .si nous ne voulons point tomber misérablement clans la malédiction du sang versé et non satisfait, si nous ne voulons point porter le remords de l'âme révolutionnaire ile l'humanité outragée et trahie, cette indépendance, c'est celle qui a pour base et pour loi le droit il la fois personnel et imper$onnel, le Travail. - Le travail qui, appuyé sur l'intelligence, la morale et le bras, se mesuré désormais non plus par la main du privilège politique, usnrier et religieux, mais par cette féconde justice, !'Egalité; - le travail qui rapporte fidèlement à sa source toute richesse, P.tqui restitue à chacun de ses fonctionnaires· cette vie due à tous, bienêtre matériel, instruction, sciences, arts, dans une répartition qui ne sera inépuisable que du jour où la solidarité sera son principe. Richesse privilégiée de quelques-uns, misère fatale du plus grand nombre par suite de la violation de la sainte loi du travail et de de l'égalité, voilà l'ennemi, voilà le despotisme. - Vous savez quelle est l'arme invincible que prépare contre lui l'immense développement de l'industrie de notre époque; la force des choses vient à no us et chaque jour nous investit de la puissance nécessaire à l'accomplissement d'une tâche que nulle autre n'a dépassé en grandeur, la liberté humaine, la destinée vraie' de l'homme à fonder par h révolution universelle. Révolution universelle! je te salue, mais que tes soldats soient nouve:rnx comme la conquête que nous avons à faire est chose nouvelle ! C'est le travail qui va faire la grande guerre, à lui, coqtre tout ce qui ne porte point le caractère de sa légitimité et de _saforce. -:- Que tous ces soldats du droit qui vont, de patries diverses, se rencontrer sur le champ de bataille universel, se reconnaissent au signe qui révèle aujourd'hui encore leur immense fraternité de souffrance et de misère, qui révèlera demain leur fraternité de triomphe, de richesse et de gloire. - Quand chaque main cherchera pour la serrer une autre main, clans la dernière veille des armes, qu'elle dise, dans son étreinte dure et calleuse, que c'est le vrai foyer, la vraie famille~ l'incontestable richesse, c'est-à~dire, le foyer, la famille, la richesse du travailleur devenu J.omme enfin, que va conquérir et sceller le sang offert au progrès clans ce combat pieux cle la revendication. Le travail seul pèut sauver cette société qui agonise sous lepied des despotes et sous l'abrutissant mensonge du prêtre. Il a tué, dans la gigantesque société polythéistique, l'empire romain: il a tué ceux qui l'avaient déshonoré et dévoré jusqu'au dernier foyer de sa vie.-Le travailleur de ce temps, l'esclave épuisé a refusé de vivre après avoir témoigné, protesté par tant de richesse, et dans cett.~ immense mortalité de l'e~clavage, dernière et sinistre lueur du règne de la force et de l'abus, le travail a entraîné ses ravisseurs et ses bourreaux, laissant comme malédiction et comme vengeance, la mort aux privilégiés du monde romain, et l'histoire aux générations qu'attendait la vie. A nous ces· titres, à nous qui voulons venger le droit, non plus en nous couchant pour mourir snr nos chaînes, mais en les brisant et en les agitant par le travail sur le monde, comme un témoignage immortel de justice et de lihertf ! Oui, la Révoll!tion universelle, la Révolution clespeuples, la Révolution sociale, la République humaine est avec nous; oui, sa tradition est là, devant mes yeux, dans cette histoire de cent combats, d'innombrables mart,trs, de vaillants efforts. Mais elle est là, parce que nous avons conscienca de sa loi, parce que nous aussi, nous avons notre foi, parce que nous aussi nous avons notre lien sacré et invincible, la Liberté et !'Egalité, filles du Travail, filles de l'âme humaine dans le développement protégé, aidé, par la solidarité effêctive de tous les droits, de tous les intérêts, parce, que nous avons répudié les erreurs désastreuses dont l'ombre seule, croyez-le, pèse encore sur le mol1de, parce qu'à l'autorité nous avons trouvé son remède, la Liberté; au privilège, !'Egalité; à la division des intérêts, la Solidarité, 1 toutes ces conséquences enfin que le déshérité de la société actuelle appelle dans sa conscience sombre et inquiète, le Travail clans le Droit ! Cette parole, comme on le voit, revendique la plus grande légitimité sociale de ce temps et de tous les temps, la constitution du travail daus ses droits : c'est un grave problème sur leqùel beaucoup de têtes sont penchées et qu'il faudra résoudre, comme l'indépendance des patries qui restP,ront saintes jusqu'au dernier et grand affranchissemenL Après le citoyen Co1favru, Victor Hugo, dont la parole ne déserte jamais le devoir, se lève et dit : CITOYENS, PROSCRITS, MES FRÈRES! <Fout marche, tout avarice, tout approche, et, je vous le dis avec une joie profonde, déjà se font jour et deviennent visibles les symptômes précurseurs du grand avénement. Oui, réjouissez-vous, proscrits de toutes les nations, 01i, pour mieux dire, proscrits de la o-rande nation unique, de cette nation qui sera le genre humain et tui s'appelera République universelle! - Réjouissez- vous; l'an dernier, J}OUS ne pouvions qu'invoquer l'espérance: cette année, nous pouvons presque attester la réalité. L'an dernier, à pareille époque, à vareil jour, nous nous bornions à dire: J• Idée resfüscitera. Cette année nous pouvons dire: I' fdée ressuscite,! . Et comment ressuscite-t-elle? de quelle façon? par qui/ c'est là ce qu'il faut admirer. Citoyens, il y a en Europe un homme qui pèse sur l'Europe-; • qui est tout ensemble prince spirituel, seigneur temporel, despote·-,• autocrate, obéi dans la caserne, adoré dans le monastère, chef de la consigne et du dogme, et qui met en mouvement pour l'écrasement des libertés du continent, un empire de la force de soixante millions d'hommes. Ces soixante millions d'hommes, il les tient dans sa main, non comme des hommes, mais comme des brutes ; non comme des esprits, mais comme des outils. En sa double qualité ecclésiastique et militaire, il met un uniforme à leurs âme1o1 comme à leurs corps ; il dit: marchez! et il faut marcher ; il dit: croyez! et il faut croire. Cet homme s'appelle en politique l' Absolu et en religion !'Orthodoxe; il est l'expression suprf-me de la toute puissance humaine; il torture, comme bon lui semble, des peuples entiers ; il n'a qu'à faire un signe, et il Je fait, pour vider la Pologne dans la Sibérie ; il croise, mêle, et noue tous les fils de la grande conspiration des princes contre les hommes ; il a étl: à Rome, et, lui pape grec, il a donné le baiser d'alliance au pape latin ; il règne à Vienne, à Munich, à Dresde, à- Stutgardt, ~ Vienne; comme à St.-Pétersbourg ; il est l'âme de !~empereur d'Autriche et la volonté du roi de Prusse ; la vieille Allemagne n'est plus que sa remorque. Cet homme est quelque chose qui ressemble à l'ancien roi des rois, c'est l' Agamemnon de cette guerre de Troie que les hommes du passé font aux hommes de l'avenir; c'est la menace sauvage de l'ombre à la lumière, du Nord au Midi. Je viens de vous le dire, et je résume d'un mot ce monstre de l'omnipotence: empereur comme Charles-Quint, pape _comme Grégoire vu, il tient dans ses mains une croixqui ;.e termine en glaive, et 1111 sceptre qui se termine en knout. Ce prince, ce souverain, puisque les peuples permettent à dee hommes de prendre ce nom, ce Nicolas de Russie est à cette heure l'homme véritable dn despotisme. Il en est la tête ; Loui~ Bonaparte n'en n'est que le masque. Dans ce ~ilemme qui a toute la rigueur d'un décret du de~tin : Europe républicaine ou Europe Cosaque, c'est Nicolas de Russie qtù incarne l'Europe cosaque. Nicolas de Russie est le vis-à-vis de la Révolution. • Citoyens, c'est ici qu'il faut se recueillir. Les choses nécessaire& arrivent toujours ; mais par quelle voie? c'est là ce qui est admirable, et j'appelle sur ceci votre attention. Nicolas de Russie semblait avoir triomphé; le despotisme, -vieil édifice restauré, dominait de nouveau l'Europe, plus solide -en apparence que jamais, avec le meurtre de dix nations pour hase et le crime de Bonaparte pour couronnement. La France que le grand poète anglaîs, Shahpeare, appelle le soldat de Disu, la France était i terre, désarmée, garrottée, vaincue. Il paraissait ,qu'il n'y avait plus qu'à jouir de la victoire. Mais depuis Pierre, les Czars ont deux pensées: l'absolutisme et la conquête. La première s:itisfaite, Nicolas a songé à la seconde. Il avait à côté de lui, à ·son ombre, j'ai presqu1; dit à ses pieds, un prince amoindri, un empire vieillissant, un peuple affaibli par son peu d'adhfrence à la civilisation europl!enne. Il s'est dit: c'est le moment ; et il a étendu son bras vers Constantinople, et il a. allongé sa serre vers cette proie. Oubliant toute dignité, to1,1te pudeur, tout respect de lui-même et d'autrui, il a montré brusquement à l'Europe les plus cyniques nudités de l'ambition. Lui, colosse, il s'est acharné sur une ruine, il s'est rué sur ce qui tombait, et il s'est dit avec joie : prenons Constantinople; c'est -facile, injuste et utile. Citoyens, qu'est-il arrivé? Le sultan s'est dressé. Nicolas, par sa ruse et sa violence, s'est donné po'ur adversaire le désespoir, cette grande force. La révolution, foudre endormie, était là. Or, - écoutez ceci, car c'est grand: -il s'est trouvé que froissé, humilié, navré, poussé à bout, ce Turc, ce prince chétif, ce prince débile, ce moribond, ce fantôme sur lequel le czar n'avait qu'à souffler, ce petit- sultan, so11ffleté par Mentschitkoff et cravaché par Gortzchakotf, s'est jeté sur la foudre et l'a saisie. Et maintenant il la tient, il la secoue au-dessus de sa tllte, et les rôles sont changés, et voici Nicolas qui tremble! - et voici les trônes qui s'émeuvent, et voici les ambassadeurs d'Autriche et de Prusse qui s'en vont de Constantinople, et voici les légions polonaise, hongroise et italienne qui se forment, et voici la Roumanie, la Transylvanie, la Hongrie qui frémissent, voici la Circassie qui se lève, voici la Pologne <jUifrissonne, car tous, peuples et rois, ont reconnu cette chose éclatimte <jui flamboie et qui rayonne à l'Orient, et ils savent bien que -~equi brille en ce moment dans la main désespérée de la Turquie, ce n'est pas le vieux sabre ébrèché d'Othman, c'est l'éclair splendide des révolutions! Oui, citoyens, c'est la révolution qui vient de passer le -Danube ! Le Rhin, le Tibre, la Vistule et la Seine en ont tressailli. Proscrits, combattants de toutes les dates, martyrs de toute& les luttes, battez des mains à cet ébranlement immense qui commence à peine et que rien maintenant n'arrêtera. Toutes les nations qu'on croyait mortes dressent la tête en ce moment. Réveil des peuples, réveil de lions. Cette guerre a éclaté au sujet d'un sépulcrn dont tout le monde voulait les clefs! Quel sépulcre et quelles clefs? C'est là ce que les rois ignorent. Citoyens, ce sépulcre, c'est la grande tombe où est enfermée la République, déjà debout dans les ténèbres et toute prête à sortir. Et ces clefs, qui ouvriront ce sépulcre, daus quelle.!! mains tomber01,t-elles? Amis, ce sont les rois qui se les disputent, mais c'est le peuple qui les aura. C'est fini. J'y insiste, désormais les négociations, les notes, les protocoles, les ultimatum, les armistices, les plâtrages de paix eux-mêmes, n'y peuvent rien. Ce qui est fait est fait. Ce qui est entamé s'achèvera. Le sultan, dans son désespoir, a saisi la révolution, et la révolution le tient. Il ne dépend pas de lui-même à présent de se délivrer de l'aide redoutable qu'il s'est donnée. Il le voudrait qu'il ne le pourrait. Quand un homme prend nn archange pour auxiliaire, l'archange l'empone sur ses ailes. Chose frappante! il est peut être dans la destinée du sultan de faire crouler tous les trônes. (Une voix: y compris le sien). Et cette œuvre à lariuelle on contraint le sultan, ce sera le czar qui l'aura provoquée! Cet écroulement des trônes, d'où sortira la confédération des Peuples-Unis, ce sera le czar, je ne dirai pas qui l'aura voulu, mais qui l'aura causé. L'Europe cosaque aura fait surgir l'Europe répnblicaine. A l'heure qn,I est, citoyens, le grand révoJ-utionnaire de l'Europe, c'est Nicolas de Russie. N'avais-je pas raison de vous dire : admirez de quelle façon la Provid1mce s'y prend ! Oui, la Providence nous emporte vers l'avenir à travers l'ombre. Regardez, écoutez, est-ce que vraiment vous ne voyez pas q~e le mouvement de tout commence à devenir formidable? Le sinistre sabbat de l'absolutisme passe comme une vision de nuit. Les rangées de gibets chancellent à l'horizon, les cimetières entrevus paraissent et disparaissent, les fosses où sont les martyrs se soulèvent, tout se hâte dans ce tourbillon de ténèbres. Il sem.. hie qu'on entend ce cri mystérieux : Hourrah ! hourrah l les roi11 ,·ont vite! Proscrits, attendons l'heure, elle va bientôt sonner, préparonsnous. Elle va sonner pour les nations, elle va sonner pour nousmêmes. Alors, pas un cœur ne faiblira. Alors nous sortiron&, nous aussi, de cette tombe qu'on appelle l'exil; nous agiterons tous les s:inglants et sacrés souvenirs, et, dans les dernières profondeurs, les masses se lèveront contre les· despotes, et le droit et la justice et le progrès vaincront; car le plus auguste et le plus

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