QUELQUES LIVRES vus doit peu à peu découvrir son jeu qui le rend suspect aux uns, odieux aux autres. Il se heurte à une hostilité quasi générale dans les milieux socialistes. Rosa Luxembourg le met à la porte, comme fera bientôt Lénine en Suisse où Parvus poursuit sans succès ses manœuvres. « La probabilité que Lénine voyait en Parvus un rival à la direction du mouvement révolutionnaire » (p. 158 de la biographie) est une supposition trop absurde pour mériter controverse. Elle montre l'incompréhension de nos deux auteurs devant les dramatis personae qu'ils fourrent dans le même sac nonobstant les différences, les incompatibilités, les antagorusmes. Afin de se donner une façade en pays neutre, Parvus crée à Copenhague un Institut d'études économiques pour lequel il avait recruté en Suisse quatre Russes innocents et disponibles. Là Boukharine, conseillé par Lénine, refuse d'y participer, tandis qu'Ouritski, ex-menchévik, accepte sans soupçonner les intentions du patron. Outre son Institut, Parvus entreprend des affaires lucratives entre l'Allemagne, les pays scandinaves et la Russie : il fonde à cet effet une société commerciale, s'entend avec Ganetski qui engage Kozlovski, socialistes polonais sans emploi, proches des bolchéviks. La Russie en guerre avait grand besoin de tout ce que l'Allemagne pouvait fournir, notamment de matériel médical et chirurgical ; un trafic fructueux passait par la Suède et la Finlande ; les bénéfices étaient substantiels (sans parler ici, pour simplifier, d'autres affaires d'importexport). Telle est l'origine du scandale de juillet 1917, quand les télégrammes interceptés par les autorités de Pétrograd furent interprétés comme décelant des envois d'argent à des fins politiques sou:; un camouflage de transactions commerciales. De plus, en 1915, Parvus lance à Munich sa revue Die Glocke ( La Cloche) non seulement pour prêcher « la révolution en Russie », mais pour « alerter les socialistes européens contre le régime tsariste et préparer une grève politique en masse en Russie » : motivation burlesque, car personne en Russie ni en Europe occidentale ne lisait Die Glocke (sauf Lénine à Berne ... ) et une grève de masse en Russie ne dépendait pas d'une clochette allemande inaudible. Il est clair que Parvus racontait à ses bailleurs de fonds des histoires à dormir debout, mais MM. Zeman et Scharlau les enregistrent avec complaisance, sans le moindre esprit critique. Il saute aux yeux que les activités débordantes de Parvus, dont nous ne pouvons donner que peu d'exemples à moins d'allonger BibliotecaGino Bianco démesurément cet article, exigeaient un nombreux personnel et dévoraient beaucoup de ressources. Si les fournitures de guerre rendaient de gros bénéfices, l'Institut et la revue n'existaient qu'à fonds perdus. D'après un rapport allemand (p. 164 de la biographie), il y avait huit employés à Copenhague et dix voyageurs ou courriers « qui ne comprenaient pas que notre gouvernement était derrière tout cela ». Comment discerner l'empl<;>di es subventions gouvernementales et celui des caisses de Parvus ? Les imprécisions se succèdent et s'accumulent au point que surgissent de plus en plus de questions sans réponse, d'autant que Parvus n'a pas légué beaucoup de pièces comptables à la postérité ... Finalement on peut se demander combien de kopeks ont atteint en Russie les « centres révolutionnaires » hypothétiques. (Parvus menait grand train de vie, voyages confortables, hôtels de luxe, femmes blondes et coûteuses). MM. Zeman et Scharlau n'ont pas l'air de comprendre qu'ils se contredisent en écrivant : « Les groupes bolchéviks en Russie ne prenaient pas part aux activités d'Helphand. Leur coopération dépendait du consentement de Lénine, et leur leader ne l'a jamais donné. L'organisation bolchévique clandestine était si affaiblie par la guerre qu'elle n'était guère en mesure de mener une action effective. Leur comité de St-Pétersbourg, par exemple, n'a jamais eu plus de huit à dix membres ... » Alors à quoi rime tout ce qui précède cette remarque, confirmant ce que Zinoviev a écrit dans son Histoire du Parti et ce que Mo lotov a dit dans un entretien avec Djilas ? L'argent et les brochures de Parvus, if any, n'auraient trouvé presque personne à Pétrograd pour en faire usage. * * * Le fameux scandale consécutif aux « journées de Juillet » posait la question suivante : les télégrammes échangés entre Ganetski et Kozlovski, d'une part, et Eugénie Sumenson (représentant la firme Nestlé à Pétrograd), d'autre part, relatifs à des mouvements de fonds, masquaient-ils des subventions aux bolchéviks ? Les dénégations de Lénine, de Ganetski et de Kozlovski ne convainquent pas leurs détracteurs qui citent volontiers deux lettres de Lénine publiées à Moscou : l'une à Ganetski se plaint de non-réception d'argent promis, l'autre à Kozlovski accuse réception de 2 .000 roubles. La publication de ces lettres par les communistes et la modicité de la somme prouvent qu'il s'agissait là de contributions personnelles : Ganetski et Kozlovski étaient bien libres de
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