QUELQUES LIVRES en tant qu'agents soudoyés par l'état-major allemand. Il s'agit de 69 pseudo-documents achetés à Pétrograd par Edgar Sisson, représentant spécial en Russie du « Committee on Public Information » de Washington, transmis à George Creel (président de ce Comité) qui les communiqua au département des Etudes historiques, lequel désigna deux experts pour !es authentifier, après publication sensationnelle dans la presse américaine et internationale. Les experts, illettrés en la matière, de même que MM. Creel et Sisson, de même que les occupants de la Maison Blanche et du State Department, jugèrent les documents authentiques. Or c'est un tissu de mensonges grossiers et d'imbécillités innommables, que nous avons dénoncé comme tel à l'époque et, de nouveau, dans le livre sur Staline déjà mentionné, cette fois avec l'avis de Thomas G. Masaryk à l'appui. Ce fut l'objet d'une édition officielle qui ne fait pas honneur à l'administration américaine : The German-Bolshevik Conspiracy ( « War Information Series », n° 20, Washington 1918). Il en existe une version française 2 • Le dernier mot sur cette entreprise de faussaires a été dit par M. George Kennan qui, dans une étude magistrale sur The Sisson Documents, menée avec sa compétence d'historien et sa probité intellectuelle, n'a rien laissé subsister de cette Conspiracy de méchant mélodrame (The Journal of Modern History, vol. XXVIII, 1956. The University of Chicago Press). Ayant minutieusement analysé les textes sous tous leurs aspects et démontré leur invraisemblance, M. George Kennan a même repéré le faussaire principal en la personne de F. A. Ossendowski, individu sans aveu dont la réputation d'escroc est établie de longue date. (Ce menteur professionnel a commis jadis des livres dégoûtants, un sur Lénine notamment que nous avons exécuté en cinq lignes dans la Critique sociale, n° 7 de janvier 1933.) On est en droit de penser que sans la réfutation irréfutable de M. George Kennan, les « documents » Sisson pèseraient encore sur les commentaires relatifs à l'influence de l'argent allemand sur la révolution russe. En tout cas, une remarque s'impose avec force : si les révélations de Juillet avaient paru probantes, il n'eût pas été nécessaire d'en forger ensuite de toutes 2. Le Complot Germano-Bolchéviste. 70 documents sur les relations des chefs bolchévistes avec l'armée, la grosse industrie et la finance allemandes, publiés par le Comité <l'Information publique des Etats-Unis d'Amérique. Paris, 1920. Editions Bossard, 175 pp. BibliotecaGino Bianco 275 pièces pour les rendre publiques l'année suivante. * * * Avec le premier ouvrage de M. Zeman, on se trouve en présence de documents authentiques autorisant une discussion sérieuse, tirés des archives de la Wilhelmstrasse, inévitablement choisis selon les critères du glossateur dont la bonne foi n'est pas en cause, mais dont l'optique est contestable : il fait trop abstraction non seulement des conditions générales du moment, mais du bolchévisme en tant que corps de doctrines, qu'organisation et méthodes, il méconnaît souvent les hommes, leur psychologie, leur passé, leurs rapports, il semble croire enfin que l'argent est « la mesure de toutes choses ». Ce qui apparaîtra au cours de l'examen qui va suivre. Un de ces documents, considéré comme capital, avait d'abord été publié et commenté à Londres dans International Affairs (vol. 32, n° 2, April 1956) par M. George Katkov et nous l'avons commenté à notre tour dans la présente revue : « Un point d'histoire » (n ° 1, janvier 1958 ). C'est un message de von Kühlmann, ministre des Affaires étrangères, en date du 3 décembre 1917 et destiné au Kaiser. Un mois après l'insurrection d'Octobre, le ministre se fait valoir (pour la première fois, semblet-il ? ) auprès de son souverain en attribuant à sa diplomatie une « activité subversive » menée en Russie, « en premier lieu une impulsion aux tendances séparatistes et un appui aux bolchéviks ». Et il souligne : « Ce n'est pas avant d'avoir reçu de nous un apport constant de fonds par divers canaux et sous des étiquettes variées que les bolchéviks ont pu donner de l'impulsion à leur principal organe, Pravda, n1ener une propagande énergique et élargir sensiblement la base initialement étroite de leur parti. » Quel crédit mérite ce document et que peut-on en inférer ? Doit-on a priori accorder confiance à Kühlmann, qui a intérêt à se faire valoir et qui, au surplus, est réputé menteur, notamment par Sir Lewis Namier (Avenues of History, London 1952) ? Pourquoi a-t-il attendu décembre 1917 pour rendre compte au Kaiser ? Quels furent ces « divers canaux » et ces « étiquettes variées » qui sous-entendent des camouflages, donc l'ignorance des bénéficiaires quant aux sources du pactole, et qui a reçu, utilisé les fonds ? (Sur ce dernier point, voir plus loin.) En tout cas, il est faux que IJ
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