274 Dans !'Introduction du recueil d'archives, M. Zeman reconnaît que « parmi les documents du ministère des Affaires étrangères [ allemand], rien ne prouve que Lénine, homme circonspect, ait été en contact direct avec aucune des institutions allemandes officielles. Dans quelle mesure savait-il les activités d'hommes proches de lui, c'est difficile à dire. Ganetski, alias Fürstenberg, et Radek, tous deux sujets austro-hongrois officiellement, ont eu comme Helphand des contacts avec les Allemands. Mais même à propos de Radek et de Fürstenberg (...), on ne peut pas dire qu'ils avaient à cœur les intérêts du gouvernement impérial allemand. Leur but était la révolution socialiste. Pour l'accomplir et la prolonger, ils étaient prêts à user de tous les moyens ». Telle est la conviction de M. Zeman, telle sera la tendance des deux auteurs : Lénine s'est tenu prudemment à l'écart, on ne sait trop s'il était informé des agissements de ses acolytes qui, eux, ont fréquenté « les Allemands », non pour l'amour du Kaiser, mais pour servir la cause du socialisme. Il y a là un certain progrès sur ce qu'il avait fallu lire et entendre depuis 1917 : Lénine et Trotski agents, voire « espions » à la solde de l'Allemagne, envoyés en Russie par Ludendorff en wagon plombé pour propager le défaitisme et conclure une paix à tout prix au détriment de leur pays et au plus grand avantage des Empires centraux, etc. Toute cette diffamation a fait son temps, sauf peut-être pour quelques fanatiques obstinés dans leur parti pris et pou~ des plumitifs sans scrupules. Mais la vérité historique reste encore incertaine aux yeux des profanes puisque des auteurs consciencieux, ayant posé des points d'interrogation et exposé des doutes qui persistent, croient encore à l'influence décisive de l'argent allemand dont le poids, en 1917 et même en 1918, aurait fait pencher la balance en faveur des bolchéviks, assuré leur victoire définitive. A l'occasion du 40e anniversaire d'Octobre, A. Kérenski écrivait dans Est et Ouest (n ° 182, novembre 1957) : « Je suis obligé de dire que Lénine n'était pas un agent allemand. Pour lui, la haute trahison n'était qu'une " forme de la transaction politique ", comme il écrivait luimême le 31 janvier 1917 à un autre sujet et en parlant d'autres personnes. » Observons que l'expression de Lénine citée par Kérenski ne s'applique absolument pas en l'espèce ; ce serait facile à prouver en donnant le contexte, mais passons. L'essentiel est que Kérenski renonce à l'accusation d'espionnage portée contre Lénine et Trotski en juillet 1917, sous son gouverneBibliotecaGino Bianco LE CONTRAT SOCIAL ment, après les émeutes de Pétrograd attribuées à l'initiative du parti bolchévik. En fait, cette imputation relative aux émeutes était injustifiée, MM. Zeman et Scharlau se trompent complètement en la reprenant à leur compte. A cette date, Lénine et C1 e n'avaient pas l'illusion de s'emparer du pouvoir, ce serait facile aussi à prouver documentairement, mais il faut ici schématiser. Qu'il suffise de rappeler qu'en octobre-novembre 1917, Lénine s'est donné beaucoup de mal pour convaincre son Comité central, hésitant et divisé, de passer à l'insurrection (les textes sont là). Comment aurait-il pu l'envisager, la risquer, en juillet ? Hypothèse insoutenable. Les émeutes de juillet furent suivies d'une campagne retentissante de dénonciation des bolchéviks taxés non seulement de vénalité, ~ mais d'espionnage, par le Gouvernement provisoire, à l'appui de quoi étaient révélés une trentaine de télégrammes échangés entre Stockholm et Pétrograd et ayant trait à des mouvements de fonds, pièces à conviction interceptées par le contre-espionnage qui décelait, sous le couvert d'opérations commerciales, l'envoi de subsides à des fins subversives 1 • Le scandale fut énorme en Russie et les échos s'en prolongèrent dans le monde entier. Les bolchéviks ne manquaient pas d'ennemis influents pour en tirer profit. Ils se justifièrent en déniant l'interprétation, selon eux tendancieuse, conférée aux télégrammes compromettants, et en exigeant une enquête impartiale, tandis que Lénine se réfugiait en Finlande. Un non-sens saute aux yeux : la propagande défaitiste est une chose la tentative d'insurrection en est une autre et l'espionnage en est une troisième, incompatible avec les deux précédentes, ce qui ne rendait pas l'affaire convaincante. En outre, un faussaire notoire, G. Al9Cinski, s'en mêlait et la rendait suspecte. Tant et si bien que les autorités abandonnèrent les poursuites, sans dissiper pour autant le discrédit qui entachait les bolchéviks dans les milieux résolument hostiles à leur ligne de conduite. Notons que Paul Milioukov lui-même n'y fait pas allusion dans ses Mémoires. Que doit-on penser, après coup et sans passion, de ces tractations financières qui avaient motivé le scandale de juillet ? Avant d'élucider cette question, il importe d'évoquer une autre série de « documents » qui fit grand bruit en 1918 et pendant des années, tendant à déconsidérer une fois de plus les leaders bolchéviks 1. Cf. B. Nikitine : Rokovyé gody. Paris, 1937. Les Editeurs Réunis.
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