260 bisme, en revanche, s'insère partiellement dans celle de la philosophie, qui la pare d'une terminologie ésotérique ; dans celle de la politique, où le snobisme cherche quelquefois le prestige du pouvoir, mais non sa réalité ; et même dans celle des guerres, où il trouve la noble allure de l'indifférence suprême ... Le snobisme, art des attitudes, se place au centre même de l'histoire des arts. Il a toujours favorisé des artistes et encouragé les audaces de style qui inspiraient les attitudes nouvelles. On a connu des sociétés sans Eglise ou sans généraux professionnels, sans écriture ou sans arts plastiques, aucune sans snobisme. Il satisfait un besoin qui se renouvelle sans cesse. Pareil à quelques autres grands phénomènes qui jalonnent la route de l'humanité, il est inutile mais indispensable. Il aura suffi de deux guerres mondiales et de quelques révolutions et contre-révolutions pour ébranler toutes les hiérarchies et rendre douteuse leur raison d'être ; pour établir l'égalité des hommes telle qu'elle s'impose dans les situations extrêmes où rien ne les différencie, sinon les actes qu'ils choisissent ou refusent d'accomplir. Pour retirer à l'indifférence sa beauté, et aux gestes et attitudes leur gratuité (ou leur apparence) ; pour détruire le privilège des ignorances les mieux choisies, et changer en crime leur souveraine irresponsabilité. De cette conjoncture sociale qui semblait devoir le frapper à mort, le snobisme est brillamment sorti par un double jeu de mimétisme auquel correspondent les deux tendances qui le représentent avec éclat au midi de notre siècle : l'une, nous l'appellerons oudéniste : de oudèn, « rien » en arabe. (On disait, vers 1900, riendu tou tiste.) Cette tendance « de droite » se définit par des aspirations spiritualistes et esthétiques. L'autre - nous l'appellerons ontiste - se veut de gauche à l'extrême, intellectualiste et violemment aètiviste*. Le passage de l'un à l'autre est plus aisé qu'il ne semble. Ce qui les unit et les distingue toutes deux du snobisme traditionnel, c'est qu'elles substituent à l'exaltation d'un goût original la formule et la proclamation d'un dégoût dont les sources varient, mais ne tarissent pas. Ceux que ces pôles orientent ne sont éloquents que dans la dénonciation de ce qu'ils réprouvent. ~•: Autrement dit, si l'on préfère, « néantistes » pour oudénistes et « existentialistes » pour ontistes. - N.D.L.R. . BibliotecaGino Bianco DÉBATS ET RECHERCHES Les oudénistes sont très fiers de leur dégoût, nourri de la nostalgie du passé et du malheur de vivre précisén1ent au XXe siècle ; ainsi que de certaines considérations métaphysiques d'une actualité saisonnière. Leurs deux thèses principales sont : 1. La vraie civilisation est morte ; rien n'arrêtera sa décomposition ; la technique l'a tuée - ou le matérialisme, ou les sciences, ou les masses. Il n'y a plus d'avenir pour l'esprit condamné à mourir de faim ou de soif au milieu de richesses stériles. 2. La vie n'est qu'une attente encore plus vaine que longue. Rien n'arrive, rien ne se passe - que des jours emplis de néant jusqu'au bord. Néant dont on s'épuise à donner une idée aussi complète que possible dans des romans, des essais et des pièces, afin que les lecteurs et les spectateurs ne se trompent pas sur la vie qui n'est qu'une attente ... On ne saurait reprocher le manque d' originalité à ceux qui proclament que tout est décomposition, ni le vide des démonstrations à ceux qui ne veulent démontrer que la plénitude du néant. On sait depuis plus d'un siècle que les petits bourgeois ne réussissent pas à imiter l'ennui aristocratique sans l'outrer et sans le vulgariser en le théorisant. Quand les poètes décadents jouèrent la pavane d'une civilisation défunte (la nôtre), leurs voix ne couvrirent pas longtemps celle de Nietzsche, qui parlait aussi de décadence, mais offrait bien autre chose qu'une pavane funèbre. Que tout soit vanité, rien de moins nouveau. Un auteur fort ancien, l'Ecclésiaste, en a tiré un gros succès religieux, littéraire et commercial : son texte fait partie de la plus célèbre anthologie du monde. L'abondance de poncifs dans les manifestations du snobisme contemporain s'explique aisément : contre des événements qui détruisent les automatismes familiers, on cherche d'abord le rempart des automatismes périmés. (Ainsi les humoristes professionnels et les dessinateurs de mode trouvent-ils les traits de leur génie dans des fascicules que l'âge a jaunis). La comédie sociale ne se joue que dans la société hiérarchisée. Presque toutes les feintes de Julien 'Sorel seraient aujourd'hui superflues et inefficaces. L'origine de Julien ne déterminerait et n'empêcherait rien : toute couleur peut devenir atout dans une société où les échelons sont remplacés par un damier. On ne « se pousse » plus, on s'étend. Les ésotériques
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