256 Qu'est-ce au fond que ce gouvernement de la Défense nationale? Réponse de Bakounine : il n'y a plus de gouvernement en France : Celui qui se donne le titre de gouvernement de la Défense nationale n'est qu'un fantôme ridicule qui, sans effrayer et sans inquiéter les Prussiens, n'est bon qu'à paralyser les efforts du pays. Que toutes les communes non envahies encore par les hordes allemandes constituent leurs Comités du salut de la France, sur les ruines des municipalités entachées de trahison et de réaction bonapartiste ou bourgeoise, et qu'après avoir accompli cette révolution intérieure elles se fédèrent entre elles et envoient leurs délégués dans un lieu quelconque pour former la Convention du Salut de la France. Et que cette Convention élise en son sein le Comité central du salut. Ce sera le vrai, le seul gouvernement légitime de la France. Lui seul sera réel et puissant, lui seul pourra la sauver. Quant au gouvernement de la Défense nationale, n'ayant d'autres droits que ceux que le peuple de Paris lui a laissé prendre dans un moment de surprise et de détresse, il en use maintenant, sans doute par faiblesse, par vanité et par incapacité, non pour sauver, mais pour paralyser et pour perdre la France. Puis Bakounine dira pourquoi il n'accepte pas l'asservissement de la France et de l'Europe entière « sous la brutalité militairement et bureaucratiquement organisée du despotisme . prussien » : La France, cette grande nation que le sentiment de sa grandeur historique réelle avait souvent poussée à de présomptueuses et criminelles folies, mais qui, malgré ces écarts passagers et ces abus malheureux d'une puissance infatuée d'elle-même, a été considérée néanmoins jusqu'ici par le monde, et avec pleine justice, comme le chef naturel et comme l'initiateur généreux de tous les progrès humains, et de toutes les conquêtes de la liberté ; cette France dont l'histoire depuis 1789 et 1793 n'a été rien qu'une protestation énergique et qu'une lutte incessante de la lumière contre les ténèbres, du droit humain contre les mensonges du droit divin et du droit juridique, de la République démocratique sociale et universelle contre la coalition des rois et des classes exploiteuses et privilégiées, cette France à laquelle s'attachent encore aujourd'hui toutes les espérances des nations opprimées et des peuples esclaves, elle est en train de périr. Seul moyen d'empêcher ce désastre, faire la Révolution qui « soulèvera trois, quatre, cinq millions de travailleurs des campagnes et des villes » : La RÉVOLUTIO!NCette chose et ce mot bouleverseront toute l'Europe et, faisant de nouveau pâlir et trembler tous les rois et crouler tous les trônes, balayant tous les privilèges et toutes les exploitations qui pèsent aujourd'hui sur le travail, feront surgir des profondeurs populaires de tous les pays des millions de défenseurs, d'amis et de frères alliés de la France. Voilà ce que le roi Guillaume et son roué ministre savent fort bien. Voilà ce qu'ils redoutent mille fois plus que tous ces armements sur le papier, ordonnés BibliotecaGino Bianco DÉBATS ET RECHERCHES par un gouvernement illusoire. ( ...), Aus~i, à . la pre: mière nouvelle du mouvement revolut1onna1re qm s'annonce dans le Midi de la France, tous ces hommes de proie qui sont accourus de l'Allemagne (. ..) ont tressailli. L'apparition du spectre rouge levant sa tête menaçante et brandissant sa torche incendiaire leur a fait peur. Ils ont reconnu l'ennemi contre lequel toute leur supériorité militaire sera impuissante, parce que lui seul aura la puissance de faire surgir du sol de la France des armées invincibles. (...) Bismarck et son roi savent mieux que ne le savent les avocats du gouvernement de la Défense nationale, que toute révolution nationale, et surtout que la révolution de la France, deviendra nécessairement et immédiatement une révolution internationale. Mais que sont ces membres du gouvernement de la Défense nationale? Y a-t-il un seul homme capable de résolutions énergiques et d'action révolutionnaire parmi eux ? Pas un seul. Ce sont des écrivains et des métaphysiciens plus ou moins doctrinaires, des héros du parlementarisme, des àiscoureurs brillants, des avocats, voilà tout ; des républicains très bourgeois et très pâles, des enfants dégénérés, des bâtards de Danton ; mais je n'y vois pas un seul homme capable de vouloir et d'agir comme Danton. Danton avait puisé toute sa force léonine dans le peuple. Dans sa cachette du quartier du Pharo à Marseille, tandis que tous les limiers de Gambetta et consorts le recherchaient, Bakounine n'oubliait pas ce qui le séparait doctrinalement de Karl Marx, lequel prêchait aux ouvriers français le soutien de la République 4 : ( ...) Ces étranges démocrates socialistes sont-ils les victimes d'une erreur ou des trompeurs ? Voilà une question très délicate et que j'aime mieux ne point approfondir. Ce qui est certain pour moi, c'est qu'il n'y a point aujourd'hui de pires ennemis du peuple que ceux qui cherchent à le détourner de la révolution sociale, la seule qui puisse lui donner et la liberté réelle, et la justice et le bien-être, pour l'entraîner de nouveau dans les expériences décevantes de ces réformes ou de ces révolutions exclusivement politiques dont il a toujours été l'instrument, la victime et la dupe. Bakounine resta caché à Marseille du 30 septembre au 24 octobre 1870. Puis il dut chercher un ·refuge ailleurs. Il pensa tout d'abord se rendre à Barcelone ; ses amis marseillais le lui déconseillèrent et finalement, avec leur concours, il s'embarqua sur un bateau français qui le déposa à Gênes. De là, il regagna Lo4. << Les classes ouvrières françaises traversent des circonstances extrêmement difficiles. Toute tentative de renverser le nouveau gouvernement, dans la crise actuelle, quand l'ennemi est presque aux portes dE Paris, serait une folie désespérée. Les ouvriers français doivent remplir leurs devoirs de citoyens, mais, en même temps, il ne faut pas qu'ils se laissent entraîner par les souvenirs de 1792, comme les paysans français se sont laissé précédemment duper par les souvenirs du premier Empire. Qu'ils profitent avec calme et résolution des facilités que leur donne la liberté républicaine, pour travailler à leur organisation de classe. & (Manifeste rédigé par Marx et adressé par le Conseil général, à la date du 9 septembre 1870, à tous les membres de l'Internationale).
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