Le Contrat Social - anno XII - n. 4 - dicembre 1968

M. BODY défaut de fusil ( ...), alors, même sans l'existence de tout le reste de la France, Paris serait sauvé ou au moins l'ennemi arrêté assez longtemps pour donner le moyen à un gouvernement révolutionnaire d'organiser des forces formidables. Et il demande : Ce soulèvement est-il encore possible ? Oui, si les ouvriers des grandes cités provinciales, comme Lyon, Marseille, Saint-Etienne, Rouen et beaucoup d'autres encore ont du sang dans les veines, du cerveau dans la tête, de l'énergie dans le cœur, et de la force dans les bras, s'ils sont des hommes vivants, des révolutionnaires socialistes et non des socialistes doctrinaires 2 • Seuls les ouvriers des cités provinciales peuvent sauver la France aujourd'hui. Mais les ouvriers de France sont « dérou- ~ tes» Ils voient toute l'organisation officielle crouler, ils désespèrent avec raison de pouvoir en créer une autre et ne comprennent pas, (...) eux, hommes du peuple, la puissance et la vie qu'il y a dans ce que la gent officielle de toutes les couleurs, depuis la fleur de lys jusqu'au rouge foncé, appelle l'anarchie, ils se croisent les bras et disent : Nous sommes perdus, la France est perdue. Eh non ! chers amis, elle n'est point perdue, si vous ne voulez pas vous perdre vousmêmes (...), si vous voulez la sauver. Vous ne pouvez plus la sauver par l'ordre public, par la puissance de l'Etat. Eh bien, sauvez-la par l'anarchie. Déchaînez cette anarchie populaire dans les campagnes aussi bien que dans les villes, grossissez-la au point qu'elle roule comme une avalanche furieuse, dévorant, détruisant tout : ennemis et Prussiens. C'est un moyen héroïque et barbare, je le sais. Mais c'est le dernier et désormais le seul possible. Les lignes qui précèdent sont datées des 27 et 30 août. Or, dès le 23, Bakounine écrit de Locarno une lettre à Albert Richard, avec lequel il est en relations suivies, pour préconiser un soulèvement populaire à Lyon : Paris et la France ne peuvent ~tre sauvés que par un immense soulèvement populaire. Il faut que partout le peuple prenne les armes et s'organise de luimême, pour commencer contre les envahisseurs allemands une guerre de destruction, une guerre au couteau. (...) Le mouvement patriotique de 1792 n'est rien en comparaison de celui que vous devez faire maintenant, si vous voulez sauver la France d'un esclavage de cinquante ans, de la misère et de la ruine, de l'invasion et de l'anéantissement. Donc, levez-vous, amis, au chant de la Marseillaise qui redevient aujourd'hui le chant légitime de la France, tout palpitant d'actualité, le chant de la liberté, le chant du peuple, le chant de l'humanité, car la cause de la France est redevenue enfin celle de l'humanité. ( ...) Si, dans dix jours, il n'y a pas en France de soulèvement populaire, la France est perdue. Oh ! si j'étais jeune, je n'écrirais pas de lettres, je serais parmi vous. Mais l'Empire s'écroule et, le 4 septembre, la République est proclamée. Bakounine décide 2. Allusion oux marxiens. BibliotecaGino Bianco 253 aussitôt de rejoindre ses amis socialistes révolutionnaires de Lyon afin « d'y jouer probablement (sa) dernière partie ». II Le Comité central du Salut de la France LE 11 SEPTEMBREBakounine arrive à Neuchâtel, le 12 il est à Genève ; de là, en compagnie de deux compagnons sûrs, Ozerov et un jeune Polonais, Valence Lankiewicz, il part le 14 pour Lyon, où depuis le 4 un « Comité de salut public » s'est installé à l'hôtel de ville et a pris en main le pouvoir. James Guillaume, dans L'Internationale, Documents et Souvenirs, décrit ainsi la situation dans la cité des canuts : Bakounine arrivait dans une ville où régnait le gâchis, où les membres de l'Internationale n'avaient aucune notion claire de ce qu'il fallait faire, où les meneurs radicaux avaient la haute main, où les intrigants s'agitaient, prêts à trahir. ( ...) Serait-il possible, au milieu de cette confusion d'idées, de ce choc d'intrigues, d'organiser le parti socialiste, de déterminer un soulèvement populaire? Bakounine essaya. Dans une grande réunion publique tenue le 17 septembre ·à la Rotonde fut décidée la création d'un « Comité central du Salut de la France » ; les membres de ce Comité furent élus le lendemain dans une autre réunion. Le 26, au cours d'une réunion publique, lecture fut donnée d'une affiche rédigée par le Comité et dont le texte fut adopté à l'unanimité. Elle annonçait la naissance de la Fédération révolutionnaire des communes. En voici le texte, dont l'inspiration bakouninienne est évidente : RÉPUBLIQUE FRANÇAISE FÉDÉRATION RÉVOLUTIONNAIRE DES COMMUNES La situation désastreuse dans laquelle se trouve le pays, l'impuissance des pouvoirs officiels et l'indifférence des classes privilégiées ont mis la nation française sur le bord de l'abîme. Si le peuple organisé révolutionnairement ne se hâte d'agir, son avenir est perdu, la Révolution est perdue, tout est perdu. S'inspirant de l'immensité du danger, et considérant que l'action désespérée du peuple ne saurait être retardée d'un seul instant, les délégués des Comités fédérés du Salut de la France, réunis au Comité central, proposent d'adopter immédiatement les résolutions suivantes : ARTICLEPREMIER-. La machine administrative et gouvernementale de l'Etat, étant devenue impuissante, est abolie. Le peuple de la France rentre en possession de luimême. ART. 2. - Tous les tribunaux criminels et civils sont suspendus et remplacés par la justice du peuple. ART. 3. - Le paiement de l'impôt et des hypothèques est suspendu. L'impôt est remplacé par les

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