Le Contrat Social - anno XII - n. 4 - dicembre 1968

248 « obligations» de l' écrivain soviétique et même que l'intérêt des kolkhoses. Arrivé là, Ovetchkine décrocha du mur sa carabine et se tira une balle dans la tête. La blessure n'était pas mortelle et il fut, par avion, transporté sans connaissance à Moscou où une opération délicate lui sauva la vie. Il perdit l'usage d'un œil. Pendant sa convalescence, conformément aux instructions des autorités, une seule personne fut autorisée à le voir régulièrement : !'écrivain Constantin Simonov, qu'Ovetchkine n'avait jamais pu sentir (il l'a dit ouvertement plus d'une fois). Néanmoins, il ne put se soustraire aux visites de cet écrivain connu pour son orthodoxie et sa fidélité à toute épreuve aux dirigeants du Parti. Ceux-ci firent tout ce qu'ils purent pour étouffer l'affaire. Selon les règles, un membre du Parti qui attaquait Khrouchtchev et tentait de se suicider était condamné d'avance. Je connais des cas où l'autorisation fut refusée de faire des obsèques à des membres du Parti qui s'étaient suicidés, car leur geste était considéré comme une trahison. Mais il en fut autrement avec Ovetchkine. Alors qu'il était à la clinique, la Litératournaïa Gazeta publia une de ses œuvres antérieures. C'était le signe que des rapports normaux entre Ovetchkine et les dirigeants du Parti étaient rétablis. Il est possible que Simonov, en tant qu'émissaire, n'y ait pas été étranger. Ce ne fut du reste pas tout : nommé un peu plus tard membre de la rédaction du Novy Mir, il fut en 1967 « élu» au comité de l'Union des écrivains, au cours du IVe Congrès. La presse observa le silence le plus total au sujet de toute l'affaire. Elle se garda bien également de mentionner que, quelque temps après, Ovetchkine fut interné dans un asile d'aliénés, destin qui, avant lui, avait été celui d'Essénine-Volpine, de Tarsis et de bien d'autres. On se demandera : comment se fait-il qu'Ovetchkine ait échoué dans une maison de fous après que des rapports normaux aient été rétablis avec les dirigeants du Parti. Sans doute parce que la « réconciliation» avec Khrouchtchev n'avait pas fait disparaître ce qui avait poussé Ovetchkine au suicide et que ses tourments, sa lutte intérieure continuaient. En tout cas, Ovetchkine s'adonna à la boisson, ce qui le sauva un moment. Et d'ailleurs comment faire autrement sur cette terre? Comment auraient pu ou pourraient ne pas boire Fadéiev, Galaktion Tabidzé, Valentin Ovetchkine, mais encore Cholokhov, Tvardovski, Bergoltz, Iouri Olécha et Michel Svétlov. Svetlov me demanda un jour : « Dites, comment se passer de la dive bouteille dans cette vie?» Ayant pu se rendre à Moscou, Ovetchkine descendit à rhôtel Moskva. En complet état BibliotecaGino Bianco IN MEMORIAM d'ivresse, il se déshabilla et voulut se jeter par la .fenêtre. On appela les pompiers qui tendirent une bâche. Puis des gens « bien intentionnés» téléphonèrent à la polyclinique des écrivains qui envoya des médecins. Ces derniers, dûment stylés, montrèrent leur savoirfaire. Ovetchkine fut transporté dans une maison d'aliénés. Un groupe d'écrivains moscovites appartenant, si l'on peut dire, à la génération intermédiaire et révoltés par cette histoire, se rendirent dans cet asile pour essayer de voir par eux-mêmes si Ovetchkine avait vraiment perdu la raison. Le médecin de service ayant répondu évasivement, ils interpellèrent une jeune doctoresse et bavardèrent avec elle. Certes elle se garda bien de répondre à leurs questions, mais elle leur en posa une : « Savezvous si quelqu'un n'avait pas intérêt à faire passer Ovetchkine pour fou?» Son traitement achevé, Ovetchkine partit pour Tachkent où ses fils habitaient. Nous ignorons s'il assista au IVe Congrès de l'Union des écrivains soviétiques et s'il eut l'occasion de lire la lettre de Soljénitsyne. * * * Récemment la presse soviétique a annoncé la mort d'Ovetchkine et publié des notices nécrologiques. L'une d'elles disait : « Une grave et longue maladie ne lui a pas permis d'écrire ce qu'il avait encore à dire ... » En plus de la nature de la « longue maladie» à laquelle il est fait allusion, on voudrait savoir ce qu'Ovetchkine avait encore à dire? Une notice nécrologique ajoutait : « Sa mort prématurée nous a privés d'un homme dévoué par-dessus tout au Parti de Lénine, à sa patrie bien-aimée, au peuple soviétique cher à son cœur. C'est une lourde perte pour notre littérature.» Là encore on se demande ce qu'il y a de vrai dans tout cela. En fin de compte une question se pose : quel sens a le suicide dans la société communiste? Et pourquoi est-il assimilé à un crime? Parce que du point de vue communiste un tel acte équivaut à rejeter une société qui entend garder ses droits sur celui qui met fin à ses jours comme sur chacun de ses membres. En se suicidant l'homme scelle son propre destin, c'est donc un individualiste. Nous avons examiné trois cas typiques, mais combien y en a-t-il qu'on ne connaît pas? Les coups de feu que ces trois écrivains se sont tirés visaient Staline, Jdanov, Khrouchtchev et leurs successeurs. Leur répercussion sera profonde, car on croit plus volontiers les morts que les vivants, peut-être parce qu'on sait que face à la mort, l'homme ne ment pas. IOURI KROTKOV. (Traduit__du russe)

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