I. KROTKOV Tabidzé repose maintenant à côté d'autres écrivains géorgiens dans le nouveau cimetière Vake à Tiflis. Cela rappelle le mot de Heine pour qui chaque tombe cache un peu de l'histoire du monde. Les morts ne peuvent parler, et les archives sont longtemps silencieuses. * * * Peut-être le destin de Valentin Ovetchkine servira-t-il un jour de thème à une pièce de théâtre, non pas un simple drame, mais une tragédie qui rappellera celle d'Hamlet? Le fond de cette tragédie serait que la victime du communisme était elle-même communiste et que le régime communiste détruit ses meilleurs champions, ceux qui le défendent sincèrement et honnêtement, de tout leur cœur. Cet Hamlet était un prolétaire cent pour cent, tant par les origines que par le sang. Cordonnier dans sa jeunesse, puis professeur dans un « likbez » (école pour la « liquidation de l'analphabétisme»), il se tourna plus tard vers l'agriculture. Nommé président d'une ferme collective, il s'inscrivit au Parti et fut même quelque part secrétaire d'un de ses comités. Bref, une carrière irréprochable. Au cours de la seconde guerre mondiale, il partit pour le front et fut correspondant de guerre. Ovetchkine se fit une place dans la littérature soviétique, auprès d'écrivains tels que Troiépolski, Tendriakov et Doroche, par des essais, des nouvelles et des pièces de théâtre sur la vie d'aujourd'hui à la campagne. Il était là dans son élément et connaissant nos villages, leurs difficultés, leurs misères, il aidait les kolkhoziens autant qu'il le pouvait. Il retint un moment l'attention des « gens en place»; ses essais critiques et ses contes tenaient presque une demi-page dans la Pravda (honneur réservé jusqu'alors à des écrivains comme Korneïtchouk, Simonov et Cholokhov). Des essais, la Vie quotidienne dans le district, Dans le même district et Un printemps difficile, le rendirent populaire. Il avait ]ancé l'idée des « bons» et des « mauvais» fonctionnaires. Il opposait à la sottise et à l'esprit paperassier du secrétaire d'un comité de district l'adresse et l'humanité de son adjoint. Il semble qu'Ovetchkine ait cru à tout cela; en tout cas, ses écrits reflétaient un certain enthousiasme; ses thèmes favoris étaient ce qui lui pesait sur le cœur, ce qui lui paraissait le plus urgent. On lui donna de l'avancement; il fut « élu» au comité de l'Union des écrivains de la R.S.F.R. et, par la suite, à celui de !'U.R.S.S. Puis voici ce qui arriva : Khrouchtchev, qui se croyait bien en place, commença ses« innovations», lesquelles n'épargnèrent pas les kolkhoses. Ovetchkine accueillit ces nouvelles mesures d'abord avec réserve, puis avec hostilité. A BibliotecaGino Bianco 247 l'époque, il habitait Koursk et faisait partie du comité régional. Il n'était pas le seul dans les milieux locaux du Parti à ètre mécontent; les gros bonnets se réunissaient le soir pour boire un verre ou deux de vodka ou faire une partie de pêche (les « activités culturelles» des hautes sphères soviétiques sont rarement d'un niveau supérieur), et de temps en temps laissaient échapper un mot contre l' « aventurisme» de Nikita. Ovetchkine prenait part, lui aussi, à ces discussions. Sans être un conservateur, il était opposé à Khrouchtchev et finalement il prit la tête de l' « opposition» dans son district. Le XXIIe Congrès approchait et des conférences étaient en cours dans les régions. Ovetchkine saisit l'occasion pour proposer aux secrétaires des comités de la région et aux fonctionnaires gouvernementaux d'organiser une sorte de rebellion dans le Parti. Son plan était simple mais, dans les conditions qui règnent en Russie soviétique, à peine croyable. Ovetchkine devait prendre le pre1nier la parole à la conférence régionale de Koursk et dire crûment la vérité. Ensuite les secrétaires de comité, les fonctionnaires du comité exécutif, etc., l'auraient appuyé. Il pensait que cela suffirait pour que les autres délégués lui apportent leur soutien, car il était persuadé que les kolkhoziens de la région partageaient ses vues. Le plan d'action fut approuvé par les représentants de la région au cours d'une beuverie et, le moment venu, Valentin Ovetchkine, avec la même audace que Khrouchtchev au XXe Congrès, monta à la tribune, fit son discours, et ... Ce qui se passa alors rappelle ce que décrit Iachine dans les Leviers : le « centralisme dérnocratique» fit son œuvre; en un mot, le soutien escompté fit défaut. Les « patrons» qui, la veille, poussaient Ovetchkine et promettaient de monter sur les barricades, se rappelèrent leur fauteuil, leurs émoluments, leur carte du Parti et se dérobèrent. Ils se retournèrent même contre Ovetchkine qu'ils allèrent presque jusqu'à déclarer traître à la patrie. Rentré chez lui et se rendant compte de l'étendue du désastre, comprenant qu'il avait perdu confiance dans ses camarades et qu'on l'avait dépouillé de ce qu'il croyait ètre son droit à avoir une opinion personnelle et à l'exprimer; comprenant, dis-je, que les individus, intégrés de force dans le « collectivisme» perdent leur individualité et que ce système contre nature est à la base du régiine; convaincu d'autre part de l'efTroyable logique de ce régime, cet I-Iamlet soviétique en vint inévitablement à se poser la question : « Etre ou ne pas être?» Peut-être eu t-il conscience à ce mo1nent qu'il existait quelque chose de plus grand que l'idée communiste, que les
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