Le Contrat Social - anno XII - n. 4 - dicembre 1968

A. GA/EV tesse à de grandes épreuves. Pour elle, la révolution marquait la fin de la Russie et son drame intérieur commençait. Pendant la guerre civile, elle mit tout son amour de la Russie dans le mouvement des« blancs», le seul à ses yeux capable de sauver le pays. Au printemps de 1922, elle partit avec sa fille pour l'étranger. L'exil ne lui donna pas la sérénité. Pendant près de vingt ans, elle soutint dans son for intérieur une lutte ardente qui se reflète dans son œuvre d'une intensité extrême. Dans la préface d'une anthologie de ses poèmes, publiée dans les années 1960, un critique soviétique écrit : L' œuvre poétique de Tsvétaïéva fut monumentale, courageuse et tragique. [... ] Elle n'a rien pensé ni écrit que de grand : la vie et la mort, l'amour et les arts, Pouchkine et Gœthe. A l'étranger, elle continua à écrire et ses œuvres furent publiées par différents éditeurs. Mais, coupée de son pays et en proie à la nostalgie, elle ne put en fin de compte se résigner à son sort. Elle reprit la nationalité soviétique et, en hiver 1938, revint à Moscou. La dernière période de son activité littéraire ne fut pas particulièrement brillante : elle se consacra à des traductions et prépara un recueil de ses poèmes. En août 1941, lors de l'évacuation de Moscou, elle fut contrainte de partir pour lélaboug où elle se suicida le 31 du même mois. Dans l'article susmentionné d'Ilia Ehrenbourg, on lit encore : La solitude l'accablait. La solitude (et non l'égocentrisme) l'aida à composer de nombreux et merveilleux poèmes sur le malheur de l'humanité. Et la solitude la poussa au suicide. Ehrenbourg omettait de souligner que la solitude dont souffrit la poétesse pendant de si longues années ne devint fatale qu'après son retour au pays natal. * * * Le suicide d'Alexandre Fadéiev fit sensation. Fadéiev se montra sans aucun doute un écrivain très doué dont l'apport littéraire fut important. En même temps il est connu pour avoir été longtemps à la tête de l'Union des écrivains soviétiques. Un soir de 1918, Fadéiev, encore lycéen, qui vivait chez ses parents en BibliotecaGino Bianco 241 Extrême-Orient, tira sur le portrait du tsar, puis dans la glace qui reflétait sa propre image. Ces deux coups de feu signifiaient que Fadéiev rompait définitivement avec son passé. La même nuit il quitta la maison paternelle et rejoignit un groupe de partisans dont il fit partie sous le nom de Boulygue. Sans entrer dans les détails de sa carrière littéraire, signalons qu'après la mort de Maxime Gorki, en 1936, Fadéiev lui succéda à la direction de l'Union des écrivains, fonction qu'il conserva pendant près de vingt ans. Peu après le xxe Congrès du Parti, cet homme ferme et résolu se donna la mort. La presse soviétique essaya d'expliquer son geste par une dépression nerveuse due à l'alcool, mais elle ne convainquit personne : Fadéiev a tiré sur lui-même (une seconde fois) parce qu'il visait en soi le stalinien, et que de longues années d'illusions venaient de s'écrouler. Certes, après la mort de Staline, la pression sur les écrivains s'atténua. Néanmoins les suicides continuèrent. Le 30 janvier 1965 la Litéralournaïa Gazeta mentionna brièvement qu'Ekatérina Ovtchnikova, poétesse de talent, s'était donné la mort. * * * Les quinze suicides évoqués ici ne sont pas un simple chiffre, mais un fait qui caractérise toute une époque. Après la mort de Maïakovski, un mot plein de sens circula : « La poésie russe est née de deux meurtres et elle est morte de deux suicides.» Ce parallèle entre Pouchkine et Lermontov, d'une part, et Essénine et Maïakovski, de l'autre, est une condamnation du régime soviétique qui met les écrivains sous la dépendance absolue du Parti et enferme le monde des lettres et des arts dans des barrières infranchissables. En chacun des cas de suicide mentionnés ici, la véritable cause du geste fatal apparaît en toute clarté : qu'il s'agisse d'un « compagnon de route» ou d'un communiste fervent, !'écrivain a été poussé au suicide par le conflit intérieur qui le séparait de la « réalité soviétique». ARKADI G. GAIEV. (Traduit du russe)

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