Le Contrat Social - anno XII - n. 4 - dicembre 1968

A. GAIEV Maïakovski a exposé ses idées sur le suicide dans son poème « A Serge Essénine », écrit six mois après la mort de ce dernier. Il conclut par ces mots : « Dans ce monde, mourir n'est pas difficile, réussir sa vie l'est beaucoup plus.» L'amour non partagé de Maïakovski pour l'actrice Véronica Polonskaïa est souvent invoqué comme étant le motif de son suicide, ce que semblait confirmer un billet écrit peu auparavant. Il y est dit : « La nef de l'amour s'est brisée sur les écueils de la vie.» Néanmoins cette idylle malheureuse ne fut plutôt qu'un prétexte, non la cause du suicide *. Volontaire de la révolution, Maïakovski ne fut jamais reconnu comme tel de son vivant. Pour les dirigeants, le poète, malgré ses écrits politiquement orthodoxes, restait étranger au Parti et à la classe ouvrière. Les dogmatiques ne pouvaient lui pardonner son modernisme ni ses tendances subversives en poésie. Ils ne pouvaient oublier son poème, « la Blouse jaune», qui symbolisait à leurs yeux l'esprit de salon ou la recherche de l'effet facile. Le résultat était celui-ci : il mettait tout son talent au service du Parti, mais ce dernier refusait de le reconnaître comme sien. Un e~emple de cet état de choses est le sort qui lui fut réservé lors de la Conférence des écrivains prolétariens, tenue en janvier 1925 et à laquelle assistèrent les délégués de toutes sortes d'organisations littéraires, y compris ceux de groupuscules de province. Maïakovski ne fut pas admis à la Conférence en qualité de délégué, mais à titre de simple invité sans voix délibérative. Son œuvre fut vivement critiquée par Léon Sosnovski, membre du Comité central, et par Démian Biédny, à l'époque poète courtisan du régime. En 1928, le critique soviétique Talnikov écrivit un article pour démontrer que les voyages de Maïakovski autour du monde étaient sans intérêt pour le lecteur. Le vingtième anniversaire de la publication de son premier ouvrage, mars 1930, à peine signalé dans la presse soviétique, fut ignoré du grand public. Le poète en conçut une grande amertume. Il avait peu d'amis et beaucoup de détracteurs. Une foule de plusieurs milliers de personnes suivit sa bière, mais il n'y eut pas de pleurs. On eût dit qu'on enterrait le héros d'une armée étrangère. Les critiques venant du Parti continuèrent après sa mort. La reconnaissance officielle n'arriva que six ans plus tard, lorsque Staline déclara incidemment : « Maïakovski fut et demeure le meilleur poète soviétique.» Certes, cette découverte incita ses dénigreurs à • li y a une version plus plausible : Malnkovski avait une liaison senllmentale en France el Staline lui nt refuser un passeport pour l'étranger. Mals, en fait, la dégénéresc~nce du régime sovléllque plongeait Ma'iakovskl dans le désespoir. - N.d.l.R. BibliotecaGino Bianco 239 tourner casaque, mais des millions de lecteurs ne les avaient pas attendus pour se faire une juste idée du talent de Maïakovski. Des écrivains se suicidèrent non seulement à Moscou et à Léningrad, mais aussi dans d'autres villes. Il y eut le cas du grand poète ukrainien Mikola Khvylevoï, pseudonyme de Nicolas Fitiliev. Né en 1893, fils d'un instituteur de village, Fitiliev adhéra au mouvementr révolutionnaire alors qu'il était encore enfant. Après la révolution, il entra au parti communiste et ne tarda pas à devenir un des dirigeants de la province de Kharkov. Comme poète, il fit ses débuts en 1921. Son volume de prose lyrique impressionniste, Etudes en bleu, le fit connaître. Devenu autorité littéraire, il défendit, malgré son appartenance au Parti, une tendance orientée vers la littérature occidentale. C'est ce point de vue qu'il exposa à la Conférence des écrivains de 1925 mentionnée plus haut. Plus tard, il organisa en Ukraine un groupe littéraire qui, sous le nom de « Va plit » (abréviation en ukrainien d'Académie libre de littérature prolétarienne), exista de 1926 à 1928. Cette organisation s'inspirait en quelque sorte de celle des « Frères de Sérapion», qui vit le jour à Pétrograd en 1921; comme elle, le « Vaplit» demandait à ses membres des écrits de haute qualité. A cette époque, Khvylevoï publia plusieurs pamphlets politiques : Pensées contre le courant; Quo vadis?; et Ukraine ou Petite-Russie; et, en 1927, un roman, les Bécasses. Les tendances indépendantes de Khvylevoï lui attirèrent les foudres du Parti, y compris celles de Staline (avril 1926) et de Kaganovitch, alors secrétaire du Comité central en Ukraine (au congrès du P.C. ukrainien, tenu en 1927). Après la liquidation du « Vaplit », Khvylevoï participa au lancement de la revue Litéralournaïa I armarka (la Foire littéraire) qui continuait les traditions du « Vaplit ». Pendant plus de dix ans, Khvylevoï fit figure de personnage odieux : communiste, il déviait de la ligne du Parti sur le plan littéraire et artistique. La fermeté avec laquelle il défendit son point de vue ne pouvait mener qu'à une seule issue : le poteau d'exécution. Lui-même le comprit et, en 1933, il se suicida. Quatre ans plus tard, en 1937, une tragédie semblable se déroula à Tiflis, celle du grand poète géorgien Paolo Iachvili que, dans ses Souvenirs, Paslernak décrit en ces lennes : Paolo I achvili est un poète remar~1zable de la période posl-symbolisle. Sa poésie s appuie sur des données précises el les mani{t 1slalions de la

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