238 aux cartes des réussites, tantôt les arrosant du sang de son cœur. La chose la plus remarquable chez lui c'est l'image qu'il a donnée de son pays natal : les forêts de la Russie centrale, la 1;ature de la province de Riazan, et cela avec la fraicheur bouleversante des impressions de son enfance. Et cet homme qui aimait la vie, la campagne et la poésie, qui était de surcroît con~- cient de sa mission, se pendra avec la courroie de sa valise à l'hôtel d'Angleterre, à Léningrad. Il avait 30 ans. Cela se passai\ le 2~. décembre 1925, peu après son retour d un seJour de plusieurs mois dans une mai~on _de santé où il avait repris des forces qui lui_ e1;1ss~nt permis de poursuivre son œuvre litteraire. La version officielle attribua sa mort aux prétendus effets de l'alcool~sme. Cer~e~, ~ssénine avait ce penchant, ma_is_est-ce la l uniq1:1e et la vraie cause de son suicide? Il est certain qu'il y eut autre chose de plus sérieux. Poète lyrique jusqu'au fond de l'~me, il f~t le ~~antre de la vieille Russie en voie de dispantion et des paysans russes aux mœurs J?atria~cales. Il alliait la piété à la plus grande insouciance. Lui-même a dit : J'ai connu de bonne heure le doute en matière de religion. Lorsque j'étais enfant, je traversai_s des périodes très différentes soit_ de prière,. ~ozt de perversité, laquelle me poussait aux sacrzleges et aux blasphèmes. Ce qui a fait dire à ses biographes : Même après la révolution, Essénine . demeura fidèle à lui-même, de so~te q,ue P_0Ur luz, co":m.e pour Kloufev, la Russie d apres Octobre etazt << pour l'esprit, une république et, pour le cœur, la cité sainte >> *. Ainsi la fin tragique du poète ne doit pas être imputée à son penchant pour l'alcool, lequel penchant ne fut au fond que la conséquence de son drame intérieur. ,, , . ,. ,,. Moins d'un an après la mort d'Essénine, la littérature russe fit une autre perte avec le suicide d'André (en réalité Iouli) Mikhaïlovitch Sobol. Fait remarquable, il avait pris une part active à la révolution et, par conséquent, n'~urait, p~s _dû se sen~~r étranger au régime qui en etait issu. Publie en 1914, son roman Poussière était déjà profondément empreint d'esprit révolutionnaire. Plus tard, A. Sobol adhéra au Parti, participa à la guerre civile, occupa des post~s i1;Ilporta!1~s,en par~iculier celui de Commissaire politique. Apres sa démobilisation, il se consacra à la littérature et au théâtre. Un recueil de nouvelles * II s'agit de Kitiej-grad, v~l~e de légen?e q1;1eles bylines (chants épiqu.~s). et les tradition~ pop~laires s1tue1?-t dans la province de NiJm-Novgorod et qm aurait été engloutie sous terre pour la soustraire à la souillure des hordes tatares de Batyi, au XIIIe siècle. - N.d.l.R. BibliotecaGino Bianco IN MEMORIAM parut en 1922 sous le titre Wagon-Restau.r~nt, puis deux ans plus tard Quan_d_les ce~zs_zers sont en fl.eurs. Bien que les cntiques n aient pas été élogieuses, l'auteur ne__fut p~s de ceux qu'on accablait et sa piece, Sirocco, eut même un grand succès. C'est alors qu'en 1926, à l'apogée de son talent, l'écrivain se tua. Il avait 38 ans. Ce suicide d'un écrivain communiste mit les critiques soviétiques d~ns l' em~arras et ils préférèrent passe~ le f~It so~s silence .. ~ part une brève notice necrologique pub~iee deux jours plus tard, la presse cess~ ?e ci~er le nom de Sobol. Depuis, seul le Dzctwnnazre encyclopédique, paru en 1955 . pendant ~e « dégel», le mentionne en sept lignes, tandis que les ouvrages de référence plus récents et plus complets tels que la Petite ?ncyclopédie soviétique (1960) l'ignorent completement. U!1 commentaire du Dictionnaire précédent explique cette attitude : « Les héros de Sobol sont des intellectuels qui ne surent pas trouver leur voie vers la révolution.» La plupart de ses héros sont, en effet, des représentants de l'intelligentsia qui se demandent si le régime a justifié la révolution qui l'a engendré. La question tourmentait Sobol. Dans une de ses dernières nouvelles, le Bossu, il décrit un homme poussé au suicide parce qu'il se sent complètement perdu dans son milieu. La veille de sa mort, fixée au 25 mars, jour de l'Annonciation, le désespéré écrivit une longue lettre pour expliquer les raisons de son acte. Le 14 avril 1930, le suicide de Vladimir Maïakovski fit l'effet d'une bombe. Maïakovski n'était-il pas en apparence un homme ayant les pieds sur terre? Poè~e de tale~t, populaire, ayant la dent dure, aimant la vie, il avait à peine 37 ans. De plus, c'était l'un des rares écrivains de sa génération qui acceptât sans réserve la révolution. Il se mit aussitôt à son service, persuadé que le régime communiste allait ouvrir une nouvelle ère à l'humanité. Sàns jamais adhérer au Parti, il consacra la presque totalité de ses œuvr~s post-réy?l~- tionnaires à la propagande.. Il etouffa deliberément son propre lyrisme et puisa da.ns son riche arsenal littéraire de quoi « remplir cent volumes de brochures du Parti». Sa popularité était telle que chaque fois qu'il apparaissait en public, même dans la moindre .ville de province, la salle était presque touJ ours comble et ce, sur tout le territoire soviétique. Il réussit même à attirer plusieurs milliers d'auditeurs à New York. Son talent était reconnu par les écrivains russes les plus exigeants : Alexandre Blok, Boris Pasternak, André Biély, Anna Akhmatova, Serge Essénine, Marina Tsvétaïéva et d'autres encore.
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