Le Contrat Social - anno XII - n. 4 - dicembre 1968

SUICIDES D'ÉCRIVAINS SOVIÉTIQUES par Arkadi Bien que constamment affirmée sur le plan social comme étant de la plus grande portée, la littérature russe n'a connu que deux suicides au cours du siècle et demi qui précéda la révolution soviétique. En 1802, Alexandre Radichtchev, revenu d'exil malade et tourmenté par le doute, mit fin à ses jours à l'âge de 53 ans. En 1888, Vsiévolod Garchine, âgé de 33 ans, qui depuis l'enfance souffrait de graves troubles mentaux, se tuait en se jetant dans le vide du haut d'un escalier. Par contre, après cinquante ans de régime soviétique, les suicides dans les milieux littéraires se comptent par dizaines. Nlême si le nombre des écrivains tombés dans les mailles du N.K.V.D. ou du K.G.B. reste inconnu, il n'en est pas moins sûr que le monde des lettres a subi en U.R.S.S. de lourdes pertes, en dépit de la propagande soviétique soutenant que cette période a été exceptionnellement favorable à la carrière littéraire et artistique. C'est vrai sur le plan matériel : de tous les intellectuels de l'Union soviétique, auteurs et artistes sont ceux qui ont le moins de raisons d'être mécontents. La thèse selon laquelle les écrivains qui se suicidèrent le firent parce qu'ils n'avaient aucune chance de réussir est donc insoutenable. D'autre part, les faits démentent que les écrivains qui mirent fin à leurs jours aient été déterminés par des chagrins intimes ou des troubles mentaux. Le premier écrivain soviétique qui se suicida fut Nicolas A. Kouznetsov. Né en 1904, il appartenait à la classe privilégiée qui se forma après la révolution; issu d'une famille ouvrière, il travailla dans une des filatures Danilov, puis à l'usine d'aviation « Motors» à Moscou. Appelé au comité de rédaction de la lounocheskaïa Pravda, il entra l'année suivante à l' Insli lut supérieur des lellres el des arts V. Y. Brioussov. Au débu L de 1924, la publication d'un volume de poèmes lui valut la faveur publique. Un second volume, BibliotecaGino Bianco G. Gaïev Cœur d'ouvrier, allait être publié quand, au cours de l'été de cette même année, on trouva le poète pendu dans sa chambre. Il était âgé de 22 ans. Sa mort soudaine fit du bruit dans les milieux littéraires. Serge Essénine, qui l'avait bien connu, écrivit un poème qui commençait par ces lignes : Nous partons à présent l'un après l'autre Pour le pays de paix et de grâce divine. Peut-être devrai-je aussi plier bagage Et rassembler mes os pour le grand voyage. La mort de Kouznetsov coïncida avec le déclin du romantisme révolutionnaire. L'année 1924 précédait le début de la dictature du secrétariat du Parti. Sous la pression de l'oligarchie communiste, Trotski fut bientôt éliminé et de nombreux écrivains et artistes réputés esprits libres tombèrent en disgrâce. * * * Les vers ci-dessus s'avérèrent prophétiques, car le deuxième à se suicider fut Essénine lui-même, le poète le plus aimé de son temps. Non sans raison, il se considérait comme le premier poète russe. Nul parmi ses contemporains n'avait autant que lui l'estime et la sympathie du public. Des années plus tard, Boris Pasternak, dans son essai autobiographique Les Homn1es el les Situations, écrira : Depuis l{oltsov, la terre russe n'a rien produit d'aussi naturel, d'aussi profondément enraciné, d'aussi à propos, d'aussi bien à elle que Serge Essénine. Les dons de son temps joints à une liberté d' espril sans pareille n'avaient pas alourdi ceux déjà énormes qu'il tenait de ses tendances populistes. En même Lemps, Essénine était l'exemple vivant, la chair palpitante de celle race d'écrivains el d' arlisles qu'après Pouchkine nous appelons le sublinw élé1nenl mozartien. Ses poèmes, il les écrivait avec une dextérité de (ée, lantôl jouant avec les mols con1ml' s'il eùt (ail

RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==