236 certains écrivains, membres du Parti, qui avaient assisté aux obsèques, durent« s'expliquer». Ils n'ont pas été exclus, mais ils écopèrent d'un blâme avec un avertissement d'avoir à observer la discipline du Parti. Après les obsèques, la foule resta pendant deux ou trois heures jusqu'à ce qu'il fasse nuit. Zinaïda Nicolaïevna rentra chez elle avec ses parents et amis, mais Ivinskaïa resta; ceux qui restèrent étaient des jeunes gens pour la plupart. Des étudiants lisaient des vers de leur composition et ceux de Pasternak, sur sa tombe, dans une extase qui n'était pas seulement d'origine poétique. Les journalistes étrangers les photographièrent, mais avec décence et retenue. Par contre, il y avait un photographe soviétique bardé de caméras et portant une veste de cuir d'un jaune éclatant, des mocassins à l'américaine, et qui passa une heure entière à photographier sous tous les angles ceux qui étaient restés au cimetière. Il agissait en pratique ouvertement. Soudain, à ses côtés, je remarquai le jeune homme au calot qui l'aidait à recharger une caméra. Quelques étudiants, malgré leur préoccupation, remarquèrent son manège et, comme il essayait de photographier une nouvelle fois ceux qui se tenaient au premier plan, l'un d'eux, empoignant la camera, cria : « Regardez, ils font leur travail, ces types du K.G.B. l » Une vague de protestations s'éleva, il y eut une bousculade. On criait « Qui vous a donné la permission de nous photographier? Sortez d'ici, mouchards l » Mais le photographe ne partait pas; il était bâti en force, et il écartait les étudiants. Le jeune homme au calot et lui perdirent patience : « Et qui vous a permis d'organiser des réunions politiques?» A Moscou, j'appris que les autorités de la Sûreté avaient rassemblé de nombreuses preuves photographiques et établi l'identité de la plupart de ceux qui assistèrent aux obsèques. Point n'est besoin d'ajouter que ces renseignements ont été soigneusement classés. BibliotecaGino Bianc IN MEMORIAM PARMI écrivains et artistes, les conversations sur Pasternak et sur sa mort continuèrent naturellement après les obsèques. Naturellement aussi, les conversations étaient réservées, prudentes; cependant on se permettait des allusions dénotant des vues très indépendantes. Un jour, je me promenais avec un groupe de célèbres metteurs en scène de cinéma de l'ancienne génération : Sergeï Ioutkévitch, Marc Donskoï et un certain G. Le scénariste Métalnikov était peut-être là aussi. Peu à peu, la conversation s'orienta sur Pasternak et Donskoï déclara, plutôt hardiment : « Evidemment, il a été fautif sur de nombreux points, mais c'était un bon poète. Sur un plan général, je le plains. Il a dû supporter tellement de malheurs l Il a probablement été le plus malhereux de tous ... » G. fit un sourire et dit : « Oh Marc, tu dis des bêtises comme d'habitude. Pourquoi ne penses-tu pas que Pasternak était le plus heureux des hommes? Pourquoi ne penses-tu pas au fait qu'il réussit à faire ce que personne, absolument personne, n'a réussi à faire? Il a publié son roman. Il a publié ce qu'il avait voulu écrire. Je crois qu'il fut le plus heureux de nous tous.» Donskoï regarda G., interloqué, car les paroles de ce dernier avaient été prononcées sur un tel ton qu'il était difficile de savoir s'il avait plaisanté ou non. Tout le monde éclata de rire et Marc dit : « Vous pouvez penser ce que vous voulez, moi je m'en tiens à mon idée.» Je conserverai toujours le souvenir des obsèques de Pasternak, non seulement à cause de la perte qu'elles rappellent, non seulement à cause de leur impressionnante solennité, mais parce que c'est à ce moment-là que, pour la première fois, j'aperçus une lueur d'espoir ... Et désormais, cet espoir grandit au fur et à mesure que passent les années et les JOUrS. lOURI KROTKOV. (Traduit du russe) ,
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