/. KROTKOV ce que Gogol a ressenti à la fin de sa vie? Pareils moments sont un secret aussi impénétrable que la vie elle-même.) Peut-être est-ce une impulsion de sa conscience qui a incité Pasternak à refuser de voir lvinskaïa. Il semble avoir été absolument conscient de sa fin prochaine et avoir reconsidéré bien des choses. Peut-être, au cours de ces dernières heures, a-t-il jeté un ultime regard sur les nombreux aspects de sa vie. Il put le faire avec calme et attention car la mort vint à sa rencontre lentement et doucement. Peut-être comprit-il alors que trente années partagées avec Zinaïda Nicolaïevna les avaient liés l'un à l'autre pour toujours, en dépit de tout. Il est certain qu'avant de mourir il renonça à son amour pour Olga lvinskaïa et choisit de rester fidèle à Zinaïda Nicolaïevna, car il fallait choisir. lvinskaïa trouva le moyen (vraisemblablement par l'intermédiaire de l'ambassade de Grande-Bretagne à Moscou) de faire parvenir en Occident un rapport déclarant que Pasternak était mourant faute d'avoir en Union soviétique les médicaments nécessaires. Lorsque cela fut connu, Zinaïda Nicolaïevna se sentit obligée d'envoyer un télégramme de démenti à Lydia, la sœur de Pasternak, qui vit à Oxford. En outre, Pasternak exprima le désir de voir sa sœur sans délai et un deuxième télégramme fut envoyé à Oxford. D'après Nina, cependant, Lydia Léonidovna arriva trop tard, car l'ambassade soviétique à Londres retarda la délivrance de son visa. Deux jours avant sa mort, Pasternak déclara à sa femme, à ses fils et à son frère qu'il avait pensé à eux dans son testament, mais qu'il désirait en informer Lydia étant donné qu'elle vivait en Angleterre et qu'en cas de besoin son avis aurait toujours du poids. La nouvelle de la maladie de Pasternak atteignit Moscou. A Peredelkino, bien entendu, chacun en parlait, Même parmi les écrivains « orthodoxes» invétérés de la Maison des écrivains, l'atmosphère avait changé. Tous les soirs, Asmus et moi-même étions très entourés et assaillis de questions. Il apparut que, en dépit de tout, ces hommes se rendaient compte que Pasternak avait acquis une gloire impérissable et que nous tous, par rapport à lui, étions des !êtres chétifs et éphémères. Certains se rendirent même à la datcha de Pasternak, attendant pendant des heures sans craindre d'être remarqués. Un jour, le poète Eugène Evtouchenko arriva à Peredelkino. Il se rendit chez les Pasternak avec une bouteille de cognac. Il fut accueilli plutôt sèchement par Zinaïda Nicolaïevna et ne fut pas autorisé à voir le malade. BibliotecaGino Bianco 231 Après que le professeur Tager, radiolog~e et ami intime de la famille, eut radiographié le thorax et la cavité abdominale de Pasternak, le bruit se répandit que les deux cavités étaient atteintes de métastase et, dès lors, il fut clair que Pasternak avait un cancer. Tager ne lui donnait pas plus de cinq jours à vivre mais, sur la proposition du professeur Popov, Pasternak subit une transfusion de sang qui améliora son état de façon visible. Son teint reprit quelque couleur; il devint plus gai et demanda qu'on recommence bientôt. Cependant cette transfusion ne put être administrée à temps. Les médecins semblaient hésiter et même Zinaïda Nicolaïevna avait l'impression que la transfusion n'avait pas été une bonne chose. Quoi qu'il en fût, un flot de sang jaillit de la gorge de Pasternak, qui mourut dix minutes plus tard, conscient jusqu'au dernier moment. Il joignit les mains de ses deux fils et leur demanda de vivre en paix l'un avec l'autre. Il dit également que Zinaïda Nicolaïevna était l'être humain le plus cher à son cœur et leur demanda de l'aimer et de la respecter. Sa femme, ses enfants, son frère, sa bellesœur, Nina, les médecins et les infirmières l'entouraient. Il était minuit moins vingt. Pasternak parlait de façon presque inaudible, avec de longues pauses. Ses derniers mots furent : « Il est bon que je 1neure... Il y a trop de médiocrité dans la vie... Ici, et là également... De toute façon, je n'aurais pas pu me réconcilier ... » Anna Naoumovna, le médecin, se rendit immédiatement à la datcha voisine, chez l' écrivain Vsevolod Iva nov, pour téléphoner l'avis de décès à la polyclinique du Litfond. L E LENDEMAIN matin, à neuf heures, je rencontrai Asmus qui revenait de chez Pasternak. Il dit brièvement : « Boris Léonidovitch est mort.» Les deux écrivains « orthodoxes» Valéry Osipov et Alexandre Voïnov se tenaient non loin de là. Comme je partais vers la maison de Pasternak, ils se tournèrent vers moi et n1e demandèrent s'ils pouvaient m'accompagner. Je haussai les épaules et dis : « Y a-t-il une raison làcontre? » Ils vinrent avec moi. Dans la cour, un grand nombre d'anlÎs et de connaissances étaient réunis. Assis sur un banc sous les arbres, je Yis le traducteur Marc Tarkovski, à côlé d Constantin Paustovski, arrivé in1n1édiate1ncnt après avoir appris la nouvelle, el qui resta pendant les trois jours qui précédèrent l'enterrc1nenl,
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