Le Contrat Social - anno XII - n. 4 - dicembre 1968

216 l'Algérie. : depuis l'indépendance, que d'employés aux écritures promus directeurs ! que de sergents passés colonels, d'instituteurs devenus inspecteurs, de pigistes installés à la rédactionen-chef... L'affaiblissement général de l'économie algérienne n'a pas nui à la promotion sociale et économique de ces éléments de la population. Or c'est précisément dans de tels milieux - intellectuels aigris, gratte-papier, petits fonctionnaires - que partout se recrutent les cadres dirigeants des mouvements nationalistes. Pour les détourner de l'action séparatiste, on aurait beau leur présenter des arguments économiques, invoquer l'intérêt général, bien compris, de la population : quoi que l'indépendance apporte à celle-ci, ceux-là sont à peu près certains d'en tirer d'appréciables avantages. L'exemple de l'Algérie vaut aussi sur un autre plan. On pouvait s'attendre qu'après une guerre aussi longue et atroce, les rapports entre Français et Algériens restent envenimés pour toujours. Or des liens économiques parfaitement normaux ont été noués entre les deux pays dès le lendemain de l'indépendance algérienne. C'est qu'une longue période de souveraineté commune les a rendus interdépendants. La France a besoin de la main-d'œuvre (et aussi, depuis peu, du pétrole) que peut fournir l'Algérie ; et celle-ci, des débouchés que lui offre la France. Entre la Russie et les républiques nationales, les choses iront sans doute de même. Que l'Ukraine, le Caucase, l'Asie centrale accèdent un jour à l'indépendance, ces régions tiendront sans doute à conserver les liens économiques (moyens de transport, traditions commerciales, etc.) qui les unissent étroitement à la Russie. Ainsi cette dernière, indépendamment des avatars politiques de l'avenir, conservera en toute probabilité son rôle central et éminent dans une vaste communauté ; . economtque. Les résultats culturels DANS les provinces-frontières reconquises pendant la guerre civile, les communistes, nous l'avons vu, commencèrent par accorder aux minorités nationales - outre les institutions pseudo-fédérales que l'on sait - une large autonomie linguistique et culturelle. Aux intellectuels autochtones était laissée, en particulier, une large liberté d'interprétation en matière historique et politique. Ce régime prit fin au début des années trente, lorsque Staline jugea politiquement plus opportun de jouer la carte du chauvinisme grand-russien. Mais le libéraBibliotecaGino Bianco L'EXPÉRIENCE COMMUNISTE lisme i~itial avait porté bien des fruits. Pour mainte minorité nationale, les années vingt furent marquées par une activité culturelle sans précédent : on vit naître un peu partout de véritables « idéologies » autochtones. A certaines populations moins importantes et moins évoluées, cette décennie apporta même la révélation de leur identité comme nation. Ainsi cette même Révolution de 1917, qui pour la culture russe avait inauguré une période tragique de déclin, marqua tout au contraire, pour nombre de minorités, la naissance d'une ère nouvelle, celle de leur culture propre. Certes, cette « culture express » qui fit son apparition au début des années vingt dans les républiques non russes ne craint pas toujours le ridicule. Elle n'en est pas moins traitée avec le plus grand sérieux par les populations intér~ssées. Un réfugié originaire de l'Azerbaïdjan n'affirmait-il pas, tout récemment, que les Russes n'ont pas de culture propre : la preuve, ajoutait-il, en est qu'ils éprouvent le besoin d'éditer une telle quantité d'ouvrages traduits des autres langues parlées dans l'Union ... Même chez les Arméniens, peuple de haute et antique civilisation, on passe parfois les bornes : ne se sont-ils pas attribué l'invention de la cybernétique, remontant à un millénaire ? Parmi les multiples aspects du problème traité ici, il n'en est aucun qui soulève davantage de passion que la question de l'assimilation. A juste titre d'ailleurs, car c'est la question par excellence. En effet, si l'on devait constater que les minorités perdent peu à peu leurs traits ethniques spécifiques et tendent à se confondre avec l'élément grand-russien dominant, on serait en droit de conclure que les bolchéviks ont réussi à « résoudre » - à leur façon - le problème des nationalités. Mais pour l'affirmer ou le nier en connaissance de cause, il faudrait avoir accès à une immense documentation statistique· et ethnographique, portant par exemple sur les mariages mixtes, le mode de vie quotidien, etc. Mais cette documentation fait défaut, et pour se faire une idée l'on ne dispose que des chiffres de recensement sur les langues pratiquées - données officielles dont on peut se méfier, mais qui en tout état de cause n'ont qu'un intérêt restreint. Sans entrer dans le détail des données linguistiques recueillies, on se contentera de remarquer que si, chez les ethnies les moins nombreuses et les plus dispersées, l'assimilation linguistique semble faire de rapides progrès, il n'en va pas de même chez les populations rassemblées en groupes plus compacts sur leurs propres territoires. Celles-ci restent tout au contraire singulièrement fidèles

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