Le Contrat Social - anno XII - n. 4 - dicembre 1968

R. PIPES tellectuels » sont avides de pouvoir, de l'exercice des responsabilités. Trop souvent le moindre diplôme de fin d'études leur paraît propre à garantir une carrière dans la haute administration, et ils n'aiment guère voir confier à des « étrangers » les postes auxquels ils estiment avoir droit. Il est à peu près certain que parmi les cadres autochtones des républiques nationales en U.R.S.S., les aspirations sont du même ordre, les ressentiments aussi. Le semblant de pouvoir auquel ils sont réduits ne doit guère les contenter ; il serait étonnant qu'ils s'y résignent indéfiniment. Les résultats économiques ÜN SAIT les avantages économiques qu'une colonie tire du système impérial : afflux de capitaux et de techniciens, ouverture de nouveaux marchés à la production locale, entrée du pays dans la voie du « développement ». C'est la raison pour laquelle les territoires naguère colonisés se trouvent de nos jours en meilleure posture, sur le plan économique, que ceux qui étaient demeurés indépendants. En revanche, le système impérial favorise la spécialisation régionale dont résultent, pour les économies tributaires du marché d'un ou deux produits de base, des déséquilibres profonds. Or depuis cinquante ans l'impérialisme soviétique a produit, dans l'ensemble, les mêmes effets - tant heureux que néfastes - que son équivalent « capitaliste ». (Il va sans dire qu'il ne s'agit ici que du territoire de l'Union soviétique proprement dite ; l'Europe de l'Est est hors de cause.) Les investissements russes ont favorisé et continuent de favoriser, dans les provinces-frontières, maintes activités économiques auxquelles les territoires intéressés, s'ils étaient indépendants, ne pourraient subvenir, faute de moyens suffisants. Les voies ferrées (dont un grand nombre, certes, datent d'avant 1917) ouvrent aux provinces en question des débouchés qu'ils n'auraient pu trouver autrement ; la valeur marchande de leur production est augmentée d'autant. Mais en même temps, on fermait à ces territoires toute possibilité d'équilibrer leurs économies propres. Pour les organes centraux de planification, l'immense Union constitue un tout économique : les industries sont implantées, les cultures réparties suivant des impératifs tantôt strictement économiques, tantôt d'ordre stratégique - mais étrangers, en tout état de cause, aux vœux des populations locales. Cette politique d'intégration dans l'économie globale de l'Union ne va pas sans soulever, dans les républiques nationales, de vifs ressentiments. BibliotecaGino Bianco 215 Quel eût été le sort économique de ces re• gions si elles n'avaient pas été soumises au régime soviétique ? Question que nous pouvons laisser de côté dans le présent contexte, pour ne retenir qu'une conclusion peu contestable : pour les républiques nationales, l'intégration dans un vaste ensemble économique a présenté de sensibles avantages -:, . On a cherché à démontrer, statistiques à l'appui, que la Russie tire de ces territoires plus qu'elle n'y met ; mais ces démonstrations ne sont guère convaincantes, parce qu'en règle générale elles ne tiennent pas compte des dépenses d'administration et de défense nationale qui incomberaient aux républiques si elles étaient indépendantes. De tels calculs sont aussi étrangers aux réalités que certaines analyses marxistes qui prétendent chiffrer ce que rapporte une colonie à ses exploiteurs capitalistes. Mais ep l'occurrence peu importe la vérité comptable. Au sens politique, ce qui compte est le sentiment d'être exploité. Et il est certain que dans les républiques nombreux sont les autochtones profondément, passionnément convaincus que leurs pays sont réellement exploités par la Russie. Enfermées depuis un demi-siècle dans une économie close, privées d'accès direct aux marchés étrangers, les économies des républiques nationales sont aujourd'hui amalgamées, vaille que vaille, aux autres régions de l'Union. Mais cette réalité économique détermine-t-elle leur avenir politique ? On sait par exemple à quel point l'économie algérienne était naguère intégrée dans celle de la métropole, et à quel point, depuis l'indépendance, elle a régressé. Cette conséquence prévisible n'a nullement empêché les nationalistes algériens de combattre résolument pour leur indépendance. Si en pareille matière les considérations économiques l'emportaient, le nationalisme n'existerait pas - puisque sur le plan économique tout nationalisme est absurde. L'intégration économique des différentes parties de l'Union soviétique n'est pas en elle-même de nature à brider chez les minorités le sentiment national ou à freiner un mouvement nationaliste. Il est un autre aspect de la question. S'il est vrai qu'en règle générale l'indépendance se paie, si en se séparant de la métropole l'économie d'un territoire colonial subit un recul dans son ensemble, il n'en reste pas moins que certaines catégories d'autochtones bénéficient du changement de statut. Reprenons l'exemple de * L'auteur estime que la situation économique de la Russie et de son empire serait aujourd'hui bien plus favorable si la révolution n'avait pas eu lieu - mats cette question est étrangère au sujet traité.

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