Le Contrat Social - anno XII - n. 4 - dicembre 1968

L /Expérience communiste LE POUVOIR SOVIÉTIQ!IE ET LES NATIONALITÉS par Richard Pipes PAR NATURE, nationalisme et démocratie vont de pair. Leur alliance essentielle est souvent méconnue en Occident, où le nationalisme, une fois parvenu à son plein développement, n'a pas tardé à s'affranchir de ses attaches démocratiques et à s'orienter de plus en plus nettement dans le sens conservateur, voire réactionnaire. Mais il n'en a pas toujours été ainsi en Europe et il n'en va toujours pas ainsi dans les diverses régions où l'éveil du sentiment national est de date récent~. On y retrouve de nos jours l'association traditionnelle et intime des deux principes. Cette parenté profonde est logique. De l'affirmation de la souveraineté du peuple, principe de la démocratie, découle la question : qu'estce donc que le « peuple », qui le constitue ? Le pouvoir du « peuple », combien sont-ils à l'exercer, et quels sont ceux qui l'exercent ? A de telles questions l'idée de nation fournit la réponse la plus immédiate, la plus commode. Le « peuple », c'est la « nation », l'ensemble de ceux qui ont pour patrimoine commun une langue et une culture séculière. On constate d'ailleurs que dans la plupart des constitutions européennes de la fin du XVIIIe et du début du XIXe siècle, les termes « peuple » et « nation » sont employés indifféremment. Il en résulte que dans les empires multinationaux où un peuple en domine de nombreux, l'interpénétration du sentiment national et de la volonté démocratique est en soi une force explosive. Dans un tel contexte en effet la « souveraineté du peuple » n'implique pas seulement l'institution d'un régime démocratique, mais le renversement d'un pouvoir étranger. Pour mesurer les effets d'une telle conjonction, il suffit d'évoquer l'histoire tourmentée de l'Autriche-Hongrie ou le sort de l'Empire britannique. Or ces vastes BibliotecaGino Bianco structures étaient considérées naguère encore comme parfaitement viables. De même s'accordait-on en règle générale, jusqu'à la fin du siècle dernier, pour considérer la Russie impériale comme une entité politique viable. Seuls s'y refusaient les Polonais - conquis de fraîche date et rebelles à l'assimilation. On peut se demander à ce propos si l'impérialisme des Russes fut plus brutal que celui des Occidentaux. Rien ne permet de l'affirmer, comme rien ne permet de retenir les arguments avancés par tels historiens soviétiques du temps de Staline et des années postérieures pour faire ressortir à tout prix les traits « progressifs » qui auraient distingué l'expansion russe. L'Empire russe était un empire comme les autres - moins bien administré, peut-être, surtout dans les provinces éloignées où la carence du pouvoir central permettait de graves abus. Toutefois l'inefficacité relative du pouvoir avait son bon côté, dans la mesure où elle favorisait la diversité. Jusque dans les années soixante du siècle dernier, d'immenses territoires échappaient encore à la tutelle des administrations de Saint-Pétersbourg et bénéficiaient d'une réelle autonomie : ainsi la Livonie, la Finlande, la steppe kazakhe. Mais ce qui complique les choses quant à l'impérialisme russe, c'est que chez les GrandsRussiens eux-mêmes, l'éveil de la conscience nationale a été tardif. Les Russes se sont découverts comme nation à peu près en même temps que les peuples qu'ils avaient assujettis - à l'exception une fois encore des Polonais. Autrement dit, à l'époque même où se précisait chez les Russes le sentiment national, ils eurent à combattre des nationalismes dirigés contre euxmêmes. Il est permis de penser que cette contemporanéité a joué un rôle considérable dans

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