Le Contrat Social - anno XII - n. 4 - dicembre 1968

A. GA/EV dérations littéraires n'étaient pas seules en cause afin d'embarrasser le jury et empêcher que le prix ne soit attribué à !'écrivain russ~. C'est enfin ce qui ressort également de l'attitude de la presse soviétique qui passa la chose sous silence. Soljénitsyne a encore un autre très grand mérite : la haute valeur artistique de sa manière d'écrire. Il a créé un style qui se distingue par un expressionnisme étonnant et par un don de rendre avec des mots l'atmosphère des prisons et des camps soviétiques. Cette qualité, mise d'emblée en relief par sa première nouvelle, a atteint son ~lu~ ~aut degré dans ses grandes fresques htteraires, qui ne sont publiées pour le moment qu'en dehors de l'Union soviétique. Notons ici que Soljénitsyne, même quand il était déporté, et plus tard lorsqu'il fut nommé professeur en province, se consacrait avec une inlassable abnégation au travail littéraire. C'est ~insi que sont nés des romans comme Le Pavillon des cancéreux et Le Premier Cercle qu'on cache avec tant de soin aux lecteurs soviétiques. D'un point de vue formel, la première de ces deux nouvelles œuvres se situe, semblet-il, dans un cadre des plus étroits. Elle nous transporte dans un service d'hôpital où l'on traite le cancer. A vrai dire, elle se borne à nous montrer une salle d'hôpital et quelques membres du personnel médical. Mais, décrivant les conditions d'existence de tout ce monde, l' écrivain a su dépeindre les traits spécifiques de la société soviétique. Le lecteur découvre les contradictions les plus typiques du système, l'inertie du stalinisme et d'autres phénomènes sociaux inhérents a~ régi11;_se~viétique. Dans cette œuvre, point d intrigue poussant le lecteur à se demander ce qu'il va arriver. Mais la partie documentaire est présentée de telle sorte qu'à chaque page l'intérêt croît. Dans ce livre, que l'auteur qualifie modestement de « nouvelle» bien qu'il ait 446 pages, se mêlent l'une à l'autre deu~ terribles maladies : d'une part, les tumeurs incurables et les plaies cancéreuses; de l'autre, les plaies sociales, tout aussi incurables, nées du système communiste. Ce système a pour effet de mutiler toute une catégorie d'hommes, de les contaminer, de leur inoculer de terribles microbes. Cependant, l'optimisme l'emporte dans Le Pavillon des cancéreux. Le côté sain a le dessus, c'est-à-dire les hommes de cœur et de bon sens. Voici notamment certaines réflexions qu'inspire à l'académicien Chouloubine le socialisme : On dit << démocratique >>m, ais c'est une façon superficielle de qualifier non pas l'essence du socialisme, mais seulement sa forme introductive, son genre de système étatique. C'est une simple déclaration d'intention qu'on ne coupera pas les têtes, mais pas un mot n'est dit BibliotecaGino Bianco 2.09 sur quoi sera construit le socialisme. Or o~ ne pourra pas l'instaurer sur l'abondance de biens, car si les hommes sont devenus des buffles, ils piétineront ces biens. Et ce ne sera pas non plus ce socialisme qui ne cesse de répandre la haine, car on n'édifiera pas la vie sociale sur la haine. Et celui qui d'année en année aura brûlé de haine ne pourra pas d'emblée s'écrier : << C'est assez I A partir d'aujourd'hui je cesse de haïr et je n'aurai plus que des sentiments d'amour>>. Non, il restera un haineux et trouvera plus près quelqu'un d'autre à haïr. Ainsi voit-on naître l'enseignement d'un socialisme moral sous lequel les rapports humains et les lois étatiques découleraient de l'éthique. Le second livre de Soljénitsyne, Le Premier Cercle, est encore plus important. Là ~~ssi Soljénitsyne reste fidèle à lui-même, au miheu où l'a plongé l'implacable destin. Dans cette œuvre figurent derechef des détenus, mais pas des détenus o~dinaires. Ce sont d~s !~présentants de l'élite intellectuelle : academic1ens, techniciens de grande classe, inventeurs et ouvriers qualifiés. Tous ont échoué là parce qu'au début des années 50, sur l'initiative de Staline lui-même, on décida de créer à Mavrino, banlieue de Moscou, un institut de recherche scientifique en utilisant les savan~s et les spécialistes emprisonnés. Cette machination avait, bien entendu, sa raison d'être, car d'éminents hommes de science se trouvaient sous les verrous. Ainsi dans ce lieu de détention privilégié sont réunies 281 personnes qui ont à leur disposition, certes sous une surveillance rigoureuse, des laboratoires modernes, des ateliers spécialisés, etc. Naturellement ces hommes, bien qu'intéressés par certains avantages de leur situation, traitent leur institut avec beaucoup d'ironie et l'appellent« le gourdin». Il va sans dire qu'ils aimen~ leur travail, bien qu'ils soient tenus de lui donner quatorze heures par jour. Mais ces longues journées de labeur ne les empêchent pas de consacrer du temps à des discussions philosophiques, d'autant plus que là, dans cette atmosphère de prison, on peut parler à cœur ouvert et aborder les sujets les plus variés. Les discussions roulent sur l'instabilité des problèmes sociaux, sur l'impossibilité du bonheur, sur le sens de la vie et même sur les avantages de leur condition serve. Gleb Nerjine, la figure centrale de l'œuvre, s'exprime ainsi : Sur la planète de la philosophie, toutes les terres ont été découvertes depuis longtemps 1 Je me remémore les sages de l'antiquité et je trouve chez eux mes pensées les plus récentes. Je voudrais citer un exemple : dans les camps, et à plus forte raison ici, au << gourdin », si par miracle on nous donne un din1anche de repos, en un jour notre âme se dégèle et s'envole au loin; et quand mên1e rien n'aurait changé en mieux dans ma condition actuelle,

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