L. EMERY Au NIVEAU des étudiants nous étions dans le domaine du burlesque ou du traditionnel chahut du baccalauréat, démesurén1ent prolongé, mais les complices furent innombrables et c'est par là que tout devient très grave. M. de la Palisse commencerait par remarquer que ces agités avaient sans doute des parents et que nous avons d'emblée la preuve évidente de l'impuissance, de la veulerie ou de l'approbation émerveillée des familles. Or on ne peut douter qu'en leur grande majorité ces parents démissionnaires étaient de bons bourgeois qui, donc, au sens le plus concret du terme, nourrissaient le tumulte, tout en conspuant la police, sans cesser de compter parmi les milieux les mieux nantis et souvent les plus conservateurs. Ils n'est pas rassurant de voir ainsi la bourgeoisie pactiser avec l'anarchie et même s'en faire amusement ou gloire. N'oublions pas que si les vastes grèves ouvrières méritent au moins l'estime par le soin d'éviter violences et destructions, la Commune estudiantine fut un répugnant carnaval de vandalisme, de débauche et de grossièreté ; on choisissait pour s'émanciper la plus commode des méthodes, sous les yeux indulgents des pères. Mais il y eut une autre connivence plus inexcusable encore, celle des maîtres. On doit plaindre no1nbre d'enseignants, on peut en admirer quelques autres, mais on ne saurait contester que l'autorité morale de l'Université est en miettes. Elle a démontré largen1ent son Îlnpuissance éducative, prodigué les exemples de grèves faites à tout propos pour de bas intérêts, de discordes byzantines entre catégories, de résistances routinières Hu sein d'un mandarinat égoïste ; après quoi - et comme pour redorer son blason - elle s'est en grande partie précipitée dans la démagogie la plus insane. On s'est aperçu, avec un effarement dont Raymond Aron laisse voir en lui les traces, que des maîtres illustres, fussent-ils des prix Nobel ou des académiciens, pouvaient apporter dans la vie sociale des opinions faites également d'ignorance et de fanatisme. Ecrivant son Opiunz des intellectuels, Raymond Aron avait déjà montré qu'il ne se faisait pas beaucoup d'illusions quant à l'aptitude d'un savant spécialiste à déraisonner ou à ne pas voir les faits. Je me permets de rappeler que, dans cette revue même, j'ai souhaité pour l'Univerc:;ité, il y a plusieurs années, une cure d'humilité, ce qui ne plut pas à tout le monde. Je puis seulement ajouter aujourd'hui que j'étais alors bien trop modéré, les fruits ayant largement dépassé Ja promesse des fleurs. BibliotecaGino Bianco 205 Mais l'intelligentsia est une classe ou une caste et l'Université y est rattachée de mille manières, ce qui explique aussi les contacts avec la bourgeoisie qui se croit cultivée et qui pousse ses enfants des deux sexes vers les lycées et les facultés, certes par souci des carrières honorables et lucratives, mais aussi par convoitise d'un vernis mondain, voire d'un vernis esthétique. Nous voici donc conduits à considérer la mode multiforme, l'état d'esprit moyen dont les écrivains, les artistes, les cinéastes se font les pourvoyeurs plus ou moins adulés ; cela ne va pas sans susciter les plus vives alarmes. L'art et les lettres, lorsqu'ils méritent leurs vrais titres, ont droit à l'admiration reconnaissante, mais lorsqu'on s'aventure, co1nme on est bien forcé de le faire chaque jour, dans l'odeur du nihilisme, on pense aux terribles avertissements que nous a donnés dans Les Démons le génie de Dostoïevski et l'on retrouve la continuité entre ses ténébreux héros et les fantoches modernes qui en sont la menue monnaie. Il n'est pas question de porter ici un jugement, même seule1nent esquissé, sur l'art et les lettres de notre temps, mais tout le monde voit bien que l'œuvre qui s'accomplit est une œuvre de dissolution, par quoi nous revenons une fois de plus à l'anarchie mentale et à une sorte de schizophrénie ; plus de principes, plus de refoulement, donc de contrôle de soi, plus de souci d'une responsabilité ou d'un devoir. Louons le courage de Rayn1ond Aron qui ose rappeler aux beaux esprits que ces jeux de princes sont aussi jeux de décadence que sanctionne le destin. Parmi ceux qui n'ont pas abjuré la conscience, un Jean Onimus, un Pierre-Henri Simon, il en est encore pour dire parfois leur fait aux empoisonneurs publics, mais ils montrent un tel souci de comprendre et d'exposer, une telle ouverture devant la vieille excuse par la volonté de vérité, qu'à maints égards ils servent ce qu'ils dénoncent. Au reste, le danger n'est pas seulement dans le laxisme obscène il est aussi dans une fureur d'abstraction et de fausse logique. C'est ainsi qu'un digne prêtre en1porté par son goût d'une religion purifiée, propose froidement de convertir en musées les cathédrales et les églises, la messe n'ayant qu'à gagner à des transferts vers des chan tiers ou bien des locaux fonctionnels plus commodes, dans un étage de grand building et entre des bureaux. Qui ne reconnaît là, en une forme particulièrement sincère et noble peut-être, la frénésie de l'idéologue combinée à la totale absence de sens social et de sens hi~,torique ?
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