Le Contrat Social - anno XII - n. 4 - dicembre 1968

LA R13VOLUTION INTROUVABLE par Léon Emery RIEN de plus enfantin que de concevoir une révolution comme l'application méthodique d'un plan ou d'une doctrine; elle est au contraire le domaine de l'improvisation et de l'opportunisme, de la confusion, de l'imprévu et de la fatalité. Dans l'Allemagne de 1918, abandonnée par ses princes qui avaient désigné pour leur succéder le social-démocrate Ebert, tout semblait indiquer que cette fragile survivance légale allait être promptement emportée par la marée communiste ; mais il suffit de quelques milliers d'anciens soldats résolus, armés par le socialiste Noske, Versaillais très efficace, pour rétablir l'ordre militaire dans les grandes villes, l'effondrement des bolchéviks devant Varsovie confirmant bientôt la faillite du grand projet de conquête révolutionnaire de l'Europe. La révolution activiste étant ainsi exclue, la République de Weimar recevant prorogation, il fallut laisser agir ce que les observateurs les plus perspicaces, disciples de Spengler et de Rathenau, appelèrent la Révolution invisible, fille de l'inflation et de la catastrophe monétaire, dont les magnats de l'industrie lourde profitèrent puissamment. Pendant quelques année la République des Konzerns vécut à peu près en paix sous le contrôle des banquiers américains et anglais, fournisseurs de crédits ; mais la terrible crise boursière de 1929 la précipita dans le chômage et la panique, ce dont le résultat ne se fit pas attendre, encore qu'il ne correspondît point à des prévisions banales. Un nazi transfuge, Rauschning, dénonça ce qu'il appelait la Révolution du nihilisme ; dans le moment même, et compte tenu de la lutte contre le chômage dans l'autarcie, il semblait très injuste, mais les enchaînements fatidiques ne BibliotecaGino Bianco laissèrent en effet d'autre issue que les hideux massacres, la destruction totale et le suicide des chefs. On revint à une variante du plan Dawes et au financement par le dollar de la très méritoire Restauration d'Adenauer. Mais en ces péripéties surprenantes qui peut se flatter de discerner une dialectique de type marxiste ? L'an dernier s'est déroulée en France cette pseudo-révolution que Raymond Aron a spirituellement qualifiée d'introuvable. S'il fallait discuter toutes les allégations contenues dans son livre*, et d'ailleurs toujours propres à faire réfléchir, ce serait à n'en plus finir. Il faut s'en tenir à ce qui fait la partie majeure de l'ouvrage, à l'examen de la tornade universitaire et, par extension, à la frénésie d~s intellectuels ; là du 1noins on peut commencer par une approbation sans réserves dont je crois pouvoir dire que, pour l'essentiel, elle fut anticipée sur la parution de l'ouvrage. S'il en est qui ont reproché à Raymond Aron d'avoir pris position sans équivoque, déclaré clairement son dégoût, son indignation et son angoisse, je l'en applaudis personnellement avec chaleur. Je crois comme lui que ces saturnales sont la révélation d'un très grave affaissement moral, qu'en dépit d'un audacieux effort de reconstruction, notre Université, dont on a tué l'âme sans pouvoir lui en redonner une autre, n'est pour des années qu'une ruine ou tout au plus un chantier, que par là s'affirme dans notre corps social une lésion du cerveau bien plus grave que n'importe quel malaise économique et que, s'il en peut un jour résulter une révolution, ce ne sera point du tout en un sens prévisible et • Raymond Aron : La Révolution introuvable. Réflexions sur les événements de mai. Pnrfs 1068, Llbr. Art hème Fayard, (Coll. • En toute lfbcrté •), 187 pp.

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