Le Contrat Social - anno XII - n. 4 - dicembre 1968

B. SOUVARINE dans tous les pays arriérés du monde, que le culte de Mao s'érigeait en rival du culte de Staline, etc. Il n'était donc pas question de méconnaître alors les germes de conflit entre les deux despotismes, mais il n'empêche que subsistait la solidarité foncière des deux partis « frères » et que les Chinois, tout en usant d'une marge tolérable d'initiative quant à leur tactique, se subordonnaient à la stratégie globale dictée par Staline : ils dépendaient entièrement de l'Union soviétique pour les progrès de leur industrie et pour leur armement moderne. Aussi souscrivaient-ils à la « coexistence pacifique » affirmée par Staline en 1925, synonyme de guerre froide, et réitérée par lui jusqu'à sa mort. Mao a menti en se targuant de l'avoir inventée, puis a menti encore en accusant de révisionnisme, de collusion avec l' « impérialisme », les communistes qui la préconisent toujours. A propos de tout ce qu'il anathématise après l'avoir explicitement approuvé, il ment de même. En 19 5 6, il s'était aligné sur le XXe Congrès du P.C. soviétique où fut déboulonné Staline. Il condamnait le « culte de la personnalité », se ralliait à la réconciliation avec Tito, suivait sans restriction le tournant auquel présidait Khrouchtchev. Sous son autorité, le VIIP Congrès du P.C. chinois, réuni en 1956 onze ans après le précédent (ce qui montre à quel point Mao se moque du Parti et du peuple), décide de « consolider et renforcer notre amitié fraternelle, éternelle et indestructible avec la grande Union soviétique ». Mao déclare : « C'est grâce au soutien du camp de la paix, de la démocratie et du socialisme, avec à sa tête l'Union soviétique ( ... ) que nous avons remporté nos victoires. » Ensuite : « Au cours du xxe Congrès tenu il y a peu de temps, le P.C. de l'Union soviétique a encore formulé un grand nombre de justes directives et critiqué les insuffisances qui existaient chez lui. Il est certain que son travail connaîtra un essor de la plus grande envergure. » Enfin : « Il faut savoir apprendre auprès de notre avant-garde qu'est l'Union soviétique. » Liu Chao-chi, rapporteur du Comité central, et tous les orateurs abondent dans le même sens. En 1957 et 1960, non content de contresigner les déclarations collectives adoptées par tous les partis communistes à Moscou et à Bucarest, Mao exige de reconnaître la prééminence du P.C. soviétique dans le communisme international. En 1959, il avait signé un télégramme de congratulations à Khrouchtchev. Jusqu'en 1961, les assurances de son obédience envers Moscou se répètent, ainsi que celles de ses ministres. BibliotecaGino Bianco 199 MAIS à l'occasion du xxrre Congrès du P.C. soviétique en 1961 et de la querelle soviéto-albanaise, un conflit latent se dessine au grand jour et va s'accentuer jusqu'à l'antagonisme déclaré en 1963. Alors Mao répudie la « déstalinisation », proclame les mérites majeurs de Staline, dénonce comme révisionniste la direction collective de Moscou, l'accusera même de complicité avec l' « impérialisme », entreprendra une campagne antisoviétique de diffamation injurieuse, voire ordurière. Il a donc menti tout au long des années précédentes et il continue de mentir en accumulant contre le « glorieux parti frère » toutes sortes de griefs imaginaires. Le vrai motif de son hostilité inexpiable, il ne l'avoue pas : c'est que Khrouchtchev, en 1958, au nom de son parti, lui a refusé les moyens balistiques d'attaquer Formose, de provoquer ainsi une guerre avec les Etats-Unis. Notre hypothèse sur ce point, émise en son temps, est devenue certitude, et l'on ne saurait contredire ici les voix officielles qui, à Moscou, le 18 août 1963, reconnaissaient qu' « il ne s'agit plus pour nous d'un différend idéologique » et que « les prétentions chinoises se résument, en fait, en une seule phrase : donnez-nous des armes atomiques ». Notons que 1958 est précisément l'année où, en décembre, Mao jugé dangereux par son Comité central est remplacé par Liu Shaochi à la présidence de la République. Durant la guerre aussi froide que véhémente qui s'ensuit entre communistes, la mauvaise foi coule à pleins bords et Mao se distingue par l'impudence de ses mensonges, tant sur le plan des luttes intestines chinoises qu'en politique étrangère. Dans une revue comme la nôtre, il faut se limiter et s'en tenir, par exemple, à quelque cas assez significatif pour dispenser de s'étendre davantage. Liu Shao-chi, président de la République, cun1ulait les plus hautes charges dans le Parti et dans l'Etat, aux côtés de Mao. Il est entre autres l'auteur de la brochure Comnzent être un bon communiste, à mettre entre toutes les mains chinoises, véritable manuel ou catéchisme indispensable à chaque membre du Parti ; il y cite des « pensées » de Mao qui, à son tour, le cite dans son petit livre rouge. Du jour au lendemain, Liu se métamorphose en traître, en criminel, anti-parti et agent de l'impérialisme (comme ce fut le cas de Trotski, sous Staline). Il n'est plus qu'un tigre de papier, qu'il faut « réduire à un tas d'excréments de chien ». Chou En-lai révèle que « depuis vingt-deux ans, Liu mène une activité antiparti » (comme Trotski en U.R.S.S. naguère). Par conséquent Mao et Chou ont trompé le

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