198 pervertissent les néophytes intellectuellement faibles et prompts à s'engouer pour l'une ou l'autre des modes concurrentes, maoïsme, castrisfe, trotskisme, qui semblent rivaliser mais en quelque mesure se confondent. En France, le snobisme bourgeois s'en mêle et amplifie le tumulte des sectes, les privilégiés de la vie facile posent volontiers aux iconoclastes, et les insanités de Mao leur offrent excellent prétexte à prendre des attitudes aussi gratuites qu'avantageuses. Un seul exemple, mais assez significatif : on a pu lire dans le Monde du 16 mars 1967 qu'à Paris les étudiants de l'Ecole supérieure des sciences économiques « ont acclamé » un Chinois de l'ambassade qui venait de leur enseigner la révolution culturelle, laquelle « doit servir de modèle au prolétariat mondial », mais dont l'issue ne sera connue qu'après « plus d'un siècle » ( les délais varient selon les oracles). Le mandarin aux ordres garantit à son auditoire que la révolution culturelle « n'a pas nui à la production : au contraire, elle a donné une impulsion nouvelle à l'agriculture, à l'industrie et à la recherche scientifique ». Credo quia absurdum : les freluquets de cette Ecole dite « supérieure » ont gobé avec délices les boniments du Chinois « et l'ont assiégé en lui demandant de signer des exemlpaires du petit livre rouge de citations du président Mao qui leur avait été distribué à l'entré~ ». Ils avaient appris la veille, même journal, qu'en Chine « les élèves doivent corriger leurs professeurs », et ils sauront l'année suivante (8 août 1968) que « les étudiants chinois recalent leurs professeurs ». Puisque la fermeture des écoles et des universités donne « impulsion nouvelle ... à la recherche scientifique », comment ne pas aduler Mao qui invente la solution idéale aux problèmes de la culture en supprimant les études? Principal véhicule de la propagande chinoise en France, le Monde n'a pas été seul à lancer la mode « garde rouge ». Il entraîne dans son orbite des journaux satellites et inspire une large polyphonie de presse écrite et parlée, de l'extrême droite à l'extrême gauche. La Radiotélévision française lui fait écho, renchérit, insiste, illustre les th~mes. Le Figaro} saisi d'émulation dès qu'il s~àgit des modes, a publié de prétentieuses sottises pour exalter « la jeunesse chinoise, moteur de la révolution continue », et signées Jean Chauvel, ambassadeur de France, quitte à faire semblant d'ignorer que cette belle jeunesse a été remise au pas, matée par ceux-là mêmes qui l'avaient pervertie et débridée. La Nation française, au nom du natioBibliotecaGino Bianco LE CONTRAT SOCIAL nalisme intégral, a salué avec frénésie les exploits érostratiques des vauriens déchaînés par Mao. Dans la Révolution prolétarienne, revue syndicaliste révolutionnaire, Robert Louzon a pris parti pour le super-stalinisme de Mao et de Lin contre les travailleurs de l'usine et de la terre. Au quartier Latin, des librairies subventionnées diffusent à profusion la littérature maolinesque arrivée en masse par mer et par avion, annoncée à grands frais dans le Monde, et que distribuent plusieurs coteries prochinoises rivales. De tout cela, on a eu les conséquences lors des émeutes de Mai dernier en France, cependant que des soudards munis du petit livre rouge rétablissaient l'ordre en Chine, au nom de Mao qui avait fomenté le désordre. On s'interroge en vain sur ce qui, en Occident, séduit les jeunes philistins des grandes écoles au spectacle répugnant du chambardement chinois pseudo-.culturel. Le phénomène n'étant pas spécifique à la France ni manifesté à l'état pur, car il s'y mêle toutes sortes de revendications chimériques et d'imprécations contradictoires, car la volonté de jouissance s'y combine avec la volonté de puissance et les deux se traduisent en recours aux violences gratuites ou provocatrices, il faut pour l'heure se borner à ne considérer que la Chine de Mao devant laquelle se prosternent tant d'Européens dénués de sens moral, mais forts de leur ignorance crasse. Le fait incontestable et dominant est que Mao, s'il a eu le talent de s'emparer du pouvoir et de s'y cramponner, n'en est pas moins un incapable en tant qu'homme d'Etat et un menteur en tant que théoricien de la révolution et « grand timonier » du vaisseau chinois de haut bord. Toutes ses initiatives gouvernementales ont fi.ni par des déboires, parfois des désastres. Quant à sa ligne de conduite visà-vis du régime soviétique et des autres partis communistes, elle n'est jalonnée que de mensonges, constatés par tout observateur sérieux . ' et s1ncere. Dès 1960 dans un article de la présente revue, « Ombres chinoises » (numéro de novembre), nous notions les discordances sinosoviétiques relevées notamment depuis une dizaine d'années dans le supplément de l'Economist de Londres (19 juillet 1951), donc antérieures à fa. mort de Staline. Elles prouvaient que Mao prenait déjà ses distances par rapport au P.C. soviétique et à son maître, que le P.C. chinois se traçait une « ligne » particulière pour se différencier de la politique de Moscou1 que l'oligarchie à Pékin s'attribuait la direction des mouvements révolutionnaires en Asie et
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