B. SOUVARINE afin de refouler une démagogie galopante, de restaurer l'autorité indispensable, d'enrayer la catastrophe économique en perspective. De fait, sous le masque d'une triple alliance des communistes, des militaires et des jeunes gardes mélangés de « rebelles » gauchistes, ce sont presque partout des vieux cadres de l'armée qui, avec des vétérans rescapés du Parti, dominent la plupart de ces nouveaux comités révolutionnaires où l'amalgame varie selon les régions et les circonstances. Il va presque sans dire que lesdits Comités se soucient de Marx et de Lénine, dont Mao se réclame à l'instar de Staline comme de ses ancêtres spirituels tout en vomissant les Européens en bloc, se soucient de Marx et de Lénine, disons-nous, autant que de leur première chemise. A leur diligence, les hordes de marmousets ont été peu à peu dispersées dans les profondeurs des campagnes pour y assouvir leur tempérament et apaiser leur zèle intempestif dans les travaux agricoles en tenant d'une main la bêche ou la pioche, et, dans l'autre, les « citations du président Mao » qui composent le Petit Livre rouge. Après deux années de désordres indescriptibles et de violences insensées, de luttes intestines féroces, d'échauffourées meurtrières et de répressions sanglantes, de grèves, de sabotages, de destructions, de pillages, d'incendies, de dénonciations réciproques, d'épurations en masse et de réhabilitations en série aussi peu explicables que les disgrâces antérieures, les comités révolutionnaires sont décidément maîtres de la situation, détenteurs du pouvoir réel. Certes Mao trône à Pékin, mais après l'avortement de sa révolution « culturelle » qui aboutit dans l'immensité de la Chine à la prépotence d'une soldatesque inculte, aux ordres de la coterie installée aux leviers de commande dans la capitale. C'est à l'intention de cette soldatesque, qui d'ailleurs en grande majorité ne sait pas lire-1-, que Lin Piao avait fait compiler en 1964 le recueil des « pensées » de Mao devenu le catéchisme rouge des marmousets, ensuite imposé aux adultes, et qui, comble de dérision, allait susciter dans un « Occident pourri » l'engouement de la bourgeoisie asinesque et, en partie, de sa jeunesse universitaire désaxée. Ce recueil répandu dans le monde à millions d'exmplaires * Les dictionnaires chinois les plus complets contiennent environ 44.000 signes (idéogrammes) dont beaucoup sont tombés en désuétude. Mais il faut en savoir 10 à 12.000 pour ]ire des livres contemporains et 3 à 4.000 suffisent à la lecture des journaux ou des tirades de la propagande : encore trop pour des soldats incultes. BibliotecaGino Bianco 197 en toutes langues par la Chine et réimprfmé en quantités innombrables par des éditeurs bourgeois pressés de make money illustre étonnamment la médiocrité du « penseur » qui a besoin de tels procédés pour se jucher indûment sur un piédestal temporaire : le précédent de Staline ne lui a rien appris, ni le sort du Précis stalinien d'histoire tiré à plus de 50 millions d'exemplaires et mis au rebut après la mort du despote. Sur ce catéchisme chinois heureusement soporifique qui tient du sottisier plus que du florilège, il faut lire dans Est et Ouest (n° 381 d'avril 1967) l'analyse de Claude Harmel : « Autopsie du petit livre rouge ». En fait de platitude, de monotonie et de banalité, écrit le commentateur, on ne trouverait pas mieux dans l'ensemble de la littérature communiste, pourtant riche en écrits médiocres qui se répètent à n'en plus finir. Dans ce « monument de vulgarité intellectuelle » où la « pédagogie pour sous-développés mentaux » le dispute aux lieux communs les plus défraîchis, tout ce qui n'est pas banalité courante est plagiat d'auteurs décédés : les citations parallèles et les références que produit Cl. Harmel en sont la démonstration irréfutable. Cette morne anthologie a pourtant trouvé des laudateurs serviles dans le Monde et chez les satellites de ce journal bien pensant (de nos jours, bien penser consiste à prendre parti pour les bourreaux contre les victimes). En plus de ses rédacteurs habituels préposés à la servilité envers les despotismes orientaux, le Monde a recruté en renfort des « crapules staliniennes », comme les définissait récemment un porteparole pittoresque mais nocif des étudiants de N~nterre, « crapules staliniennes >> apparentées spirituellement (si l'on peut dire) aux vidangeurs de Pékin pour vanter à pleines colonnes à pleines pages, l'excellence des « pensées » d~ Mao les plus nulles ou les plus odieuses, bref les plus « prométhéennes » selon un de leurs émules en apologétique. Ainsi s'explique pour une grande part la répercussion que le « temps des troubles en Chine » (cf. l'article sous ce titre dans notre revue de janvier 1967) a eue en 1968 sur le printemps des troubles en France. * * * Tous les vices à la mode pa9Sent pour << v~rtus », dit ~olière. La décomposi- . t1on du stalini. 1ne a engendré en Occident des sous-produits qui se disputent l'adhésion de la jeunesse oisive et disponible,
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