196 que le Monde lui-même, bien que médusé par les « pensées » de Mao, l'a plusieurs fois admise par inadvertance, ce qu'attestent des titres comme « La lutte pour le pouvoir se poursuit dans les provinces chinoises » ( 15 août 1967). De tels aveux involontaires abondent, parallèlement aux billevesées respectueuses du « conflit idéologique ». L'ersatz d'idéologie a été forgé après coup pour camoufler le caractère sordide de la bagarre ; c'est d'ailleurs une pratique constante de ce stalinisme que les ignorants et les niais tiennent pour du « marxismeléninisme ». La mégalomanie, qu'elle soit de Staline ou de Mao, n'est pas de l'idéologie, si les mots ont un sens. Et la volonté d'hégémonie ne l'est pas davantage. A ne considérer que les rapports entre partis et régimes communistes respectifs, il n'y eut donc pas erreur de notre part sur l'essentiel en contestant les déductions baroques tirées de fausses prémisses idéo-illogiques quand la mode du moment incitait tantôt à spéculer sur le pseudo-pacifisme de Moscou contre le pseudobellicisme de Pékin, tantôt à « soutenir » Khrouchtchev contre Mao, tantôt à « reconnaître » Mao pour le guérir de ses complexes de frustration et autres en le chouchoutant au sein de la grande et sainte famille des Nations (oh, combien) unies, mais unies seulement pour se moquer du monde. Le raisonnement qui valait en général pour les deux despotismes n'a pas valu en particulier pour Mao, sa clique et sa claque. Toutefois il y a erreur et erreur, comme il y a fagot et fagot. Nostradamus lui-même qui a tout prédit dans ses Centuries fuligineuses, au point de contenter Maurras à quatre siècles d'intervalle, n'a rien deviné qu'on puisse interpréter comme annonçant la déconfiture du dragon de papier, le P.C. chinois, terrassé sous la lance du cavalier saint Mao et la fronde de ses marmousets. Mais il n'était nul besoin d'être prophète, ni sinologue, pour prévoir le fiasco de l'immonde chienlit pseudo-culturelle qui a épaté la panbéotie occidentale et qui infecte la jeunesse plus ou moins dorée des civilisations urbaines que Lin Piao menace de jacquerie universelle. • * * DANS le deuxième semestre de 1966, Mao, entré en guerre contre son propre parti et contre le peuple chinois, · réussit la première phase de ce qu'il souhaitait et que résume sa formule : « Plus de chaos, mieux cela vaut ». En fait de chaos, la Hitlerjugend rouge réalisa ses vœux à tel point qu'il fallut BibliotecaGino Bianco LE CONTRAT SOCIAL bientôt en freiner les débordements. Chou Enlai fut l'interprète du freinage, du containment sans lequel l'économie nationale eût sombré dans le tohu-bohu. L'armée subissait alors des épurations drastiques analogues à celles qui sévissaient sur tous les plans, mais la majeure partie restait passive tandis que Lin Piao disposait de forces suffisantes pour intervenir là où le gâchis prenait tournure désastreuse et sanglante. Car si les jeunes enragés purent se livrer effrontément aux pires excès dans les administrations et les universités, dans les pagodes et les églises et les musées, il n'en alla pas de même quand ils prétendirent régenter les usines et les campagnes. Les ouvriers leur infligèrent de mémorables raclées et les paysans les accueillirent avec des pieux et des fourches. Seule l'armée disponible pouvait séparer les antagonistes et imposer un minimum d'ordre pour maintenir quelque production industrielle et agricole à un niveau vital, ainsi que pour prévenir la paralysie complète des chemins de fer. Alors s'esquissait déjà la nécessité d'une troisième force capable d'endiguer l'anarchie tout en sauvant la face à Mao. Dès le début de l'an 1967, les dirigeants à Pékin dénoncent les « erreurs gauchistes » et Chou En-lai morigène les gardes rouges. On assiste à des réhabilitations qui remettent en place des personnages brutalisés et traînés dans la boue l'avant-veille. L'une des dernières trouvailles démentielles de Mao, figurant parmi ses seize points du 8 août 1966 et consistant à singer la Commune de Paris, singerie burlesque mise en avant par son porte-coton Chen Po-ta et sa virago Chiang Ching en janvier 1967, était déjà le mois suivant en pleine faillite (et quid de la répudiation des choses occidentales ?). Ayant sans doute pêché quelque part une citation incongrue de Lénine (autre importation d'Occident), Chen Po-ta avait prôné plusieurs fois la Commune parisienne sans même savoir ce que parler veut dire. A Changhaï et dans d'autres villes, de pseudo-Communes furent proclamées, mais ne vécurent pas six semaines, et Mao dut rétracter cette sottise, une de plus dans sa série déjà fameuse . Après le krach de ses pseudo-Communes à la française s'affirmait de plus en plus l'échec final de s~s chers gardes rouges, harcelés par des « rebelles » plus à gauche, devant l'hostilité générale de la population et les conséquences pitoyables de leur inconduite. Il fallut substituer aux anciens comités omnipotents du Parti, régionaux et locaux, de tout-puissants Comités révolutionnaires comme organes du pouvoir
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