B. SOUVARJNE lions d'illettrés au nom de sa « culture » primaire, c'est là quelque chose de spécifiquement chinois dont nous n'avons pas encore le fin mot et qu'aucun sinologue ou prétendu tel n'a pu révéler jusqu'à ce jour. Pourquoi et comment les adversaires de Mao ont-ils laissé faire, laissé passer, et subi leur éviction sans réagir avec efficace, c'est ce qui reste encore difficile à comprendre, faute d'initiation aux arcanes de la politique intérieure chinoise et, là aussi, c'est ce dont les spécialistes sont incapables de nous instruire. Selon toute vraisemblance, le culte superstitieux du grand magot aura permis de rallier à sa cause les troupeaux disciplinés de la jeunesse empressée à s'assouvir et à faire carrière, phénomène « charismatique » diraient des disciples dévoyés de Max Weber, mais charisme artificiel cuisiné par des charlatans. La passivité apparente des victimes promises à la vindicte du maître nageur reste quelque peu énigmatique, encore que sous les apparences trompeuses une résistance coriace ait eu lieu puisque Mao a mis plus de deux ans à imposer, dans les vingt-neuf provinces et les villes principales, ses « comités révolutionnaires » substitués aux « appareils » déchus du Parti et de l'Etat. Il n'y aurait pas réussi sans l'intervention des quelques forces armées obéissantes à Lin Piao. Tout cela n'aura qu'un temps, au rythme de l'histoire chinoise, et pour l'heure on se doit de mépriser ce que Flaubert entendait par « les turpitudes quotidiennes qui sont la pâture des imbéciles » : les sources de Pékin et de Changhaï en sont prodigues, reproduites sans discernement par notre presse irresponsable. Que Mao, avec l'aide de l'ex-maréchal Lin Piao, de son secrétaire Chen Po-ta, de sa n-ième femme Chiang Ching et de moindres comparses, ait dû s'attaquer à la direction et à toute l'armature du Parti, dissoudre l'organisation des Jeunesses et même celle des syndicats professionels, disperser les municipalités et fermer les universités, cela prouve qu'il n'était nullement erroné de postuler ici même la solidarité foncière des deux régimes communistes, celui de la Chine et celui de l'Union soviétique. Car les informations du 5 avril 1967 en provenance de Pékin ne laissent pas douter qu'en 1962 la majorité de l'oligarchie communiste chinoise hostile à Mao lui reprochait, entre autres initiatives insensées, « l'empirement des relations avec l'Union soviétique et l'Inde ». Liu et cette majorité s'opposaient alors aux « trois bannières rouges de Mao - le grand bond en avant, les communes populaires et la ligne générale du Parti », ainsi qu'à la politique BibliotecaGino Bianco 195 « de soutien à tous les pays et peuples opprimés par l'impérialisme », écrivait le ]enmin Jih Pao, d'où s'ensuivit une scission au Comité central, en 1962. Des précisions supplémentaires vinrent quand le Kwang-ming ]ih Pao (du 9 août 1967) révéla que Liu, appuyé par Peng Chen, maire de Pékin, avait dressé en 1961 un réquisitoire en règle contre Mao taxé de « vingt et un crimes », parmi lesquels le pseudobond en avant et les pseudo-communes populaires figuraient en bonne place (information parue le 7 octobre 1967 à Tokyo). Il est significatif que, pendant deux ans, Liu ait été couvert d'injures et d'ordures par les soins de Mao sans être mis en cause nommément, mais désigné seulement en tant que « Khrouchtchev chinois », personnalisation de la querelle qui mettait en réalité la personne de Mao en question, car Khrouchtchev représentait la direction collective de son parti tandis que Mao n'était plus le porte-parole de la sienne. A preuve, par exemple, l'article du Monde (17 février 1967) intitulé « Les maoïstes contre le Parti », article qui ne rachète absolument pas les apologies des « vingt et un crimes » parues dans ce journal. A l'appui de ce qui précède, ajoutons que le 31 octobre 1967, deux journaux de « gardes rouges » clouaient au pilori le général Lo Juiching, ex-chef de la Sûreté, ex-chef d'état-major général, qui avait accusé Mao d' « avoir créé artificiellement une tension à la frontière sinosoviétique » ( ce général tenta de se suicider en se jetant par une fenêtre ; son testament rétractait des aveux qu'on lui avait extorqués, Mao sait comme). La rupture entre Moscou et Pékin ne fut donc pas le fait du P.C. chinois ni du P.C. soviétique, mais de Mao avec sa clique, ' ~ . ce que nous n avons certes pas prevu, mais qu'aucun sinologue patenté non plus ne pouvait prévoir : encore à l'heure actuelle, personne ne saurait expliquer par quelle technique Mao a déchaîné inopinément et impunément cinquante millions de trublions contre son propre parti, contre toutes les organisations de masses et institutions étatiques soumises au Parti tout récemment infaillible et totalitaire. Nous avons ici soutenu que le conflit des deux despotismes orientaux n'était pas « idéologique », comme toute la presse atteinte de psittacisme voulait le faire accroire, mais se ramenait à un heurt d'intérêts (mal compris) et à une rivalité de pouvoirs, sous le couvert d'une logomachie à prétentions doctrinales (comme ce fut le cas en Russie après la mort de Lénine, démonstration que nous avons déjà faite). La suite a entièrement confirmé notre thèse puis-
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