288 prédateurs, pour qui seul compte le butin - le leur et celui de leur parenté. Qu'ont-ils retenu des choses d'Europe et d'Amérique? Les. valeurs de consommation, le goût d'un certain faste. Il leur faut, pour eux-mêmes, des villas climatisées, d'étincelantes huit-cylindres, des femmes sachant plaire ; et pour leurs fiefs, des lignes aériennes, la télévision, des ambassades et du matériel de guerre du dernier modèle. Dans des contrées aussi effroyablement démunies et retardataires, cette propension démesurée aux dépenses d'apparat n'est rien de moins qu'un désastre. Comme l'écrit M. Andreski : « Les énergies qui dans une économie en expansion se tendraient vers la production, se dirigent, dans une économie stagnante ou en recul, vers la rapine, ouverte ou dissimulée. » D'où le trait spécifique des néo-Etats africains - trait si souvent laissé dans l'ombre par les consommateurs occidentaux : une corruption totale et universelle. Certes la concussion n'est pas un phénomène inconnu ailleurs, mais ce qui est particulier à l'Afrique - où en dehors des entreprises étrangères aucune position acquise, aucun intérêt établi n'est de taille à résister aux politiciens, à restreindre leur appétit - c'est qu'il n'y existe aucun autre moyen de faire fortune. Ainsi « la politique devient une activité à but strictement lucratif » dont l'attrait est décidément irrésistible pour quiconque, à un titre quelconque, est devenu « quelqu'un ». Le professeur Andreski a donc d'excellentes raisons de nommer « kleptocratie » le régime actuellement en vigueur en Afrique. Autrement dit, c'est « le péculat érigé en forme de gouvernement ». Le terme s'applique tout aussi bien aux différentes formes du « socialisme africain », qui pour l'auteur sont autant de « fictions légales dont se pare la réalité kleptocratique ». De même il ne cache pas sa méfiance à. l'égard des panacées savamment élaborées dans les colloques d'experts en « développement international » ou par les conseillers étrangers. L'enseignement est un de ces sésames. Mais s'il n'est pas orienté vers les besoins véritables des pays d'Afrique, par exemple vers la production des biens, l'enseignement ne sert qu'à délivrer des diplômes - autrement dit, des lettres patentes ouvrant aux titulaires la carrière politique et kleptocratique. Quant à cet attrape-nigaud qu'on nomme « assistance » ou « coopération », son rôle se ramène en grande partie à fournir aux privilégiés de nouvelles et magnifiques occasions de s'enrichir, à l'administration les moyens d'accroître son faste et son pouvoir, à la cité entière des encouragements au gaspillage et au parasitisme. « Les BibliotecaGino Bianco LE CONTRAT SOCIAL fonds avancés seront dilapidés par les kleptocrates, tandis que les annuités de remboursement seront soutirées à leurs malheureux compatriotes. » De plus, l'aide étrangère tend à « miner la confiance en soi et l'esprit d'initiative, de même qu'il nourrit, dans les cas extrêmes, les habitudes de mendicité, la fuite devant les besognes trop ardues ». Certes le tableau brossé par l'auteur est presque uniformément sombre. Aussi ses conclusions seront-elles certainement passées sous silence par les prétendus « amis de l'Afrique » qui ont déjà fait tant de mal à celle-ci en la berçant - elle et le monde entier - d'illusions réconfortantes et de grossiers mensonges. Si l'on veut s'atteler à la tâche - monumentale - de résoudre les difficultés de l'Afrique, il faut commencer par dire la vérité, si crue, ~ si désagréable soit-elle. C'est ce que fait Stanislav Andreski, en quoi il se montre un ami digne de ce nom des malheureux peuples africains. TIBOR SzAMUELY. Un esprit libre MAX WEBER : Essais sur la théorie de la science. Paris 1965, Libr. Plon (coll. « Recherches en sciences humaines »), 540 pp. RIEN ne ressemble à la Germanie de Rüdesheim comme la République de Paris, et rien ne ressemble à un universitaire allemand de 1900 comme un universitaire français de la même époque. La génération de Max Weber arrive à l'âge d'homme dans un monde industriel sûr de so~ acquis au scientisme, au comtisme, au materialisme simplet d'un Marcelin Berthelot. Aux meilleurs esprits d'alors revenah la. tâche de faire vaciller ces certitudes un peu courtes. Leur réaction est donc une réaction critique. Mais les systèmes si imposants auxquels ils s'attaquent ne se laissent point bousculer sans précautions. Quand il s'en prend à Comte, à Marx, et même à la petite monnaie de leurs épigones, un universitaire de 1900 n'ose rien avancer à la légère. Ce n'est pas pour rien qu'on les a élevés dans le culte de Kant. Ils n'affirmeront aucune vérité sans s'être d'abord longuement demandé à quelles conditions l' affirmation est légitime. Honnête philosophie allemande et française de la Troisième République et du Second
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