Le Contrat Social - anno XII - n. 4 - dicembre 1968

QUELQUES LIVRES de route sans être perdus pour tout le monde ( appropriations personnelles, frais de voyages et de séjours, intermédiaires et parasites, accidents et incidents divers). Il y a tout lieu de penser que bien peu de « literatoura » a pu traverser les multiples filets policiers et que bien peu d'argent a pu s'infiltrer par les listes de souscriptions, aux chiffres nécessairement modestes, des journaux subversifs. Il est prouvé que le principal parti rival des bolchéviks n'était pas démuni du nerf de la guerre, et il est inutile de prouver que la bourgeoisie russe, la banque, l'industrie, le commerce, n'étaient pas non plus dépourvus de ressources, sans parler de la « cavalerie de Saint Georges » et, en général, des subsides de l'Entente ; par conséquent, qut l'argent n'a nullement été l'atout maître de Lénine dans la partie engagée de Février à Octobre. La vénalité, la connivence avec les Empires centraux sont exclues. C'est la guerre inexpiable et ses conséquences désastreuses qui ont amené le bolchévisme, ensui te le fascisme et enfin le nazisme au pou- . voir. B. SouvARINE. La kleptocratie STANISLAVANDRESKI: The African Predicament. Londres 1968, Michael Joseph, édit. M. ANDRESKIest un universitaire britannique fort connu, directeur de la section de sociologie à l'Université de Reading et auteur de plusieurs ouvrages qui font autorité. Celui qu'il vient de consacrer à l'Afrique - sujet d'actualité par excellence - est une étude sociologique impartiale, fondée non seulement sur une vaste érudition mais sur de longues années de recherches « sur le terrain ». Pourtant l'ouvrage dut essuyer sept refus avant d'être finalement accepté par un éditeur. Non qu'il fût jugé insuffisamment documenté, ou peu objectif, ou mal rédigé, mais tout simplement parce que l'auteur y dénonce sans complaisance les platitudes lénifiantes dont se nourrit trop volontiers, à propos de l'Afrique contemporaine, l'opinion occidentale. M. Andreski souligne en effet que pour l'immense majorité des Africains, la vie quotidienne est aujourd'hui sans doute plus difficile qu'à l'époque précoloniale, et incomparablement plus dure que sous le régime colonial universellement honni. L'indépendance n'a guère apporté aux populations que la corruption, la pagaille, l'arbitraire, l'instabilité et la BibliotecaGino Bianco 287 décomposiiton, à tous les niveaux, des structures sociales. En quittant leurs colonies, les Européens leur décernèrent solennellement la qualité de « nation », fable que depuis lors on s'emploie scrupuleusement à accréditer. Mais les nations ne se créent ni par fiat ni par décret. L'histoire les fait émerger peu à peu, par l'action réciproque de facteurs multiples : langue, tradition, culture, religion, géographie ; les épreuves partagées, la mutualité d'intérêts ; enfin et surtout - la guerre. Or aucun de ces éléments n'est intervenu dans la formation ne fût-ce que d'un seul des Etats africains au sud du Sahara (à l'exception, peut-être, de la Somalie - et de l'infortuné Biafra). Chacun de ces Etats est une mixture de tribus, et chacune de ces tribus se distingue et se méfie des autres, lorsqu'elle ne leur est pas ouvertement hostile. La patrie de l'Africain est son ethnie, non la « nation », l'Etat artificiel dont on le proclame membre ou citoyen . Certes, sous les effets cumulés de l'urbanisation, de l'économie pécuniaire, des rapports toujours plus étroits avec le monde extérieur, la structure tribale traditionnelle se désagrège - et avec elle, ce que chacun y puisait, le sens d'une appartenance véritable, l'esprit de fidélité aux siens. 11ais à l'ancienne force de cohésion aucune autre n'a succédé. Pour l'auteur, les résultats de ces processus contradictoires sont catastrophiques, ou peu s'en faut : Pendant que se dissout la moralité tribale, les éléments mêmes qui font obstacle à la formation de l'esprit civique, d'un sens du devoir envers la collectivité, tendent à instaurer et à perpétuer une société atomisée dépourvue de toute règle commune, où chacun s'emploie à prendre à chacun tout ce qu'il peut, sans être jamais retenu par une conscience collective profondément enracinée. Etat de choses qui n'est pas tellement éloigné de celui qu'évoque Hobbes : la guerre de tous contre tous. L'Etat africain d'aujourd'hui ne connaît qu'un principe unificateur : l'intérêt personnel des membres de la nouvelle caste dominante. L'analyse que donne M. Andreski de ces élites est sans doute ce que son livre apporte de plus utile. Il s'agit d'un assemblage hétéroclite d'intellectuels européanisés et désabusés, de militaires, de chefs de tribu, d'anciens boys plus ou moins illettrés. Surgis d'on ne sait où à la faveur d'on ne sait quel concours de circonstances, la plupart d'entre eux ne connaissent ni norme ni règle ; dépourvus de vraies convictions politiques, ils sont étrangers à tout idéal, toute vocation, toute solidarité. Ce sont des

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