Le Contrat Social - anno XII - n. 4 - dicembre 1968

286 la pauvreté des finances du dit bureau (où est la fameuse « clef d'or », que faisaient donc les nombreux émissaires et courriers de Parvus, et combien de pfennigs celui-ci a-t-il réellement versés à cette redoutable officine ? ) Radek, ne pensant pas non plus répondre avec quarante ans d'avance aux futurs biographes de Parvus, relate que son bulletin ronéotypé « Correspondance Pravda », puis son « Messager de la Révolution russe », avaient pour tout personnel technique improvisé la femme de Ganet ski et la sienne (où passait donc cet « apport constant de fonds par divers canaux et sous des étiquettes variées » dont parle Kühlmann dans sa lettre à l'intention du Kaiser, écrite probablement par un subalterne ?) Si l'on remonte avec Radek jusqu'à Zimmerwald, c'est pour apprendre que le trésor de guerre réuni par la fraction « de gauche » fut ainsi collecté : 20 francs de Lénine, a~ nom des bolchéviks ; 20 francs de Borchardt, au nom des spartakistes ; 10 francs des socialdémocrates polonais ; il fallut emprunter 46 francs à Chklovski pour couvrir les frais d'une brochure. ( Quid de l'argent confié à Kesküla ?) Décidément les transmetteurs de fonds n'étaient pas des « seigneurs ». Relevons enfin que MM. Zeman et Scharlau signalent un fort groupe « pro-allemand » chez les bolchéviks, consistant en « amis » de Parvus, à savoir : Radek, Ganetski et Racovski. Le papier supporte tout, mais chaque mot est faux : 1° ce groupe est inventé de toutes pièces, n'a jamais existé ; 2° si les mots ont un sens, les militants en question n'étaient pas « amis » de Parvus (l'amitié est une chose, les relations de circonstance, politiques ou professionnelles, en sont une autre); 3° ils n'étaient pas plus pro-allemands que pro-mexicains ou pro-birmans, mais simplement pro-prolétariat et anticapitalisme ; 4 ° aucun des trois n'était membre du Comité central, seul centre bolchévik d'influence ; 5° Radek et Racovski ont été, aussitôt après Octobre, chargés de missions différentes qui les ont éloignés de Pétrograd et l'un de l'autre; 6° une telle affirmation, dépourvue de sens appliquée à des internationalistes invétérés, atteste que MM. Zeman et Scharlau n'ont rien compris, malgré la somme visible et partiellement louable de leur travail, au caractère et au comportement de ces socialistes intransigeants qui allaient à bref délai se dénommer communistes, et auxquels les critères de StAntony's College ne sont pas applicables. Si intéressante qu'ait été la personnalité de Parvus dans ses talents innés, ses avatars, ses perversions ou anomalies, l'histoire du bolchévisme et de la Révolution russe la surpasse de BibliotecaGino Bianco LE CONTRAT SOCIAL beaucoup en importance. Aussi, sans s'attarder davan·tage aux initiatives et aux déboires ultimes de Parvus en tant que politicien trop habile et finalement désavoué par tous, ou presque, ne retenons pour en terminer avec lui que sa démarche inopinée tendant à retourner en Russie sous le régime soviétique. .Elle décèle une dose de présomption insensée qui rappelle un mot de Rosa Luxembourg à son sujet : « Je crois que, lentement, il devient fou », écrivaitelle quelques années aupatavant. De fait, sa hardiesse aventurée suscite en certaines circonstances la surprise et la perplexité devant cette intelligence compliquée de mégalomanie, d'appétits et de phantasmes. Nos deux auteurs ont eu raison de citer l'appréciation sagace d'un diplomate autrichien formulée en décembre 191 7 : « Parvus travaille un tiers pour les ~ Empires centraux, un tiers pour la social-démocratie et un tiers pour la Russie dont il ve11t s'attacher le prolétariat en lui offrant des conditions favorables ». Tant de confiance en soi et d'entregent mal orienté devaient finir mal, dans le déchaînement des forces collectives et en pleine accélération de l'histoire. Le lecteur que passionne les destins hors série ne regrettera pas de lire The Merchant of Revo/,ution, mais nous regretterons que cette consciencieuse biographie l'induise en erreur sur Lénine et sur l'origine du pouvoir soviétique. Car l'argent n'explique pas plus l'insurrection victorieuse d 'Octobre que l'affaire du Collier, en dépit de Gœthe, n'explique la Révolution française, et nonobstant la réalité du Collier, du Cardinal et de la Reine. Il n'est pas vrai que Lénine ait été soudoyé par l'Allemagne, non plus que Raspoutine contre qui la même accusation fausse avait été lancée à la légère. Car l'argent n'est pas la « mesure de toutes choses »,. Il est certain que l'Allemagne a assigné des fonds pour « la propagande » en Russie, on a les chiffres, mais ce fut surtout pour stimuler le séparatisme en Ukraine, en Finlande, dans les pays Baltes, et il n'en resta guère pour de vagues « centres révolutionnaires » invérifiables 1.o, encore moins pour un parti ou un groupe . bien défini, ·outre que la plupart de ces fonds ont dû se dissiper en cours 10. Encore aurions-nous dû souligner dès le début qu'en ce ,temps-là, c'est au parti socialiste-révolutionnaire (s.r.) que les non-initiés pensaient spontanément à propos de « centres révolutionnaires », et non au parti social-démocrate (s.d.) beaucoup moins connu, moins bruyant, apparemment moins actif aux yeux des profanes dans la lutte contre le tsarisme. Ce point mériterait d'être mis davantage en lumière. Mais pour discuter congrûment les deux livres en question, il faudrait en écrire un troisième.

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