Le Contrat Social - anno XII - n. 4 - dicembre 1968

QUELQUES LIVRES gances complexes, en jouant double ou triple jeux dans lesquels on ne peut lire à présent qu'en comparant les versions divergentes dans un esprit impartial et en bonne connaissance de cause. Ce n'est pas ce que font nos deux auteurs qui, devant l'immense imbroglio de Stockholm, et surestimant constamment le rôle de Parvus, n'ont même pas tenu compte de l'autobiographie de Radek, criticable sans doute, mais non négligeable. Quand ils ne collectionnent pas des commérages à son égard, ils imaginent ce qui convient à leurs vues. Ainsi à propos d'une conversation « entièrement secrète » entre lui et Parvus en avril 1917, dont ils ne savent absolument rien par définition, ils décident que Parvus a dû offrir de l'argent et que Radek « avait qualité pour accepter ». Affirmation assurément gratuite, puisque Radek n'était même pas membre de la fraction bolchévique à ce moment ; il n'a pu adhérer au parti de Lénine qu'après Octobre.· (Cela n'épuise pas l'objection prévisible, mais il faudrait des pages et des pages pour expliciter chaque détail en litige). M. Zeman accuse à la légère tous ceux dont les noms figurent sur n'importe quelle pièce d'archive douteuse, nouvelle parole d'évangile. Il juge « probable » (note au doc. n ° 90) qu'une somme d'argent est allée à la Novaïa ]izn de Maxime Gorki : pourquoi « probable», pourquoi pas « improbable » ? (Cf. les articles de N. Valentinov, « Entretiens avec Maxime Gorki » et « Sur une biographie de Maxime Gorki » dans notre Contrat social de mai et de septembre 1965). 9 * * * Les deux auteurs du Merchant multiplient les allégations sans trace de preuve sur les 9. Violemment attaqué en 1918 par les bolchéviks qui lui posaient d'insolentes questions sur la provenance des fonds de son journal, Gorki répliqua en ces termes (Novaïa ]izn, 2 juillet 1918), juste à la veille du jour où Lénine allait supprimer définitivement ce journal : « Aux rédacteurs de la Pravda, de la Commune du Nord et autres. « J'ai créé la Novaïa Jizn avec de l'argent emprunté à E. K. Grubbe, 275.000 roubles, dont 50.000 sont déjà remboursés. J'aurais pu restituer le reliquat depuis longtemps si j'avais su où vit E. K. Grubbe. « En plus j'ai investi dans le journal une partie de mes droits d'auteur reçus de Niva pour mes livres. Tout cet argent a été remis par moi à A. N. Tikhonov, l'éditeur de la Novaïa ]izn. « ... Des centaines de milliers de roubles, dépensés pour la cause du parti social-démocrate russe, ont passé par mes mains entre 1901 et 1917, sur lesquels mes gains personnels se comptent en dizaines de milliers de roubles, et tout le reste fut tiré des poches de la " bourgeoisie " : I'Iskra a été publiée avec l'argent de Savva BibliotecaGino Bianco 285 transferts de fonds par « l'équipe polono-bolchévique » (ils insistent). Ils ont observé que Lénine, « pour de très bonnes raisons », n'a jamais traité Parvus d'agent de Guillaume II ... (Lénine l'a seulement traité comme du poisson pourri ; voir plus haut). Ils découvrent que « le Parti polonais était une création de Lénine » : on s'étonne que les nombreuses con1pétences consultées par les auteurs ne les aient pas mis en garde contre de telles bourdes. La stupéfiante tentative de Parvus pour retourner en Russie après Octobre ne les déconcerte guère ; ils croient que Lénine pouvait en décider seul, comme si le Comité central n'existait pas (on a vu plus haut deux manifestations de sa non-existence). Lénine s'est borné à commenter : « La cause de la révolution ne doit pas être souillée par des mains sales ». Mais quoi qu'il dise, les deux auteurs estiment que « cela fait partie du jeu ». Par conséquent, s'il avait traité Parvus d'agent de Guillaume II, cela aurait également fait partie du jeu ? So what? En bonne logique, et en toute loyauté, ils auraient dû citer largement et commenter la longue, très longue lettre clandestine de Lénine au bureau bolchévik de Stockholm, écrite de son refuge secret le 30 août 1917, et qui ruine d'avance tout leur échafaudage. On ne saurait en contester l'authenticité ni le naturel (une page entière du manuscrit est reproduite en fac simile ). Elle n'a pas été écrite pour réfuter des livres parus quarante ans plus tard. Elle montre indubitablement les scrupules de Lénine au sujet de Karl Moor dont il exige avec instance que soient dûment vérifiés les tenants et aboutissants, la pureté des intentions. Elle révèle l'état plus que piteux des liaisons entre Lénine et ses camarades à Stockholm ainsi que Morozov et, certes, il ne l'a pas prêté, mais donné. Je pourrais nommer une bonne douzaine de personnes, " bourgeoises ", qui ont aidé matériellement la croissance du parti social-démocrate. V. I. Lénine et d'autres vieux militants du Parti le savent très bien. « Dans le cas de la Novaïa Ji=:.n, il n'y a pas de " dons ", mais seulement mon emprunt. Vos sales attaques calomnieuses déshonorent non la Novaïa Jizn, mais vous-mêmes». Le Gorki qui s'exprimait ainsi en 1918, fier, indépendant, désintéressé, courageux, face aux bolchéviks ivres de leur pouvoir et déjà engagés dans la voie de la terreur, ce Gorki-là n'était pas celui qui s'est soumis à Staline quinze ans plus tard, dans les conditions décrites par N. Valentinov (Contrat social, n°' 3 et 5 de 1965). Il méritait et mérite encore pleine confiance. E. K. Grubbe, banquier d'origine balte, était le !>Ccrétaire de l' « Association libre pour le développement et la diffusion des sciences positives 1>, d'esprit libéral. Les éditions Niva appartenaient à I. D. Sytinc (cf. Valcntinov, op. cil.)

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